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L’image sonore : la présence invisible

Vincent Tiffon
mai 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.92

Résumés   

Résumé

La musique est par essence invisible. L’invention de l’écriture la rend visible. La seconde révolution technologique que constitue l’enregistrement la renvoie au domaine de l’invisible. Ce faisant, la musique de la vidéosphère retrouve une dimension corporelle, physique, conférée précisément par les potentialités propres de l’enregistrement et du microphone. L’organologie contemporaine conduit à développer des outils de visualisation du sonore. Plus globalement, les enregistrements diffusés sur haut-parleurs, en situation acousmatique comme le hors champ au cinéma ou au théâtre, ou encore la musique électroacoustique, mais aussi les enregistrements de sons environnementaux ou de musiques instrumentales enregistrées, concourent, par leurs qualités invisibles non instrumentées par l’œil, à développer nos capacités réceptives, plus encore que perceptives. Nous sommes en mesure de ressentir la présence du monde avec plus d’acuité.

Abstract

Music is by essence invisible. The invention of writing makes it visible. The second technological revolution, the one of recording sends it back into an invisible domain. In doing this, music of the videosphere rediscovers a corporal, physical dimension, conferred precisely by potentialities inherent to recording and the microphone. Contemporary organology leads to the development of tools for the visualising of sound. More globally, recordings projected through loud-speakers, in acousmatic contexts like the off-camera in cinema or the off-stage in theatre, or even more, electroacoustic music, and also recordings of environmental sound or recorded instrumental music, contribute, by their invisible qualities, non-instrumentated by the eye, to the development of our receptive capacities, even more than our perceptive ones. We are able to feel the presence of the world with more acuity.
Traduction Jeffrey Grice.

Index   

Texte intégral   

1Phénomène aérien, le son, par principe, appartient au domaine de l’invisible : une perturbation atmosphérique, pour reprendre les termes de Cage. Simple variation de la pression sur les membranes du tympan, le son surgit dans notre champ de perception, que son origine soit visible ou non. Par nature, le « sonore » peut s’affranchir du support visuel qui le génère. Mais si la propagation du son est toujours invisible, sa source causale peut être visible comme invisible. Tout homme qui tend l’oreille et qui peut identifier, qualifier, nommer ce qu’il entend par la vision de la source sonore, est alors dans une situation de reconnaissance qui le disposera à agir ou à se défendre. Dans ce cas, il y a adéquation entre ce qu’il perçoit par la vue et par l’ouïe. Dans le cas contraire, nos fonctions d’alerte sont activées. Du réflexe animal face au danger à l’écoute attentive de l’expert musicien, l’oreille exige le concours de l’œil pour comprendre le sonore ; on voit là qu’oreille et œil sont intimement liés. On peut dès lors opposer le son « visible » au son « invisible ».

2L’attention portée au son – consciente ou non, sélective ou non – n’est pas uniquement conditionnée par le caractère visible ou invisible de la source d’émission. Les sons environnementaux, urbains, ruraux ou industriels – que Murray Schafer nomme Low-Fi1 – correspondent à des empreintes sonores déjà enregistrées dans notre mémoire auditive. Bien que fondée sur des critères subjectifs, la perception devient alors un phénomène purement passif, inconscient. Alors même que ces sons sont invisibles, leur réception ne suscite aucune réaction d’alerte. A l’inverse et tout en restant invisibles, des sons isolés qui se détachent du « bourdonnement » sonore – que Murray Schafer nomme Hi-Fi – par leur morphologie, leur fréquence ou leur intensité, bousculent les repères de perception, perturbent la « sensation » auditive et déclenchent un travail de reconnaissance. L’invisibilité du son ne préjuge donc en rien de sa présence réelle, ni du degré de sa présence.

3En situation d’écoute aveugle, que l’on peut qualifier d’écoute « acousmatique »2, un son Hi-Fi conduit donc à activer nos fonctions d’alerte, elles-mêmes à l’origine de réactions émotionnelles (étonnement, surprise, effroi, émerveillement…) et de stratégies de reconstitution (par déduction, reconnaissance, etc.). Tout matériau sonore enregistré possèderait de ce fait une « présence invisible ». Ce qui pousse à s’interroger sur le processus qui donnerait au son cette forme de présence quasi réelle. Plus précisément, quels sont les dispositifs qui favorisent cette présence invisible du son ?

4Prenons l’exemple des sons qui deviennent musique, c’est-à-dire qui répondent à une organisation particulière, culturellement acceptée par un groupe social. Tout son est le produit d’une excitation d’un corps. L’histoire de la musique peut alors se confondre avec une organologie générale. Faire l’histoire de la musique occidentale revient à explorer la généalogie des supports qui ont rendu possible l’émission du son musical : le corps humain et la musique vocale ; les « instruments de musique », prothèses technologiques qui se perfectionnent au fil des ans, et la musique instrumentale ; l’électricité et la musique électroacoustique.

5Le phonographe a permis, pour la première fois, la captation du son. De nos jours, on peut geler ou emprisonner le son en le fixant ou en l’encodant sur un support analogique ou numérique (phonogramme, disque, cassette, disque compact, mini-disque, mémoire informatique). A la restitution du son encodé, la source d’émission disparaît ; le son est séparé de la cause qui l’a produit. L’illusion est si parfaite que l’auditeur reconnaît, sans difficulté aucune, non seulement l’origine du son, mais aussi l’identité du compositeur, l’instrument enregistré, les conditions d’enregistrement, etc. Cette illusion peut avoir lieu parce que l’auditeur a déjà fait l’expérience auditive de ce qu’il (ré)écoute. Le haut-parleur produit une image auditive presque parfaite. Le son écouté en situation acousmatique est donc susceptible de susciter des images auditives qui renvoient à la dimension visible du son : paraissant rapproché de sa cause, le son en devient presque préhensible. Paradoxalement, l’invisibilité du son en situation acousmatique renforce la dimension sensible de l’écoute. En reconstituant un son presque identique au son original, nous entrons dans l’univers de l’illusion : le son, invisible à l’œil mais audible, semble acquérir une plus grande présence. On comprend alors aisément pourquoi invisibilité, illusion et image sonore constituent des enjeux et des stratégies propres à de nombreux démiurges sonores contemporains. Les musiques des sons fixés sur support électronique, qu’elles soient issues de la synthèse sonore par ordinateur (Jean-Claude Risset, John Chowning) ou du traitement du son selon l’héritage de la musique concrète (Bernard Parmegiani, François Bayle) nous offrent de nombreuses expériences esthétiques basées sur l’illusion du timbre et de l’espace.

6Dans le cas de certaines musiques issues de la tradition concrète comme dans le cas des enregistrements des œuvres écrites sur partition, l’auditeur posté face aux haut-parleurs entend une image sonore. Le son enregistré est une reconstitution virtuelle de sons réels. Cette situation s’oppose d’ailleurs à la synthèse sonore, analogique ou numérique, pour laquelle le son est construit de toutes pièces. Cette image sonore n’est pas seulement une métaphore de ce qui existe virtuellement entre deux haut-parleurs : nous sommes véritablement capables de reconstituer la réalité de ce son écouté parce que nous avons déjà entendu ce son, ou parce que nous avons entendu un son voisin. Le son écouté en situation acousmatique laisse des impressions de présence sensorielle durables sur l’écoutant. Il semble que le son enregistré, image auditive – son virtuel – produit une présence plus forte, plus sensible qu’un son accompagné d’une image (ou plus exactement une image accompagnée par le son). C’est le paradoxe illustré par l’artiste Glenn Gould, paradoxe nommé « l’effet Gould » par les médiologues3. Le choix que fait l’interprète de l’enregistrement comme support à la transmission d’œuvres originellement conçues pour le concert place l’auditeur dans une relation de proximité avec les œuvres. D’autres raisons concourent à produire cet effet : l’amplification produit un effet de grossissement, qui accroît la charge émotionnelle du son ; Glenn Gould s’attache par ailleurs à élaborer une stratégie de présence médiatique très efficace (participation à des émissions télévisuelles ou radiophoniques, interviews données à des médias divers…). De plus, l’interprète prend le parti de réintroduire le corps absent du support électronique, et, choisissant délibérément de placer les micros très près des cordes, il inscrit sa propre voix sur l’enregistrement4 qui garde la trace également de la mécanique du piano5. Aussi l’écoute d’un enregistrement nous rapproche-t-elle singulièrement du corps de l’artiste.

7Le son au cinéma possède ce même statut de « clandestinité »6. Il renvoie en effet à un travail souterrain que l’on ne remarque pas, invisible, lui aussi. Le spectateur ne prête pas attention à la bande-son au cinéma, sauf lorsque qu’elle fait défaut ou contrarie ses habitudes d’écoute. C’est le cas du son direct tel qu’il est utilisé par les réalisateurs de la Nouvelle vague (même s’il n’y a aucun son direct dans A bout de souffle de Godard), et aussi par Jacques Tati, Robert Bresson ou Andreï Tarkovski. La bande son est alors revendiquée comme le moyen de rendre plus visibles les présupposés esthétiques filmiques. Elle concourt aussi à faciliter la compréhension d’une intrigue, ou bien encore à aviver le sentiment d’attente du spectateur... Le cinéma de Jacques Tati en est un exemple emblématique : le son donne à voir les images, alors que les sons de ses films, comme d’ailleurs la plupart des sons au cinéma, ne sont pas des enregistrements réels de la scène filmée : « le son est la chair de l’image »7.

8L’invention de l’enregistrement a conduit, selon Daniel Deshays, à rapprocher les deux « sens de la distance » (l’ouïe et la vue) des « trois sens de la proximité » (l’odorat, le toucher, le goût). Les technologies de l’enregistrement de la vidéosphère – contraction pour les médiologues d’« audiovidéosphère » – ont élargi notre champ de perception sonore : le grossissement du micro nous donne à entendre la morphologie intime des sons, comme dans les Variations pour une porte et un soupir – Balancement de Pierre Henry. Le micro couplé à l’enregistreur, lui-même relayé par le haut-parleur, nous permet de toucher du doigt les sons. Ces outils nous les rendent visibles, tout au moins plus proches, plus accessibles et accroissent leur charge émotionnelle et affective.

9Le son enregistré, son invisible, écouté en situation acousmatique, nous place ainsi du côté de l’affect. Par quel processus de perception s’opère ce glissement ? Dans la mesure où l’on ne peut pas reconnaître un son que l’on n’a jamais entendu, notre perception, à l’écoute de sons véritablement inouïs, procède par approximations successives entre le reconnaissable et le presque reconnaissable. Elle s’attache à relier l’inouï à du déjà connu. De fait, les musiques qui s’emploient le plus à nous faire entendre du « jamais entendu », à savoir les musiques électroniques, électroacoustiques et acousmatiques, font toujours plus ou moins référence à du déjà entendu. En dehors de ces musiques spécifiquement conçues par et pour l’enregistrement, tous les autres sons enregistrés sont connotés, de sorte que l’on peut se dispenser de la vision pour écouter des sons enregistrés. Le son enregistré, image sonore, son invisible, n’est donc pas moins reconnaissable qu’un son associé à l’image, bien au contraire. Modelé par ce que François Bayle appelle l’i-son, l’image de son8, notre imaginaire relie cette perception du son à une reconnaissance : le son enregistré met en jeu la dimension corporelle, sensitive, affective de notre être9. Ecouter à l’aveugle revient à écouter davantage le monde par nos sens. Parce que le son enregistré est invisible et s’oppose en cela au son du concert qui, lui, est visible, nous basculons dans le domaine du corps, de l’affect, et de la présence réelle du corps. Ainsi, le son enregistré est-il un son de l’intime. L’invisibilité du son nous renvoie à la dimension la plus sensuelle de la musique. Aussi n’est-il pas étonnant que les musiques spécifiquement destinées à l’enregistrement (celles de la vidéosphère) comme les musiques électroniques, électroacoustiques et/ou acousmatiques suscitent des réactions affectives, parfois même émotives, et nous renvoient à des pratiques cultuelles de la musique (celles de la logosphère), qui retrouve sa dimension sacrée.

10La musique acousmatique et, par extension, toutes les musiques des sons fixés sur support sont des musiques pour lesquelles l’oreille n’est pas instrumentée par l’œil. La musique acousmatique s’inscrit dans l’histoire de la musique occidentale dans ce mouvement de flux et de reflux de l’oreille instrumentée ou non par l’œil. Au chant grégorien et à l’orgue d’église de la logosphère, deux pratiques cultuelles et musicales pour lesquelles l’oreille n’est pas liée à l’œil, succède l’invention de l’« artifice d’écriture » qui affirme la prégnance du couple œil/oreille. En graphosphère, le visible est placé au cœur du processus musical, dans la création comme dans la perception, chez le compositeur comme chez l’auditeur, au travers de la partition graphique comme de la présence de l’orchestre exhibé face au public. Dans notre culture occidentale, l’invisible de la musique est instrumenté par l’œil dans la période historique dominée par la partition, les interprètes, le concert. Avec la musique acousmatique, née de l’enregistrement qui postule l’invisibilité du son comme condition d’un imaginaire sonore, nous retrouvons la disjonction entre l’œil et l’oreille. La position de l’écouteur aveugle permet d’atteindre un degré de symbolisation en vidéosphère que l’écriture graphique permettait en graphosphère.

11Aujourd’hui, face à l’invisible du son, la tentation est forte de vouloir représenter le signal sonore. De nouveau, l’œil vient au secours de l’oreille : appareils de mesure, logiciels de représentation10, réalisations multimédias pour offrir des « écoutes signées »11… sont là pour nous permettre d’approcher ce qui échappe à toute représentation visuelle. On voit ainsi se développer des « produits » multimédias proposant des transcriptions graphiques via des interfaces informatiques12 qui remettent à l’honneur le couple œil/oreille. Ce faisant, l’oreille est réinstrumentée. Notons enfin que lorsque l’on cherche à décrire les sons sans l’aide de transcription graphique ou annotations diverses, on use souvent de métaphores visuelles13, comme pour tenter de rendre le son plus physique, plus tangible, plus préhensible.

12Si le son enregistré est une trace matérielle en tant qu’il est inscrit sur un support, en revanche, dès qu’il est entendu, il devient un signe. Une telle présence invisible n’est pas sans rapport avec la dimension sémiotique du son enregistré. Charles Senders Peirce classe les signes en trois catégories14 : l’icône, l’indice, le symbole. Si on applique ces caractéristiques aux sons issus d’un enregistrement, c’est-à-dire à l’image sonore, on est tenté d’en conclure rapidement que la dimension indicielle du son enregistré est première, puisque qu’il existe une exactitude presque parfaite entre le son modèle et le son représenté, entre le son non encore enregistré et le son enregistré. L’auditeur d’un son enregistré semble privilégier l’indice dans la relation entre le son et sa signification. En cherchant les indices de ce son, l’auditeur construit sa compréhension du son enregistré, notamment en tentant d’en identifier la cause. On doit en revanche souligner que la dimension symbolique est assez éloignée de l’image sonore, même si l’écoute des sons enregistrés, doublement invisibles, nous place potentiellement dans le processus de symbolisation. Dès lors, comment expliquer que les sons enregistrés puissent aussi relever du champ musical ?

13Arrêtons-nous sur cette question du symbole. Le symbolon est cet objet qui, partagé en deux, permet le processus de reconnaissance lorsqu’il est de nouveau rassemblé15. Or, la musique acousmatique, diffusée en concert, crée les conditions de la dimension symbolique du sensible, puisqu’il y a volonté de partage entre le créateur et son public via la médiation des haut-parleurs. Les sons invisibles projetés sont offerts en partage dans l’espoir qu’une connexion puisse s’établir, ce qui rendrait accessibles à la connaissance des éléments encore cachés16. A ce titre, c’est l’auditeur qui crée l’œuvre. La musique est alors ce symbole encore énigmatique, qui, diffusé via le dispositif du concert – ce médium de transmission – prendra tout son sens lorsque l’auditeur aura parcouru l’autre moitié du chemin. On comprend mieux l’importance de l’interprète dans ce processus. Le médium du concert n’a d’efficacité qu’avec un officiant, l’interprète, à même de proposer des parcours, des trajectoires et des chemins vers ce partage indispensable à la reconnaissance de l’œuvre. Il devient donc évident que les musiques doublement invisibles fixées sur un support audio – comme les musiques électroniques, électroacoustiques, acousmatiques, etc. – nécessitent la médiation des interprètes pour rendre effectif et efficace ce partage17. Le dispositif du concert joue sur la notion de présence invisible des sons. Les musiques acousmatiques, par la présence invisible des sons et grâce à l’infrastructure du concert, visent à la construction de symboles. Curieusement, l’art des sons fixés, conçu dans la vidéosphère, s’adapte à la diffusion de concert, pour mieux restituer notamment la dimension de l’espace et ainsi produire du symbole. Nous retrouvons ici l’« effet Gould » ou « paradoxe Gould », processus par lequel un individu, un groupe ou un genre musical adopteront les caractéristiques d’une nouvelle médiasphère pour mieux défendre les enjeux de l’ancienne.

14Pour rendre cette présence invisible efficace, nous avons vu comment les musiques se fondent sur des infrastructures techniques et institutionnelles. Ces infrastructures, matérielles comme immatérielles, que l’on peut nommer les médiums de la musique, sont des conditions nécessaires mais non suffisantes à la constitution de formes symboliques. L’étude de ces médiums est l’objet même de la médiologie18 : cette méthode d’observation vise précisément à rendre visibles ces infrastructures cachées. En observant les médiations techniques de la musique et ses interactions avec son milieu, la médiologie permet de faire émerger ce qui est dissimulé par essence. Ces vecteurs techniques deviennent transparents car ils sont hyper-intégrés dans notre environnement et assimilés par notre perception. L’omniprésence des vecteurs techniques induit ainsi leur transparence : on constate en effet que tout médium est appelé à disparaître19 et qu’une transmission réussie est une transmission qui se fait oublier20, comme une route confortable est celle que l’on ne remarque pas, un film réussi techniquement celui dont on ne repère pas les montages. Mais une transmission de qualité passe aussi par un transport du signe : à partir de 1887, l’enregistrement est un médium de fixation et de stockage, qui devient de surcroît, à partir de 1948, un médium de création du son21, tout en étant un médium de transmission et de transport. Cette polyvalence ne peut pas être sans incidence sur le type d’artefact qu’il peut produire.

15Ecrire l’histoire de l’enregistrement et étudier les spécificités qui lui sont propres révèlent comment il participe à la création de nouvelles présences invisibles – comme la musique acousmatique –, et comment, a contrario, une telle invention peut être suscitée par les exigences des créateurs, toujours désireux de trouver de nouveaux moyens de mise en œuvre de ces présences invisibles. Nous retrouvons les conclusions des travaux de Leroi-Gourhan qui inspirent tant les médiologues : l’étude des relations entre créateurs, auditeurs et musique nous rappelle comment l’homme invente la technique, et comment la technique invente l’homme.

Notes   

1  « Low Fidelity », Cf. Robert MurraySchafer, Le Paysage sonore, traduction Sylvette Gleize,Paris, J-C. Lattès, 1979, 388 p.

2  L’écoute « acousmatique » est la situation dans laquelle l’auditeur ne peut pas visualiser la cause du son : l’écoute en casque ou à partir de haut-parleurs est une écoute acousmatique. Le terme « acousmatique » proposé par Peignot en 1960 « pour en finir une bonne fois avec l’expression “musique concrète”, fait référence à Pythagore qui demandait (durant cinq années) à ses disciples de l’écouter caché derrière un rideau ». Cf. Jérôme Peignot, « De la musique concrète à l'acousmatique », in Esprit n°280, Paris, janvier 1960, p. 116.

3  L’effet Gould est expliqué – sans qu’il soit nommé ainsi – chez Denis Laborde, De Jean-Sébastien Bach à Glenn Gould. Magie des sons et spectacle de la passion, Paris, L’Harmattan, 1997. Dans Transmettre, Paris, Odile Jacob, 1997, 143 p., Régis Debray fait allusion à cet effet que je commente à mon tour plus longuement dans « Pour une médiologie musicale comme mode original de connaissance en musicologie », in Filigrane n°1, Sampzon, Editions Delatour, 1e semestre 2005, p. 132-133.

4  On retrouve cette manière plus tardivement chez d’autres musiciens, notamment en jazz avec Keith Jarrett.

5  Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter notamment la septième des Variations Goldberg BWV988 de Jean-Sébastien Bach, avec Glenn Gould au piano, CD CBS/SONY, 1981.

6  Pour reprendre les termes de Daniel Deshays lors de sa conférence : « l’image sonore », conférence Université de tous les savoirs, 18 juillet 2004, disponible via http://www.tous-les-savoirs.com [consulté le 08/08/2005].

7  Idem, à 35’37.

8  Cf. François Bayle, L’image de son, technique de mon écoute, Klangbilder, Technik meines Hörens,Münster, Lit Verlag, 2003, 234 p. livre bilingue.

9  Pour s’en convaincre, écouter François Bayle Camera Obscura (1977), CD vol. 14, 2000, MGCB 140, 275 112.

10  De nombreux logiciels commerciaux gratuits ou payants postulent le couple œil/oreille comme indissociable pour la création musicale. Dans le champ de l’analyse, là encore, les logiciels sont nombreux, à commencer par l’Acousmographe de l’INA/Grm ou Audiosculpt de l’IRCAM.

11  Nicolas Donin, « Manières d’écouter des sons. Quelques aspects du projet Ecoute signées de l’IRCAM », DEMéter, Université de Lille-3, août 2004, disponible via http://www.univ-lille3.fr/revues/demeter/manieres/donin.pdf [consulté le 07/08/2005]. Nicolas Donin a ainsi donné pour la revue DEMéter une écoute signée d’une interprétation de Samson François : « Samson François jouant Noctuelles : notes de lecture », DEMéter, Université de Lille-3, août 2005, disponible via http://www.univ-lille3.fr/revues/demeter [consulté le 07/08/2005] :cliquer sur [article en ligne] puis sur [interprétation].

12  Pour s’en convaincre, cf. Pierre Couprie, « Analyse comparée des Trois rêves d’oiseau de François Bayle », Revue DEMéter, mars 2003, Université de Lille-3, disponible via http://www.univ-lille3.fr/revues/demeter/analyse/couprie.pdf [consulté le 07/08/2005] ; Cf. également les transcriptions ou annotations de sonagrammes dans La musique électroacoustique, CD-ROM, Paris, Editions Hyptique.net/INA-GRM (coll. Musiques tangibles n°1), 2000. [Volet « Entendre »], ou encore les analyses et écoutes interactives du GRM, disponible via http://www.ina.fr/grm/acousmaline/polychromes/index.fr.html [consulté le 07/08/2005].

13  Comme le rappelle très justement Gianni Zanarini, « Le son musical », in Jean-Jacques Nattiez (éd.), Musiques, une encyclopédie pour le XXIe siècle : Tome 2, Les savoirs musicaux, Arles, Actes Sud, 2004, p. 49.

14 Peirce Charles Seders, Ecrits sur le signe, Paris, Seuil, 1978, 262 p.

15  Cf. notamment Bernard Stiegler, De la misère symbolique, 1. L’époque hyperindustrielle, Paris, Galilée, 2004. et Bernard Stiegler, De la misère symbolique, 2. La catastrophè du sensible, Paris, Galilée, 2005.

16  Sur ces questions de la dimension symbolique des musiques acousmatiques, cf. Mickael Masclet, Musique acousmatique et symbolisation, Mémoire de DEA de l’Université de Lille-3, sous la direction de Joëlle Caullier et Vincent Tiffon, octobre 2004.

17  Nous avons parfaitement conscience que certaines musiques électroacoustiques n’ont pas recours à des interprètes. Pour autant, il n’est pas dit qu’elles atteignent leur cible.

18  Cf. Régis Debray, Introduction à la médiologie, Paris, PUF, 2000, 223 p. Vous trouverez un descriptif de ce que pourrait être une médiologie musicale dans Vincent Tiffon, « Pour une médiologie musicale comme mode original de connaissance en musicologie », op. cit.

19  Cf. Daniel Bougnoux, « Si j’étais médiologue », in Les cahiers de médiologie n°6, Paris, Gallimard, 1998.

20  Régis Debray, Par amour de l’art, une éducation intellectuelle, Paris, Gallimard, 1998, p. 321.

21  Avec Pierre Schaeffer et Pierre Henry et la musique concrète à la RTF de Paris. On pourrait aussi penser antérieurement à Week-end de Walter Ruttmann, film sans image, créé en 1930.

Citation   

Vincent Tiffon, «L’image sonore : la présence invisible», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Traces d’invisible, mis à  jour le : 25/05/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=92.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Vincent Tiffon

Agrégé et docteur en musicologie, Vincent Tiffon est maître deconférences à l’Université de Lille-3. Spécialiste de l’histoire et de l’analyse des musiques électroacoustiques et mixtes, il développe parallèlement des travaux liés à la médiologie musicale, pour analyser les incidences de l’invention de l’enregistrement sur la création et l’écoute musicale : c’est l’objet de son Habilitation à diriger des recherches. Il est publié dans Les Cahiers du Cirem, Les Cahiers de médiologie, Musurgia, Analyse musicale, DEMéter, MEI (Médiation et communication), AAA/TAC (Acoustic Arts & Artifacts/ Technology, Aesthetics, Communication). Il a dirigé la publication La musique électroacoustique : un bilan, Lille, Edition du ConseilScientifique de l’Université de Lille-3, 2003). Il est également directeur-adjoint du Centre d’Etude des Arts Contemporain, et directeur fondateur de la revue électronique DEMéter (http://www.univ-lille3.fr/revues/demeter).