Logo du site de la Revue Informatique et musique - RFIM - MSH Paris Nord

La séance studio d’enregistrement au casque

Nicolas Hoste
septembre 2014

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/rfim.364

Résumés   

Résumé

La séance d’enregistrement en studio s’effectue majoritairement au casque. Cette technique, peu naturelle pour la majorité des musiciens qui répètent plutôt dans des conditions live, modifie la perception de leur environnement acoustique.
Cela peut entraîner des difficultés multiples qui nécessitent des adaptations de leur part et des propositions pour les aider de la part des techniciens qui réalisent ces enregistrements.
Quelles sont les difficultés rencontrées, comment y pallier, quelles solutions technologiques pourrait-on proposer ou modéliser ?

Index   

Index de mots-clés : enregistrement, audio, casque, studio.

Texte intégral   

1. Introduction

1. 1. Préambule

1Cette intervention s’articule essentiellement sur un retour de ma propre expérience lors de nombreuses séances d’enregistrement depuis une vingtaine d’années. Je pratique mon activité dans différentes structures, du home studio, au project studio. Mes expériences diverses m’ont permis d’observer des musiciens jouer au casque dans des contextes différents : studios, home studios, live.

1. 2. Contexte

2On peut constater depuis maintenant une vingtaine d’années une démocratisation de l’accès à la musique et à l’enregistrement. Les home studios se développent chaque jour et les projets musicaux se multiplient aussi vite que celui de l’environnement informatique et des outils connexes de composition et d’enregistrement qui sont accessibles très facilement. Les utilisateurs de ces outils sont pour la plupart autodidactes et peuvent ne pas être issus des filières classiques d’apprentissage de la musique.

3Nous sommes donc fréquemment amenés à travailler avec des « artistes » qui ne bénéficient pas d’une solide expérience de l’enregistrement et ne maitrisent pas forcément leur instrument, leur voix. Le champ des possibles techniques leur permet d’exprimer un besoin de création de manière beaucoup plus ludique et accessible. Cette réalité, qu’il faut reconnaître et appréhender positivement, nous oblige à repenser nos métiers et également nos techniques.

1. 3. La séance d’enregistrement

4Lors de la séance d’enregistrement, nos connaissances techniques et notre savoir-faire sont aussi importants que nos savoir-être. En effet, nous pouvons facilement dire que la qualité d’un enregistrement dépendra autant du degré de technicité du binôme artiste-ingénieur du son que de l’environnement et de l’état psychologique de chacun et particulièrement de l’artiste. Ce constat minore en partie l’importance de la problématique soulevée, la part de l’environnement psychologique pouvant être au moins aussi importante que les qualités et connaissances techniques de l’opérateur. Bien évidemment, nous sommes donc aussi amenés à développer des capacités relationnelles et comportementales pour mettre en confiance, guider, apaiser les tensions, comprendre les besoins, alléger les doutes qui peuvent naître lors d’un enregistrement, ce que nous évoquerons également.

2. Le propos

2. 1. L’analyse du propos

5J’ai donc constaté des difficultés pour les interprètes d’enregistrer au casque à des degrés plus ou moins importants.

6Ces difficultés peuvent être de plusieurs ordres :

  • l’inexpérience,

  • la modification de la perception naturelle de leur instrument,

  • la difficulté à repérer des sons, à équilibrer une balance, à ajuster leur note,

  • une gêne physique,

  • une fatigue auditive.

7Cela se traduit habituellement par :

  • des défauts d’ajustement de hauteur de note,

  • des problèmes de timbre, de dynamique, de mise en place,

  • des déceptions sur la qualité de leur interprétation,

  • une fatigue, du stress, des renoncements passagers ou récurrents,

  • une incapacité à améliorer leur travail.

2. 1. 1. L’inexpérience

8Le travail au casque n’est généralement pas naturel pour les instrumentistes et les chanteurs. En effet, pour la plupart d’entre eux, le travail de répétition s’effectue dans un contexte où le son est diffusé par des hauts-parleurs et l’ensemble de cette diffusion est plus ou moins harmonieusement équilibré en fonction de chaque formation.

9Cette manière de composer, répéter, s’entraîner, permet à chaque intervenant de se placer au mieux dans l’espace pour ajuster son mix et trouver un équilibre satisfaisant lui permettant d’interpréter son œuvre. L’ensemble des phénomènes acoustiques d’une pièce rentre en jeu pour faciliter ou pas ce travail (absorptions, réflexions, temps de réverbération, premières réflexions).

2. 1. 2. La modification de la perception

10Le port du casque isole des sons extérieurs qui parviennent à l’oreille externe. Elle modifie donc la balance naturelle perçue entre l’oreille externe et la perception des sons par le corps et la cavité crânienne. Le rééquilibrage nécessaire se fait donc à travers des transducteurs, puis une balance effectuée par l’opérateur ou le musicien, tentant de recréer un ensemble proche de la perception naturelle.

2. 1. 3. Le manque de pratique, de formation

11Les artistes n’ont pas tous le même degré de pratique et d’expérience de la séance d’enregistrement. Cette activité n’est généralement pas pratiquée régulièrement. Elle découle souvent d’un long moment de gestation, mais pas nécessairement d’un temps de préparation. L’étape de la maquette est souvent inexistante ou pas assez poussée. Nous sommes donc face à des interprètes qui sont novices quant à l’utilisation du casque et d’une habitude de réglage.

12Ils s’en remettent souvent à l’opérateur pour leur proposer un mix, un niveau d’écoute, une balance tonale et spatiale. Ils n’ont donc pas créé leurs propres repères et ne savent pas ce qui les aidera ou les gênera.

13De même l’introduction d’un click pour le batteur ou la section rythmique, lors d’une première prise témoin ou non, d’une base de guitare acoustique rythmique – les exemples sont nombreux – peuvent générer une difficulté importante de réglage, une complexité dans l’interprétation qui nécessitent souvent un travail d’entraînement et de préparation conséquent.

2. 1. 4. Gêne physique

14Il m’est arrivé de constater une inadéquation ou une gêne ressentie par un musicien avec le port du casque. Le premier cas est habituellement pour le violoncelliste dont le manche cogne une des oreillettes, le second cas se rencontre assez fréquemment pour les oreillettes intra-auriculaire « In-ear » dans le cas du live, mais que l’on peut aussi rencontrer en studio et notamment chez les batteurs, plus souvent utilisateurs du casque (click). Le port de ce type de casque, moulé ou non à la forme de l’oreille, peut entraîner rapidement des douleurs dans le pavillon et le conduit auditif de l’oreille.

2. 1. 5. Fatigue physique et mentale

15Le port du casque rapproche la source auditive de l’oreille. Elle enferme l’oreille dans un espace clos, d’où l’on ne peut pas se soustraire par des déplacements, des mouvements de tête. L’interprète est donc constamment soumis à des sons dont il ne peut pas généralement régler autre chose que le niveau, même si des alternatives existent avec Aviom, My Mix, Pivitec, Roland, Hear technologies et d’autres systèmes de monitoring développés.

16Bien évidemment, le musicien peut retirer son casque, mais dans ce cas, il n’est plus en capacité de travailler.

17Après plusieurs minutes de travail au casque, l’oreille se fatigue, et une pause est nécessaire, à défaut l’interprète aura tendance à augmenter régulièrement le niveau d’écoute, créant ainsi un phénomène exponentiel du binôme fatigue/augmentation du niveau.

18De même, le niveau correct de travail, par manque d’expérience, est souvent largement dépassé par l’interprète. Cela peut être particulièrement le cas chez les batteurs et les bassistes.

19Pour les batteurs, le niveau intrinsèque de leur instrument jouera sur le niveau d’écoute au casque. Pour les bassistes, la recherche de la sensation d’enveloppement de tout le corps par les graves de l’ampli, qui peut être absente dans le cas d’une prise en studio, poussera celui-ci à augmenter son niveau d’écoute et en particulier dans le bas du spectre. On connaît par ailleurs la difficulté à obtenir des graves de qualité et puissants avec les petits transducteurs que l’on trouve dans les casques en particulier dans les casques « in-ear ».

20Enfin, la courbe de réponse de l’oreille, plus flatteuse à des niveaux élevés, poussera l’interprète à augmenter son niveau et accélérera de fait la fatigue auditive.

2. 2. Analyse d’une situation : l’enregistrement d’une session de violoncelle

21Dans cet exemple, j’ai donc rencontré des difficultés sur les points précédents (modification de la perception, manque de pratique, gêne physique, fatigue).

2. 2. 1. Contexte

22La séance s’effectue sur la création d’une piste de violoncelle qui sera la base du morceau et un click de repère de tempo est envoyé à l’interprète.

2. 2. 2. L’instrument

23Le violoncelle possède un diagramme polaire de diffusion propre. L’audition naturelle par l’instrumentiste se fabrique donc par une transmission aérienne, également par un contact physique avec l’instrument et les vibrations qui sont transmises au corps. La perception aérienne se situe en tête d’instrument là où le manche passe à proximité de l’oreille droite ou gauche. Le son perçu est un mélange de différentes sources d’émissions, directes et indirectes, depuis la caisse de résonance, le manche, les murs avoisinants et l’ensemble des phénomènes acoustiques d’une pièce.

2. 2. 3. La prise de son

24La prise de son est constituée de 3 micros.

25Un premier micro de type cardioïde, large capsule et statique, fait face à la table d’harmonie à quelques centimètres du chevalet.

26Un deuxième micro, de type statique, petite capsule, cardioïde, regarde le milieu du manche à plusieurs centimètres de celui-ci.

27Un troisième micro, de type statique omni, large capsule, situé entre 2 et 3 mètres de l’instrument, axé en hauteur par rapport à celui-ci, capte l’instrument dans la pièce (micro dit de « Room », « d’ambiance »).

2. 2. 4. Modification de la perception

28Le fait de mettre un casque fermé va donc entraîner une modification de la perception naturelle de l’instrument. En isolant l’écoute aérienne, elle nécessite un apport des sons captés par les micros dans le casque pour retrouver une écoute la plus naturelle possible. La modification de la perception va entraîner une difficulté notable de justesse. Sans le casque, il sera possible d’ajuster la note, avec, cela sera beaucoup plus difficile.

2. 2. 5. Manque de pratique

29Dans cet exemple l’instrumentiste ne travaille que très rarement au casque et ne s’entraîne pas ou peu à jouer au click, privilégiant la répétition en situation de groupe et préférant l’interprétation libre du tempo.

30Le morceau n’a pas fait l’objet d’un travail de maquettage.

2. 2. 6. Gêne physique

31Le manche de l’instrument passant auprès de l’oreille, le casque, et en particulier suivant son degré d’isolement (sa taille donc), va entraîner une gêne de position pour l’interprète.

2. 2. 7. Fatigue physique et mentale

32Les difficultés cumulées (justesse, mise en place au tempo) vont rallonger considérablement la séance d’enregistrement, provoquant fatigue, stress, découragement et parfois ajournement de la « bonne » prise.

3. Les pistes à explorer, les solutions mises en œuvre

33Nous pouvons constater que les difficultés naissent essentiellement du changement de contexte. Le plus important, c’est le passage de l’interprétation libre et en formation constituée de telle manière à délivrer la composition dans son ensemble, à une exécution seul et hors contexte. En isolant l’instrumentiste de l’ensemble, celui-ci perd beaucoup des repères et des appuis qu’il trouvait auprès des autres musiciens qui l’entouraient. Il enregistre donc seul, en dehors du contexte d’arrangement auquel il est habitué, avec un tempo fixe (et cela est imposé par les besoins de la suite de la séance).

34Le deuxième changement majeur consiste à écouter à travers un casque, autre piste à explorer.

3. 1. Recréer le contexte habituel

35La première solution consiste à recréer le contexte habituel dans lequel le musicien interprète son œuvre. Il s’agira de proposer une séance dans les conditions du live.

36L’ensemble ou une partie de la formation jouera en même temps, sans casque, avec une proximité relative qui recréera au mieux les conditions de répétition habituelles. Cette formule impose un studio doté d’espaces conséquents, de paravents acoustiques, d’un équipement conséquent en termes de matériel pour permettre de réaliser ce type de session. On est donc hors du cadre du home studio ou du petit studio (en fonction de la formation évidemment).

37De même, les interactions des instruments dans les différentes pistes captées (repisses), rendent difficiles des pastilles ou ReRe en cas de besoin et imposent presque la prise parfaite à tous.

38Il est cependant possible de garder uniquement la piste de l’instrument recherché (le violoncelle, en l’occurrence) et de faire rejouer ensuite les autres arrangements, à condition que les « repisses » soient bien maîtrisées (niveau et bande passante) et le tempo clairement interprété. On s’affranchit ici totalement du casque.

3. 2. Maquettage

39La deuxième solution consiste à proposer un premier travail de maquettage, qui peut s’effectuer dans des conditions de live, en maintenant bien comme objectif la justesse du propos artistique : justesse d’interprétation dans les intentions, le groove, le tempo, pas nécessairement dans les détails, mais une base qui soit saine.

40Avec cette base qu’on enverra dans le casque, l’interprète pourra rejouer sa partie définitive, avec cette fois l’univers émotionnel et riche en repères nécessaire à son équilibre lui permettant de s’attacher aux détails.

41On s’affranchit ici de la question du click, et du stress lié aux manques de repères sur une prise à « sec ».

3. 3. Monitoring avec un enceinte acoustique

42Comme troisième solution, on pourra également tenter un monitoring avec une enceinte acoustique. Cette solution reste très difficile à mettre en œuvre pour obtenir un bon résultat. Elle est possible dans certains cas, même parfois nécessaire. On s’approche toutefois de la captation live.

4. Les solutions, les points importants

43Dès que l’on utilise le casque, se posent donc les questions de sa gestion (niveau, bande passante, mix, spatialisation, type de casque). Habituellement c’est l’opérateur, qui, sous la conduite du musicien, propose un mix des différentes sources, à la charge du musicien d’ajuster son niveau à l’aide, en général, d’un amplificateur-répartiteur de casque à sa proximité.

4. 1. Le niveau

44Le premier ajustement à bien prendre en compte est donc le niveau. Rappelons-nous que les effets du niveau SPL sur les oreilles, dans un environnement fermé comme une écoute au casque, est génératrice de fatigue auditive rapide.

45Les rapports entre temps d’écoute et niveau pour une journée de 24 heures se situent entre 16 heures à 85 dBA, à moins d’un quart d’heure à 115 dBA. En ce qui nous concerne, une journée de travail en studio dure en moyenne une dizaine d’heures, nous devons donc nous situer en dessous de 85 dBA

4. 2. La bande passante

46Le deuxième élément concerne la bande passante. L’objectif étant de limiter le niveau, pour retarder la fatigue, on peut modifier la bande passante en appliquant une égalisation de type Loudness, qui compensera la courbe de type dBA que l’oreille est censée ressentir à bas volume (moins de 80 dB), pour l’approcher d’une courbe de type C, voir K (dB LU), afin d’améliorer le confort d’écoute à bas volume.

4. 3. Mixage des sources

47Le troisième ajustement porte sur le mixage des différentes sources audio. Il conviendra de bien analyser les besoins de l’interprète afin de déterminer avec lui le minimum d’éléments dont il a besoin pour l’interprétation. Attention aux demandes de type « Mets moi un peu de tout » qui aboutissent souvent à créer un trop plein d’informations mal maîtrisées et non productives.

48La gestion du minimum oblige à se concentrer sur l’essentiel et permet également de retarder la fatigue auditive. Cette gestion peut être confiée à l’opérateur ou, avec les mixettes déportées sur réseaux IP, au musicien ou aux deux.

49Si cette gestion doit être confiée au musicien, il s’agira à l’évidence d’une personne rompue aux questions techniques, et qui aura une certaine expérience de la manipulation d’objets techniques et de la notion de mixage.

4. 4. La spatialisation

50Afin d’améliorer encore le confort d’écoute et le discernement des différentes sources nécessaires à l’interprétation, on utilisera aussi la spatialisation, dans le plan latéral (la stéréo), mais aussi dans le plan de la profondeur de champ (réverbération, espace artificiel).

51Le placement dans la stéréo permet un discernement plus aisé à moindre volume. L’adjonction de réverbération, premières réflexions, écho, permet de travailler sur plusieurs plans, prolongeant certains sons pour aider à l’interprétation, amenant à travers la création d’espaces à augmenter l’émotion ressentie, poussant ainsi l’interprète vers des sensations exacerbées qui modifieront son jeu.

4. 5. Le choix du casque

52Il existe trois grandes familles de casque. Les casques ouverts ou semi-ouverts, les casques fermés, et les casques intra-auriculaires (particulièrement utilisés sur scène, surtout pour des questions d’esthétique).

4. 5. 1. Le casque semi-ouvert

53Le casque semi-ouvert a l’avantage de laisser passer partiellement des sons extérieurs, il est moins occultant pourrait-on dire, et peut en partie nous affranchir de la difficulté d’isolement évoquée auparavant. Il pose néanmoins problème, puisqu’il émet aussi à l’extérieur du casque une partie du signal qu’il reçoit, générant donc « repisse » (en particulier le click), phasing, risque de larsen. La gestion du niveau est donc là encore primordiale.

4. 5. 2. Le casque fermé

54Le casque fermé, très isolant de l’extérieur, est particulièrement utile dans des environnements sonores (batteur) ou à proximité des micros de captation (voix) et évite les écueils du casque semi-ouvert. Ces casques sont généralement plus imposants que les casques semi-ouverts, puisqu’ils nécessitent plus de matériaux isolants.

4. 5. 3. Le casque intra-auriculaire

55Le casque intra-auriculaire, surtout utilisé en live, peut l’être aussi en studio. La proximité de celui-ci avec les organes récepteurs de l’oreille, permet de travailler avec un faible niveau d’émission, évitant ainsi les risques de larsen. Attention toutefois à la gestion de la dynamique, car cette proximité du tympan n’autorise pas d’erreurs de niveau importantes (sur-niveau, bruit de connexion, larsen, etc.).

4. 5. 4. Cas particulier

56En reprenant la suite du décryptage de la séance d’enregistrement du violoncelle, un problème de taille de casque est donc apparu. En effet, le passage du manche de l’instrument près de l’oreille a créé des difficultés à l’interprète qui adoptait une position de compensation, crispante à long terme, pour éviter de cogner dans le casque.

57J’ai donc tenté de proposer de décaler l’oreillette concerné vers l’arrière de la tête et de ne travailler qu’avec une seule oreille (celle à l’opposé du manche). Même si au début cette solution a pu apparaître satisfaisante, elle c’est avérée à terme inconfortable. D’une part le casque est moins bien fixé sur la tête, et d’autre part, avec une seule oreille, on a une qualité de transmission des informations moins bonne (perte de la binauralité et du mono donc), d’où déséquilibre. D’un point de vue de la prise de son, le casque situé derrière la tête émettait plus de signal à l’extérieur et augmentait la « repisse ». Par contre, le fait de libérer une oreille de l’écoute artificielle, en redonnant à celle-ci une écoute naturelle, permettait de rattraper des problèmes de justesse. Nous développerons cette deuxième difficulté après avoir terminé sur la question de la gêne physique.

58J’ai donc ensuite proposé une solution de type in-ear, pour éviter ces chocs entre le manche et le casque. L’instrumentiste n’ayant pas d’oreillette moulée à la forme de ses pavillons, j’ai utilisé un casque de mauvaise qualité (récupéré dans un avion), que j’avais gardé dans mon kit de survie.

59Cette solution a fonctionné pendant un moment, mais la mauvaise qualité du casque, tant en réponse qu’en confort de port, n’a pas permis de poursuivre dans cette voie.

60J’ai donc ensuite cherché dans nos casques le plus fin qui soit disponible, terminant la prise avec un Sony 7506, casque relativement plat et semi-ouvert, l’instrumentiste préférant ce compromis entre confort d’écoute, légèreté, écoute binaurale et petite gêne de position.

4. 6. La justesse

61La deuxième difficulté majeure rencontrée lors de cette séance a été la justesse. Comme je l’ai indiqué, l’interprète a rencontré des difficultés pour exécuter certains passages, certaines notes, avec la justesse et l’intention qu’il recherchait.

62Ces difficultés allaient croissantes au fur et à mesure qu’elles se répétaient et provoquaient stress et inquiétude, et cela semblait disparaître lorsqu’il quittait le casque pour s’entraîner pour les passages difficiles avant la prise.

63J’en concluais donc qu’une partie de ces difficultés pouvait venir de l’écoute au casque (bien d’autres éléments rentrent en compte au moment de la prise et en particulier le stress de l’enregistrement).

64Si le problème venait du port du casque, c’était sans doute que celui-ci modifiait la perception telle qu’elle était sans lui. La réflexion menait donc vers l’observation de la nature du son de l’instrument tel qu’il parvenait naturellement aux oreilles de l’instrumentiste. Et en effet, elle était bien différente au niveau de ses oreilles, de celle perçue face à l’instrument, là ou globalement les micros étaient placés. Cela s’explique quand on analyse le rayonnement du son émis par un violoncelle. En particulier le micro le plus proche de la table d’harmonie et du chevalet capte une partie du son émis par le violoncelle qui n’est pas du tout conforme à l’écoute naturelle perçue par l’interprète (différences de tessitures, de timbres liées à la qualité/répartition des harmoniques). L’instrumentiste, lui, capte un ensemble plus complet que ce qui est émis à cet endroit, étant éloigné et désaxé de la source. Il semblerait que la qualité de l’interprétation (intention, justesse) soit particulièrement liée à la capacité du cerveau à reconnaître et identifier le timbre.

65J’ai donc privilégié dans le mix de l’instrument que j’envoyais dans le casque le micro dit de « manche » et le micro dit « d’ambiance » (room). Ceci me permettant de recréer un son plus proche de ce que je pouvais entendre quand j’analysais ce que percevait le musicien au niveau de sa tête. Par la suite, j’ai même placé un micro au-dessus de sa tête pour capter le son de l’instrument dans sa réponse spectrale et harmonique là où il était perçu naturellement par le musicien, pour envoyer cette source dans le casque.

66La difficulté majeure de ce procédé résida dans le fait que le niveau capté à cet endroit est relativement faible, m’obligeant à amplifier fortement la source à travers la chaîne audio, rapidement confronté à des problèmes de phasing, voire de larsen, en particulier avec le casque semi-ouvert.

5. Tentative de modélisation de solutions

5. 1. Modélisation dans la méthode

67Il apparaît donc que la première question à régler quand on travaille au casque concerne la qualité de la retranscription de la source dans celui-ci. Celle-ci s’avère essentielle pour permettre à l’interprète « d’oublier » le casque et de se retrouver dans un contexte le plus familier possible. Cet environnement doit lui permettre d’interpréter, dans le sens étymologique, sa création. Il faudra donc bien analyser ce que celui-ci entend, quelles sont ses habitudes et proposer des formules qui lui conviennent le mieux. On pourra s’aider de diagrammes qui donnent la qualité des répartitions fréquentielles sur le plan horizontal, vertical ou les deux.

68Il faudra donc attacher un soin à placer les micros dans des zones qui captent au mieux le timbre de l’instrument, pour la prise et aussi pour permettre un jeu aisé et agréable.

69On pourra donc être aussi amené à ajouter des micros pour recréer au mieux la perception naturelle de l’interprète.

70On pourra privilégier un principe de captation MS ou Omni, voire un système de prise de son de type tête artificielle si cela est possible. Si les moyens ne le permettent pas, on privilégiera plutôt dans le mix du casque, les micros de room qui ont une vision moins parcellaire du son que les micros de proximités.

71Ensuite, le degré de professionnalisme du musicien et son expérience seront déterminants dans le choix des solutions proposées, du mixage totalement pris en charge par l’ingénieur du son, à l’envoi de bus de mix dans des outils de mixages déportés sur réseau IP.

5. 2. Modélisation dans le matériel

72Comme nous l’avons évoqué, il faudra choisir son matériel. Nous pourrions aussi imaginer du matériel qui n’existe pas encore, ou dont je n’ai pas connaissance.

73Puisque les observations m’ont amené à penser que l’écoute au casque, peu naturelle, est génératrice de difficultés dans la reconnaissance des timbres, je suggère donc une solution technique.

74Nous pourrions imaginer un casque hybride, qui pourrait non seulement générer du son, mais aussi capter ce qui se passe au niveau des oreilles du musicien, permettant ainsi de réinjecter ce signal dans le mix parvenant au casque.

75Sur la base d’un casque fermé, un système de capteur de type omni, rajouté à l’extérieur de la coque, donc placé au niveau des oreilles, serait en théorie garant d’une captation assez conforme à celle perçue naturellement par le musicien. Puis un système de câblage double (in et out) permettrait à l’opérateur de récupérer cette source dans la console de mixage lui autorisant ainsi le dosage entre mix de monitoring et ambiance naturelle perçue au niveau des oreilles.

76On pourrait également imaginer que ce mélange puisse être géré directement par le musicien si un système autonome d’amplification ajustable du signal permettait de réinjecter directement cette source au mix fourni par l’opérateur.

77Un casque qui pourrait être finalement soit complètement ouvert (qui ne laisserait passer que le son naturel), soit complètement fermé (que le mix de l’opérateur) ou toutes les positions intermédiaires imaginables.

Citation   

Nicolas Hoste, «La séance studio d’enregistrement au casque», Revue Francophone d'Informatique et Musique [En ligne], n° 4 - Techniques et pratiques du studio audio, Numéros, mis à  jour le : 30/09/2014, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/rfim/index.php?id=364.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Nicolas Hoste

Directeur technique au Fil, ingénieur du son à Ohmnibus Studios, enseignant dans le master professionnel RIM, université Jean Monnet, Saint-Étienne, regie@le-fil.com