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L’ars subtilior de Lachenmann
Une incursion dans l’univers sonore de Serynade

Didier Guigue
mai 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.230

Résumés   

Résumé

Serynade, composée en 1997-98 et à ce jour le grand-œuvre d’Helmut Lachenmann (1935) pour le piano, est basée sur des schémas dialectiques qui mettent en jeu un double rapport, d’une part entre des éléments différenciés sur le plan acoustique, et d’autre part entre des matériaux qui entretiennent des relations complexes avec la tonalité et son « aura ». Cet article a pour but de proposer un modèle analytique qui puisse prendre en compte ces aspects, fondamentaux pour la compréhension de la musique de ce compositeur. Le modèle s’appuie, entre autres, sur la théorie compositionnelle que Lachenmann a lui-même développée depuis les années soixante, ainsi que sur un système typologique et structurel original élaboré à cet effet.

Abstract

Serynade, composed in 1997-98 and still considered Helmut Lachenmann’s masterwork for piano, is based on two kinds of dialectical relationships: one between two acoustic “concrete” levels, and the other between different materials linked to tonality and its “aura”. This paper puts forth an analytic model that can take into account these aspects, which are fundamental for understanding Lachenmann’s music. The model partly draws on the compositional theory that Lachenmann has been developing since the sixties, as well as on an original typological and structural system.

Index   

Texte intégral   

1Serynade, composée en 1997/1998 et à ce jour le grand-œuvre d’Helmut Lachenmann (1935–) pour le piano, s’inscrit dans une séquence de créations qui, si elles ne sont pas très nombreuses et souffrent un peu de l’ombre portée sur elles par les œuvres pour ensembles instrumentaux et théâtre musical1, ne sont pas moins intimement liées à l’évolution des réflexions, positions et propositions esthétiques du compositeur, dont une grande partie se concentre sur le problème de la corporalité du sonore instrumental et de son intégration à la structuration musicale.

2Grande forme en un seul tenant, basée sur des schémas dialectiques qui mettent en rapport des éléments différenciés sur le plan acoustique, Serynade a toute l’apparence de constituer une gageure pour l’analyse. De fait, la littérature de référence ne semble pas encourager une entreprise de cet ordre. Dans son essai de 1988 sur Mouvement (– vor der Erstarrung), Robert Piencikowski montre sa difficulté devant la dichotomie patente entre les structures sérielles, alignées sur celles de Nono, et les complexes sonores « concrets », non-tempérés, bruiteux. L’ensemble, hétérogène, empêche de réduire l’écriture à un facteur commun et le musicologue laisse le lecteur en déduire l’incohérence du système2. Mais Thomas Kabish suggère plutôt que Lachenmann verrait « dans ces “impuretés” l’opportunité de développer dialectiquement des contradictions inhérentes à l’acte de composer en soi »3. C’est la raison pour laquelle Elke Hockings considère qu’une analyse de son œuvre ne peut fonctionner qu’à partir du moment où « ce qui semble être contradictoire à premier abord devient le stimulus crucial »4. La collectanea d’articles sur Lachenmann réunie par la Contemporary Music Review, une importante source d’informations pour les intéressés anglophones, et dont plusieurs dissertent d’ailleurs sur Serynade, ne présente quant à elle aucune analyse approfondie – si l’on excepte celle, justement, que le compositeur lui-même fait de son Quatuor Reigen seliger Geister – ce qui n’est pas a priori de bon augure5.

3Il me semble quant à moi, toutefois, que cette dichotomie, latente ou patente, entre le « concret » et l’« abstrait » constitue de fait un point d’ancrage solide pour une approche investigative. Celle-ci, de plus, peut s’appuyer sur le travail de conceptualisation et formalisation structurelle élaboré par Lachenmann lui-même, et publié dans divers textes et entretiens6. Cet appareil théorique va donc constituer le point de départ et en même temps le point de repère permanent de mon incursion dans Serynade. Cet article a pour objectif de brosser à grands traits le processus analytique et quelques-uns des résultats obtenus. C’est le maximum qu’il m’a semblé possible de faire dans les limites imposées par le genre7.

Un modèle analytique pour Serynade

4L’analyse structurelle de Serynade peut s’établir sous plusieurs formes, l’une d’entre elles, qui s’est montrée efficace à mes yeux, constituant à mettre à plat la pièce, en la déroulant en une séquence d’unités sonores adjacentes : le discours est donc segmenté et tous les éléments contenus à l’intérieur d’un segment participent de la configuration d’une sonorité particulière. Ce principe implique, pour Serynade, l’association systématique des éléments sonores produits par le jeu « normal » au piano, aux effets de résonance composée8. En effet, il n’est pratiquement aucune sonorité qui ne soit, de ce point de vue, le résultat de cette combinaison à deux niveaux acoustiques. La segmentation elle-même est commandée par les indications d’interruption de prolongation de résonance – interruption des pédales ou relever des touches. C’est donc un processus, disons, mécanique, qui à ce titre ne laisse pas de place à des doutes d’ordre esthétique. À titre d’exemple, l’exemple 1 montre une séquence de cinq unités, étiquetées U91.1 à U9.59, qui ont été segmentées en fonction de l’interruption de l’une des deux pédales10.

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Exemple 1. Serynade, mes. 53-56. Les indications portées sur la figure sont expliquées dans le texte principal. Wiesbaden, Breitkopf & Härtel, 2002.

5À partir de cette segmentation, j’ai établi une typologie des situations d’interaction entre les sons émis normalement – qui constituent le « flux principal » du discours – et ceux générant les résonances composées. Pour ce faire, j’ai eu recours au modèle d’articulation que Lachenmann appelle la Klangkadenz, un des concepts de base de sa théorie compositionnelle depuis les années soixante11. Si je prends la peine d’y faire appel ici, bien qu’elle soit ancienne et de plus relativement connue, c’est non seulement parce que le compositeur lui-même la considère comme un outil potentiel d’analyse toujours « sous la main » pour des pièces plus récentes12, mais encore parce que j’ai moi-même éprouvé sa fonctionnalité. Cette Klangkadenz est un processus dynamique élémentaire qui se définit par une impulsion initiale suivie d’une perte d’intensité ou d’énergie. Elle se décompose idéalement en Impulsklang (son-impulsion), Einschwingklang (son « composé », « accumulé ») et Ausschwingklang (son qui se « décompose »). On identifiera dans cette structure, mutatis mutandis, l’articulation classique tripartite arsis-thesis-katalexis, ou anacrouse-accent-désinence13. D’autre part, on sera d’autant plus tenté d’effectuer un rapprochement avec le modèle de Denis Smalley, lui aussi articulé en trois phases, nommées onset, continuant et termination, que celui-ci est destiné à modéliser les fonctions structurelles dans la musique électroacoustique, une musique qui rejoint celle du compositeur allemand dans la mesure où sa matière première est le son14.

6Sept types de combinaisons de ces trois moments, que j’identifierai par des lettres, recouvrent toutes les situations d’interaction observées dans l’œuvre. Ils seront introduits ci-dessous par ordre croissant de complexité.

7(1) Type R. Résonance composée isolée, sans aucun fait sonore sur le plan principal. Pour cette raison, elle se situe tout au début du vecteur simplicité-complexité des configurations sonores. C’est une structure relativement rare, mais qui ne passe jamais inaperçue – ou mieux imperçue – car elle crée par nature une profonde dépression au niveau de l’intensité sonore locale (cf. par exemple mes. 82 ou 360-61). Dans le système articulatoire de la Klangkadenz, elle se présente comme une Einschwingklang isolée.

8(2) Type S. Faits sonores sur le plan principal, sans résonance composée. C’est le type inverse de R, étant presque aussi rare, tout en n’ayant pas toutefois le même impact formel. C’est la structure la plus neutre.

9(3) Type T. Faits sonores sur le plan principal, comme S, mais associés simultanément à une résonance composée. La lettre T renvoie à la Thesis de la structure tri-partite paradigmatique. C’est donc encore une Einschwingklang isolée, mais c’est déjà une des configurations, la plus simple, qui met en contact les deux plans sonores.

10(4) Type TK. Au son principal est adjointe une résonance qui se prolonge en une structure autonome, écrite, d’extinction, laquelle forme ainsi une désinence acoustique, ou katalexis – d’où la lettre K. C’est l’Ausschwingklang de la typologie de Lachenmann. La résonance peut éventuellement surgir de forme anticipée, c’est-à-dire simultanément au son principal.

11(5) Type AT. À l’inverse du précédent, c’est une résonance préalablement émise, formant une Impulsklang, c’est-à-dire une anacrouse acoustique (d’où la lettre A, de arsis), sur laquelle le son principal vient ensuite se poser. Cette structure ne possède pas de désinence (résonance postérieure). Ce type est très peu exploité dans l’œuvre, le compositeur lui préférant de loin la structure inverse.

12(6) Type AK. Une même sonorité résonante est entretenue avant, pendant et après la sonorité du plan principal, qu’elle enveloppe d’un halo spectral. C’est probablement le type d’Einschwingklang le plus utilisé.

13(7) Type ATK. Cette fois, ce sont deux structures résonantes différentes qui entourent le son principal, l’une formant anacrouse et l’autre désinence, la résonance anacroustique pouvant éventuellement se prolonger sur tout ou partie du reste de la sonorité, désinence comprise. C’est donc le format qui, répondant à la structuration formelle paradigmatique arsis-thesis-katalexis de la Klangkadenz, génère l’interaction la plus complexe entre les deux niveaux de son.

14Pour voir d’ores et déjà fonctionner cette typologie in situ, on peut reprendre la séquence d’unités sonores montrées dans l’exemple 1 et la réécrire sous la forme [U9.1 (AK) U9.2 (AK) U9.3 (S) U9.4 (AK) U9.5 (ATK)]. L’exemple 2 montre pour sa part des échantillons des types AT et T.

15Ce système fonctionnel ne se prête pas seulement à une intégration des dichotomies morphologiques que forgent l’existence de deux plans acoustiques simultanés, il permet aussi une incorporation hiérarchique de ses éléments constitutifs, à partir du moment où des unités identifiées à un certain niveau peuvent être regroupées à un niveau supérieur, en structures de même type. Des super-structures de type Klangkadenz (ATK) comme celle de l’exemple 2 sont de fait observables en plusieurs endroits dans Serynade. Dans celle montrée ici, nous avons trois Klangstrukturen juxtaposées15. La première est au format AT, car construite à partir d’une anacrouse résonante – le cluster dans le grave – suivie de l’accent que constitue cette volée de quadruples croches vers l’aigu en pianissimo. Au lieu de la désinence que la structure exigerait, intervient une deuxième structure, constituée uniquement d’un autre accent T – les fusées en notes répétées descendantes, acoustiquement enrobées par un autre cluster résonant – qui vient prolonger l’accent de la structure antérieure. Finalement, la dernière structure présente le schéma complet ATK, commençant par une impulsion provoquée par le cluster résonant, qui crée l’aura acoustique de l’accent T – l’accord de la mes. 81. La désinence, quant à elle, se déroule en deux étapes de programmation des résonances terminales.

16Les « déficiences » structurelles locales – déficiences par rapport à la forme « parfaite » A+T+K – sont compensées au niveau immédiatement supérieur, car là, comme on le voit sans peine, les unités formelles s’intègrent à une structure plus grande, une Super-Klangkadenz dans laquelle la première fonctionne comme super-anacrouse (A), la deuxième continue dans la fonction d’accent (T) qu’elle avait déjà au niveau inférieur, et la troisième intervient comme agent de résolution conclusive de l’ensemble, qui est le rôle que l’on attend d’une super-désinence (K).

Inventaire du matériau primaire de Serynade

17Au cours d’un entretien avec Peter Szendy, Lachenmann dit que « chaque pièce s’individualise à travers un contexte spécifique évoqué par des catégories qui lui appartiennent en propre, dont les éléments sonores font toujours partie d’une échelle tout à fait unique ». Puis il conclut : « Au lieu de parler de paramètres, je préfère parler de catégories ou d’aspects »16. Et de fait, une des particularités de Serynade est que les configurations du niveau primaire17 peuvent être réduites à un nombre restreint de catégories, qu’il est possible, et de plus efficace, de placer sur une échelle. Je vais les aborder, cette fois, du plus complexe au plus simple, en termes de produit sonore.

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Exemple 2. Serynade, mes. 78.2-82.

Clusters

18Les clusters, dans Serynade, constituent une des sources principales de la sonorité. Il est intéressant de voir comment un artifice que l’on eût pu juger éculé, victime à la rigueur d’ostracisme durant la période sérielle, car il tend à court-circuiter le mécanisme combinatoire, récupère dans cette œuvre la puissance d’un matériau original et personalissime. Les clusters, qui seront étiquetés ici selon le format Xx(y), où X est par convention le symbole de cluster, x le nombre de notes qu’il contient, et y la classe de hauteurs à laquelle appartient la note la plus grave, sont surtout utilisés pour générer des résonances.

19L’un d’entre eux occupe une place de premier ordre dans l’arsenal des matériaux résonants employés : c’est X11(a), un cluster chromatique de 11 sons ayant pour base le la0 du piano. Il constitue une très riche source de résonances, et cela pour une raison acoustique évidente, puisqu’il libère la vibration par sympathie des plus puissantes cordes de l’instrument, celles qui offrent un spectre harmonique exceptionnellement complexe et très audible. L’exemple 1 montre sa forme originale (deuxième système, mes. 54, portée inférieure) et quelques-unes de ses déclinaisons les plus courantes : transpositions (mes. 55, indiquées par l’intervalle à laquelle elle a lieu), filtrage (mes. 56, où seulement les quatres sons les plus graves sont conservés), superposition de résonances (mes. 56).

Accords

20Serynade fait état de seulement deux catégories de structures en accord. Ces accords sont utilisés surtout, mais non exclusivement, pour le plan principal. Dans ce contexte, ils sont présentés initialement en monoblocs plaqués, de durée nominale courte, bien que souvent prolongée par la pédale. La sobre simplicité de cette présentation fait de ce matériau de premier niveau un composant très ostensible de stabilité, de permanence sonore de la pièce, autour duquel vont pouvoir graviter les éléments de dynamisme.

21La première catégorie est un accord de 10 sons dont le premier énoncé, mes. 1, est fondé sur la basse do. Il sera donc référencé comme C10(c), ou par raccourci C1018. La structure intervallaire de cet accord, qui peut être représentée par le vecteur [4 1 4 1 4 1 3 2 3], révèle une construction alternant tout d’abord tierces majeures et secondes mineures, puis tierces mineures et seconde majeure (exemple 3). Cette structure produira des sonorités plutôt denses et dissonantes.

22L’autre catégorie principale d’accords, dont le premier exemplaire apparaît mes. 19 sous la forme C8(f#), contient huit sons et offre une remarquable structure alternant tierces majeures et quartes [4 5 4 5 4 5 4], qui se divise en deux tétracordes exactement identiques. Outre cette rigoureuse alternance génératrice de symétrie, les accords de cette catégorie se distinguent principalement de C10 par l’absence de petits intervalles. Les sonorités dont ils seront à la source seront donc plus aérées, plus spacieuses, de plus faible densité mais aussi de plus grande consonance : l’exemple 3 montre comment C8 peut être décortiqué en séquences d’accords parfaits alternativement mineurs, majeurs, ou même de quartes, que le compositeur ne va pas se priver d’utiliser isolément à certains endroits. Catégorie moins stable que C10, elle se dissimule plus facilement dans des gestes mélodiques ou arpégés ; la symétrie intervallaire originale est souvent remplacée par d’autres relations, entre lesquelles demeure toutefois le principe d’intervalles disjoints19.

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Exemple 3. Les deux matrices des accords de Serynade, C10 et C8.

23Ce qui retient l’attention dans ces deux catégories, c’est la conception d’une structure d’intervalles qui est pensée dans la perspective de la permanence, c’est-à-dire de la non-variation, permanence réalisée en particulier, en ce qui concerne C8, par la voie de la symétrie tétracordale.

24La transposition simple est la variante de loin la plus fréquente, comme on peut le vérifier dans l’exemple 1. Connaissant son faible pouvoir de transformation, elle fonctionne comme facteur de rétention de la dynamique formelle, d’immobilisation sonore, laquelle de fait domine dans les passages où les autres dimensions, en particulier les intensités et le traitement diachronique20, convergent elles aussi vers le statisme. Cependant, Lachenmann fait appel, ça et là, de transpositions successives ordonnées pour créer des processus téléologiques à petite ou moyenne échelle. L’exemple 4 montre, en notation achronique, un passage utilisant une version de C8 comme accord de référence. Le procédé de transposition suit un schéma intervallaire symétrique parfaitement cohérent avec la catégorie, à savoir [5 4 5 4 5+4] pour descendre, suivi de [3 4 3 4 3 4 3] pour remonter21, avec le même accord-pivot grave à l’épicentre du processus, mes. 72 et 7422. Il est intéressant d’observer que c’est le seul passage de durée moyenne qui offre une téléologie si organique.

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Exemple 4. Séquence des accords de Serynade entre les mes. 68 et 77 ; les croix (x) indiquent les notes qui manquent pour compléter les occurrences défectives de C8.

25À partir de la mes. 38 du plan principal, C10 et C8 commencent à se retrouver également déployés en gestes mélodiques, comme à la mes. 53 (exemple 1). Pouvant souffrir à cette occasion de légères altérations dans leur structure intervallaire, ils s’intègrent alors à l’ensemble des structures monophoniques diachroniques que je décris ci-après.

Structures diachroniques mono- ou homophoniques

26Cette lourde expression recouvre les éléments de caractère monophonique, associés à un certain profil rythmique. La catégorie la plus nombreuse se définit par une ligne en flux continu, en degrés plutôt conjoints, voire à prédominance chromatique. Les motifs peuvent épouser un profil unidirectionnel soit vers l’aigu ou le grave, soit en forme ondulante cyclique que l’on peut par métaphore rapprocher de la sinusoïde (cf. exemple 5). Il n’est pas rare que le niveau primaire de ces « mélismes » soit fourni par les accords C10 et C8 (cf. exemple 1).

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Exemple 5. Serynade, mes. 40-43.

27J’inclue de plus, dans cette catégorie, une multitude de petites cellules de deux à quatre notes, souvent monophoniques, mais plus fréquemment homophoniques – accords ou même clusters (mes. 197), enchaînées très sèchement et rapidement. Cette configuration rythmique en fait de petits objets très repérables à la surface. On en voit un bon exemple à la toute fin de l’exemple 5 : les deux tétracordes de C8, qui en forment le contenu primaire, semblent mettre un point final à la péroraison.

28Cette petite formule contribue d’autant plus, à son niveau, à l’unité de l’œuvre par ses répétitions, qu’elle est à l’origine des séries de notes répétées par deux que l’on commence à voir sporadiquement à partir de la mes. 66, puis mes. 79, et qui deviennent, par expansion et addition alternée d’un schéma ternaire, le composant sonore principal du centre de la section C de la partition, pages 14-15 (exemple 6, haut). Plus tard, Lachenmann obtient un étonnant paroxisme sonore, peut-être le moment le plus « bruiteux » de la sérénade, en transposant ce pattern dans le sous-grave martellatissimo, pédale maintenue enfoncée (exemple 6, bas).

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Exemple 6. Deux expansions de la cellule de deux notes : mes. 133-135 (haut) et mes. 289-90 (bas).

29Ces martellati sur une note nous amènent par analogie à la dernière catégorie infra-structurelle que sont les notes isolées. Celles-ci ne sont pas rares et, surtout, pas neutres, ni sur le plan sonore, ni sur le plan formel. Un exemple édifiant sur ce point se trouve page 4 : le do# piano qui se met à sonner au milieu de la mes. 43, pour rester ensuite seul un bref instant, répond comme en écho au réb f qui concluait la section précédente, mes. 37. Les notes isolées acquièrent une importance accrue vers la fin de la pièce, provocant un effet de « dépeuplement » progressif, lequel aboutit in fine sur un explosif autant que solitaire fa# ffff.

Classification des configurations primaires

30Pour qualifier ces objets sur un axe qui en dégage une valeur basée sur leurs caractéristiques primaires, il sera par conséquent suffisant de les considérer en fonction de la complexité relative de la catégorie générique à laquelle chacun appartient. La classification vectorielle des catégories que j’ai dégagées ci-dessus est de fait passablement aisée. Une fois posé le cluster chromatique comme parangon de complexité maximale23, les autres configurations se placent de soi en deçà, c’est-à-dire, en ordre décroissant :

31(1) Catégories C10 et C8 d’accords dont la totalité ou la plus grande partie des sons sont attaqués ou relachés simultanément – la première catégorie générant des sonorités plus denses, dissonantes et donc plus complexes que la seconde, comme on a pu l’observer.

32(2) Catégorie L : organisations monophoniques, en degrés à dominante conjointe et dont le flux tend au continu et au périodique ; elles peuvent adopter un profil directionnel de type « sinusoïdal », mais la catégorie inclut aussi les plus longues séquences de notes répétées, de type martellato.

33(3) Les accords des catégories C10 et C8, quand ceux-ci se trouvent dilués en flux monophoniques continus relativement courts, ou en triades répétées, comme par ex. mes. 281 et sq. (catégorie CL).

34(4) Brèves cellules mono- ou homophoniques, comportant de deux à quatre faits sonores successifs (catégorie G).

35(5) Notes isolées N.

36C’est une classification certes grossière, mais qui est à la hauteur de l’importance manifeste du niveau primaire dans cette composition. L’organisation des chromes s’y place réellement tout en bas de la hiérarchie des dimensions structurellement significatives.

La Klangstruktur, base de l’écriture du sonore dans Serynade

37Il convient à présent d’incorporer ces deux aspects de l’écriture – la typologie des interactions entre sons normaux et résonnants d’une part et les catégories de matériaux d’autre part – en un composant synthétique qui soit utilisable dans un système vectoriel où les objets analysés se placeront en fonction de la complexité relative de leurs configurations. J’ai choisi de qualifier ce composant synthétique du terme de Klangstruktur, sans le traduire, afin de souligner, non seulement son aspect éminemment idiosyncrasique, mais aussi sa liaison inaliénable avec l’idée de son comme structure formelle, comme « ordre ».

38Dans sa formulation originale, Lachenmann place la Klangstruktur au sommet du processus d’articulation ordonnée des états et processus sonores : elle est forme musicale, elle peut être une œuvre entière24. Dans mon appropriation, elle est également un produit de synthèse, mais cette synthèse devient le point d’entrée de l’analyse formelle de l’œuvre, et non plus le point de chute.

39Les unités sonores vont donc recevoir une pondération initiale qui les placera dès le départ sur le vecteur de complexité, en fonction de la structuration dégagée de l’observation de ces composants fondamentaux. Cette pondération est le produit d’une appréciation empirique des rapports entretenus entre les diverses variables d’une même catégorie : elle conserve un caractère subjectif, et n’est pas généralisable à quelqu’autre contexte que Serynade. C’est ainsi que si l’on soutient que la catégorie C8 tend à produire une sonorité un peu moins dissonante que C10, mais bien plus complexe qu’une seule note isolée, on appliquera à telle unité composée d’un accord de type C8 un poids qui la situe le plus raisonnablement possible entre ces deux points de comparaison.

40Le tableau 1 montre les pondérations adoptées pour chaque catégorie et type25.

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Tableau 1. Pondérations adoptées pour chaque catégorie et type.

41Pour chaque unité analysée, ces deux valeurs s’ajoutent de sorte que la configuration la plus complexe atteint le poids maximal (1.00). À l’autre bout, le poids zéro est réservé exclusivement aux unités de silence absolu (mes. 7, 14, 83, 156)26.

42L’intervention ou le retrait de la pédale « forte », qui ce faisant libère ou au contraire réprime le potentiel vibratoire de l’ensemble de la table d’harmonie de l’instrument, est bien évidemment un facteur d’importance dans le processus d’évaluation d’une unité sonore donnée. L’observation de la partition monte que c’est une dimension que le compositeur annote très soigneusement, en particulier les moments où celle-ci doit être relâchée.Toutefois, pour ne pas rallonger ce texte, j’ai choisi de faire l’impasse sur cet aspect, en soulignant cependant que mon modèle expérimental l’incorpore. À cet effet, je formule son impact au moyen d’un facteur qui multiplie la pondération initiale en fonction de l’intervention ou non de la pédale, de sa durée et de son activité rythmique.

43Je prie donc le lecteur d’accepter a priori les valeurs qu’il va voir attribuées à cet effet de résonance dans le tableau suivant.

44De cette manière, on obtient une première formalisation qui devrait permettre le déchiffrage de la dynamique structurelle de l’œuvre. Elle offre l’avantage de coller au projet compositionnel, car, réalisant une abstraction de l’utilisation des diverses techniques de production de résonances, elle est en mesure d’évaluer les faits sonores successifs à partir du degré d’interaction dialectique entre les deux plans sonores dont le compositeur manifeste par l’écrit l’articulation.

45En guise d’illustration, je prendrai comme exemple la séquence reproduite dans la figure 1, et l’évaluerai selon ces propositions (Tableau 2).

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46Tableau 2. « Unités » : les 5 unités sonores de l’exemple 1 ; « Catégorie » et « Type » : identification des unités selon ces critères ; « Pond. » : pondérations numériques relatives, en conformité avec le modèle proposé dans le tableau 1 ; « Somme » des deux colonnes « Pond. » ; « Pond. Péd. » : pondérations relatives au système de pédalisation de chaque unité. Le résultat final (Klangstruktur, dernière colonne) est le produit de « Somme » par « Pond. Péd. ».

47Les valeurs obtenues sont reprises dans le graphique (exemple 7).

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Exemple 7. Graphique des pondérations de la colonne Klangstruktur du tableau 2.

48On observe immédiatement combien elles sont en mesure de placer les sonorités dans une logique formelle, basée en l’occurrence sur une progression menant à un apex sur U9.4, suivi d’un retour à une configuration moins complexe. En somme, à nouveau, une Klangkadenz.

49Cet exemple nous donne l’occasion d’évoquer rapidement, par l’image, si je puis dire, un autre point fondamental de la théorie compositionnelle de Lachenmann, auquel renvoit inévitablement, entre autres, le concept de cadence. C’est sa position par rapport à la tonalité et aux conditions de son intégration dans son langage. Après l’avoir sommairement rejetée comme expression sclérosée d’un art « bourgeois »27, il préfère considérer que le problème est moins de « savoir comment échapper à l’emprise tonale », qui lui semble somme toute inévitable, car elle fait partie du « bruit blanc » de la culture occidentale28, que de replacer ce tonalisme latent dans l’univers sonore particulier de chaque œuvre. Quand on sait que pour Lachenmann les dynamiques directionnelles, téléologiques, renvoient, d’une certaine manière, à l’histoire29, on comprend comment et pourquoi, dans cet exemple, il y a recours – ce recours pouvant en fait constituer l’aveu que seules certaines formes de construction appartenant à l’univers tonal sont capables d’imprimer de claires dynamiques formelles – et de quelle manière, c’est-à-dire à quelle profondeur et avec quelle subtilité ces insertions sont absorbées dans sa syntaxe. Ici l’aura historique, cette « seconde nature » des sons les enveloppant dans un royaume « d’associations, de souvenirs, de réminiscences du connu, […] qui apportent du sens »30, ne se dévoile qu’à un degré médiat, relativement éloigné du premier abord perceptif.

Autres composants de la sonorité

50Il n’échappe à personne, toutefois, que les intensités jouent un rôle complémentaire fondamental dans la configuration et la différenciation des sonorités, qui plus est au piano. Pour en rester toujours au même exemple, il est impératif de pondérer l’analyse que je viens de faire par l’observation de l’écriture concomittante des « dynamiques ». Celles-ci interfèrent d’une certaine manière dans la structure cyclique mise en évidence, car elles obéissent à un schéma en deux plans successifs, d’abord p-ppp (U9.1-9.2), puis à l’opposé f-fff-ff (U9.3, 9.4, 9.5). Il n’y a donc pas de retour, pas de « fermeture ». Cependant, la sonorité U9.4, qui constitue comme on l’a vu le point culminant structurel selon nos critères préliminaires, bénéficie également du plus fort volume sonore. Il y a donc in fine convergence de toutes les énergies sonores sur cette unité : c’est bien l’épicentre de la Klangstruktur.

51Quant aux composants d’ordre cinétique, il va de soi qu’une grande quantité de sonorités étant constituée d’un nombre minimal de faits sonores – souvent même un seul accord ou cluster –, elles ne peuvent offrir que des profils temporels très simples, sinon inertes. Dans un tel univers, les sonorités de catégorie L, avec leur afflux précipité de notes, se démarquent nettement et vont, de ce simple fait, acquérir un poids remarquable dans les sections où elles en constituent la base.

52Cette écriture concourt à l’instauration d’un temps fluide, peu pulsé, privilégiant la perception du timbre en soi, ce qui nous renvoie à des stratégies compositionnelles anciennes, comme celles mises en œuvre dans Echo-Andante ou Wiegenmusik. Ce ne sera pas toujours le cas : la section D de la partition, qui commence mes. 145, par exemple, se distingue par la régularité des proportions entre les durées respectives des accords du plan principal et des résonances aux extinctions programmées, car c’est le phénomène inverse qui est recherché alors.

Analyse synoptique

53Muni des concepts et outils dont je viens de faire une description aussi concise que possible, il est possible de lire la macro-structure de la pièce et brosser les lignes de force de sa dynamique sonore. La partition indique, comme repère articulatoire à grande échelle, sept grandes sections, signalées par les lettres A à G. Ces sections sont de taille très variable et certaines sont divisibles, en s’appuyant soit sur les quelques doubles barres de mesures qui y sont disséminées, en particulier dans la première section, soit sur les paratextes d’ordre agogique, ou encore sur des changements globaux d’aspects de l’écriture31. Les sous-sections, qu’elles proviennent de l’édition ou de mon cru, portent un indice numérique séquentiel (A0, A1, … An). Le tableau 3 montre le découpage macro-formel qui en résulte, avec des indications très générales sur les aspects qui me semblent le mieux caractériser chaque grand moment.

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Tableau 3. Synopsis macro-formel de Serynade. Conventions expliquées dans le texte principal.

Niveau primaire : un processus de substitution à grande échelle

54En ce qui concerne les catégories primaires qui agissent sur le plan principal, on décèle, tant à la lecture de la partition que du tableau 3, que C10 en constitue l’élément prépondérant, quasi omniprésent, jusqu’à D1. Il est généralement présenté sous sa forme plaquée, transposé autour de l’axe Do, en versions parfois défectives (indiquées par le symbole * dans le tableau). On peut le voir parfois décliné en arpèges rapides, comme au début de A2 et de A4. Quand il disparaît du plan principal, on le retrouve encore, ponctuellement, comme accord résonant (A2, mes. 40 et sq., C1, mes. 131). Dans les sections A4 et C, C8 occupe un peu plus de terrain, mais l’écriture reste semblable. La plus notable mutation de C10 est dans la section B, quand il descend simultanément vers le grave et vers une très basse amplitude. Toutefois, son omniprésence n’en est que plus accentuée. Ce quasi monopole atteint son comble à la section D0, où est répétée obsessivement une seule version de l’accord, sans la moindre variation. L’exemple 8 montre les premières mesures de cette section.

55Cette section est selon moi l’expression la plus achevée d’une forme basée sur la Fluktuationklang, dont Lachenmann a toutefois déjà fait l’expérience dans Filter Swing32. Cette catégorie formelle impose une espèce d’arrêt sur image, une interruption fictive de la kinesis. À l’opposé, donc, de la dynamique téléologique de la Klangkadenz, cette construction promeut, comme le compositeur le formule lui-même, « une expérience statique du temps formée de mouvements périodiques » liée à une « opération de contemplation attentive »33.

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Exemple 8. Serynade, p. 16, mes. 145-152.

56Puis, à partir de la mes. 182 (qui marque la sous-section D1), C10 est progressivement subjugué par les clusters qui deviennent la source peu à peu exclusive de son entre les mes. 196 et 218. Le schéma de superposition progressive d’une catégorie sur l’autre, par le biais de deux progressions d’amplitudes simultanément en sens inverse, est montré dans l’exemple 9.

57Ce remède s’avère radical : comme si ses ressources s’étaient épuisées, il ne sera plus question de la catégorie C10 jusqu’à la fin de l’œuvre. Elle va être remplacée en partie par C8 qui va surtout produire des fusées arpégées, comme dans la section F, ou des tétracordes plus ou moins consonants dans G1, et en partie par des notes isolées accompagnées d’harmoniques produites par divers moyens, dont celui de l’ongle sur les cordes (G0), ou encore répétées en trémolos martelés très violents (mes. 286 et sq., cf. exemple 6). Ces notes isolées deviennent de plus en plus prépondérantes, contribuant à un amincissement de la texture dont la fonction est d’amener à une rétraction de la complexité sonore globale, qui est la solution compositionnelle employée pour exprimer organiquement l’occlusion formelle définitive.

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Exemple 9. schéma achronique de la dialectique diaphonique entre les mes. 182 et 204.

58Dans un univers où dominent des sonorités constituées d’accords plaqués autour desquels miroitent de subtiles résonances, les moments qui s’en démarquent acquièrent naturellement un pouvoir énergétique significatif. C’est le fait d’être construites au moyen de gestes qui appartiennent aux catégories L, CL et G, qui pousse vers le haut du vecteur de complexité les sections A1, A4, C et F, ce par quoi elles impriment à la pièce comme un tout une dynamique formelle qui sans cela serait passablement lisse34.

59Si l’on substitue aux noms que j’ai donnés aux différentes catégories leurs pondérations numériques, selon le tableau 1, on obtient la dynamique donnée dans l’exemple 10. Elle place de ce point de vue la section D1 au centre et au sommet, pour être composée presque exclusivement de clusters, et montre qu’en amont le matériel tourne essentiellement autour de déclinaisons de C10, dont la complexité structurelle est, dans le catalogue restreint arrêté par le compositeur, la plus proche du cluster, et qu’en aval les configurations les plus simples prennent le dessus, infléchissant une dynamique de liquidation.

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Exemple 10. Serynade, dynamique formelle à grande échelle.

Une Klangkadenz construite sur des oppositions binaires adjacentes

60Nous allons élargir le procédé à l’ensemble de la macro-structure, en pondérant cette fois non les unités une par une, mais, de manière bien plus générique, chacune des grandes sections de l’œuvre. Cette pondération sera faite sur la base des deux critères morphologiques que sont la catégorie dominante du plan principal et l’intensité dominante, et, en ce qui concerne l’aspect cinétique, leurs durées proportionnelles35. C’est ce que le graphique de l’exemple 11 met en pratique36.

61Que nous dit ce graphique ? Que la forme s’articulerait en trois grands volets, lesquels obéissent internement, quant à leur aspect morphologique global, à une logique similaire : celle de l’alternance entre des moments de basse activité relative, aux morphologies simples, et des moments de haute activité, comportant des morphologies complexes. Ainsi, A0, une section de sonorité plutôt statique, car fondée essentiellement sur une séquence d’accords de type C10 plaqués, débouche sur la section A1, dont le discours, très fragmenté et accidenté dans ses configurations diachroniques, fait appel aux deux catégories d’accords en les présentant sous de multiples déclinaisons.

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Exemple 11. Macro-structure de Serynade évaluée à partir d’un choix de composants.

62Une opposition parallèle se reproduit entre A2, constituée en majorité de gestes mélodiques en flux continu de type L, qui amène, via la courte transition « harmonique » A3, à la section A4, construite selon le même principe diachroniquement « chaotique » que A1, mais rendue bien plus complexe par l’accumulation dans le « désordre » de toutes les catégories primaires. Dans cette première partie, les interactions entre les deux plans sont complexes, le compositeur utilisant toute la typologie de structures dont j’ai dressé l’inventaire. Ces deux paires forment donc une architecture de type ABCB’, allant dans le sens d’une complexification finale de la texture musicale.

63La partie centrale conserve le principe d’opposition adjacente par paires – B versus C, suivi de D0 versus D1 – mais on observe qu’elle s’insère dans une dynamique téléologique globale : D0, bien que morphologiquement très différent de C, ne propose pas de diminution d’activité : celle-ci ne fait que se déplacer du plan principal où s’agitaient les véloces gestes mélodico-rythmiques de C, au plan essentiellement résonant, qui reflète, en de complexes réverbérations, les répétitions obsessives de l’accord C10 sur basse Ré, qui caractérisent si fortement la section D dans son ensemble. Cette Fluktuationklang, qui privilégie par définition l’immobilité, incarne l’exacte antithèse de la section suivante, D1, Texturklang dans laquelle la tension atteint son sommet pendant la longue séquence de clusters assourdissants, lesquels, comme je l’ai montré synthétiquement (exemple 9), finissent par envahir tout l’espace sonore au détriment de l’accord. Nous nous trouvons bien au sein de l’apex formel de Serynade.

64C’est un apex dialectique car représenté tout d’abord par le statisme harmonique de D0 et de son « accord de  » aux changeantes et riches résonances, puis par la brutalité d’une série de clusters aux basses toujours mouvantes mais, par définition, de qualité harmonique nulle, compensée par un caractère bruiteux souvent aiguisé par l’effet complémentaire percussif de pédale. Cette saturation sonore ne pouvait s’opposer plus radicalement au climat d’ouverture proposé par la section B, l’unique moment de la pièce baigné d’un faible volume sonore. Cette configuration donne à l’ensemble de cette partie centrale l’aspect d’une progression, du simple au complexe, du (quasi) silence au (quasi) bruit.

65Le dernier volet de la pièce peut être vu comme une sorte de réplique du premier. En effet, E et G0, sections calmes composées essentiellement de notes isolées avec harmoniques, s’opposent à leurs paires adjacentes respectives F et G1, qui, au contraire, sont basées sur l’accord C8 – qu’il soit déployé en fulgurants traits monophoniques en F, traités de telle manière qu’ils parviennent à produire un paroxisme sonore en fin de section (mes. 286 et sq. déjà évoqué supra), ou plutôt scindé en tétracordes en G1. Nous obtenons une forme de type ABA’B’, qui répond bien à la forme ABCB’ par laquelle nous avons défini le début. Toutefois, à en juger par les pondérations morphologiques obtenues, strictement identiques par paires de sections (cf. exemple 11), ce dernier volet vise plutôt à la stabilité des rapports qu’à une progression dynamique, comme c’était le cas dans la première partie37. Dans ce sens, on peut suggérer que l’un et l’autre assument respectivement un rôle en quelque sorte analogue à celui qu’ont les sections liminaires dans les formes dialectiques classiques : introduction chez l’une, puis dissolution chez l’autre, de tensions.

66La symétrie des deux volets s’observe également au niveau des proportions de durées entre les sections (longue-brève-brève-longue dans les deux cas). Mais le dernier volet ne se situe pas moins en état de contraste général par rapport au reste, quant à sa facture interne. Il comporte en effet les deux sections E et G0 qui offrent la particularité d’afficher les pondérations morphologiques les plus basses de la pièce. Ceci est dû à leur contenu, fait de longues notes tenues organisées en lentes séquences monophoniques entreliées, au sein desquelles, dans E, le principe de segmentation en petites unités bi-dimensionnelles, qui fonctionne sur tout le reste de la composition, devient exceptionnellement inapplicable. Ainsi, la section E dans sa totalité (mes. 236-273) ne constitue-t-elle qu’une seule Klangtextur insécable. Tous ses éléments successifs sont inextricablement reliées les uns aux autres par une polyphonie sophistiquée de notes ou accords résonants. Ce tissu de résonances ne laisse absolument aucune « brèche », aucune respiration. Nous sommes ici incontestablement au cœur de la langue que cette œuvre parle : un contrepoint rigoureux entre deux voix situées sur des niveaux acoustiques dissociés, une extrapolation de la vieille klangfarbenmelodie sur deux niveaux de perception, qui célèbre la complète absorption par l’écriture de ce qui historiquement, du point de vue instrumental, ne constituait qu’une ressource décorative.

67D’autre part, c’est dans G0, et là seulement, que le compositeur insère des effets d’harmoniques provoqués par l’ongle posé sur certaines cordes. Cette information sonore totalement nouvelle apparaît pratiquement in extremis, événement qui n’est rien moins qu’aléatoire, comme je le montrerai plus loin. Par contre, les unités, ici, sont plutôt juxtaposées qu’entremêlées comme elles l’étaient dans E, la segmentation typologique habituelle redevenant adéquate.

68La section G1 non plus n’est pas en reste, question différence, puisqu’elle abrite une forme de construction de résonances que Lachenmann n’avait pas encore exploitée – elle est à peine discrètement préparée à la toute fin de F, mes. 311-313. En effet, précisément à partir de la mes. 316, le compositeur se met à configurer les sons du plan principal en deux paliers d’amplitude. La belle séquence d’accords qui introduit la section G1 (cf. exemple 12), constitue la meilleure illustration de cette écriture diaphonique, laquelle va rester constante jusqu’à la fin de l’œuvre, pour tous les groupes simultanés de notes, depuis la simple dyade jusqu’aux pentacordes formés à partir de C8.

69Le plus intéressant, en dehors de l’hypothèse d’une référence intertextuelle à Messiaen, est que ces constructions jouent un rôle décisif sur la forme à grande échelle. En effet, elles interviennent au moment où il est nécessaire de trouver une solution technique qui engendre une dynamique de conclusion. Comme elles sont capables de produire leurs propres résonances, par le seul jeu des intensités relatives, elles oblitèrent la nécessité du dialogue avec le plan résonant, qui était une caractéristique essentielle de l’œuvre jusque là, et dont on vient de voir qu’il avait atteint une espèce d’équilibre parfait en E. Et de fait, à partir du moment où ces harmonies entrent en scène, le plan résonant s’estompe. Il persiste bien encore un peu, mais de forme très atténuée et statique, comme un fond sonore, par le simple entretien du cluster X11(a). C’est le début d’une politique d’élimination progressive des forces dialectiques que Lachenmann avait mises en jeu, de laquelle participe également, j’en ai déjà parlé, la stratégie de réduction des textures.

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Exemple 12. Serynade, mes. 316-320.

70Pour toutes ces singularités, on peut reconsidérer la tripartion proposée jusqu’alors et explicitée dans l’exemple 11, pour penser la forme de Serynade en deux grands mouvements directionnels articulés autour du point culminant central que constitue la section de clusters D1. Les deux « versants » de ce « pic » se distinguent alors, globalement, par leurs caractéristiques morphologiques, le mouvement « ascendant » montrant des textures plus « verticales », plus fragmentées, à base de courtes sonorités, que le mouvement « descendant » composés à l’opposé de structures plus « horizontales », moins sécables et donc plus fluides. Les modalités de production des résonances – du fait que le compositeur réserve certaines techniques à l’usage exclusif de la fin – et d’interaction entre les deux plans – parce qu’on assiste à la toute fin à la quasi disparition du plan résonant – sont deux autres facteurs essentiels d’opposition. Cette analyse autorise l’interprétation selon laquelle les versants respectivement « en amont » (regroupant les sections A, B et C) et « en aval » (sections E, F et G) du point culminant fonctionneraient comme les arsis et katalexis d’un couple antithesis-thesis central constitué des sections du groupe D. Ce faisant, Serynade devient ni plus ni moins qu’une grande Klangkadenz. Je représente cette construction formelle dans l’exemple 13.

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Exemple 13. Graphique synthétisant la forme à grande échelle de Serynade.

« La musique à la recherche de la non-musique »

71Pour expliquer la logique formelle à grande échelle de son second quatuor Reigen seliger Geister, Lachenmann a recours au concept de « super-séquence » (Super-Sequenz), laquelle servirait de véhicule au processus continu de transformation en jeu dans cette pièce : « Il fonctionne comme un pont entre les structures en flautato de l’ouverture et les champs de pizzicato qui engloutissent tout à la fin »38.

72Cette vision en continu de la forme ne semble pas a priori bien s’accommoder d’une évolution basée sur des ruptures de configurations de surface, qui constituent comme on l’a vu l’aspect le plus évident de la dynamique de Serynade. Cependant, si l’on observe bien le schéma formel de synthèse que j’ai fini par établir (exemple 13), on constate la présence d’un processus évolutif à grande échelle, des accords plaqués du début aux notes isolées de la fin, qui va passer par diverses figurations intermédiaires – plus ou moins verticales ou horizontales, plus ou moins fragmentées, plus ou moins résonantes (cf. tableau 3) – culminant au centre avec la série de clusters. Le parallèle avec le quatuor fait alors d’autant plus sens que Lachenmann ajoute que, dans celui-ci, cette Super-Sequenz se centralise autour d’un « noyau » qui est constitué d’un « “Pôle Nord magnétique” […] suivi d’un Pôle “géographique” contrastant, [ce dernier] basé sur un accord de sixte de Sol Majeur »39. Il est très plausible d’identifier ces deux pôles antagonistes dans les sections D0 et D1 de notre schéma de Serynade, puisque le premier, une Klangfluktuation, se pose comme antithesis, et le second, une Klangtextur, comme thesis.

73Une autre perspective interprétative que le compositeur propose, toujours pour son quatuor, est de concevoir cette super-séquence comme un arpeggio plus ou moins large, dans lequel les entrées successives, sécables et placées à grande distance l’une de l’autre, selon un pattern irrégulier, constituent autant de sources sonores homogènes puisées dans un champ spectral global (Gesamtfeld)40. Cette perspective vient éclairer les raisons pour lesquelles les grandes sections de Serynade sont si disproportionnées dans leurs durées respectives, et basées sur un principe de contraste de configurations et qualités sonores.

74Mais, surtout, elle est fondamentalement intéressante en ce qu’elle formalise, en une expression simple, le concept d’œuvre musicale comme son, que Stockhausen avait déjà formulé d’une manière que j’estime moins claire41. En parlant d’arpeggio, Lachenmann évoque un filtre séquentiel exercé sur une totalité spectrale, laquelle représenterait l’œuvre hors-temps. C’est la vitesse et périodicité auxquelles sont libérés les formants successifs qui créent la dynamique à grande échelle.

75L’interpénétration dialectique entre des états sonores et leur processus de mise en-temps est un des fondements de la pensée de Lachenmann. En effet, la question est moins le son en soi comme objet de l’œuvre, que son articulation pratique dans les structures musicales, et son utilisation comme élément générateur de forme, voire de syntaxe. Sous cet angle, son appréhension de la question de l’aura tonale, le traitement qu’il lui applique pour l’incorporer, d’une manière critique, à une esthétique par ailleurs sans compromis, constituent à mon sens la clef de cette problématique. Il l’exprime entre autres par une politique de « réconciliation avec ce qui était temporairement obsolète : avec des éléments mélodiquement, rythmiquement et harmoniquement définis, et même consonants – une réconciliation que l’on ne peut pas assimiler à un repli vers un état pré-critique, mais qui doit plutôt signifier une intégration prospective sur une voie qui en est quelque part le résultat »42.

76D’une certaine manière, les Klangstrukturen dont quelques-unes ont été mises en évidence ici, et dont l’énergie se fonde soit sur une dichotomie intervallaire, mettant en relation, par exemple, des clusters et des accords parfaits, soit sur une dichotomie acoustique, par un jeu de conflits entre deux plans sonores expressément concrets, qui intègrent jusqu’au bruit, pourraient être considérées comme une réalisation exemplaire du projet debussyste, dans la plénitude de son potentiel et de ses conséquences. En effet, le compositeur allemand parachève le processus d’intégration du son et de la note entamé par Debussy, qui en de multiples circonstances, dans son œuvre pour piano en particulier, a réussi à placer le premier au centre de la kinesis formelle, au détriment de la seconde. Lachenmann surpasse ce dualisme en les intégrant tous deux au sein d’un système dialectique dans lequel leurs qualités respectives, en même temps qu’elles sont reconnues définitivement comme irréductibles, deviennent éléments concomitants de la structuration, servant ensemble de levier à la dynamique formelle.

Notes   

1  Ses autres principales œuvres pour piano sont Echo-Andante et Wiegenmusik (1962 et 1963), Guero (1970, révisé en 1988) et Ein Kinderspiel (1980).

2  Robert Piencikowski, « Fünf Beispiele », in Musik-Konzepte n° 61/62, Munich, Edition text+kritik, 1988, pp. 109-115.

3  Thomas Kabisch, « Dialectical Composing – Dialectical Listening, Helmut Lachenmann’s Compositions for Piano (1956-1980) », notice du CD Helmut Lachenmann, Klaviermusik (Roland Keller, piano), Col Legno, 1991, p. 44.

4  Elke Hockings, « Helmut Lachenmann’s Concept of Rejection », in Tempo, Nouv. Série, nº 193, Cambridge, Cambridge University Press (Édition allemande), 1995, p. 14.

5  Contemporary Music Review, Routledge, vol. 23 nº 3/4, Sept./Déc. 2004, et vol. 24 nº 1, Fév. 2005. Elke Hockings discute à nouveau cette difficulté dans un des articles publiés : « All Dressed Up and Nowhere to Go », vol. 24 nº 1, p. 95 et sq. Les francophones bénéficient pour leur part de l’ouvrage de Martin Kaltenecker, Avec Helmut Lachenmann, Paris, Van Dieren Éditeur, 2007.

6  La plupart sont réunis in Joseph Haüsler (éd.), Musik als existentielle Erfahrung. Schriften 1966–1995,Wiesbaden, Breitkopf & Härtel, 1996.

7  Cet article reprend partiellement le contenu d’un chapitre dédié à l’œuvre pour piano de Lachenmann, à paraître in Didier Guigue, Esthétique de la Sonorité. L’héritage debussyste dans la musique pour piano du XXe siècle, Paris, L’Harmattan, collection Musique-Philosophie, 2008.

8  Par résonance composée, j’entends l’effet de résonance – Flageolett-Resonanz selon l’expression du compositeur, traduite en anglais dans la partition par harmonics reverberation – qui fait l’objet d’une écriture explicite associant les notes, accords ou clusters (symbolisés par des losanges dans la partition), et la pédale sostenuto qui contrôle leur durée.

9  Par convention, U désigne l’unité sonore et 9 est le numéro d’ordre de la séquence d’unités comptées depuis le début.

10  Les interruptions de pédales sont indiquées par Lachenmann au moyen d’un trait vertical ou oblique qui interrompt la ligne droite horizontale. Pour plus de détails se reporter aux instructions annexées à la partition de Serynade, Wiesbaden, Breitkopf & Härtel, 2002.

11  Cf. en particulier Helmut Lachenmann, « Klangtypen der Neuen Musik », in Joseph Haüsler, op. cit. ; « Quatre aspects fondamentaux du matériau musical et de l’écoute », Inharmoniques nº 8/9, Paris, IRCAM, 1991 ; et « De la composition », Entretemps n° 10, Paris, 1992. Ces textes sont ma source pour le bref exposé qui suit. Dans chacun d’eux cependant les divers types ne sont pas placés exactement sous les mêmes rapports, ce qui oblige l’exégète à faire un choix…

12  Helmut Lachenmann, « On My Second String Quartet (“Reigen seliger Geister”) », Contemporary Music Review nol. 23, nº 3/4, 2004, p. 67.

13  Je considère donc comme grosso modo équivalents les termes grecs, français et « lachenmanniens ».

14  Denis Smalley, « Spectro-morphology and structuring processes », in Simon Emmerson (éd.), The language of electroacoustic music, London, MacMillan Press, 1986, p. 84 et sq.

15  La Klangstruktur désigne d’une manière générale toute sonorité ordonnée sur l’axe du temps (cf. infra, section 3).

16  Helmut Lachenmann, « Des paradis éphémères », propos recueillis par Peter Szendy, in Helmut Lachenmann (livret-programme), Paris, éd. Festival d’Automne à Paris, 1993, disponible via. http://www.festival-automne.com/public/ ressourc/publicat/1993lach/, consulté en Avril 2007.

17  Le niveau primaire est constitué de la collection de classes de notes, ou chromes comme je préfère les appeler, que contiennent les unités sonores. C’est à ce niveau que sont évaluées les modalités d’organisations sous-jacentes de ces chromes (structures invervallaires, sérielles, etc…).

18  La lettre C symbolisant la structure accord.

19  On en voudra pour exemple l’arpège de la mes. 274, dont la séquence intervallaire est [4 5 6 7 8 4 5 4 4 5 1].

20  J’appelle dimensions achronique et diachronique, respectivement, les aspects « hors-temps » (verticaux, spatiaux) et « en-temps » (horizontaux, temporels) de l’écriture musicale. Les dimensions achroniques sont dites d’ordre morphologique, et les dimensions diachroniques, cinétique.

21  Il est cohérent avec la structure intervallaire originale de l’accord-source, C8, qui est, je le rappelle, [4 5 4 5 4 5 4].

22  L’évaluation des transpositions s’appuie sur l’observation des basses, y compris celle, omise, de l’accord défectif qui ouvre la marche. Lachenmann bouscule la fin de la descente en regroupant en un seul saut de septième diminuée les deux derniers pas de quarte et tierce, respectivement mib-sib et sib-fa#. De la sorte, la séquence descendante possède six accords au lieu de huit pour la remontée, qui de fait doit être plus longue puisqu’elle s’accomplit au moyen d’un pattern d’intervalles plus petits.

23  Étant toujours bien entendu que le terme de complexité s’emploie pour qualifier la configuration qui rend la structure analysée la plus complexe, la plus « riche » possible sur le plan de la sonorité. Il n’y a pas de corrélation positive induite entre ce résultat et la configuration en soi de la structure, qui, dans le cas du cluster, d’un point de vue technique, est de fait la plus simpliste possible.

24  Helmut Lachenmann, « Quatre aspects… », op. cit., p. 265 et sq.

25  Ce n’est que par coïncidence que l’on compte le même nombre de catégories et de types.

26  Dans les cas où une unité agglomère plus d’une catégorie, les pondérations sont ajoutées, à raison du ratio 1 :1/2 en faveur de la catégorie de poids plus élevé.

27  Sources citées et commentées pa Elke Hockings, « Helmut Lachenmann’s Concept of Rejection », op. cit., p. 8. L’auteur fait voir que ce rejet prend plutôt l’aspect d’une provocation, non contre la tonalité en tant que telle, mais plutôt contre une certaine « incarnation de l’ignorance » bourgeoise. Selon elle, c’est ce rejet de la tonalité, laquelle est plus généralement entendue par Lachenmann comme un mouvement musical orienté (« directed musical motion »), qui explique pourquoi les compositions de cette époque évitent de donner aux mouvements ou gestes sonores un sens qui soit identifiable, ce que de fait on constate encore en maints endroits dans Echo-Andante ou WiegenMusik. Tonalité et mouvement directionnel n’étant plus au centre de ses attaques depuis les années soixante-dix, ses œuvres, depuis lors, toujours selon Hockings, récupèrent une certaine « gestuelle cohésive » (très évidente dans Serynade) qu’il aurait autrefois condamnée comme « formes absurdes ».

28  Martin Kaltenecker, « H.L. », in Helmut Lachenmann (livret-programme), op. cit.

29  Elke Hockings, op. cit.

30  Helmut Lachenmann, « De la composition », op. cit. Le concept d’aura est également exposé dans « Quatre aspects… », op. cit., pp. 267-68.

31  Il y a une erreur manifeste d’impression pour l’entrée de la section E, indiquée sur la partition en haut de la p. 25, mais qui de toute évidence intervient quelques mesures avant, au minimum à la double barre de la mes. 242, mais encore plus logiquement, à mon sens, d’un point de vue formel, mes. 236, vers laquelle je l’ai donc déplacée. J’ai d’autre part décidé d’anticiper l’entrée de la section G, imprimée mes. 309, p. 31, à la mes. 292, p. 30, de manière à ce qu’elle coïncide avec l’introduction de l’effet d’ongle sur les cordes, une « nouveauté » sonore dans l’œuvre qui suffit en soi-même à créer une articulation à grande échelle, laquelle est de plus renforcée par un changement général de matériaux et configurations morphologiques-cinétiques. Je l’ai de plus divisée en deux sous-sections, G0 et G1, sur la base d’un autre changement à partir de la mes. 316. J’en ai fait de même pour la longue section D, la scission intervenant au moment où apparaissent les premiers clusters sur le plan principal (mes. 182).

32  In Ein Kinderspiel, nº 5 (1980).

33  « Quatre aspects… », op. cit., p. 265, et « Fragen-Antworten » (avec Heinz-Klaus Metzger), Musik-Konzepte 61/62, 1988, p. 129.

34  Il suffit pour cela d’imaginer une version de la pièce qui omettrait ces sections.

35  Celles-ci sont comptées en nombre de mesures, prenant comme étalon la dernière section (G1, 56 mesures).

36  La section A3, comptant seulement cinq mesures, a été omise. Espèce d’écho de A0, elle fonctionne en même temps comme fermeture et transition entre les deux paires de sections adjacentes.

37  Le lecteur peut vérifier cette identité que les pondérations mettent en évidence, par l’observation in loco des catégories dominantes et par l’analyse statistique des intensités.

38  Helmut Lachenmann, « On my 2nd String Quartet… », op. cit., p. 65.

39  Idem.

40  Idem. Par « sécable », je veux dire que Lachenmann entend ces entrées comme génératrices d’articulation, de coupure à la superficie, comme c’est également le cas dans Serynade. Dans son texte, il utilise d’ailleurs la métaphore pianistique « sans pédale » pour signifier cette discontinuité sonore dans le temps.

41  Cf. Jonathan Cott, Conversations avec Stockhausen, Paris, J.-Cl. Lattés, 1979.

42 Helmut Lachenmann, « On my 2nd String Quartet… », op. cit., p. 60. On vient d’ailleurs de voir, au détour d’une autre citation rapportée supra, l’importance structurelle d’un accord de sol majeur dans son quatuor.

Citation   

Didier Guigue, «L’ars subtilior de Lachenmann», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Musique et bruit, mis à  jour le : 30/05/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=230.

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Quelques mots à propos de :  Didier Guigue

Didier Guigue, né en France, vit au Brésil depuis 1982. Professeur d’Esthétique de la Musique du XXe siècle à l’université fédérale de Paraíba (João Pessoa) et chercheur au CNPQ (Conseil Brésilien pour la Recherche Scientifique), il coordonne un Groupe de Recherches en Musicologie systématique pour le XXe siècle. Il a publié des articles à ce sujet dans des revues comme la Revue de Musicologie ou le Journal of New Music Research. Ce groupe possède une convention de développement de logiciels avec l’IRCAM. Compositeur, son style évolue dans un univers qui englobe aussi bien la computer music, la musique électroacoustique, la musique instrumentale post-atonale, et des contextes pop/rock/jazz, dans lesquels des références afrobrésiliennes peuvent se faire présentes. Des œuvres électroacoustiques de Didier Guigue sont présentes, entre autres, sur le CD commémorant les vingt ans de la revue Leonardo Music Journal (« Southern Cones : Music out of Africa and South America », M.I.T. Press, 2000, vol. 10). Sites à l’Université : http://www.cchla.ufpb.br/mus3 (ou /gmt). Groupe des compositeurs de Paraíba : http://www.compomus.mus.br/