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Aspects acoustique et sensoriel du bruit

Philippe Lalitte
mai 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.216

Résumés   

Résumé

La notion de bruit est approchée complémentairement des points de vue acoustique (caractérisation d’un phénomène physique) et psychoacoustique (caractérisation d’une sensation auditive). Après avoir défini le bruit en comparaison avec les sons simples, et les sons complexes périodiques, différents types de bruits sont abordés (bruits colorés, bruits continus, bruits impulsionnels). La relation entre bruit et périodicité est ensuite examinée à travers quelques exemples comme la sensation de hauteur tonale dans les bruits et le rôle du bruit dans les sons vocaux et instrumentaux. La deuxième partie est consacrée à la sensation d’intensité (sonie) pour les sons purs et les sons complexes. Quelques particularités de la sonie sont présentées : seuil d’audibilité, seuil différentiel, masquage et patterns d’activation dans la membrane basilaire. Les conséquences de l’exposition aux bruits de forte intensité (traumatisme auditif, acouphène), ainsi que les problèmes dus à des bruits liés à un dysfonctionnement du système auditif (autophonie) terminent la deuxième partie. Une troisième partie discute de l’influence des contextes sonores, musicaux et culturels sur l’interprétation perceptive du bruit et sur les jugements esthétiques.

Abstract

Noise is explored from the complementary viewpoints of acoustics (characterization of a physical phenomenon) and psychoacoustics (characterization of an auditory sensation). After defining noise by comparison with sine waves and complex periodic waves, we consider different types of noise (colored noise, continuous noise, impulse noise). The relationship between noise and periodicity is then examined via examples such as the sensation of pitch in noise, and the role of noise in vocal and instrumental sounds. The second part focuses on the sensation of intensity (loudness) for sine waves and complex sounds. Certain features of loudness are presented: audibility threshold, differential threshold, masking and patterns of activation in the basilar membrane. The consequences of exposure to high intensity noise (acoustic trauma, tinnitus), as well as problems caused by noises involving a malfunctioning auditory system (autophony) conclude the second part. The third part discusses the influence of various contexts – audio, musical and cultural – upon the perceptive interpretation of noise and upon aesthetic judgments.

Index   

Texte intégral   

1Le bruit est le phénomène sonore le plus représenté dans le monde. Il est à la fois présent dans les sons de l’environnement (naturels, urbains, domestiques, humains), dans les différentes formes de communication sonore (humaine et animale) et dans les sons destinés à la musique (sons vocaux, instrumentaux, synthétiques). Le bruit se propage dans tous les milieux (gazeux, liquide, solide) et sur toute l’étendue des fréquences, des infrasons aux ultrasons en passant par toute la zone de fréquences audibles par l’oreille humaine (20 Hz-20 kHz). Même l’océan – le soi-disant « monde du silence » – recèle encore plus de bruits que la surface de la terre1. Seul l’espace est réfractaire aux vibrations acoustiques quelles qu’elles soient.

2La permanence du « bruit » dans notre quotidien a donné lieu à de nombreuses métaphores. Dans son usage courant, il est synonyme de nuisance sonore (tapage, tintamarre, vacarme). Mais sa polysémie s’étend à des significations telles que rumeur (bruit qui court), invasion (bruits de botte), retentissement (faire grand bruit), etc. Synonyme d’aléatoire, de parasitage, perturbation ou dégradation de l’information, le bruit devient instrument de mesure en physique, en astronomie, en électronique ou en cardiologie.

3L’Association française de normalisation (AFNOR)2 a homologué deux définitions du bruit. L’une est physique : « Vibration acoustique erratique, intermittente ou statistiquement aléatoire »3, l’autre se place du point de vue des effets que le bruit produit sur l’homme : « Toute sensation auditive désagréable ou gênante »4. Chacune de ces définitions se fonde sur une dimension spécifique du son, respectivement le contenu spectral et l’intensité. La notion de bruit sera approchée complémentairement des points de vue de l’acoustique (caractérisation d’un phénomène physique) et de la psychoacoustique (caractérisation d’une sensation auditive). Une troisième partie discute de l’influence des contextes sonores, musicaux et culturels sur l’interprétation perceptive du bruit et sur les jugements esthétiques.

Le bruit comme phénomène spectral

Définition du bruit en acoustique

4Avant de définir les attributs physiques du bruit, nous allons brièvement rappeler quelques notions d’acoustique5. Le son est la conséquence du mouvement des particules d’un milieu élastique (gazeux, liquide ou solide). Dans l’air, un objet en vibration régulière, comme une corde pincée, crée une succession de compressions et de dilatations des particules. Les couches d’air successives sont comprimées et décomprimées à mesure que l’onde s’éloigne de la source perturbatrice. La perturbation se propage de proche en proche sous forme d’une onde de pression : une onde sonore. Lorsqu’un mouvement se reproduit identique à lui-même, on dit qu’il est périodique. On représente ce mouvement en fonction du temps par une courbe sinusoïdale. Une oscillation complète (un cycle) est définie par sa période (la durée en seconde d’un cycle), son amplitude (l’élongation maximale du cycle à partir de sa position de repos, ce qui correspond à l’intensité du son), sa fréquence (le nombre de cycles par seconde, ce qui correspond à la hauteur du son) et sa phase. Un mouvement périodique simple, représenté par une courbe sinusoïdale, est qualifié de son « pur ».

5Cependant, les sons sinusoïdaux n’existent pas dans la nature, on les produit avec des générateurs de sons ou des logiciels de synthèse6. Les sons de l’environnement (naturel, domestique ou urbain), les sons produits par le corps humain, les sons instrumentaux, sont toujours des mouvements périodiques complexes7. Selon le théorème de Fourier, toute onde complexe peut se décomposer en une somme de mouvements périodiques simples. Lorsque les fréquences des composantes sont des multiples entiers du son fondamental, le son complexe est périodique. La forme de l’onde complexe se répète périodiquement. À l’inverse, lorsque les fréquences des sinusoïdes ne sont pas des multiples entiers du son fondamental, le son complexe est qualifié de non périodique. Les voyelles du langage parlé ou la plupart des instruments de musique produisent des sons complexes périodiques8. Les bruits appartiennent en revanche à la catégorie des sons complexes non périodiques. D’un point de vue acoustique, on définit donc le bruit comme un son complexe non périodique.

6Un son complexe est composé d’une somme de mouvements simples (sinusoïdes) dont la décomposition en composantes est appelée spectre. Lorsque ces mouvements simples sont des multiples entiers du fondamental, on les nomme des harmoniques, dans le cas inverse, on les nomme des partiels. Tous les harmoniques d’une fréquence fondamentale ne possèdent pas la même énergie (amplitude). C’est ce qui produit les différences de timbre entre les sons. Un son complexe peut être composé d’un très grand nombre d’harmoniques, mais l’oreille humaine étant limitée à environ 20 000 Hz, seules les premières composantes du spectre ont un rôle dans la détermination du timbre. On peut produire une infinité de formes d’onde en modulant le nombre et l’amplitude des harmoniques. Il existe des formes d’onde « typiques » comme l’onde carrée, l’onde triangulaire et l’onde en dents-de-scie (exemples 1 et 2)9 qui sont à la base de nombreux sons instrumentaux et que l’on retrouve dans les synthétiseurs.

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Exemple 1. Onde triangulaire 440 Hz (forme d’onde à gauche, FFT à droite).

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Exemple 2. Onde en dents-de-scie 440 Hz (forme d’onde à gauche, FFT à droite).

Différents signaux de bruit

7Un bruit est composé d’une multitude de partiels dont les fréquences, les amplitudes et les phases varient de façon aléatoire. Un souffle continu ou une chute d’eau appartiennent à la catégorie des sons complexes apériodiques, ils ont un signal aléatoire. Comme il existe des formes d’onde « typiques », les acousticiens ont défini des bruits « typiques », qui sont qualifiés de bruits « colorés » : bruit blanc, bruit rose et bruit brun. Le bruit blanc (exemple 3) est un signal aléatoire non corrélé. Sa densité spectrale de puissance (PSD) est constante. On l’appelle blanc, en comparaison avec la lumière blanche, car dans les deux cas, toutes les fréquences sont présentes avec un poids équivalent (l’énergie est distribuée uniformément sur tout le spectre). Cependant, il n’existe, dans la réalité, que des bruits blancs limités à une bande de fréquence. Le bruit rose (exemple 4) possède une « couleur » plus sombre, car l’énergie est plutôt distribuée dans les fréquences moyennes et graves. Le bruit brun est encore plus « sombre » que le bruit rose10. Les bruits colorés sont employés – spécialement le bruit rose car il se rapproche de la sensibilité de l’oreille humaine – pour mesurer la réponse fréquentielle de transducteurs électroacoustiques (microphone, enceintes) ou pour mesurer les caractéristiques acoustiques d’une salle11. Le bruit blanc est un élément important en synthèse sonore. Il peut être utilisé en tant que tel, filtré afin de créer des bruits « colorés » (par exemple pour simuler des instruments à percussion), ou encore ajouté à des sons complexes périodiques (pour simuler les transitoires d’attaque).

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Exemple 3. Bruit blanc (forme d’onde à gauche, FFT à droite).

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Exemple 4. Bruit rose (forme d’onde à gauche, FFT à droite).

8On distingue généralement deux types de bruits : les bruits impulsionnels et les bruits continus12. Les bruits impulsionnels sont caractérisés par la présence d’un pic très élevé et par une durée très brève. Ils résultent soit d’impacts plus ou moins rapprochés entre deux solides (bruits de marteau-piqueur, machine à écrire, cyclomoteur, etc.), soit d’un changement brusque de la pression en milieu aérien (coup de feu, explosion, etc.). Les formes d’onde de ces deux types de bruits impulsionnels se distinguent essentiellement par la forme de l’amortissement qui suit l’impact. L’amortissement est plus long dans le deuxième cas. Les bruits continus sont des phénomènes vibratoires complexes apériodiques de longue durée. Ils sont caractérisés par la densité et la répartition des composantes spectrales, ainsi que par la répartition de l’énergie.

Bruit et périodicité

9Dans la réalité, les sons complexes sont souvent constitués d’un mélange d’harmoniques et de partiels. Ainsi, le bruit produit par les appareils électroménagers n’est pas totalement apériodique, il contient des fréquences clairement identifiables. Par ailleurs, la sensation de hauteur ne provient pas toujours d’une composante fréquentielle présente dans le spectre. La sensation de hauteur peut apparaître dans un bruit gelé. Un bruit gelé est un très court fragment de bruit mis en boucle. Guttman et Julesz13 ont montré que si la période de la boucle ne dépasse pas 200 ms, une sensation de hauteur tonale est induite chez l’auditeur. Si l’on soumet un bruit blanc à une modulation périodique d’amplitude, le stimulus obtenu ne diffère pas spectralement d’un bruit blanc non modulé. Néanmoins, une sensation de hauteur tonale est provoquée par un tel stimulus, celle-ci étant corrélée à la fréquence de modulation. Ceci explique pourquoi il est possible d’entendre une hauteur à l’écoute d’un moteur d’automobile. La périodicité du moteur en action lui confère une hauteur tonale. Harris14 et Pollack15 ont demandé à des sujets d’apparier ces stimuli à des sons purs de différentes fréquences. Ils ont obtenu des ajustements précis pour des fréquences de modulation comprises entre 20 et 1000 Hz. D’autres expériences16 ont confirmé qu’une sensation de hauteur tonale peut émerger d’un bruit sans pour autant qu’il y ait de périodicité dans le domaine spectral. Un autre phénomène intéressant se produit à l’arrêt d’un bruit blanc entendu pendant quelques minutes. Il s’agit d’un bruit blanc dont on a supprimé une bande de fréquences d’au moins un tiers d’octave. À l’arrêt du stimulus, le sujet perçoit une hauteur « fantôme » dont le fondamental correspond à la fréquence centrale de la bande filtrée.

10La parole fournit un exemple de production sonore mêlant sons complexes périodiques et non périodiques. Elle est constituée de sons voisés, sons périodiques, et de sons non voisés, des bruits produits par l’action de l’air sur les parois de l’appareil vocal à la suite d’une constriction ou d’une occlusion. La voix parlée combine donc des voyelles caractérisées par un spectre harmonique, des consonnes plosives proches des bruits impulsionnels et des consonnes sifflantes ou chuintantes proches de bruits blancs continus. Certains sons, comme les consonnes sonores [z] couplent son voisé et bruit. Ainsi, la différence entre [s] et [z] provient non pas d’une différence d’articulation, mais de l’association, dans le deuxième cas, de composantes périodiques et non périodiques. Les consonnes ont un rôle particulièrement important dans la chaîne de communication verbale. Elles apportent des modifications (appelées des transitions) au spectre des voyelles qui les précèdent et qui les suivent. Ce sont en fait des portions de formant qui s’infléchissent vers le haut ou vers le bas. L’identification des sons de parole ne repose pas uniquement sur l’identification des unités phonologiques discrètes, mais, particulièrement pour les occlusives, sur le repérage d’éléments de transition.

11Bien que le contenu harmonique (l’enveloppe spectrale) d’un son complexe apporte des informations essentielles sur le timbre, il ne suffit pas à le caractériser. La particularité du timbre d’un violon, d’un clavecin ou d’un basson se fonde également sur les transitoires (et sur d’autres phénomènes comme le flux spectral et la brillance). Les transitoires sont des variations du spectre qui interviennent à l’attaque et à l’extinction du son pendant une très brève période de temps (au plus quelques centaines de millisecondes). Ils sont liés au mode d’excitation de l’instrument, à la nature des matériaux et à la structure du corps de l’instrument. Les transitoires apportent richesse et complexité au son de l’instrument. A contrario, un son périodique sans transitoires semble pauvre et peu musical. Les transitoires d’attaque sont caractéristiques du mode d’excitation de l’instrument : frottement de l’archet sur la corde, souffle qui pénètre dans l’embouchure, bruit de clé, choc du marteau sur la corde, etc. (exemple 5). Ce sont de véritables signatures qui permettent, souvent mieux que le contenu spectral, de reconnaître l’instrument. Le rôle perceptif des transitoires d’attaque a été mis en évidence par de nombreuses études. Les travaux de Grey et Moorer17, notamment, ont précisé les facteurs déterminants dans la discrimination des timbres isolés, par ordre d’importance décroissant, les informations présentes dans l’attaque, puis celles relatives à l’enveloppe spectrale et au flux spectral. Le bruit est donc un élément fondamental, inhérent à tout son vocal ou instrumental. Il est donc vain de tracer une frontière étanche entre les sons « musicaux » et les bruits.

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Exemple 5. Sonagrammes d’un violon jouant un si3 et d’une flûte traversière jouant un #4 sfz.

Le bruit comme sensation d’intensité sonore

Seuil de tolérance au bruit

12En psychoacoustique, la sensation d’intensité se nomme « sonie », elle correspond à l’intensité subjective18. Elle dépend de l’intensité physique, mais aussi de la fréquence et, dans le cas de sons complexes, de l’étendue spectrale des bandes de fréquences. Le seuil de discrimination est la plus petite différence d’intensité entre deux sons permettant de les juger différents (seuil différentiel d’intensité). Pour les sons purs, le seuil différentiel relatif diminue lorsque le niveau d’intensité augmente. Cela signifie que la sensibilité discriminative du système auditif s’améliore lorsque l’intensité augmente. Cependant les seuils différentiels dépendent aussi de la fréquence. Pour des fréquences dépassant 4000 Hz, par exemple, les seuils sont moins bons que pour les fréquences plus basses. Ces données s’expliquent par le rôle des filtres du système auditif. À faible intensité, un seul filtre est activé, à forte intensité les filtres adjacents sont activés. Le modèle de Florentine et Buus19 explique le processus de discrimination entre deux intensités par le modèle d’excitation multibande (24 filtres). Selon le modèle, c’est la largeur de bande du pattern d’excitation qui détermine la discrimination d’intensité. Au fur et à mesure que le niveau d’intensité s’élève, le seuil différentiel s’améliore car le pattern d’excitation s’élargit (plus de filtres sont activés). La réponse des filtres fonctionne différemment pour le bruit blanc. Dans ce cas, lorsque le niveau augmente, le pattern s’élargit d’abord très rapidement, puis se stabilise à partir de 30 dB car tous les filtres sont excités.

13Les travaux de Fletcher et Munson20 ont permis de déterminer l’intensité minimum requise pour percevoir chaque fréquence. Ces seuils sont représentés par des courbes, appelées lignes d’isosonie qui relient les sons purs produisant une même sensation d’intensité. Ces courbes sont obtenues en demandant aux sujets de comparer un son-test variable à un son de référence de 1000 Hz, son intensité étant fixée au préalable. L’intensité du son-test doit être ajustée pour chaque fréquence de façon à obtenir la même sensation d’intensité que celle du son de référence. Les valeurs obtenues sont portées sur un graphique (exemple 6) comportant les fréquences (en Hz) en abscisse et les intensités (en dB) en ordonnée et reliées par les lignes d’isosonie. Ces courbes montrent, par exemple, qu’un son de 100 Hz doit avoir un niveau de 63 dB pour paraître aussi intense qu’un son de 1000 Hz de niveau 43 dB. L’ensemble des lignes d’isosonie permet de déterminer la sonie (dont l’unité de mesure est le phone) de n’importe quel son pur dont on connaît la fréquence et l’intensité. Un son de 50 Hz à 80 dB correspond à 62 phones, un son de 500 Hz à 60 dB correspond à 64 phones, un son de 1000 Hz à 80 dB correspond à 80 phones. On voit donc que la sensation d’intensité sonore varie en fonction des fréquences. Pour avoir une sonie de 50 phones, un son de 1000 Hz doit être émis à une intensité de 50 dB, par contre un son 50 Hz doit être émis à 72 dB. On observe que, globalement, la sonie croît plus rapidement avec les basses fréquences.

14Les lignes d’isosonie permettent également d’observer les valeurs de seuil pour les sons purs. La courbe inférieure en pointillé (exemple 6) correspond au seuil absolu d’audibilité (seuil d’audition), en dessous duquel l’oreille humaine n’entend plus les sons. Au niveau de la ligne pointillée, les fréquences sont presque inaudibles. La courbe supérieure (exemple 6) représente le seuil de douleur. Au-delà des valeurs de cette courbe, il y a un risque de lésion irréversible des cellules ciliées responsables de la transmission des informations sonores au cerveau. On peut remarquer également que les sons instrumentaux (dont l’étendue est représentée par le clavier de piano) correspondent à la région où la sonie est la plus sensible aux changements de fréquence.

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Exemple 6. Lignes d’isosonie des sons purs (d’après Peter H. Lindsay et Donald A. Norman, Traitement de l’information et comportement humain, Paris, Éditions Études Vivantes, 1980).

La sonie des sons complexes

15La sonie des sons complexes augmente, comme celle des sons purs, avec le niveau d’intensité acoustique, mais aussi en fonction de l’étendue en fréquence de leur spectre. Pour mesurer la sonie des sons complexes, on demande par exemple à des sujets de comparer la sonie d’un son étalon (son pur ou bande de bruit de largeur donnée) à celle d’un son complexe constitué de deux sons purs dont on augmente progressivement l’écart entre les deux fréquences. La sonie reste constante tant que l’écart en fréquence ne dépasse pas une certaine largeur appelée « bande critique ». Un son complexe formé de deux composantes ayant une intensité totale de 60 dB et dont la moyenne géométrique des fréquences est 2000 Hz a une sonie égale à un son de 2000 Hz à 60 dB jusqu’à un écart de 300 Hz entre les deux sons purs. Au-delà de cet écart, il y a sommation de la sonie. En répétant cette expérience avec d’autres fréquences centrales, on constate que la largeur de la bande critique augmente avec la fréquence. Ainsi, une bande centrée sur 50 Hz a une largeur de 80 Hz, alors qu’une bande centrée sur 13 500 Hz a une largeur de 3 500 Hz.

16L’analogie des filtres permet de se représenter le rôle fonctionnel des bandes critiques. Le système auditif périphérique fonctionnerait comme un ensemble de filtres passe-bande adjacents, répartis sur toute l’étendue spectrale, et dont les largeurs de bande sont précisément celles des bandes critiques. La sonie est alors déterminée par la quantité d’activation dans chacun de ces filtres. Dans le cas d’un son complexe à largeur de bande étroite un seul filtre est activé. Dans le cas contraire, l’activation se propagera sur plusieurs filtres adjacents. Il se produit alors une sommation de l’activité des filtres et, par conséquent, augmentation de la sonie.

17Dans un environnement réel, la sensation d’intensité dépend également de la présence des autres sons. Les sons peuvent se masquer les uns les autres. La méthode pour déterminer l’effet du masquage consiste à mesurer la valeur à laquelle il faut augmenter l’intensité d’un son-test pour qu’il ne soit plus masqué par le son-masque. Une première courbe de masquage étant obtenue ainsi, il faut ensuite faire varier l’intensité ou la largeur de bande pour obtenir les autres courbes. Le son masquant est, par exemple, une bande de bruit blanc filtré, centré sur 1200 Hz, son intensité variant par pas de 10 dB entre 20 dB et 110 dB. Lorsqu’on augmente le niveau de pression acoustique du son-masque, l’effet du masquage s’étend à de plus en plus de fréquences, du côté des fréquences supérieures à celles du son masquant (exemple 7). Le masquage est très faible sur les fréquences inférieures au son-masque, alors que les fréquences supérieures au son-masque sont difficiles à percevoir. Il en résulte que les sons émis avec une intensité par des instruments graves masquent les sons émis par les instruments aigus de faible intensité.

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Exemple 7. Courbes de masquage obtenues avec un son-masque constitué d’une bande de bruit blanc filtré, centré sur 1200 Hz. D’après Peter H. Lindsay et Donald A. Norman, op. cit.

18Zwicker21 a développé un modèle qui permet de calculer la sonie des sons complexes. Le modèle repose sur l’hypothèse que, d’une part, le pattern du masquage reflète l’étendue et l’amplitude de l’excitation de la membrane basilaire dans le système auditif et que, d’autre part, la quantité d’excitation détermine la sensation d’intensité. En effet, les sons de basse fréquence tendent à répartir leur activité sur toute la longueur de membrane basilaire contrairement aux sons de haute fréquence. La sonie dépend donc de l’interaction des patterns d’excitation des deux sons avec une possibilité de masquage total ou partiel d’un son sur l’autre. Pour reprendre l’exemple précédent, le bruit ne peut masquer un son pur que dans la zone d’excitation où son pattern est supérieur à celui du son pur. À partir du modèle de Zwicker, on peut calculer la sonie de n’importe quel son complexe dont on connaît le spectre.

19La sensation d’intensité sonore a également été étudiée avec la méthode d’estimation de la grandeur (magnitude estimation de Stevens22). Les sujets doivent estimer par des nombres la sonie d’un son présenté à différents niveaux d’intensité acoustique. On obtient alors une échelle de sonie dont l’unité est le sone. Par convention, la valeur de 1 sone est la sonie d’un son pur de 1000 Hz à 40 dB. Un son de 1000 Hz de 100 dB correspond à une sonie de 64 sones. Cette méthode est reconnue par l’Organisation Internationale de Normalisation (ISO). L’exemple 8 présente l’intensité et la sonie (en sone) de quelques événements sonores.

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Exemple 8. Intensité et sonie de quelques événements sonores. D’après Peter H. Lindsay et Donald A. Norman, op. cit.

Les effets du bruit sur l’audition

20L’exposition à de fortes intensités peut se traduire par une fatigue auditive et, si le bruit est très intense, par un traumatisme auditif. Les bruits d’armes, les pétards de foire peuvent atteindre des intensités de 150 dB. Dans la vie courante, s’exposer à 130 dB (à quelques mètres d’un avion) n’est pas fréquent, mais on peut avoir les mêmes dégâts avec des bruits plus faibles (autour de 100 dB) si l’exposition est prolongée. À long terme, une exposition permanente aux bruits conduit à un vieillissement prématuré du système auditif. Le bruit peut aussi entraîner des conséquences indirectes sur la santé impliquant les fonctions végétatives, les réponses hormonales, le système cardio-vasculaire, le sommeil, etc.

21En général, ce sont les professions exposées aux bruits des machines qui sont les plus à risque : chaudronnerie, forge, tôlerie, scierie, verrerie, etc. Mais, les professionnels de la musique sont eux aussi aux premières loges. Il est reconnu aujourd’hui que les musiciens d’orchestre souffrent en moyenne plus précocement de presbyacousie que les mêmes tranches d’âge du reste de la population. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce ne sont pas les percussionnistes les plus touchés, mais plutôt les cornistes, les flûtistes, hautboïstes, clarinettistes ou les bassonistes. La taille de la salle de répétition joue un rôle non négligeable. Les petites salles ou celles dont l’acoustique favorise les échos multiples sont potentiellement dangereuses pour les musiciens. Les effets de l’intensité sonore sont variables selon la place de l’instrumentiste dans l’orchestre. Les bois, d’une manière générale, courent plus de risques de traumatisme du fait de leur placement devant les cuivres. La musique amplifiée (discothèques, concerts, baladeurs, etc.) est également un facteur de risque pour les auditeurs.

22Lorsqu’un sujet est exposé à un son dépassant le seuil de douleur (120-130 dB), il se produit le réflexe stapédien (ou réflexe ossiculaire). Le système nerveux central donne l’ordre au muscle de l’étrier de se contracter afin de bloquer la chaîne ossiculaire d’atténuer la transmission des vibrations à l’oreille interne. Malheureusement, lorsque le bruit est trop rapide (en dessous de 200 ms), ou trop long (à 120 dB, le stapédius lâche prise au bout de 7 sec.), le réflexe stapédien ne fonctionne plus. Lorsqu’un traumatisme acoustique se produit, les cils vibratiles des cellules ciliées dégénèrent surtout dans une zone répartie autour de 4 kHz. Il peut s’en suivre une sclérose plus ou moins importante et localisée de l’organe de Corti.

23Les traumatismes auditifs peuvent entraîner des bourdonnements, des sifflements ou des tintements entendus de façon sporadique ou continuelle. Ce sont les acouphènes23. On distingue les acouphènes objectifs et subjectifs. L’acouphène objectif est dû à la circulation du sang dans un kyste artériel ou veineux situé dans le rocher (os de la base du crâne). L’acouphène subjectif est un bruit qui n’est entendu que par le patient en l’absence de toute stimulation sonore. Il serait provoqué par une excitation spontanée et aléatoire des cellules ciliées qui déclencheraient des potentiels d’action dans les fibres nerveuses auditives produisant alors des sensations sonores. Certains traitements des acouphènes utilisent un appareillage qui diffuse un bruit blanc continu dans l’oreille pour masquer l’acouphène.

24Il faut mentionner, pour terminer sur cet aspect sensoriel du bruit, les bruits liés à un dysfonctionnement du système auditif. Certains bruits internes sont dus à un dysfonctionnement de la trompe d’Eustache. La trompe d’Eustache assure la communication de la caisse du tympan avec l’arrière-gorge (le pharynx) et permet à l’air de pénétrer dans la cavité du tympan. En contrôlant le passage de l’air dans l’oreille moyenne, son rôle est de maintenir l’égalité des pressions statiques de l’air entre les deux faces du tympan. Fermée en régime normal, elle s’ouvre à chaque déglutition ou lors du mouchage ou de forts bâillements. Parfois, la trompe d’Eustache reste béante en permanence. Les sons vocaux passent directement vers l’oreille et le sujet entend alors sa propre voix directement. Ce phénomène, appelé autophonie, est parfois accompagné de bourdonnements.

En guise de conclusion. Influence du contexte sur l’interprétation perceptive et esthétique du bruit

25Le bruit, en tant que stimulus, est défini d’une manière objective, par l’acoustique comme un son complexe non périodique dont les fréquences, les amplitudes et les phases varient de façon aléatoire, et par la psychoacoustique comme la sensation d’intensité sonore (sonie), pouvant être gênante voire néfaste à la santé, variant en fonction de l’intensité, de la fréquence, du spectre, du masquage, etc. Cependant, la perception n’est pas une réponse entièrement déterminée par la stimulation car elle met en jeu des processus actifs d’organisation, des constructions perceptives, impliquant l’attention (consciente ou inconsciente) et la mémoire du sujet. La perception est le résultat d’une interprétation des informations sensorielles. Elle nécessite souvent l’intégration de plusieurs sensations sur lesquelles l’individu effectue un choix, prend des décisions en fonction de ses connaissances antérieures, de ses attentes, de ses motivations cognitives et de ses affects.

26Ainsi, l’estimation de la sonie n’est pas suffisante pour rendre compte de la perception d’une intensité et de sa traduction cognitive et émotionnelle. La réponse d’un sujet à l’intensité dépend du contexte d’exposition (silence ou bruit de fond important), de la prévisibilité du bruit, de sa durée, de son nombre d’occurrences, etc. Elle varie également en fonction de l’état psychologique de l’individu. Les personnes dépressives, anxieuses, ayant des problèmes affectifs ou relationnels, sont souvent plus sensibles aux effets du bruit. Pour certains individus, le silence est plus gênant que le bruit. Un son de faible intensité comme le tic-tac d’une pendule peut être considéré comme incommodant dans un environnement calme. Le caractère répétitif d’un bruit de faible intensité, comme un robinet qui goutte, est en mesure de provoquer un mal-être. Les sons prolongés, même ceux proches des seuils d’audibilités, peuvent être irritants. Bien souvent, le bruit tend cristalliser des insatisfactions dues en réalité à d’autres problèmes d’ordre psychosociologiques. Sociologiquement, la dénonciation du bruit permet d’extérioriser un malaise dont les causes sont bien plus profondes que la simple gêne acoustique.

27Par ailleurs, le plaisir ressenti à l’écoute de la musique ou lié à un contexte social est capable d’atténuer considérablement les réponses psychologiques à une intensité sonore ordinairement insoutenable. C’est souvent le cas lors de concerts de musique amplifiée où les effets dus à l’intensité sonore s’effacent de la conscience devant le plaisir musical, les sollicitations visuelles et l’ambiance générale. Habituellement, pour les participants, le bruit n’est pas ressenti comme nuisible lors des fêtes, mais plutôt comme un facteur de stimulation. Ces faits sont constatables partout dans le monde. Dans les sociétés traditionnelles africaines, le bruit des battements de pieds et de mains, des cris et des chants, des tambours et des sonnailles stimulent l’effervescence collective. Dans les rituels de magie ou de guérison, la transe est produite par une augmentation progressive de l’intensité, souvent couplée avec un accelerando, jusqu’au niveau nécessaire pour déclencher l’effet24. Parfois, les instruments jouent au plus près des oreilles des destinataires pour aboutir à la possession. Au Tibet, comme dans d’autres cultures, on fait sonner les instruments dans l’oreille de l’oracle qui commence à être possédé. La tolérance au bruit dépend donc du contexte culturel et varie en fonction des sujets.

28De même que la sonie est insuffisante pour rendre compte de la réponse à une intensité sonore, la description spectrale d’un son ne peut préjuger ni de son interprétation perceptive, ni du jugement esthétique qu’on lui porte. De nombreuses études ont montré que l’identification de bruits hors contexte conduit souvent à des erreurs si on ne connaît pas, par avance, la source. Identifier un bruit sans son contexte peut se traduire par une confusion avec des bruits spectralement proches. Ballas et collaborateurs25 ont effectué de nombreuses comparaisons entre le traitement des sons de l’environnement et de la parole. Ils ont montré qu’il existe un phénomène d’incertitude causale dans l’identification des bruits, comparable dans une certaine mesure avec l’homonymie, lorsque l’on entend les sons hors contexte. Par exemple, le mot « /vr/ » isolé peut signifier verre, vert, ver ou vers. Un son de vapeur isolé peut prêter à confusion (bouilloire, cocotte-minute, train à vapeur, etc.). Par contre, la présentation, avant l’écoute, d’un mot désignant la source a un effet facilitateur pour l’identification du son. Cette constatation renforce l’idée que les simples caractéristiques acoustiques ne suffisent pas toujours à l’identification de bruits de l’environnement et que celle-ci nécessite souvent un ensemble d’informations supplémentaires. D’autres études expérimentales de Ballas ont même suggéré que parfois le contexte n’est pas facilitateur pour l’identification des bruits. Les effets de contexte, démontrés dans le domaine du langage et de la musique, ne fonctionnent pas systématiquement avec les sons de l’environnement. Cependant, hors laboratoire, le contexte n’est plus seulement sonore, mais multimodal. Les différentes modalités (principalement l’audition, la vue et l’odorat) se renforcent pour neutraliser les ambiguïtés perceptives.

29L’importance du contexte a été mise en évidence également pour l’identification des sons vocaux et instrumentaux. La phonagnosie est un trouble de la reconnaissance des voix humaines (sans trouble de la compréhension auditive du langage). Un patient phonagnosique a des difficultés à identifier les voix, même celles des personnes qui lui sont proches. Le sentiment de familiarité n’intervient que si un contexte vient apporter des indices additionnels. En ce qui concerne les sons instrumentaux, les informations relatives à l’enveloppe d’amplitude et aux transitoires d’attaques sont cruciales pour l’identification en présentation isolée. Par exemple, les chances d’identification d’un son de piano joué à l’envers sont considérablement diminuées, bien que les caractéristiques spectrales du son de piano soient préservées. Cependant, en contexte musical, d’autres informations semblent prendre le pas. Lorsque des sons instrumentaux sont placés dans un contexte musical, plus ou moins complexe, les indices liés à l’enveloppe spectrale et à son évolution dans le temps supplantent les informations contenues dans l’attaque pour la représentation cognitive.

30D’un point de vue esthétique, le jugement porté dépend lui aussi du contexte musical, historique et culturel. Ainsi, la musique occidentale savante a cherché, au moins jusqu’au XIXe siècle, à évacuer au maximum les impuretés du son. Alors que la technique vocale occidentale est tendue vers la pureté de la voix, les voix non occidentales ont intégré, depuis longtemps, la raucité, la stridence et la nasalisation. En jazz et en rock, les sons instrumentaux bruités ou les voix rocailleuses sont appréciés car ils véhiculent une forte intensité émotionnelle et sont porteurs d’une protestation symbolique. Les exemples ne manquent pas (la trompette de Miles Davis munie d’une sourdine harmon, le saxophone alto de Gato Barbieri, les voix éraillées de Janis Joplin et de Joe Cocker, etc.), mais le plus emblématique d’entre eux est certainement le Star Spangled Banner – l’hymne national des États-Unis – trituré par la guitare saturée de Jimi Hendrix lors du festival de Woodstock le 18 août 1968. L’acceptation ou le refus du bruit inscrit dans la matière sonore est un phénomène éminemment culturel, comparable dans une certaine mesure au degré de dissonance toléré dans un système musical. L’utilisation de sons bruités au XXe siècle en occident relève à la fois de la transgression et d’une phénoménologie du son26. C’est ainsi qu’autour des années 1910 s’est opérée une redéfinition de la notion de « son musical » conjointement au rejet du système tonal. Musique libre (1910) de Nikolai Kublin27, L’art des bruits (1913) de Luigi Russolo28, l’Esquisse d’une nouvelle esthétique de la musique (1907/1916) de Ferruccio Busoni29 en sont les premières expressions. Ces textes en appellent à la liberté de choix – bridée par la tradition musicale occidentale – quant au système musical et à la matière sonore.

31Avec Varèse, la séparation entre son « musical » et « bruit » vole en éclat. Selon Varèse : « Il n’y a pas de différence entre le son et le bruit, le bruit étant un son en cours de création »30. La conception de Varèse élargit le champ de la composition musicale à tous les sons et à l’organisation interne du son. Un agrégat n’est plus seulement une juxtaposition de notes, mais devient une masse sonore dont il convient de contrôler autant le contenu spectral que l’évolution de l’enveloppe d’amplitude et la distribution de l’énergie. Le bruit n’est plus une incongruité, n’est plus un simple effet, n’est plus la manifestation d’une rébellion, n’est plus l’antithèse de la musique, il devient le levier d’un nouvel art sonore. Après la Première Guerre mondiale, le recours aux modes de jeu bruités et l’emploi d’accessoires comme les sourdines s’est considérablement développé, autant pour les cordes (pizzicato Bartók, sul ponticello, pression de l’archet, etc.) que pour les vents (flatterzunge, multiphoniques, slap, sourdines bol, harmon, whisper, etc.). L’écriture vocale a intégré les bruits par l’utilisation du souffle, de modes d’émission spécifiques (sifflements, coups et roulement de langue, nasalisation, etc.) ou d’accessoires (les kazoos dans Les Réciproques de Levinas). Dans le domaine des musiques électroniques, de nombreux traitements du son permettent de contrôler précisément le degré d’inharmonicité et de bruit (distorsion, modulation en anneau, frequency shifting, etc.). La partie bruitée du son instrumental fait aujourd’hui partie intégrante de la palette sonore du compositeur. L’intervention du bruit dans la composition a pris une telle importance que la notion de dissonance harmonique à la base des tensions et détentes du système tonal, obsolète dans un univers chromatique, s’est vue remplacer par la notion de dissonance spectrale. Aujourd’hui, le compositeur dispose d’un continuum partant du son pur et aboutissant au bruit blanc, en passant par tous les degrés d’harmonicité et d’inharmonicité. Le champ des possibles s’élargit aux échelles de timbres où le bruit tient une place essentielle.

Notes   

1  Les sons naturels de l’océan sont pléthoriques, des fréquences les plus graves (moins d’un 1 Hz) provoquées par les glissements de terrain et les tremblements de terre jusqu’aux fréquences les plus aiguës (plus de 300 kHz) provoquées par les sifflements, grincements, crépitements, grognements des crustacés, des poissons et des baleines.

2  http://www.afnor.org.

3  NF s30-101, terme 08-05-130.

4  NF s30-105, terme 08-25-005.

5  Sur l’acoustique musicale et le bruit traité d’un point de vue acoustique voir par exemple : MichelBruneau, Manuel d’Acoustique Fondamentale, Paris, Hermès, 1998 ; Neville H. Fletcher et Thomas D. Rossing, The Physics of Musical Instruments, 2e éd., New York, Springer, 1998 ; PierreLiénard, Acoustique physique et perceptive, Paris, Eyrolles, 1983 ; ÉmileLeipp, Acoustique et musique, Paris, Masson, 1996 ; Thomas D. Rossing, Richard F. Moore et Paul Wheeler, The Science of Sound, San Francisco, Addison & Wesley, 2002.

6  Il existe des sons quasi sinusoïdaux comme, par exemple, ceux produits par un diapason ou par une flûte dans le registre grave à faible intensité.

7  En acoustique, tout mouvement qui n’est pas « simple » est considéré comme « complexe » ; dès qu’un son est constitué d’au moins deux composantes, il est qualifié de « complexe ».

8  Dans la réalité, les sons instrumentaux possèdent un certain degré d’inharmonicité, lorsque les composantes du spectre ne sont pas des multiples entiers du son fondamental. Le piano est légèrement inharmonique comparativement à la cloche qui présente une forte inharmonicité.

9  L’onde carrée est constituée de l’addition de l’infinité des harmoniques de rang impair, l’amplitude de chaque harmonique étant inversement proportionnelle au rang. L’onde triangulaire est constituée de l’addition de l’infinité des harmoniques de rang pair, l’amplitude de chaque harmonique étant inversement proportionnelle au rang. L’onde en dents-de-scie est constituée de l’addition de l’infinité des harmoniques de tout rang, l’amplitude de chaque harmonique étant inversion proportionnelle au rang.

10  La PSD d’un bruit est proportionnelle à 1/f = 0 pour le bruit blanc,  = 1 pour le bruit rose et  = 2 pour le bruit brun.

11  Un haut-parleur émet un bruit rose dans une salle. Un microphone enregistre le signal reçu. Le spectre mesuré permet de connaître les fréquences atténuées afin de les corriger via un égaliseur.

12  Voir à ce sujet : Marie-Claire Botte et RenéChocholle, Le bruit, Paris, P.U.F., Coll. Que sais-je ?, 1984.

13  Newman Guttman et BelaJulesz, « Lower limits of auditory periodicity analysis », Journal of the Acoustical Society of America, n° 35, 1963, p. 610.

14  Gerard G. Harris, « Periodicity perception by using gated noise », Journal of the Acoustical Society of America, n° 35, 1963, pp. 1229-1233.

15  Irwin Pollack, « Periodicity Pitch for interrupted white noise : fact or artifact ? », Journal of the Acoustical Society of America, n° 45, 1969, pp. 237-238.

16  Pour une revue complète sur le sujet, voir Laurent Demany, « Perception de la hauteur tonale », in Marie-Claire Botte, Georges Canévet, Laurent Demany, Christel Saurin, Psychoacoustique et perception auditive, Paris, Les éditions INSERM, 1989, pp. 43-81.

17  John M. Grey et James A. Moorer, « Perceptual evaluations of synthetised musical instruments tones », Journal of the Acoustical Society of America, n° 61, 1977, pp. 454-462.

18  Pour une présentation détaillée de la sonie, voir Marie-Claude Botte, « Perception de l’intensité sonore », in Marie-Claire Botte, Georges Canévet, Laurent Demany, Christel Saurin, op. cit., pp. 13-41.

19  Mary Florentine et Soren Buus, « An excitation-pattern model for intensity discrimination », Journal of the Acoustical Society of America, n° 70, 1981, pp. 1646-1654.

20  Harvey F. Fletcher et W. A. Munson, « Loudness, its definition, measurement and calculation », Journal of the Acoustical Society of America, n° 5, 1933, pp. 82-108.

21  Eberhard Zwicker, « Die elementaren Grundlagen zur Bestimmung der Informationskapazität des Gehörs », Acoustica, n° 6, 1956, pp. 365-381 ; Eberhard Zwicker, « Masquing psychological excitation as consequences of the ear’s frequency analysis », in Reiner Plomp et Guido F. Smoorenburg (éd.), Frequency Analysis and periodicity detection in hearing, Leiden, Sijthoff, 1970.

22  Stanley S. Stevens, « The direct Estimation of Sensory Magnitude – Loudness », Americain Journal of Psychology, n° 69, 1956, pp. 1-25.

23  Voir à ce sujet : Claude-Henri Chouard, L’oreille musicienne, Paris, Gallimard, 2001.

24  Voir à ce sujet : Gilbert Rouget, La musique et la transe, Paris, Éditions Gallimard, 1980.

25  James A. Ballas et James H. Howard, « Interpreting the Language of Environmental Sounds », Environment and Behavior, n° 19, 1987, pp. 91-114 ; James A. Ballas et Timothy Mullins, « Effect of Context on the Identification of Everyday Sounds », Human Performance, vol. 4 n° 3, 1991, 199-219 ; James A. Ballas, « Common Factors in the Identification of an Assortiment of Brief Everyday sounds », Journal of Experimental Psychology : Human Percetion and Performance, n° 19, 1993, pp. 250-267.

26  Voir à ce sujet : Pierre Albert Castanet, Tout est bruit pour qui a peur. Pour une histoire du son sale, s.l., Éditions TUM/Michel de Maule, 1999.

27  Nikolai Kublin, Musique libre, publié à compte d’auteur, Moscou, 1915.

28  Luigi Russolo, L’art des bruits, Lausanne, Éditions l’Age d’Homme, 1975.

29  Ferruccio Busoni, L’esthétique musicale, textes réunis et présentés par P. Michel, Paris, Minerve, 1990.

30  Edgard Varèse, cité par Odile Vivier, Varèse, Coll. Solfèges, Paris Éditions du Seuil, 1973, p. 166.

Citation   

Philippe Lalitte, «Aspects acoustique et sensoriel du bruit», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Musique et bruit, mis à  jour le : 30/05/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=216.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Philippe Lalitte

Philippe Lalitte est maître de conférences à l’Université de Bourgogne. Il est membre titulaire du Centre Georges Chevrier (UMR CNRS 5605) et chercheur associé au Laboratoire d’étude de l’apprentissage et du développement (LEAD-CNRS UMR 5022). Il est membre du comité de rédaction de la revue Musimédiane (http://www.musimediane.com). Il est collaborateur de l’Ircam (analyses musicales multimédias) et de la Cité de la musique (Citéscopies, Collège « Écouter la musique classique »). Ses thèmes de recherches portent sur différents aspects de la musique des XXe et XXIe siècles : le timbre, notamment chez Varèse, les structures à grande échelle, les musiques mixtes, notamment celles de Reynolds. Une part de ses recherches sont consacrées à la cognition musicale et s’effectuent dans le cadre de collaborations nationales et internationales. Il est impliqué depuis plusieurs années dans la diffusion de la musique contemporaine (festival Why Note, Ensemble XXI).