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Dignité, Droits et Performativité. Le Mouvement des Sans Terre du Brésil 

Alexis MARTIG
novembre 2014

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/cultureskairos.972

Résumés   

Résumé

À partir d’une relecture de recherches menées sur les revendications sociales de dignité du Mouvement des Sans-Terre du Brésil, ainsi que sur les pratiques qui y sont associées, cet article s’interroge sur la performativité des droits des travailleurs ruraux brésiliens. En ce sens, transposant la réflexion d’Austin sur la performativité du langage au domaine des droits, il s’interroge sur la capacité de l’affirmation de l’égalité dans la loi à être effective dans la réalité des sujets au quotidien, en l’occurrence, des travailleurs ruraux brésiliens. Pour cela, il revient sur la manière dont cette population a été socio-historiquement construite comme subalterne et cherche à mettre en lumière les facteurs socio-culturels qui jouent un rôle dans la performativité des droits. L’analyse des pratiques développées par le MST dans sa lutte pour la dignité et la justice sociale montre à cet effet assez bien comment les enjeux de la performativité des droits peuvent être compris en termes de « citoyenneté symbolique » (Margalit) et à travers l’étude des manières dont les citoyens se perçoivent entre eux comme des alter égaux, ou non.

Abstract

Based on a re-reading of a research carried out on the dignity social claims of the Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem-Terra (MST), Brazilian Landless Rural Workers movement, and on the practices associated to these claims, this paper seeks to interrogate the Brazilian landless rural worker’s rights performativity.In this sense, transposing Austin’s reflection on the performativity of language to the frame of rights, we will interrogate the capacity of the affirmation of equality into the law to be effective into the everyday reality of the subjects, in this case, the Brazilian landless rural workers. To achieve this, this article analyzes the way this population was socio-historically constructed as subaltern (Spivak) and also try to highlight the socio-cultural factors that play a role into rights performativity. The analyse of the MST practices developed in its struggle for dignity and social justice is a quite clear indication to understand how rights performativity can be studied in terms of “symbolic citizenship” (Margalit) and by examining the way citizens perceived them as “alter égaux”, or not.

Index   

Index de mots-clés : performativité, dignité, droits, mouvement social, Brésil.
Index by keyword : rights, performativity, dignity, social movement, Brazil.

Texte intégral   

1Qu’il s’agisse des termes de « dignité » ou d’ « indignation », des expressions de « logement digne » ou de « conditions de travail dignes », le registre de la dignité fait aujourd’hui partie des revendications des mouvements sociaux contemporains au même titre que les revendications liées à des questions matérielles ou de richesse. C’est le cas du Mouvement des travailleurs ruraux Sans Terre (MST) du Brésil à travers le terme de « Dignidade », mais aussi des revendications du Mouvement des Indigènes de la République (MIR) en France, des Dalits en Inde, sans oublier bien sûr les Indignados de la Praça del Sol à Madrid et leurs pendants dans un grand nombre de pays…

2Comment comprendre ces revendications et les enjeux sociaux qu’elles soulèvent, d’autant plus quand celles-ci sont portées au sein de sociétés démocratiques dont l’accès à la citoyenneté est censé garantir à tous, à travers le droit, une égalité dans la dignité au sens de Charles Taylor1. Ces revendications seraient-elles révélatrices des limites de la capacité du droit à réaliser de manière effective l’égalité qu’il affirme ? C’est dans le but de trouver des éléments de réponse à ce questionnement que la réflexion de cet article s’intéressera à la performativité des droits et s’interrogera sur la capacité de l’affirmation de l’égalité dans la loi à être effective dans la réalité, c’est-à-dire à faire advenir pour les sujets une égalité de fait au quotidien. Il s’agira donc ici de transposer la réflexion développée par Austin dans Quand dire, c’est faire sur la performativité du langage à partir de l’acte de l’énoncé aux domaines des droits en interrogeant la capacité de l’affirmation des droits à être effectifs pour les sujets d’une société.

3La réflexion développée dans cet article s’appuie sur des recherches réalisées auprès d’un de ces mouvements sociaux : le Mouvement des Sans Terre du Brésil. Nous montrerons que les revendications de dignité s’inscrivent plus largement dans une critique de la société démocratique brésilienne, critique mettant en évidence l’incapacité à rendre effective une égalité entre ses citoyens pourtant formellement affirmée dans le droit. Et, à travers l’étude de ces revendications et des enjeux sociaux qu’elles soulèvent, nous verrons l’importance des facteurs socioculturels dans le processus conduisant à la performativité de ces mêmes droits, c’est-à-dire le processus les rendant effectifs pour les sujets. Pour cela, nous chercherons à saisir les dimensions subjectives des droits à partir des revendications de dignité du MST et des pratiques développées par le mouvement social, dans une approche considérant « la vie sociale des droits », c’est-à-dire considérant « les droits [humains et leur abord] en tant que processus, impliquant des acteurs situés et des sujets porteurs d’historicités » (Saillant, 2013, p. 17). Il s’agira de penser ces revendications et les actions qui y sont liées, en tant qu’une « mobilisation de la parole et de l’action [qui] donne à voir la scène de la narrativité et de la performativité des droits » (Saillant, 2013, p. 17).

4Pour cela, nous présenterons la spécificité du cas brésilien en revenant sur la manière dont les travailleurs ruraux ont été socio-historiquement constitués dans la société brésilienne, et reviendrons sur la culture politique et la construction de la citoyenneté brésilienne. Ensuite, nous présenterons les conclusions de précédents travaux ayant analysés en détail les pratiques développées par le MST pour restaurer une dignité aux travailleurs ruraux brésiliens. L’objectif sera de saisir la performativité des droits, telle que précisée précédemment, en lien avec les manières dont les sujets se perçoivent eux-mêmes et sont perçus au sein d’une même société. En effet, l’affirmation formelle de l’égalité à travers le droit suffit-elle à faire que les sujets d’une même société se perçoivent comme des alter égaux ? Si la réponse est négative, quels sont les facteurs autres que « le Droit » permettant de rendre « les droits » effectifs ?

(In)égalité, droit et réforme agraire au Brésil

5Le cas de la réforme agraire au Brésil a cela d’intéressant qu’elle est inscrite dans le cadre de la Constitution brésilienne depuis 19642, et que, malgré le grand nombre de paysans toujours sans terres au sens littéral3, les redistributions de terres restent pour autant très peu nombreuses. Dans les faits, celles-ci ne sont réalisées qu’a minima quand les tensions se font trop fortes, et les travailleurs ruraux doivent souvent faire face à une absence de volonté politique qui se traduit par des situations d’attentes pouvant par exemple aller jusqu’à plusieurs années, pour au bout du compte être recensés en tant que possibles bénéficiaires d’une redistribution de terres qui pourra encore s’étendre sur plusieurs années. Malgré l’introduction des droits sociaux à la campagne dans les années 60, et l’inscription de la réforme agraire dans la Constitution – en 1964, puis remaniée en 1988 – ce défaut de politiques publiques en leur faveur illustre un déficit de citoyenneté effective résultant de la non-application des droits garantis aux travailleurs ruraux par la Constitution. Face à cette situation et à la lenteur de la réforme agraire, un grand nombre d’acteurs sociaux revendiquant son application s’est mobilisé, parmi lesquels le MST.

6Apparu officiellement en 1984 à l’époque de la transition démocratique au Brésil, le MST s’est donné pour objectif d’organiser et de mobiliser les travailleurs ruraux littéralement sans terres afin de revendiquer la réalisation de la réforme agraire au Brésil. Au cours de ses trente ans d’existence, le MST a su s’imposer comme un acteur politique incontournable au sujet de la réforme agraire au Brésil et étendre sa présence à la quasi-totalité du territoire national.

7Comment comprendre ce défaut de politiques publiques ? Quels sont les facteurs socio-culturels qui permettent de l’expliquer ? Enfin, le MST a-t-il développé des actions spécifiques pour rendre les droits des travailleurs ruraux plus effectifs, et, si oui, que nous apprennent ces actions ?

Des dimensions subjectives de l’(in)égalité et des droits

8La situation des travailleurs ruraux brésiliens s’explique par le fait qu’ils ont été socio-historiquement constitués comme une population subalterne au sens de Gayatri Spivak c’est-à-dire pouvant être décrits comme une classe avec des caractéristiques économiques et des genres de vie similaires, mais pour autant sans « conscience de classe » au sens d’intérêts créant du commun entre les familles de travailleurs ruraux (2009, p. 28). Par ailleurs, ils ont aussi été l’objet de processus d’altérisation s’exprimant, entre autres, à travers l’usage de termes spécifiques et dépréciatifs pour les désigner au sein de la société brésilienne4. Cette condition subalterne résulte de la combinaison de deux facteurs principaux : 1) un modèle de structure agraire latifundiaire – persistant malgré l’inscription de la réforme agraire dans la Constitution –, où les familles paysannes vivent dans des conditions de précarité similaires, mais de manière éclatée, sous diverses formes de métayage et de clientélisme, d’itinérance ou encore dans les périphéries des villes ; et, 2) des sociabilités rurales historiques régies par la « domination personnelle »5 du grand propriétaire terrien enfermant les dépendants dans une relation de soumission et de systèmes de dettes, d’obligations et de loyauté sans limites. Si l’humanité du travailleur rural est reconnue pour s’associer à lui, le résultat de cette association réside dans sa négation par les parrains, patrons ou maîtres. Une fois le contrat établi, ils se comportent « comme si » celui-ci n’était qu’un objet, ou un enfant en le plaçant dans une position de soumission, illustrant ce qu’Avishai Margalit qualifie « d’humiliation » (2007, p. 108) en référence à des « attitudes humiliantes qui violent la dignité de la victime » (2007, p. 57).

9La perversité de ce système de domination réside dans le fait que le travailleur est acteur du contrat à la base de cette relation, ce qui facilite l’intériorisation du statut d’infériorité et le fait de s’y résigner comme à une réalité inéluctable à travers ce qu’Ashis Nandy a qualifié de « disposition d’esprit qui fait que les dominés intériorisent les stéréotypes explicites et implicites du discours des dominants » (1983, p. 13). Les sujets sont ainsi amenés à intérioriser une image dépréciative de soi dans les interactions d’humiliation de la domination personnelle, avec potentiellement en conséquence des sentiments de honte ou un manque d’estime de soi. Avec sa notion de « disposition d’esprit », Nandy nous permet de penser le maintien de la perception dépréciative dans le temps et d’expliquer la difficulté à s’engager dans une mobilisation ou à porter plainte même une fois que les travailleurs ruraux ont quitté les plantations pour aller en ville, ou se sont installés en assentamento6.

10Les sociabilités rurales ont ainsi participé à diffuser une perception des sujets entre eux comme des citoyens inégaux sous la forme d’une « disposition d’esprit » au sens de Nandy perdurant même après l’introduction des droits sociaux et l’affirmation progressive de l’égalité par le droit. Dès lors, tout l’enjeu de la performativité des droits réside ici, au-delà de la simple reconnaissance et affirmation juridique de l’égalité entre les sujets, à remettre en cause les manières dont les sujets se sont historiquement perçus et se perçoivent aujourd’hui.

11L’image d’infériorité renvoyée de la part des « patrons » et les comportements inhérents aux relations de travail participent ainsi à la construction de la subjectivité des travailleurs ruraux. L’inégalité symbolique de cette relation se construisant en grande partie dans les interactions, dans la perception et le domaine du sensible, il en résulte une normalisationdes hiérarchies sociales aux yeux des travailleurs ruraux, ainsi que des sentiments de résignation et de manque d’estime de soi. C’est pourquoi, on pourrait parler pour évoquer ces relations d’un pouvoir subalternant dans le sens où elles rendent plus difficiles, même une fois le travailleur rural sorti d’une relation de domination personnelle, la constitution du travailleur rural comme sujet politique engagé. D’où l’intérêt dans cet article de s’interroger sur les manières dont les actions développées par le MST, et en particulier celles liées aux revendications de dignité, participent à l’élaboration d’une politique performative des droits des Sans Terre, en ce qu’elles permettent de remettre en cause cette inégalité symbolique et s’inscrivent dans une politique visant à rendre leurs droits effectifs, c’est-à-dire à faire advenir l’égalité affirmée dans la loi.

12En effet, malgré l’égalité affirmée à tous les citoyens brésiliens, le cas des travailleurs ruraux illustre combien l’effectivité de l’égalité et des droits des uns et des autres se construit aussi dans la subjectivité et dépend des manières des sujets de se percevoir comme égaux et porteurs légitimes de droits entre eux.

13Cette perception des sujets entre eux comme inégaux n’est pas exclusive aux travailleurs ruraux et se comprend plus largement au regard des valeurs sociales brésiliennes et de la construction historique de la citoyenneté.

14Ainsi, les relations sociales étudiées illustrent-elles assez bien la manière dont Axel Honneth (1992) caractérise l’humiliation en termes d’atteinte à la dignité liée à l’estime sociale et de jugements négatifs de la valeur sociale de certains individus ou groupes sur lesquels est porté un regard de dénigrement au niveau de leurs modes de vie individuels, ou collectifs, entraînant une perte de l’estime de soi7. Un phénomène qui s’explique par la difficulté des travailleurs ruraux à concrétiser des valeurs dominantes de la société coloniale dans les relations intersubjectives telles que les valeurs liées au travail intellectuel ou à l’autonomie de travail (Buarque de Holanda, 2004)8. Dans ses travaux sur la « sous-citoyenneté », le sociologue Jessé Souza évoque comment la libéralisation de la société brésilienne a été synonyme de la diffusion des critères de la valorisation bourgeoise et capitaliste du mérite et de la réalisation personnelle (2003, p. 143). La continuité entre ces critères diffusés avec le processus de libéralisation et les valeurs de la société coloniale évoqués par Sergio Buarque de Holanda, permet de comprendre cette difficulté pour les travailleurs ruraux d’incarner l’estime sociale, hier comme aujourd’hui. En effet, la nature de leur activité, en tant que travail manuel et, surtout, leur dépendance économique participent à leur dévalorisation symbolique dans la société.

15Plus largement, dans le cas du Brésil, comme l’ont montré les politistes Teresa Sales (1994) et Céli Pinto (2008), la culture politique actuelle est héritée du clientélisme et malgré l’égalité garantie par la loi, les citoyens ne s’y perçoivent pas comme égaux entre eux. Il est intéressant de noter ici que l’enjeu symbolique lié à la performativité des droits pour les sujets semble donc se retrouver au niveau national, selon le même processus faisant que les perceptions des citoyens entre eux limitent l’effectivité des droits et la réalisation de l’égalité affirmée dans le droit.

16En effet, s’intéressant aux racines de l’inégalité sociale dans la culture politique brésilienne9, Sales (1994) montre comment la citoyenneté brésilienne actuelle s’est construite sur les bases de ce qu’elle a appelé la « citoyenneté concédée » pour qualifier la dépendance de la population rurale libre et pauvre face aux seigneurs territoriaux pour jouir des droits élémentaires de la citoyenneté civile (Sales, 1994, p. 26). Cette « culture du don », selon l’auteure, s’est pérennisée, malgré l’établissement d’une société libérale et démocratique, jusqu’à la société brésilienne actuelle. Et, paradoxalement, malgré la promulgation au début des années soixante des droits sociaux garantissant l’encadrement du travail dans l’agriculture et l’élevage, la domination personnelle et la dépendance des travailleurs ruraux vont perdurer et leurs conditions de vie se dégrader. En effet, suite à la remise en cause des rapports de domination, les grands propriétaires ont mis fin aux « avantages » concédés en expulsant les travailleurs ruraux, et ces avantages n’ont jamais vraiment été compensés par des politiques publiques, d’où le fameux déficit de citoyenneté effective évoqué au début de l’article. Enfin, pour Sales, la pauvreté du Brésilien n’est pas un état qui a simplement à voir avec ses conditions économiques, mais aussi avec sa condition de soumission politique et sociale (Sales, 1994, p. 33).

17Dans le même ordre d’idée, Céli Pinto avance que la spécificité du Brésil est que l’inégalité citoyenne est constitutive du capitalisme moderne au sens d’une non-reconnaissance de l’égalité devant la loi, tant des couches supérieures de la population que des couches les plus pauvres : tous s’auto-identifient comme inégaux (Pinto, 2008, p. 56). Chaque Brésilien ne se voit pas comme égal à l’ensemble de la population nous dit Pinto : ou parce qu’il fait partie de l’élite et n’admet pas avoir les mêmes droits que tous les autres, ou parce que la grande majorité, et principalement les pauvres, ne se sentent pas citoyens porteurs de droits. L’affirmation formelle des droits et de l’égalité ne suffit donc pas pour que les citoyens l’incarnent et se pensent comme égaux entre eux. D’où le fait de se demander comment permettre la performativité de ces droits et « transformer les règles du jeu », c’est-à-dire transformer les manières de se percevoir entre les citoyens d’alter inégaux à des alter égaux.

18Cette situation est-elle pour autant une spécificité du Brésil ? Non, bien sûr, et les critères de perceptions de l’inégalité varient en fonction des contextes socio-historiques, cependant la forme et l’intensité du cas brésilien nous semble particulièrement intéressantes pour réfléchir à ce décalage entre égalité formelle et inégalité réelle. Un décalage que Partha Chatterjee distingue en termes de répartition formelle et réelle des droits (Chatterjee, 2009, p. 91), et à partir duquel se comprennent les limites de l’effectivité des droits et les enjeux de leur performativité.

La lutte pour la dignité, ou la conquête des droits au détour de la culture…

19Ce qu’il est intéressant d’évoquer ici, et qui vient renforcer les propos précédents, c’est que les pratiques développées par le MST dans le cadre de sa lutte pour la dignité cherchent justement à remettre en cause les manières dont les travailleurs ruraux se perçoivent et sont perçus dans la société brésilienne. Elles ont pour but de lutter contre cette résignation ou normalisation de la hiérarchie sociale qui fait que malgré l’égalité affirmée à travers le droit, les citoyens se perçoivent comme inégaux entre eux, c’est-à-dire lutter contre les dimensions subjectives de l’inégalité. D’où l’intérêt de revenir ici sur ces pratiques pour saisir comment elles participent ou non, et si oui par quels moyens, à une politique performative des droits des Sans Terre au Brésil, telle que nous l’avons précédemment évoquée.

20En effet, dans une vision marxiste léniniste maoïste, les leaders du MST interprètent la situation des travailleurs ruraux brésiliens en termes d’« aliénation culturelle »10 et le mouvement social se pense comme une sorte d’avant-garde devant transmettre aux travailleurs ruraux – légitimes représentants du peuple –, les techniques et moyens de lutte et de représentation. Pour le MST la domination du capital sur la terre et sur l’homme a eu des conséquences sur la culture des travailleurs ruraux et aurait ainsi détruit la conscience des pauvres et des travailleurs ruraux les empêchant de produire des vertus et des valeurs, et pire encore les empêchant de percevoir la domination.

21Considérée par le MST comme une « perte de dignité » (Setor de Educação, 2002, p. 34), la résignation à accepter la domination personnelle est ainsi expliquée par le mouvement social par une « culture du vide et de l’oubli » (Bogo, 2001, p. 35) résultant de la domination culturelle et sociale à laquelle les travailleurs ruraux sont soumis et empêchant ces derniers de remettre en cause l’ordre établi. La domination culturelle étant inhérente à la société capitaliste, la réalisation pleine et effective de la réforme agraire implique donc pour le MST l’établissement d’une société nouvelle avec de nouvelles valeurs, une nouvelle culture et de nouveaux êtres humains : une société socialiste.

22L’orientation de la lutte du MST sur le plan culturel est intimement liée à l’élargissement progressif des objectifs politiques du mouvement social vers une révolution culturelle, et à l’intégration des questions de dignité et de justice sociale, comme l’illustre l’évolution des slogans, passant de « Luta por Reforma Agrária » à « Luta por Dignidade e Justiça Social ». Ainsi, dans le cadre d’une politique de restauration de la dignité, le MST a créé en 1996 un Setor de Cultura, au même titre que le MST possède un secteur de la santé, de l’éducation, du genre, des relations internationales…

23Pour montrer comment les actions du Setor de Cultura liées aux revendications de dignité participent, ou non, à une politique performative des droits des Sans Terre, nous nous demanderons de quelle manière elles permettent une prise de conscience des Sans Terre du fait qu’ils sont porteur de droits et, surtout, qu’il est donc légitime et possible pour eux de « transformer les règles du jeu » de la société.

24Le but du Setor de Cultura est de réaliser des actions valorisant la cultura popular – sorte de folklore local -, la culture paysanne ou la culture « Sem Terra » elle-même pensée et cultivée à travers une esthétique composée de symboles, d’un hymne, d’une mémoire collective revendiquée et mise en scène, des T-shirts, du drapeau, des casquettes… Ceci à la fois pour valoriser la culture pensée comme « authentique » des travailleurs ruraux, et pour la donner à voir lors d’événements publics ou encore de rassemblements propres au mouvement comme des rencontres au niveau de chaque État des sem-terrinha11, des formateurs, des femmes etc. Ceci autant dans le domaine de la musique, des arts plastiques, de la poésie et de la littérature que du théâtre. L’idée étant de mobiliser l’art comme langage, comme moyen d’expression et comme « instrument transformateur » (Coletivo Nacional de Cultura, 2005, p. 9)des subjectivités des travailleurs ruraux pour leur donner une conscience politique permettant de se mobiliser contre la domination économique et culturelle.

25En organisant et coordonnant à la fois l’action et la production culturelle dans les grands événements réalisés par le MST, autant internes qu’ouverts au public, et en impulsant les pratiques musicales, théâtrales…dans les campements ou communautés de la réforme agraire, le Setor de Cultura a un double objectif : créer un sentiment d’appartenance autour de l’identité Sans Terre, et, communiquer avec la société pour démontrer la légitimité de la lutte pour la réforme agraire comme un problème de la société brésilienne, et non pas le problème des Sans Terre.

26Ces objectifs s’inscrivent donc complètement dans une politique performative des droits des Sans Terre en ce qu’ils visent à remettre en cause des manières dont les Sans Terre se perçoivent et dont ils sont perçus dans la société brésilienne dont dépendent l’effectivité de leurs droits et leur légitimité à en être porteurs.

27N’ayant pas les conditions de développer ici une analyse précise des pratiques développées par le Setor de Cultura, nous nous référerons directement aux conclusions de recherches précédentes ayant analysé en profondeur leurs réussites et leurs limites (Martig, 2014). Les limites de ces pratiques étant principalement liées à la distinction entre deux types de militants : les « Sans Terre par conviction politique » et les « Sans Terre par conditions de vie ». Les premiers correspondent principalement à des personnes issues d’un contexte urbain et de classe moyenne et sont majoritairement présents dans les organes de décisions du mouvement. Quant aux seconds, ils représentent plutôt les travailleurs ruraux et les personnes pouvant aussi provenir des périphéries des grandes villes et engagées dans les occupations de terres ou les manifestations. Les « Sans Terre par conditions de vie » n’assument pas ou peu de responsabilités, même si avec le temps cela a tendance à se nuancer.

28Selon le Setor de Cultura, les activités artistiques représentent un des moyens de cultiver les valeurs et de transformer les êtres humains. La « culture de la mémoire historique » joue d’ailleurs un rôle primordial dans ces activités, en ce qu’elle permet d’éclairer et de donner un sens à la lutte présente. Le rappel des luttes passées aux membres du mouvement au cours des activités artistiques apparaît d’une manière générale à travers l’évocation des revendications mémorielles, sous la forme de slogans principalement au début et/ou à la fin des activités.

29L’expérience esthétique (Cerclet, 2009, p. 26-27)12de la présence de compagnons disparus à travers des mises en scène des morts de massacres tel que celui d’Eldorado dos Carajás en 199613, permet à certains participants d’établir des liens entre leur lutte et celle des companheiros morts. De telles mises en scène mettent en place un processus d’identification entre les expériences subjectives et l’histoire dont le MST se revendique l’héritier, et constituent un facteur de conscientisation politique d’une manière sensible qui donne un sens à la lutte présente. Multipliées dans le temps, les participations à ces activités inscrivent les travailleurs ruraux dans des processus de reconnaissance sociale et de redéfinition du moi (Nandy, 2007, p. 34-35)transformant la perception de soi à travers l’idée qu’un autre monde est possible.

Dans la pratique je travaille avec la mística j’aime la mística parce qu’elle a l’objectif de toucher dans l’intime de l’être humain des valeurs qui ont été qui sont niées en nous, de comprendre le processus d’indignation et de ne pas regarder cela [la situation actuelle] comme quelque chose de naturel. Dans la mística il y a ce processus de te faire voir avec des yeux indignés...pour moi la mística c’est comme une manière de mettre en lumière qu’il est possible de faire la conquête…parce qu’elle projette quelque chose qui n’est pas arrivé mais qui peut arriver. Cela alimente le sentiment de militance… […] la mística pour moi c’est…c’est projeter qu’il est encore possible de faire une transformation14.

C’est sûr qu’il faut donner [de l’importance à l’art] parce que cette chose invisible de l’art qui rassemble avec la mística et aussi qui mobilise qui fait que les gens parcourent des marches comme ça de São Paulo à Brasilia15.

30Ces possibilités ne sont cependant pas à l’abri d’être limitées par des postures dirigistes et des catégorisations sociales et raciales réalisées de « Sans Terre par conviction politique » vers des « Sans Terre par conditions de vie », néanmoins il en ressort deux points particulièrement intéressants ici : le fait de générer un sentiment d’indignation pour entretenir la mobilisation et le sentiment d’appartenance à la lutte du MST, et la prise de conscience qu’il est possible de faire quelque chose à travers la lutte du MST. Or, c’est ici l’enjeu de la performativité des actions du MST dans le sens où, à partir d’une transformation de la manière de se percevoir, elles permettent aux militants de se penser comme porteurs de droits légitimes à demander l’application effective de ces mêmes droits. Néanmoins, il est important de mettre en lumière ici que l’efficacité des actions du MST est nuancée – de la réappropriation critique du discours, à la simple reproduction de ce discours en passant par une absence totale d’assimilation du discours sur l’importance de l’art dans la lutte -, en fonction des personnes et d’autres facteurs antérieurs et extérieurs à l’action de conscientisation du mouvement tels qu’une dynamique familiale forte, une socialisation catholique et une expérience de mobilisation précédente à l’engagement dans le mouvement.

Pour une « politique de la signification » (Hall, 2008, p. 145-146)

31L’objectif et les enjeux de ces activités visent aussi à communiquer avec la société autour de l’impunité, et notamment des massacres comme celui d’Eldorado dos Carajás précédemment cité, et plus largement autour de la légitimité de la lutte pour la réforme agraire dans la société brésilienne contemporaine. C’est particulièrement vrai pour les activités théâtrales qui sont mobilisées de manière intensive comme autant d’occasions de communiquer sur la question agraire et de légitimer la lutte du MST.

32Ainsi, le Setor de Cultura a déjà formé un grand nombre de troupes dans tout le pays qui multiplient leurs actions des manières les plus variées, de la représentation dans des espaces académiques aux cours de théâtre au sein des assentamentos. Parmi les dizaines de troupes déjà formées, on notera ici l’expérience du groupe de théâtre Filhos da MãeTerra formé en 2002 par des jeunes membres de la communauté Carlos Lamarca, située à Sarapuí dans l’état de São Paulo, présentée en décembre 2005 dans le célèbre Théâtre Arena de la ville de São Paulo, référence nationale de l’union entre art, politique et transformation sociale.

33Dans plusieurs entretiens avec des membres de ce groupe, le théâtre épique16 est mis en avant comme un moyen critique de communication avec la société, apportant un élément réflexif, voire agissant sur le spectateur, mais aussi surtout utile pour faire passer des informations et générer des débats en dénonçant des injustices et des souffrances :

[…] le théâtre épique à mes yeux est un théâtre politique où on passe de l’information et même où on reçoit de l’information au final comme quand on fait la pièce, je pense qu’il n’y a pas eu une fois où nous nous sommes présentés sans qu’il y ait eu de débats à la fin où les personnes disent ce qu’elles ont trouvé mauvais, si elles ont aimé ou ce qu’elles veulent ; chaque fois on prend ces informations et on leur raconte toujours un peu de notre vie17.

34La volonté de présenter le MST à la société brésilienne d’une autre manière que la manière dont les médias à grande diffusion les présente et de montrer le MST « que beaucoup de gens ne connaissent pas »18.

[…] c’est ça qui a créé un peu la différence, c’est que ça cause un impact chez les personnes qui viennent voir. C’est d’imaginer un Sans Terre d’une autre forme, de voir soudain un groupe du MST qui se présente et fait quelque chose d’intéressant, d’attractif…19

35Parmi les termes utilisés pour qualifier les manières dont l’expérience au sein du groupe de théâtre a été vécue, le terme qui ressort le plus est celui de « gratifiante ». L’expérience théâtrale est en effet présentée comme ayant été vécue comme un développement personnel, une expérience développant l’estime de soi et ayant pour conséquence d’être gratifiante, et particulièrement pour les présentations réalisées au sein du théâtre Arena :

Il y a beaucoup de personnes qui pensent que parce que c’est du MST, on ne va pas réussir à faire du théâtre ; il y a beaucoup de gens qui pensent comme ça mais après qu’ils voient la présentation et que c’est totalement différent de ce qu’ils imaginaient. Parce que ce n’est pas seulement parce qu’on est du MST qu’on ne peut pas faire du théâtre et c’est très gratifiant en fait […] quand les personnes demandent comme ça comment un groupe du MST fait du théâtre alors on dit que ce n’est pas parce qu’on est du MST qu’on ne va pas pouvoir faire une chose qui est gratifiante […] nous du MST on a aussi les capacités de faire un travail non professionnel mais de qualité avec des arguments c’est très gratifiant […] c’est un travail bien gratifiant […] c’est bien cool mec c’est un sentiment bien gratifiant parce que putain c’est un processus que tu vis au quotidien tu passes ton quotidien dans un assentamento dans un acampamento et tu transmets ton histoire aux personnes…20.

[…] c’était bien gratifiant […] c’est très gratifiant on peut présenter la pièce et on peut débattre avec les personnes comme on se dit houaw à travers une pièce de théâtre j’arrive à faire que les personnes voient le mouvement avec un regard différent, même si elles ne changent pas mais au moins pouvoir imaginer qu’elles aient déjà un contact avec quelqu’un qui est du mouvement […] je crois que ça développe assez l’estime de soi des personnes ; le théâtre le fait d’avoir ce type de face-à-face direct avec le public ça te donne plus d’assurance malgré le petit gel dans le ventre à chaque fois mais je pense que la pratique et la formation politique qu’on acquiert aussi à travers l’étude de ce qu’on va construire avec les pièces, c’est beaucoup pour toi en tant que personne et de manière collective…21.

36Dans le même temps, cette expérience est présentée comme une formation et une conscientisation politique pour mieux lutter contre l’image du MST telle qu’elle est construite par les médias.

[…] quand on commence à faire du théâtre je pense que le théâtre permet à la personne de se développer parce que cela nous fait chercher de l’information et d’une certaine manière la formation aussi rend possible un développement personnel mais aussi un développement collectif…22.

37Articulées aux festivals, aux concerts, aux manifestations ou autres événements organisés et autres moyens de communications sur la lutte du MST – Jornal Sem Terra, Revista Sem Terra, site internet, partenariats avec des universités… – ces nombreuses représentations artistiques constituent de véritables « contre-publics subalternes » (Fraser, 2005, p. 126-127). Ils participent ainsi à la construction de leur représentation dans la société brésilienne, c’est-à-dire la manière dont ils vont être perçus par les membres de la société, dont dépend la transformation de leur légitimité à être porteurs de droits.

38En ce qu’elles présentent les « Sans-Terre » comme des membres de la société brésilienne à part entière – dont la précarité des conditions de vie relève de l’intérêt national et donc d’une politique publique –, les activités du Setor de Cultura inscrivent le MST dans une lutte pour le sens comme « agent de signification » (Hall, 2007, p. 220) pour la reconnaissance politique et sociale de ses militants. L’enjeu de cette « politique de la signification » se situe dans les rapports de force pour définir la réforme agraire comme un problème de la majorité et dès lors relevant de l’intérêt national, ou plutôt comme le problème d’une minorité résultant de la somme de problèmes privés23. C’est en ce sens que les activités du Setor de Cultura participent d’une politique performative des droits dont le but est de les rendre effectifs. Le résultat de cette politique reste nuancé et difficile à mesurer précisément, comme nous avons essayé de le montrer, mais surtout il est limité par le cadre que constitue le MST et son discours et les autres critères évoqués précédemment au sujet de l’efficacité des activité.

Les droits au-delà du juridique…

39L’analyse des activités du Setor de Cultura permet de saisir qu’au-delà de la dimension juridique des droits, c’est-à-dire au-delà « du » Droit, une compréhension globale des enjeux liés aux droits et à leur performativité passe par l’étude du rôle de la subjectivité des citoyens, et plus largement du rôle de la dimension du sensible dans la normalisation et la remise en cause de la hiérarchie sociale au niveau de la perception des citoyens entre eux comme des alter égaux, ou non.

40Il semble ainsi, au regard du cas du MST, que les enjeux de la lutte pour la dignité se situent dans un décalage entre la répartition formelle et réelle des droits des citoyens, et que ce décalage entre ce qu’on pourrait appeler la « citoyenneté réelle » et la « citoyenneté formelle » peut se comprendre à travers l’étude des frontières de ce qu’Avishai Margalit a appelé la « citoyenneté symbolique » (Margalit, 2007, p. 153).

41Dès lors, on pourrait dire que la performativité des droits, c’est-à-dire leur capacité à être effectifs dans une société pour tous ceux qui sont censés y avoir accès, ne peut être garantie uniquement par l’accès formel à la citoyenneté et ne dépend donc pas que de l’exercice d’un État. Notamment, car la culture et les représentations sociales jouent aussi un rôle non négligeable dans le processus qui rend les droits effectifs. Les sociétés démocratiques sous leurs formes actuelles sont-elles à la hauteur de leurs principes et objectifs et sont-elles capables d’établir une égalité, affirmée haut et fort dans le droit et la loi mais toujours en quête de réalisation pour un certain nombre de leurs citoyens ?…Il pourrait être intéressant à ce titre de se demander dans quelle mesure une étude d’autres mouvements sociaux revendiquant de la dignité, comme par exemple ceux indiqués en introduction, conduirait, ou non, à des conclusions similaires.

42Le cas du MST est instructif en ce qu’il révèle l’importance des facteurs sociaux et culturels dans les processus d’effectivité des droits et nous montre que l’affirmation de l’égalité dans le Droit doit s’accompagner de mesures visant à affirmer l’égalité au niveau symbolique entre les citoyens, voire d’établir de véritables « politiques culturelles » au sens donné par Sonia Alvarez, Evelina Dagnino et Arturo Escobar dans Cultura e Politica nos Movimentos Sociais latino-americanos. C’est-à-dire, une politique préoccupée par la lutte pour la transformation des relations sociales d’inégalités, et caractérisée par des tentatives de défier les pratiques politiques établies, dans le sens où les actions du MST cherchent à remettre en cause la culture politique établie et les manières dont certains citoyens ou membres de la société sont perçus et rendus marginaux, inférieurs et subalternes. Les revendications de dignité, et les pratiques développées en lien dans le cas du MST, visent en effet à affirmer l’égalité symbolique des travailleurs ruraux et participer à la performativité de leurs droits dans la société brésilienne. Enfin, elles sont particulièrement révélatrices de l’aspect sensible de la politique et des droits, et de l’importance de leur étude pour saisir « la vie sociale des droits » et leurs dimensions subjectives.

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Notes   

1  En effet, dans Multiculturalisme : différence et démocratie, Taylor avance qu’en toile de fond du processus de démocratisation des sociétés, et avec le passage de l’honneur à la dignité, il y a une politique universaliste mettant en valeur l’égale dignité de tous les citoyens, et que le contenu de cette « politique de dignité » est celui de l’égalisation des droits et des attributions. Cette politique de dignité égalitaire est fondée sur l’idée que tous les êtres humains sont également dignes de respect.

2  Suite au coup d’État de 1964, le gouvernement militaire promulgue la loi Estatuto da Terra devant permettre la réalisation d’une réforme agraire locale et nationale. Sous couvert de réaliser la réforme agraire, cette loi favorisera en fait une politique de la concentration foncière, tout en réalisant une politique de redistribution des terres là où des tensions sociales étaient vues comme un danger pour la sécurité nationale. Une version plus progressiste de cette loi sera établie dans le cadre de la Constitution de 1988 à la fin de la dictature militaire.

3  Selon Jean-Yves MARTIN, dans Les sans-terre du Brésil : Géographie d’un mouvement socio-territorial, on peut actuellement estimer le nombre de travailleurs ruraux au Brésil à vingt-trois millions de personnes. Si l’ouvrage a paru en 2001, les politiques de réforme agraire n’ont fait que peu baisser ces chiffres, même s’il ne faut pas sous-estimer l’impossible contrôle des mouvements de populations dans les bidonvilles des grandes villes.

4  À ce sujet voir MARTINS, José de Souza, Os camponeses e a politica no Brasil : as lutas sociais no campo e o seu lugar no processo político, (1981) Petrópolis, Editora Vozes, 1995 ; GARCIA, Afrânio Júnior, « A sociologia rural no Brasil : entre escravos do passado e parceiros do futuro », Sociologias, Porto Alegre, ano 5, n°10, jul/dez 2003, p. 154-189 ; FRANCO, Maria Sylvia de Carvalho, Homens livres na ordem escravocrata, (1969) São Paulo, Fundação Editora da UNESP, 1997.

5  L’expression figure ici entre guillemets, car il s’agit en fait d’une notion consacrée pour qualifier et caractériser les relations de pouvoir décrites au Brésil.

6  Communauté de la réforme agraire une fois les terres redistribuées.

7  À ce sujet, revenir sur HONNETH, Axel, La lutte pour la reconnaissance, (1992), Paris : Les Éditions du Cerf, 2008, et en particulier le passage p. 144-152.

8  Attention, le développement de certaines activités annexes des travailleurs, comme la professionnalisation de certains dans des activités musicale peut néanmoins permettre aux sujets concernés de remettre en cause ou compenser en partie ce contexte de dévalorisation sociale liée à la nature de leur activité de travail et à la construction de la citoyenneté brésilienne.

9  C’est d’ailleurs littéralement le titre de son article en portugais : SALES, Teresa, « Raízes da desigualdade social na cultura politica brasileira », in Revista Brasileira de Ciencias Sociais n° 25, ano 9, juin 1994, p. 26-37.

10  Il s’agit là d’un concept particulièrement diffusé dans les années soixante au Brésil dans les milieux politiques et artistiques et les forces de gauche marxistes, mais aussi dans la pensée sociale catholique, toutes ces idéologies ayant influencé le MST.

11  Littéralement, « les petits Sans Terre ». Il s’agit des enfants Sans Terre.

12  Dans son article L’expérience patrimoniale, l’auteur décrit l’expérience esthétique en tant qu’expérience sensible particulière et mode de connaissance et de compréhension du monde.

13  Le 17 avril 1996, dix-neuf Sans Terre occupant une route sont morts dans un conflit avec la police militaire, près de la municipalité d’Eldorado dos Carajás dans l’État du Pará. Depuis, la date a été choisie comme Journée Internationale des luttes paysannes dans de nombreux pays.

14  Extrait d’un entretien réalisé à Teresina en 2008 avec Aïlton assentado de l’État du Rio Grande do Sul.

15  Extrait d’un entretien réalisé à Teresina en 2008 avec Elomar assentado de l’État du Rio Grande do Sul.

16  Les trois principales formes théâtrales utilisées par le MST sont le Théâtre-Forum, le théâtre épique et l’agit-prop.

17  Extrait d’entretien réalisé avec Clara, membre du groupe Filhos da Mãe…Terra, Assentamento Carlos Lamarca, Sarapuí, juin 2009.

18  Extrait d’entretien réalisé avec Diego, membre du groupe Filhos da Mãe…Terra, Assentamento Carlos Lamarca, Sarapuí, juin 2009.

19  Extrait d’entretien réalisé avec Janaína, membre du groupe Filhos da Mãe…Terra, Assentamento Carlos Lamarca, Sarapuí, juin 2009.

20  Entretien avec Diogo, membre du groupe Filhos da Mãe…Terra, 2009.

21  Entretien avec Janaína, membre du groupe Filhos da Mãe…Terra, 2009.

22 Ibid.

23  Pour une analyse détaillée des pratiques théâtrales, ou des enjeux de celles-ci dans la lutte du MST, Cf. respectivement MARTIG, Alexis, La Reconnaissance sociale et le Mouvement des Sans Terre du Brésil. En quête de dignité, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2014, et MARTIG, Alexis, « Sociabilités rurales et reconnaissance sociale au Brésil : les processus d’identification au sein du Mouvement des Sans Terre » in G. Uribe (dir.), Sociabilités, citoyenneté et liens sociaux en Amérique Latine, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013.

Citation   

Alexis MARTIG, «Dignité, Droits et Performativité. Le Mouvement des Sans Terre du Brésil », Cultures-Kairós [En ligne], paru dans Les numéros, mis à  jour le : 18/11/2014, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/cultureskairos/index.php?id=972.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Alexis MARTIG

Alexis Martig est Post-doctorant en anthropologie au CÉLAT, Départements d’anthropologie et de sociologie de l’Université Laval. Il s’intéresse à l’usage des revendications de dignité dans les luttes sociales contemporaines, notamment au Brésil avec le Mouvement des Sans-Terre et la Commission Pastorale de la Terre dans sa lutte contre le « travail esclave ». Ses recherches visent à comprendre ces revendications au-delà d’une approche essentialisant la dignité en un attribut de la nature humaine pour mieux saisir les enjeux de ces revendications en termes de citoyenneté.