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Présence ou absence du rythme dans les musiques d’aujourd’hui

Pierre Sauvanet
juillet 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.330

Résumés   

Résumé

Cet article choisit de s’interroger sans préjugés ni parti-pris sur certaines manifestations contemporaines du phénomène rythmique. Pourquoi la musique savante a-t-elle, sauf exception majeure, abandonné le sens du rythme (au sens de la pulsation régulière) ? Pourquoi, à l’autre extrême, le retrouve-t-on si omniprésent (mais sous une forme caricaturale) dans les musiques populaires ? Ces questions ne sont pas un point de détail esthétique, mais renvoient à l’évidence à des enjeux philosophiques et anthropologiques (ainsi, la place du corporel dans le musical), ou politiques et sociaux (valeur et fonction de la musique). On analysera ces enjeux à partir de quatre pièces musicales récentes dans quatre genres volontairement très différents (contemporain, traditionnel, variétés, jazz).

Abstract

This paper makes the choice of examining some contemporary manifestations of rhythmic phenomena without bias or prejudice. Why did art music, except for one major exception, abandon the sense of rhythm (in the sense of regular pulse)? Why, at the other extreme, does it appear to be so ubiquitous (though in a caricatured form) in popular music? These questions are not a matter of aesthetic detail, but raise serious anthropological and philosophical questions (such as the place of the body in music), as well as political and social issues (the value and function of music). We will analyze these issues on the basis of four recent musical works, deliberately chosen from different genres (contemporary, traditional, variety, jazz).

Index   

Texte intégral   

1L’idée de départ est simple, même si elle peut se révéler redoutablement compliquée : qu’est-ce que le rythme musical aujourd’hui pour un auditeur non spécialisé ? Quels types de musique dite « rythmique » ou « rythmée » trouve-t-il à sa disposition ? Et comment penser les phénomènes rythmiques au sein même de cette nouvelle répartition ? Car enfin, si l’on parle de « rythme » à quelqu’un de son entourage, y compris quelqu’un de cultivé, il y a fort à parier qu’il ne pensera pas d’abord à Boulez ou Stockhausen, encore moins à Grisey ou Ligeti. Par choix méthodologique, et par conviction esthétique, voire politique, je ne traiterai donc pas ici exclusivement du rythme dans la musique savante contemporaine occidentale, ni même dans la seule musique écrite. J’aborderai plus largement la question de tout ce qu’on appelle « rythme musical » aujourd’hui, dans tous les styles musicaux, non certes par esprit de provocation, mais simplement parce que toutes les autres musiques existent aussi, et qu’il faut bien les penser également — que ce soit pour en reconnaître la valeur parfois sous-estimée, ou bien pour poser une limite, au moins théorique, à leur envahissement.

2Or c’est bien là qu’il faut simplifier à outrance, si l’on veut travailler à partir de données sonores concrètes, en découpant volontairement quatre genres dans les musiques d’aujourd’hui : la musique savante occidentale contemporaine (dont on ne compterait plus les sous-genres), les musiques traditionnelles ou ce qu’il en reste (y compris ce qu’on appelle aujourd’hui les « nouvelles musiques traditionnelles »), le jazz (au sens le plus large du terme, incluant l’ensemble de son héritage et de ses différents courants), les musiques dites « populaires » ou les « variétés », faute d’un meilleur terme (en termes purement quantitatifs et commerciaux, il s’agit d’ailleurs là du plus grand groupe, et de loin : pop, rock, mais aussi labels indépendants, musiques électroniques, etc.). Cette quadripartition est certes réduite, mais elle permet de rendre compte malgré tout d’un certain état des lieux, à condition de se donner une règle claire : pour chaque type de musique, il s’agira de choisir un thème rythmique et un seul, qui soit suffisamment significatif et pertinent. Bien entendu (à bon entendeur, salut !), le choix de tel ou tel exemple pourra toujours être contesté, en le ramenant à sa dimension nécessairement caricaturale, ou du moins réductrice. Mais une forme de réduction quasi phénoménologique est parfois nécessaire pour obtenir quelques résultats parlants. J’assume en tout cas les choix présentés ici, en posant ces quatre exemples comme étant globalement révélateurs de quatre grandes tendances rythmiques actuelles.

3Où l’on verra, alors, que l’idée de départ se complique inévitablement… Pensons par exemple à la phobie du compositeur américain Morton Feldman : « Je quitte toujours la salle de concert quand je commence à taper du pied »1. Soit, mais pourquoi donc ? Pourquoi la musique savante a-t-elle, sauf exception majeure, abandonné le sens du rythme (au sens de la pulsation régulière) ? Pourquoi, à l’autre extrême, le retrouve-t-on si omniprésent (mais sous une forme caricaturale) dans les musiques populaires ? Ces questions, si naïves en apparence, mais que je m’étonne de ne pas voir plus souvent posées, ne sont pas un point de détail esthétique, mais renvoient à l’évidence à des enjeux philosophiques et anthropologiques (ainsi, la place du corporel dans le musical), ou politiques et sociaux (valeur et fonction de la musique). Tout se passe en effet comme si, sous forme de chiasme, plus les musiques populaires martelaient un rythme qui n’est plus qu’un mètre, plus les musiques savantes s’éloignaient de la pulsation, pourtant bien vivante elle aussi dans l’histoire de la musique occidentale… Entre les deux, quelle place restante, et pour quels phénomènes rythmiques ? Ainsi s’exprime György Ligeti :

« Je ne suis pas dans la périodicité classique de notre musique occidentale, non plus que dans cette convention absolue de l’apériodicité complète qui prévaut depuis 1950. Cette dernière trahison m’a également été reprochée. Ce que je trouve à répondre, c’est : “merde aux conventions !” »2

4Cet article n’a certes pas pour ambition de répondre définitivement à la question du pourquoi de cette évolution, ni même de rejoindre Ligeti dans la violence de sa critique, mais du moins de prendre acte du fait que l’« apériodicité complète » n’est rien d’autre qu’une « convention absolue », et partant, de baliser le terrain d’une réflexion ouverte sur la présence ou l’absence du rythme dans les musiques d’aujourd’hui.

Exemple n° 1. Michaël Lévinas, Tic, Tac… (03 :35), par les Percussions de Strasbourg, sur l’album « Entente préalable », Accord, 2002.

5Le choix de cette pièce de Michaël Lévinas m’a été dicté par plusieurs raisons : la première, affective, puisque le compositeur, également interprète (notamment d’œuvres musicales de Nietzsche), était présent à Cerisy lors du colloque sur les rythmes auquel j’avais la chance d’assister en juin 19893 ; la seconde, pratique, puisque la durée très brève de cette pièce permet de l’écouter en intégralité sans avoir à la tronquer ; la dernière, plus sérieuse, puisque son titre et son contenu mettent en œuvre une certaine conception du « temps strié » en musique, par opposition au « temps lisse » qui ne saurait nous occuper ici (selon les catégories de Boulez, reprises par Deleuze4). L’intérêt de cette pièce musicale est en effet de laisser une certaine place aux phénomènes rythmiques, celle d’une présence structurante mais non envahissante.

6Il faut encore préciser que cette pièce fait partie d’un ensemble du genre « cadavre exquis », les Percussions de Strasbourg pour leur quarantième anniversaire ayant commandé à douze compositeurs contemporains une pièce devant s’inscrire dans la continuité des onze autres, chacun transmettant sa partition au suivant (de Michaël Jarrell le premier, à Jean-Pierre Drouet le dernier, Michaël Lévinas étant ici le neuvième de la série, après Gérard Pesson et avant Martin Matalon). Le compositeur présente ainsi son travail :

« Cette pièce, dédiée aux Percussions de Strasbourg à l’occasion de l’anniversaire de cette formation qui a marqué les années de la Musique Contemporaine, s’organise autour du tic-tac d’une horloge. Ce Tic-Tac qui chante la succession des instants, est exprimé par une crécelle géante qui tourne lentement sur son crénelage. Chaque saccade occasionnée par le mouvement de l’axe de la crécelle est prolongée par une série d’échos provoqués par des maracas et une grande variété de bruits blancs. Cette “orchestration” du “temps strié” s’accompagne d’un bruit maniaque du tiroir d’une caisse enregistreuse et du balancier d’une “cloche fêlée” »5.

7On retrouve ici les obsessions du compositeur, puisque La Cloche fêlée était déjà une pièce de 1986-1988, qui elle-même développait une idée présente dans une œuvre de jeunesse (Musique et musiques, 1973).

8Dans cette nouvelle pièce, le temps est donc strié d’une façon bien spécifique : non pas toutes les secondes comme une horloge, mais environ toutes les six secondes (cette périodicité n’est pas absolument fixe, elle oscille plutôt entre cinq et sept secondes). Le phénomène de perception d’une régularité est considérablement étendu dans le temps, et développe notre attente comme autant de protentions husserliennes au fil de l’écoute. La crécelle géante fonctionne alors, non comme un rythme, mais comme un révélateur de différentes textures sonores qui viennent en occuper les intervalles. Je pense volontiers ici à ce que dit Michel Deguy de lui-même, un matin, seul dans la cuisine, tentant d’apprivoiser le tic-tac de la pendule :

« Dans la cuisine, le tic-tac — mais plus exactement, le tic/tic/… /tic/ — régulier de la pendule débite sans faute le silence. Avec ongles et phalanges, heurtant la tasse ou la table, je cherche, d’un bruit qui coïncide exactement avec les butées du balancier sonore, à accompagner, à souligner donc, puis à recouvrir, l’insupportable régularité de la scansion horlogère [… ] Le rythme serait ce qui joue à déjouer la scansion et peuple le silence strictement mesuré de l’intervalle »6.

9À ceci près, bien entendu, que dans la pièce de Lévinas, l’important n’est pas le rythme en lui-même, mais le jeu sur le son d’ensemble qu’il permet.

10Pour sa part, le compositeur Gérard Grisey distingue ainsi trois approches différentes du phénomène rythmique : soit le rythme est rapporté à une pulsation exprimée, point de repère périodique, comme chez Stravinsky ou dans le jazz, la perception du rythme se faisant dans son rapport qualitatif et quantitatif avec le mètre ; soit le rythme n’est rapporté à aucune pulsation-repère, et dès lors on ne parle plus de rythmes, mais de durées, comme chez Messiaen ou dans l’école sérielle (même si, en réalité, il existe toujours une micro-pulsation comme point de repère, sur un mode opératoire, non perçu en tant que tel) ; soit enfin, comme dans le travail de Grisey lui-même on imagine « une rythmique oscillatoire dans laquelle le mètre lui-même oscillerait constamment. Le point de repère en mouvement devient alors son propre objet et le rythme est aboli au profit des fluctuations de la pulsation »7. C’est pourquoi, d’une manière générale mais à des degrés divers, il peut paraître difficile à beaucoup d’oreilles de saisir le « rythme » dans la musique contemporaine : à l’exception de l’école répétitive américaine (et notamment Steve Reich), l’accent est toujours mis sur la nouveauté, la variété, la non-répétitivité, qui deviennent des valeurs en soi du musical. Comme le dit Pierre Boulez, sans du reste plus de justification : « Le principe de la variation et du renouvellement constant nous guidera impitoyablement »8. En d’autres termes, l’accent est mis sur la structure et le mouvement, aux dépens de la périodicité régulière, qui du coup n’apparaît plus que comme une facilité coupable9.

11Est-ce à dire, par extrapolation, que la musique n’a plus de rythme ? Certes non ; mais, encore une fois, tout dépend de quelle musique et de quel rythme on parle… Dans un autre genre, et bien avant l’école répétitive américaine, certaines pièces pour percussion de John Cage sont à redécouvrir, notamment ses Constructions où le « rythme » varie sans cesse, mais où, comme le titre même l’indique, une certaine structure mouvante se fait pourtant sentir, par l’alternance des accents, la présence des intervalles de silence, ou encore, le cas échéant, par le jeu sur les timbres des différents instruments de percussion (à peau, en métal ou en bois), brisant volontairement la distinction entre bruit et son. Soit l’aphorisme suivant de John Cage : « Le rythme apériodique implique le rythme périodique. (Cela ne marche pas dans le sens contraire… ) »10. Faut-il entendre par là qu’une absence de périodicité donne le désir d’une périodicité repérable, tandis que la périodicité présente ne donne que le désir renouvelé d’elle-même ? Ou bien qu’on perçoit toujours une forme de périodicité latente dans une non-périodicité, tandis qu’une périodicité se donne d’abord en elle-même et pour elle-même ? Quoi qu’il en soit, le constat s’impose : pour Cage comme pour nombre de compositeurs contemporains, l’idée de « rythme apériodique » n’est pas une contradiction dans les termes.

Exemple n° 2. Selvaganesh, Ballad Of Varan (03 :18), sur l’album « Soukha », Naïve, 2005.

12Le percussionniste Selvaganesh (ou sous la forme Selva Ghanesh), issu de la tradition carnatique de l’Inde du Sud, peut être dit appartenir au courant des « nouvelles musiques traditionnelles ». On trouve très facilement son disque, largement diffusé, du moins en France, où il a bénéficié d’une reconnaissance publique allant bien au-delà du petit cercle des initiés. Contrairement à d’autres, le percussionniste n’a pas eu besoin pour cela de renier sa propre tradition musicale, l’une des plus riches au monde d’un strict point de vue métrique et rythmique. En ce sens, Selvaganesh s’inscrit lui-même dans une nouvelle tradition d’ouverture, issue notamment de l’Inde du Nord, qui remonte au moins à Ravi Shankar (lorsqu’il jouait notamment avec Yehudi Menuhin), ou plus récemment à Zakir Hussain, avec qui il a également joué au sein du groupe Shakti, mené par le guitariste britannique John McLaughlin (en 1999-2000). De même que Zakir Hussain s’est souvent produit en studio avec son père (Ustad Alla Rakha, de la génération de Ravi Shankar, dont il fut le joueur de tablas attitré), Selvaganesh prolonge le duo avec son propre père (T. H. Vikku Vinayakram), sur ce disque notamment, où ce dernier joue du ghatam. En bref, la tradition s’adapte aux nouvelles contraintes du marché (morceaux plus courts, retraitement en studio, sons d’ambiances urbains, etc.), mais sans perdre son âme.

13Soit la première plage, en ouverture : la kanjira semble enregistrée très près du micro, ce qui lui confère une présence sonore étonnante, dans toute la richesse de ses timbres, du plus grave au plus aigu. La kanjira, cet instrument de percussion d’Inde du Sud, est un petit tambour sur cadre (membranophone à une peau), de diamètre réduit (10 à 20 cm), toujours cerclé de cymbalettes, qui se tient d’une main et se joue de l’autre. Une main sert à frapper la peau à l’aide des doigts (au bord) et de la paume (au centre), l’autre sert à modifier la tension de la peau (donc la hauteur du son) en appliquant une pression du bout des doigts sur la face extérieure (ou intérieure) de la peau mouillée. On retrouve ici la virtuosité rythmique traditionnelle des percussionnistes indiens, mais transposée sur un instrument dont on a moins l’habitude, du moins en Occident (instrument à un seul fût, contrairement aux tablas, par exemple, et une seule peau, contrairement au mridangam), qui recèle ici des ressources d’autant plus étonnantes que les possibilités semblent paradoxalement limitées.

14Le schéma métrique adopté paraît tout d’abord incompréhensible : la kanjira joue en effet d’emblée une série de savantes variations rythmiques (kaida) qui semblent reposer sur l’ajout d’un temps en fin de cycle, mais qui ne débouchent apparemment sur aucune repère fixe — illusion, bien entendu, rapidement dissipée par l’arrivée d’une cellule rythmique (tâla) plus aisément reconnaissable, du moins pour des oreilles occidentales. Concession à l’Occident ? Rien n’est moins sûr ici, car la tradition rythmique indienne (et au Sud comme au Nord) inclut aussi de fortes régularités (comme on le sait, le tintâl du Nord est un cycle de 16 temps divisé en 4x4, l’adhi du Sud est un cycle de 8 temps réparti en 4+2+2, etc.). Toujours est-il que, sur ces trois minutes de Ballad Of Varan, cette régularité apparente est vite abandonnée au profit d’un nouveau déluge rythmique de variations savamment construites, en dialogue contrasté avec la flûte rêveuse de Naveen. Certes, on pourra toujours préférer les grands enregistrements de Zakir Hussain avec le flûtiste Hariprasad Chaurasia, dans la plus pure tradition de l’Inde du Nord. Mais force est de reconnaître que ce disque présente la kanjira comme on ne l’avait pas encore entendue, et permet sans doute au grand public cultivé de découvrir ou de redécouvrir les rythmes à la fois populaires et savants des musiques de l’Inde, au Nord comme au Sud (sur le même disque, la bien-nommée plage 5, Lord Of Rhythm, présente d’ailleurs une rencontre entre Selvaganesh et Zakir Hussain).

15En somme, quel type de présence pour quel type de rythme ici ? Dans les musiques traditionnelles (et même s’il est toujours délicat d’extrapoler), les phénomènes rythmiques tiennent presque toujours une grande place, plus ou moins forte, plus ou moins subtile selon les traditions ; l’intérêt est ici d’avoir accès à une écoute valorisée et autonome d’un instrument joué par un soliste virtuose, qui met en lumière les infinies variations rythmiques dans un cadre strictement métrique. Mais il ne faudrait pas croire pour autant que les phénomènes rythmiques se réduisent, dans les différentes traditions, à l’aspect métrique ; rien n’empêche, par exemple, de ressentir un certain « rythme » dans de longues pièces ou de grandes introductions non mesurées. En réalité, tout est à nouveau une question de vocabulaire : soit on appelle rythme les variations autour d’un mètre, au sens strict, soit on favorise l’extension sémantique du mot rythme au-delà du mètre, et alors, dans les musiques traditionnelles également, il n’est pas absurde de parler d’un « rythme apériodique »11. Pour rester dans la même catégorie d’exemple, la longue introduction qu’on appelle alap en Inde du Nord, durant laquelle l’instrumentiste mélodiste soliste expose en quelque sorte l’échelle du raga, sans l’intervention des percussions comme les tablas, peut être dite « sans rythme », mais elle est en réalité « sans mètre », car la succession savante de notes et de silences, d’accents et de non-accents, de tensions et de détentes, crée en elle-même une sorte de « sens rythmique » chez l’auditeur (avec structure et mouvement, mais sans périodicité régulière). Dans toutes les musiques, il faut donc toujours prendre soin de distinguer un sens restreint et un sens étendu du mot rythme.

Exemple n° 3. Kylie Minogue, Can’t get you out of my head (03 :50), sur l’album « Fever », EMI, 2001.

16La transition est brutale. Il n’y a pourtant aucune provocation de ma part à travailler aussi sur du Kylie Minogue dans une revue de musicologie (la construction grammaticale « du Kylie Minogue » tendant effectivement à considérer cette musique comme un produit). Il y va simplement de la volonté d’écouter aussi vraiment ce que tout le monde, ou presque, écoute… Les paroles qui donnent son titre à cette chanson, et qui, il faut bien le dire, se caractérisent par un certain degré de débilité, peuvent aussi s’entendre autrement : Can’t get you out of my head, littéralement, je ne peux pas te faire sortir de ma tête, impossible de t’oublier, mon chéri, etc. — mais aussi, sous une forme autoréférentielle : refrain entêtant sur deux ou trois notes (« na na na… »), impossible à oublier, matraqué dès la première écoute, non, décidément, je ne peux pas te faire sortir de ma tête

17D’un point de vue musical, si l’on peut dire, le rythmique de la boîte à rythmes est purement métrique : grosse caisse bien lourde à 126 BPM (beats par minute) sur tous les temps de la mesure à 4/4 comme il se doit, caisse claire et claps sur les temps 2 et 4, charleston sur les croches, juste ouverte sur la dernière croche de la mesure, et ligne de basse compressée réduite au strict minimum, avec les fondamentales sur la levée de chaque temps (comme héritage du disco, mais avec un son de synthèse inspiré de la house). À peine quelques breaks dans le mix ont-ils pour fonction de relancer la machine, avant ou après la modulation du refrain ou du pont… Musique mécanique, précisément, dont la fonction imparable et préformatée est celle de l’achat pour la danse (mais la danse des corps solitaires). Le problème n’est pas d’ailleurs la danse en elle-même — à la limite, selon le contexte, chacun peut toujours danser, même avec plaisir, sur cette musique ! En ce sens, la « production » est ici particulièrement soignée, c’est-à-dire particulièrement efficace, et plutôt mieux réalisée que dans les autres produits de même consommation (ce qui explique son choix emblématique ici, outre son titre autoréférentiel possible). Le problème, puisqu’il y en a un, est dans l’horizon musical extrêmement limité, pour ne pas dire bouché, que ce type de musique entend définir12. En un mot, c’est une musique économique, dans tous les sens que ce mot permet en français : redoutablement mercantile, minimale, efficace et fonctionnelle. Il s’agit bien là, finalement, d’une musique entièrement calibrée visant à produire un rythme simple, à la carrure évidente, reproductible à l’infini par des corps dansants, selon un rituel nocturne et apparemment festif partagé par un grand nombre de nos contemporains, mais qui pourrait intriguer à juste titre n’importe quel anthropologue demeuré peu au fait de la faune des boîtes de nuit. Il faudrait alors s’intéresser à une approche sociologique des musiques populaires, telle que la pratique par exemple le GREMES (Groupe de Recherche et d’Étude sur la Musique et la Socialité), rattaché au CEAQ (Centre d’Étude sur l’Actuel et le Quotidien) de Michel Maffesoli, à l’Université de Paris-V. Ce groupe — aux publications malheureusement inégales et dispersées13 — se caractérise en effet par une volonté de réflexion sur les phénomènes contemporains d’effervescences sociales, les mouvements musicaux de la culture juvénile, le néotribalisme et l’imaginaire autour de la musique.

18Pour reprendre l’autocritique par anticipation formulée au début de cet article, je reconnais bien volontiers ici qu’il est tout à fait caricatural de réduire l’ensemble des musiques dites populaires ou même « non savantes » à un « tube » bien « usiné » d’une chanteuse à la mode (pour combien de temps encore ?). De nombreux sous-styles de cette même catégorie, eux-mêmes plus ou moins datés (jungle, drum’n’bass, electro…), montreraient au contraire une grande diversité de recherches rythmiques qui ne se ramènent pas, ou du moins pas toujours, au marteau binaire. De même, certains genres musicaux a priori peu enclins aux subtilités rythmiques, comme le hard rock ou le heavy metal, développent parfois des séquences réellement virtuoses en leur genre. Il n’en reste pas moins que, d’un strict point de vue statistique, et à une écrasante majorité, c’est bien cette métrique mécanique des quatre temps accentués dont deux syncopés (il resterait d’ailleurs à en faire l’historique, depuis les débuts du rock’n’roll, lui-même issu du jazz, jusqu’à la vague disco…) qui domine aujourd’hui la grande « soupe » des musiques populaires. Là encore, il est toujours permis de s’en étonner : étant donné l’envahissement sonore des espaces publics par la musique commerciale préformatée, nous semblons subir chaque jour un peu plus la contrainte musicale du 4/4 — encore faudrait-il que nous en ayons conscience… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, toutes proportions gardées, j’éprouve personnellement une certaine tendresse envers les très rares « tubes » à métrique impaire (Money des Pink Floyd est un sept temps), qui ont réussi à concilier écoute facile du grand public et subtilité rythmique quasi inaudible au profane.

Exemple n° 4. Brad Mehldau, I didn’t know what time it was (06 :31), sur l’album « The Art of the Trio, vol. 1 », Warner Bros, 1997, avec Larry Grenadier (contrebasse) et Jorge Rossy (batterie).

19Dira-t-on à nouveau que je choisis à dessein des exemples caricaturaux ? Mais ils ne le sont pas tant que cela : Lévinas déploie ici un temps subtilement strié, quand j’aurais pu prendre de très nombreux exemples de temps lisse ; Selvaganesh, au chapitre des nouvelles musiques traditionnelles, correspond à une sorte de juste milieu entre les musiciens garants de la supposée pureté d’une tradition et ceux qui ont déjà vendu leur âme à l’Occident ; Minogue n’est pas ce qui se fait de pire en la matière, ce qu’on appelle la « production » relève d’un certain savoir-faire, et elle a souvent reçu d’excellentes critiques en son genre dans la presse spécialisée ; enfin, Mehldau est un pianiste de jazz pétri de culture classique, qui a toujours bénéficié d’une très importante couverture médiatique (relativement à ce genre de musique), quand précisément j’aurais pu prendre des musiciens moins connus (parmi les jeunes pianistes de jazz développant un sens rythmique personnel, citons par exemple Robert Glasper). L’aspect caricatural de ces exemples, s’il existe, tiendrait en fait à leur inévitable réduction du champ.

20Que se passe-t-il donc ici ? Une grille harmonique relativement simple, pour une mélodie de Rodgers and Hart, ce qu’on appelle en jazz un « standard », où tout l’intérêt réside dans l’interprétation, ce qui ne veut pas dire l’exécution, mais aussi l’improvisation à partir de la grille — ce qui fait que l’œuvre de jazz n’existe au sens strict qu’enregistrée à travers une prise (take), tendant ainsi, pour parler comme N. Goodman, G. Genette ou plus récemment L. Cugny14, vers un régime, non pas allographique, mais autographique de l’œuvre d’art. Or, dès la première exposition du thème, sur un tempo medium rapide (jusqu’à 00 :58), on peut avoir l’impression que « quelque chose cloche », même si l’on ne sait pas encore exactement quoi. L’impression se confirme au fil de l’écoute, notamment dans la remarquable polyrythmie du solo de batterie (à 02 :45, essayer d’écouter de façon dissociée la cymbale ride de la main droite du batteur, qui marque toujours la pulsation, et le jeu beaucoup plus libre sur la caisse claire et les toms de la main gauche). En fait, on peut écouter plusieurs fois ce titre sans jamais savoir où est le premier temps (à l’exception de la coda après la reprise du thème, qui est sans doute le seul endroit de l’exécution où l’on entend clairement un cinq temps, à 05 :57 — et cinq notes de même pour la chute, comme une clé de réécoute de l’ensemble). Histoire de faire mentir Boulez qui affirmait que « le jazz a pu passer pour apporter à la musique un considérable renouvellement rythmique, avec sa pauvre et unique syncope et son inséparable mesure à quatre temps »15… D’ailleurs, l’effet produit ne tient pas seulement à la mesure impaire (dans Take Five de Paul Desmond immortalisé par Dave Brubeck, on sait toujours où est le premier temps), mais à la façon remarquablement souple, mobile, mouvante, de conduire à trois la musique là où on ne l’attend pas (on pourrait d’ailleurs développer d’autres analyses à partir du moment où, au sein du trio, Jorge Rossy a été remplacé par Jeff Ballard à la batterie). Là encore, mais d’une façon exactement inverse de celle de Kylie Minogue, le titre choisi est parfaitement autoréférentiel : I didn’t know what time it was, littéralement je ne savais pas quel temps il était, quelle heure il était (sous-entendu : j’étais perdu lorsque je t’ai rencontré… ), etc. — mais aussi : je ne savais plus quel temps c’était, autrement dit quel rythme, quelle signature rythmique, etc. La version du trio de Brad Mehldau réussit donc à produire une véritable forme-sens à partir d’un matériau somme toute « populaire », et d’une diffusion industrielle de sa musique. Ce qui fait, pour citer Bernard Stiegler dans un autre contexte, que le style « résiste moins à la (re)production industrielle que dans celle-ci (car il n’est pas incapable de venir la parasiter : ainsi du jazz, ce que n’aura pas compris Adorno) »16.

21Il faut encore préciser le statut paradoxal du rythme dans une telle interprétation. Le rythme est partout, et en même temps il n’est nulle part. Il est partout sous l’aspect d’une pulsation, effectivement répétitive et dansante, mais d’une répétition toujours différente, et d’une danse toujours subtile et légère ; il n’est nulle part au sens où il est presque impossible de le compter, de le dénombrer, du moins à la première écoute, et que l’ensemble apparaît finalement comme une parfaite petite fabrique d’imperfections. De fait, il peut y avoir un nombre dans tout rythme, mais ce nombre ne fait pas partie du phénomène rythmique en lui-même, qui exige en quelque sorte son inconscience. Le rythme serait quelque chose comme un « nombre vivant ». Je pense ici à la définition leibnizienne de la musique, par exemple telle qu’elle est reprise par Baumgarten : « La musique est, comme le dit Leibniz, un exercice arithmétique de l’âme qui compte sans en avoir conscience »17. En un mot, ou plutôt en deux, la rythmologie suppose l’arithmologie en même temps qu’elle la dépose. Comme chez Claudel :

« Il faut
qu’il y ait
dans le poëme
un nombre
tel
qu’il empêche
de compter »18

22En bref, qu’entend-on, à travers ces quatre exemples de temps strié ? Personnellement, j’entends quatre manières radicalement différentes de compter ou de ne pas compter, c’est-à-dire d’habiter musicalement une durée : jeu avec l’horloge chez Lévinas, variations métrico-rythmiques chez Selvaganesh, domination du mètre chez Minogue, liberté des accents chez Mehldau. Précisons la comparaison de l’incomparable : partition écrite et exécution à six chez Lévinas, apprentissage oral et virtuosité soliste chez Selvaganesh, programmation mécanique et importance du mixage chez Minogue, standard comme grille et improvisation à trois chez Mehldau.

23Ce petit jeu, j’en conviens, ne relève jamais que de l’exercice d’un jugement de goût, et comme tout jugement de goût qui se respecte, il reste par définition discutable à l’infini. Mais il entend pointer aussi, pour finir, une forme de réflexion politique. Si l’on reprend en effet le concept de « lutte pour l’organisation du sensible », cher à Bernard Stiegler, alors il faut sans doute l’entendre ainsi :

« C’est une lutte contre la chaîne de l’exploitation capitaliste de l’art, contre ce que j’appelle […] un aveuglement. Parce que je pense que l’exploitation industrielle de l’esthétique aujourd’hui rend beaucoup de gens complètement aveugles »19.

24Et l’on pourrait ajouter : complètement sourds… Ce que je voudrais donc défendre ici, à la suite de cette prise de position particulièrement claire, c’est que la surdité actuelle est évidemment entretenue par l’industrie du disque — et délibérément entretenue, faudrait-il dire, par les lois du marché —, dont Kylie Minogue constitue sans doute une bonne illustration. Mais qu’à l’inverse, il ne faudrait pas que les oreilles un peu curieuses, un peu délicates, un peu attentives, se ferment à d’autres modes d’expression musicale que la musique savante contemporaine — par exemple le jazz dans mon cas, mais tous les autres cas demeurent possibles —, y compris lorsque ces modes d’expression se retrouvent contraints de suivre certaines lois du marché (mais pas toutes) en termes de marketing et de publicité. Des quatre exemples pris ici, je suis prêt à défendre absolument celui de Brad Mehldau, pour sa subtilité intrinsèque, alors même que sa forme de musique est souvent méprisée, qu’il n’est sans doute pas un génie du jazz, qu’il cultive un peu trop son image romantique, et qu’il n’a pas commis que des chefs-d’œuvre — mais, dans son genre, le résultat présent se distingue ici par un mot : sa finesse. Or, en ce qui me concerne, il me semble que c’est précisément cela qu’il faut défendre : des pratiques qui puissent être à la fois fines et ouvertes au public.

25Il faudrait alors s’orienter résolument vers une « politique du rythme » (même si c’est en un autre sens que celui de Henri Meschonnic20). Ce rythme binaire omniprésent de la muzak dans les espaces publics — qui est d’ailleurs moins un rythme qu’un mètre, tant il manque de mouvement — est assurément un indice de l’état d’une société, dont je m’étonne toujours qu’il ne suscite pas plus d’étonnement chez nos concitoyens. Il ne faut pas sous-estimer le plaisir de l’abandon au rythme régulier, que l’on peut pratiquer à loisir. Mais l’erreur serait d’y voir autre chose qu’un principe de plaisir : la cadence berce l’enfant qui est en nous, voilà tout. Dans ces conditions, l’abandon au rythme, et la facilité même de cet abandon à un rythme facile, ne vont pas sans poser, dans leur ambiguïté même, un problème de type politique : car enfin, de même qu’il est plus agréable d’être bercé sur deux temps que sur cinq, il est plus facile de « marcher au pas » sur une cadence binaire que sur un cinq temps syncopé. Il faut insister sur cette ambiguïté fondamentale du rythmique, comme le souligne à sa façon André Leroi-Gourhan :

« “Mettre au pas” n’est pas seulement une image militaire car l’uniformisation rythmique, l’agrégation des individus en une foule conditionnée est tout aussi sensible dans un couloir de métro qu’à des funérailles, dans des exercices de derviches que dans l’envol brusque d’une classe lâchée en récréation… »21

26Dans ces conditions, et comme j’ai déjà essayé de le développer par ailleurs, la problématique du rythme dans son extension sémantique au champ social et politique serait celle-ci : comment organiser sans contraindre, comment mettre en ordre sans mettre au pas ? Pour simplifier, on pourrait dire : il y a le mètre comme schème politique dominant, voire oppressant, et il y a le rythme comme schème politique de la liberté et de la responsabilité22. Dans le premier cas, entrent ces exercices disciplinaires minutieusement décrits par Michel Foucault dans Surveiller et Punir, horaires, emplois du temps, mouvements obligatoires, autant de rythmes qui n’en sont pas, à force d’être des mètres, car ces micro-pouvoirs finissent par constituer des corps dociles, des individus obéissants23. Dans le second cas, le rythme serait un paradigme possible pour penser la reconstitution du sujet juridique du pacte social. Le rythme selon le mouvement ouvre alors un espace de liberté, mais cet espace s’ouvre à l’intérieur même de la communauté — la question étant de savoir si le rythme qui se partage le plus n’est pas aussi le rythme le plus pauvre, et par conséquent de trouver comment faire pour partager et transmettre les rythmes esthétiques plus complexes. Le lien social vers lequel le rythme tend nécessairement engagerait alors pour l’homme une véritable « éducation esthétique ». Cette perspective n’est pas nouvelle. Sans même remonter à Schiller, et ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, il suffit de se souvenir que, dans la langue grecque, le verbe rhuthmidzein dérivé de rhuthmos signifiait déjà « éduquer », « former », littéralement : « donner une forme » à quelqu’un, qui ne soit pas seulement une forme fixe (un skhêma), mais une forme mouvante, un ordre en mouvement.

27En ce sens, je me réserve le droit de penser qu’un swing mobile à cinq temps est a priori plus intéressant qu’un marteau-pilon, c’est-à-dire plus « esthétique », dans la mesure où un rythme original comme celui-ci peut être partagé à plusieurs niveaux de lecture (on peut très bien l’écouter comme un rythme vivant sans entendre les cinq temps). Mais l’intérêt symétrique est que ce rythme est toujours un rythme, c’est-à-dire qu’il existe comme une pulsation vitale, venant de la main et du corps, chose qui semble avoir partiellement disparu dans le tic-tac dilaté du premier exemple. Sans vouloir en tirer une conclusion trop générale, je me contenterais ici de renvoyer à ma propre vision du jazz : peut-être « le plus beau compromis musical existant actuellement entre le plaisir et la raison, entre le sensible et l’intelligible », et d’une manière pseudo-hégélienne « comme dépassement du conflit entre le savant et le vivant »24.

28En un mot de conclusion, il reste à souligner la difficulté qu’il y aurait à vouloir réaliser une synthèse de ces quatre tendances rythmiques actuelles. Curieusement, elles ne se rencontrent finalement que trop rarement. Difficile en effet, voire impossible, de maîtriser réellement trois ou quatre des styles rythmiques mis ici en présence — sauf peut-être pour un interprète virtuose comme Michel Portal (qui passe de Boulez au free jazz, sans oublier de citer une berceuse africaine au passage, et en continuant de jouer avec les musiciens de Prince à Minneapolis), ou un compositeur de génie comme Frank Zappa (souvent assimilé au rock et à la variété, mais capable de toutes les improvisations scéniques et de tous les détournements de tradition possibles, voire de fantaisies rythmiques si sérieuses qu’il fut joué, entre autres, par Pierre Boulez en 1984). En attendant, il reste à favoriser des pratiques artistiques contemporaines qui fonctionnent comme autant de médiations, qui puissent être à la fois fines et ouvertes au public, et qui soient toujours susceptibles de plusieurs niveaux d’écoute.

Notes   

1  « I always leave the concert hall when I start tapping my foot » (Morton Feldman, cité par Nik Bärtsch, dans le livret du disque Nik Bärtsch’s Ronin, « Holon », ECM, 2008). On écoutera d’ailleurs avec le plus grand intérêt les polyrythmies post-minimalistes mises en place par ce compositeur étiqueté « jazz », qui prend précisément, et avec un plaisir manifeste, le contre-pied de la citation de Morton Feldman.

2  Jean-Christophe Marti, « Entretien avec György Ligeti », Intemporel, Bulletin de la Société Nationale de Musique, n° 7, juillet-septembre 1993.

3  Cf. Jean-Jacques Wunenburger(éd.), Les Rythmes, lectures et théories, Paris, L’Harmattan, 1992, 247 p.

4  Cf. notamment Gilles Deleuze, « Boulez, Proust et le temps : occuper sans compter », Claude Samuel (éd.), Éclats/Boulez, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1986 (repris in Deux régimes de fous et autres textes (1975-1995), Paris, Minuit, 2003, texte n° 41).

5  Michaël Lévinas, « présentation de Tic, Tac… », dans les notes du livret, Les Percussions de Strasbourg, « Entente préalable », Accord 472 086-2, 2002, p. 13.

6  Michel Deguy, « Notes sur le rythme ou comment faire un impair », in Henri Meschonnic(éd.), Langue française n° 56, « Le rythme et le discours », Paris, décembre 1982, p. 50.

7  Gérard Grisey, « Tempus ex machina. Réflexions d’un compositeur sur le temps musical », in Entretemps n° 8, Paris, 1989, p. 84.

8  Pierre Boulez, Relevés d’apprenti, Paris, Seuil, 1966, p. 74. Voir une critique possible de cette position par Boris de Schloezer et Marina Scriabine dans Problèmes de la musique moderne, Paris, Minuit, 1959, p. 191.

9  On renvoie ici à une définition générique des phénomènes rythmiques par combinatoire de trois critères (un par un, deux par deux, ou trois par trois) : structure, périodicité, mouvement (cf. Pierre Sauvanet, Le Rythme et la Raison, Paris, tome I « Rythmologiques », Paris, Kimé, 2000, pp. 167-214).

10  John. Cage, « Rythme, etc. », in Module, proportion, symétrie, rythme, Bruxelles, La Connaissance, 1968, p. 200.

11  Je me souviens ainsi d’un passionnant colloque de la Société Française d’Ethnomusicologie, qui s’était tenu le 18 février 1995 au Musée de l’Homme à Paris, et qui avait notamment discuté de cette question, à l’invitation de Jean During — les actes ne sont malheureusement pas parus. On pourra se reporter notamment à Jean During, Musique et mystique dans les traditions de l’Iran, Paris, IFRI-Peeters, 1989 (p. 280, 285 et 564 sur les rythmes non mesurés).

12  Sauf lorsqu’un trublion du jazz, comme le guitariste Noël Akchoté, décide de consacrer tout un album solo à des reprises légèrement décalées de chansons de Kylie Minogue, qui apparaissent dès lors comme délivrées de leur mécanique binaire et de leurs textes affligeants, dans la nudité et la fluidité de leurs mélodies (« Lucky », Winter & Winter, 2007).

13  L’accès le plus direct à ce type d’études, encore aussi marginales que leur sujet, est l’ouvrage : Béatrice Mabilon-Bonfils (éd.), La Fête techno. Tout seul et tous ensemble, Paris, Autrement, « Mutations », 2004, où l’on relèvera notamment les pages autour de la dite « RRP » (répétition régulière de la pulsation).

14  Cf. Gérard Genette, L’Œuvre de l’art, tome I « Immanence et transcendance », Paris, Seuil, 1994, et Laurent Cugny, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009.

15  Pierre Boulez, « Stravinsky demeure », in Relevés d’apprenti, op. cit., p. 76. Il est vrai que la première rédaction de ce texte était achevée en 1951…

16  Bernard Stiegler, La Technique et le Temps. 2. La Désorientation, Paris, Galilée, 1996, p. 103.

17  Alexander Gottlieb Baumgarten, Esthétique, traduction de Jean-Yves Pranchère, Paris, L’Herne, 1988, § 54, p. 140.

18  Paul Claudel, « Cent phrases pour éventails », Œuvre poétique, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1985, p. 729.

19  Bernard Stiegler, « Narcissisme et marketing », entretien, in Art press, n° 301, mai 2004, p. 58. On consultera également, sous la signature de l’association Ars Industrialis, Réenchanter le monde. La valeur esprit contre le populisme industriel, Paris, Flammarion, 2006, rééd. « Champs », 2008. Je tiens d’ailleurs à remercier ici Bernard Stiegler pour m’avoir permis d’exposer oralement une première version de ce texte le 30 mai 2004, au Colloque de Cerisy intitulé La lutte pour l’organisation du sensible. Comment repenser l’esthétique ?.

20  Cf. Henri Meschonnic, Politique du rythme, politique du sujet, Lagrasse, Verdier, 1995, 615 p.

21  André Leroi-Gourhan, Le Geste et la Parole, II, La Mémoire et les Rythmes, Paris, Albin Michel, 1964, pp. 104-105.

22  Cette problématique est due à Bernard Vandewalle, « Le rythme comme schème politique », in Pierre Sauvanet, Jean-Jacques Wunenburger (éds.), Rythmes et Philosophie, Paris, Kimé, 1996, pp. 41-51. L’auteur distingue quant à lui « le concept du rythme comme succession temporelle réglée par un schème ou une méthode et celui d’une libre succession réglant par soi l’unité de sa diversité et la diversité de son unité. Dans un cas, le rythme est application mécanique d’une méthode, dans l’autre il est organisation immanente d’un sens » (p. 48).

23  Cf. Michel Foucault, Surveiller et Punir, Paris, Gallimard, 1975.

24  Colas Duflo, Pierre Sauvanet, Jazzs, Paris, Musica Falsa, 2003, 2ème édition revue et augmentée 2008, p. 34 et pp. 62-63.

Citation   

Pierre Sauvanet, «Présence ou absence du rythme dans les musiques d’aujourd’hui», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Musique et rythme, mis à  jour le : 05/07/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=330.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Pierre Sauvanet

Pierre Sauvanet, né en 1966, ancien élève de l’ENS-LSH, agrégé et docteur en philosophie, est actuellement Professeur des Universités en esthétique générale à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux-3. Il est responsable des Masters Arts Recherche. Parallèlement, il est également percussionniste jazz et musiques improvisées, auteur-compositeur SACEM et SACD. Il est l’auteur de six ouvrages (dont Le Rythme grec, PUF, 1999 ; Le Rythme et la Raison, Kimé, 2000 ; Éléments d’esthétique, Ellipses, 2004 ; ou encore Jazzs, Éditions MF, qui vient d’être réédité en 2008), de trois ouvrages collectifs (dont « Où est l’artiste ? », actes du séminaire au capcMusée, Presses Universitaires de Bordeaux, 2007), et d’une quarantaine d’articles scientifiques.