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Musique et expériences : éthique du partage des expériences dans Chantal, ou le portrait d’une villageoise de Luc Ferrari

Alejandro Reyna
mars 2019

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.891

Résumés   

Résumé

À travers les questions de Luc et Brunhild Ferrari, lors d’une rencontre l’été 1976 dans les Corbières, Chantal nous raconte patiemment sa vie au village. Devant ses interviewers, elle modèle toute cette information sensible, qui provient du passé, sous forme de récit. Dans son effort pour ramener à l’actuel ce passé, avec le mouvement émotionnel entrainé en elle, Chantal attribue des mots aux sensations, ordonne à sa manière les évènements les uns derrière les autres, les articule dans la forme d’une histoire. Chantal s’engage alors humainement.
Raconter ses expériences, ou celles qui nous ont été rapportées, constitue, d’après la pensée de Walter Benjamin (Charles Baudelaire: un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, traduit par Jean Traduction Lacoste, Paris, France, Éditions Payot & Rivages, 2002, p. 155) : « La où domine l’expérience au sens strict, on assiste à la conjonction, au sein de la mémoire, entre des contenus du passé individuel et des contenus du passé collectif ». Cette idée implique, dans notre exemple, qu’il ne s’agit pas seulement de l’expérience individuelle de Chantal. Son récit met en jeu nos propres expériences qui résonnent à partir du vécu raconté de Chantal.
Composer avec ces histoires, chercher une continuité entre ces vécus et une forme musicale supposent de la part de Luc Ferrari une démarche éthique : un effort pour construire un sens collectif à travers le partage des expériences subjectives.

Index   

Texte intégral   

Introduction

1Dans Chantal, ou le portrait d’une villageoise, Luc Ferrari présente simultanément une œuvre musicale et une histoire de vie, ou plutôt, un développement musical accompagné par l’exercice d’une personne qui essaie de se raconter. À travers les questions de Luc et Brunhild Ferrari, on cherche à comprendre le vécu de Chantal, lors d’une rencontre à l’été 1976 dans les Corbières. Avec ses 22 ans à l’époque, Chantal nous racontera, parmi d’autres événements, sa grossesse en étant jeune, les difficultés vécues face aux différentes épreuves de sa vie au village ; accompagnée tout ou long de l’œuvre par des enregistrements des mélodies des guitares, qui se déconstruiront au fur et à mesure que la rencontre avancera1.
Devant ses intervieweurs, et devant nous, Chantal raconte son expérience. Elle modèle toute cette information sensible, qui provient du passé, sous forme de récit. Dans son effort pour ramener à l’actuel ce passé, avec le mouvement émotionnel que cet effort entraîne en elle, Chantal attribue des mots aux sensations, ordonne à sa manière les événements les uns derrière les autres, et les articule dans la forme d’une histoire. Chantal s’engage alors humainement.
Raconter ses expériences, ou celles qui nous ont été rapportées, constitue, d’après la pensée de Walter Benjamin, un pilier de notre construction sociale. À ce propos, le philosophe écrit : « Là où domine l’expérience au sens strict, on assiste à la conjonction, au sein de la mémoire, entre des contenus du passé individuel et des contenus du passé collectif2. » La notion de conjonction, entre des contenus du passé individuel et du passé collectif, implique, dans notre exemple, qu’il ne s’agit pas seulement de l’expérience individuelle de Chantal. Son récit met en jeu nos propres expériences, qui résonnent à partir du vécu raconté de Chantal.
Composer avec ces histoires, chercher une continuité entre ces vécus et une forme musicale, suppose de la part de Luc Ferrari une démarche éthique : un effort pour construire un sens collectif à travers le partage des expériences subjectives.

1. Musique et expériences

« Music in which real-world sounds provide both material and subject can purposefully look back in reality; it reveals a compositional concern to explore the timbres of recollected experience as much as the timbre of recorded sounds3. »

2Notre raisonnement peut prendre comme point de départ cette idée de Katharine Norman. Dans ce sens, la composition de Luc Ferrari, où les sons du monde réel procurent « aussi bien des matériaux que des sujets », explore tout autant les timbres des sons enregistrés que les « timbres » de nos expériences.
La complexité sémantique et le poids philosophique du terme « expérience » suggèrent quelques commentaires concernant son utilisation. Dans son article « Expérience » pour l’Encyclopédie Universalis, Pascal Engel écrit :

« On s’accorde en général pour attribuer aux états mentaux que nous appelons des expériences les caractères suivants. En premier lieu, elles sont immédiates, au sens où les données qu’elles nous présentent appartiennent à une conscience actuelle (ici et maintenant) et paraissent primitives, c’est-à-dire ne requérir la médiation d’aucune connaissance conceptuelle ou propositionnelle. Elles relèvent, pour reprendre une distinction de Russell (1912), d’une forme de connaissance “directe” ; par opposition à des formes de connaissance “par description” ou par inférence.
En deuxième lieu, leurs contenus sont intrinsèquement qualitatifs. Avoir une douleur, une sensation de rouge, ou percevoir un objet coloré, c’est éprouver une certaine qualité phénoménale, dont la nature est telle qu’elle apparaît d’une certaine manière à celui qui l’éprouve […].
En troisième lieu, les expériences semblent être essentiellement privées, au sens où leurs contenus paraissent propres à celui qui les éprouve, qui est seul à pouvoir les vérifier, à travers une forme de connaissance privilégiée introspective, et par conséquent incommunicable.
En quatrième lieu, nos expériences conscientes sont, en un certain sens, infaillibles. Nous pouvons certes nous tromper sur leur contenu ou leurs objets (comme quand nous éprouvons des illusions visuelles ou des hallucinations), mais nous ne pouvons pas nous tromper sur le fait que nous les avons4. »

3Selon Engel, les états mentaux que nous appelons expériences se caractérisent par : être immédiats, intrinsèquement d’ordre qualitatif, privés (et donc quelque part incommunicables) et infaillibles (dans le sens où nous sommes sûrs de les avoir eus). Quand nous parlons des expériences subjectives des auditeurs, nous faisons référence à ce complexe sensible qui revient et évolue dans nos vies quotidiennes.
Le titre « musique et expériences » semble être contradictoire dans ce sens, du moment où l’écoute musicale est, elle aussi, une expérience. Il faut alors souligner qu’avec la catégorie « expériences » nous cherchons à faire référence aux informations sensibles provenant d’un passé qui s’oppose par cette antériorité au présent musical de l’œuvre. L’expérience musicale existe au présent : une œuvre musicale se déploie par rapport à elle-même, sans rapport à un passé ou à un avenir autres que sa propre évolution. Dans notre travail, par « expérience », nous voulons alors nous référer à toute la charge du vécu que l’auditeur amène au développement clos de la musique, qui se différencie de l’évolution morphologique du sonore par sa dimension humaine.
Partant de l’utilisation des sons du monde, aussi bien en tant que matériaux qui structurent la forme musicale que sujets (ou « êtres sonores5 »), l’auditeur reconnaît quelque chose dans les œuvres de Luc Ferrari. Notre vécu entre en résonance avec l’anecdotique ferrarien qui nous mène à déverser nos expériences subjectives à l’intérieur des œuvres. L’œuvre incorpore alors ces expériences : il y a un mouvement de projection depuis la subjectivité des auditeurs. Les expériences des auditeurs sont ainsi délibérément invoquées et intégrées. Dans cette projection, ces expériences sont quelque part revécues émotionnellement, sont réexplorées, se réorganisent autrement à partir de leur nouvelle existence en musique.

Ferrari et les images

4Cette recherche d’une projection des expériences des auditeurs, en faisant appel à nos images, apparaît dès Hétérozygote, encore timidement, comme nous pouvons le lire dans les brouillons personnels du compositeur en vue du programme : « L’anecdote est pourtant assez peu formulée, et est susceptible de diverses interprétations. L’auditeur est alors invité à s’imaginer sa propre anecdote en rejetant – si besoin est – celle que l’auteur propose6. » Cette idée est encore plus explicite dans l’édition vinyle de l’œuvre datée de 1969 :

« Un jour, je suis parti pour des raisons que je n’expliquerai pas, avec un magnétophone qui n’était pas à moi. J’ai voyagé, pas très loin, mais beaucoup et j’ai enregistré des choses de la vie. Ainsi est né “Hétérozygote”, c’était la première pièce d’un genre que j’ai appelé musique anecdotique. […] L’emploi d’éléments réalistes me permettait de raconter une histoire, ou permet à l’auditeur de s’inventer des images, car le montage propose des ambiguïtés […]. Ce qui m’intéresserait, c’est qu’Hétérozygote me soit raconté par d’autres qui m’en écriraient l’histoire et qu’ainsi le disque ne soit pas un objet abstrait, mais qu’il soit un échange vivant7. »

5Dans ses déclarations des années 1960, nous pouvons entrevoir les prémices d’une recherche qui sera poursuivie tout au long de sa carrière de compositeur. Nous y trouvons la volonté d’enregistrer des « choses de la vie », de raconter des histoires de manière ambiguë, permettant ainsi à l’auditeur de s’inventer ses propres images. Nous y percevons aussi la volonté qu’Hétérozygote puisse lui être racontée par d’autres, qui (ré)écriraient l’histoire, faisant du disque un échange et non pas seulement un objet abstrait. Luc Ferrari considère les mondes internes des auditeurs, ils font partie de sa réflexion artistique : le montage volontairement ambigu, qui cherche à faire jaillir ses images, va dans ce sens. La musique devient pour lui intéressante en raison de « l’échange vivant » qu’elle peut produire : d’un côté, Luc Ferrari raconte sa vie en musique ; de l’autre, des choses de la vie des auditeurs lui sont « racontées », en récrivant successivement l’histoire.
Trente-cinq ans plus tard, dans un entretien publié en 2005 dans la revue Mouvement, à propos du rapport qu’il entretient avec les images, Luc Ferrari déclarait :

« Je ne fais pas d’images, mais je suis fasciné par le métier de l’image : quand on commence à faire des lumières sur la scène, par exemple, je suis fou. C’est aussi pour ça que j’aime les concerts d’improvisation : là, on peut faire vraiment gicler les lumières. Et puis le cinéma m’a toujours passionné. Tout ça, c’est un côté de l’image. L’autre côté, c’est lorsque, comme vous le dites, on n’a plus besoin d’images parce qu’il y en a dans le son. Le son, c’est encore plus subtil que l’image parce que ce n’est pas net, il y a du flou, ça peut être quelque chose qu’on croit reconnaître, mais dans ce qu’on croit reconnaître, il y a dix possibilités. Tout cela fait que je joue avec le parachutage d’images, comme un accordéon – on s’éloigne, on se rapproche – ou comme un éventail – on déploie, on referme. Si j’introduis dans l’orchestre des sons réalistes, par exemple, d’un seul coup, les musiciens ont une autre dimension, ce qu’ils font ne résonne pas de la même manière, et ça devient fabuleux, ça permet de s’envoler – et moi, je n’attends que ça. Cela me passionne toujours, bien que je fasse cela depuis un peu plus de quarante ans… À l’époque où j’ai commencé, Schaeffer travaillait sur son Traité des objets musicaux, dont je me suis démarqué avec Hétérozygote, qui a fait son petit scandale, parce que j’y mélangeais l’abstrait et le concret, ou plutôt l’abstrait et le réaliste8. »

6C’est une recherche qui transverse la carrière du compositeur. Cet « autre côté » des images qui se parachutent à partir du son, qui arrivent et s’éloignent comme un accordéon, qui se déploient et se referment comme un éventail. D’où viennent ces images si ce n’est de notre subjectivité ? Ce sont des images qui remontent d’un passé, avec leur sensible, leurs émotions, et qui reviennent habiter l’œuvre. Elles s’enrichissent alors dans chaque nouvelle apparition-réinterprétation.
Il y a alors une rétro-modification, mais aussi une rétro-alimentation, entre musique et expériences. D’un côté, dans leur réapparition au sein de la musique, nos expériences gagnent en richesse, en nouveaux sens ; de l’autre, la musique résonne autrement, comme le dit Luc Ferrari lui-même : « Si j’introduis dans l’orchestre des sons réalistes […] d’un seul coup les musiciens ont une autre dimension, ce qu’ils font ne résonne pas de la même manière […]. » La musique gagne en épaisseur esthétique parmi nos expériences, de la même manière que nos expériences « résonnent » autrement parmi la musique de Luc Ferrari. La superposition de ces deux « mondes » les complexifie esthétiquement, trace des continuités entre leurs limites.
Se saisir de ces univers personnels, inévitablement présents face aux sons du monde, est une manière pour Luc Ferrari de concevoir l’œuvre musicale. Peu importe que les associations des auditeurs soient impossibles à connaître ou à mesurer, le succès de l’œuvre ne tient pas à cela. La recherche est de faire de l’œuvre un échange vivant, comme un aller-retour entre les sons et les expériences qui jaillissent.

2. Partage du vécu et lien humain

7Le partage de nos expériences est une activité humaine qui excède le cadre de la musique. Au quotidien, d’un côté, nous nous exprimons tout en recherchant des correspondances avec le monde des autres, avec leurs propres expériences. En tant qu’auditeurs, de l’autre côté, il arrive que le récit entendu résonne en notre vécu par moments, ce qui permet de dimensionner autrement l’expérience qui nous est racontée. Comme l’explique à ce propos Norman :

« Même les lignes que nous dessinons dans les conversations quotidiennes sont des récits en va-et-vient en permanence de la mémoire vers le présent, en boucle et à la dérive sans but. […] À tout moment, on se raconte des histoires sur des vies ordinaires qui sont en fait des récits expérientiels profondément ancrés, organisés et réorganisés […]. Et le son est juste un des nombreux points de départ. Nous arrivons à l’autre par un échange constant de ces extraits apparemment sans conséquence des informations banales, envoyés comme des missiles de mémoire cherchant à localiser des points de contact, toujours au risque de ne trouver aucune réponse. Mais en tant qu’auditeurs, nous essayons d’en fournir une9. »

8En effet, le narrateur cherche à faire résonner l’expérience commune. Il est à la recherche des ponts pour mieux se faire comprendre. De même quand nous écoutons ses histoires, nous essayons de trouver en nous des expériences similaires qui puissent nous permettre de vivre, plus intensément, l’expérience qui nous est racontée. Avec nos récits quotidiens, il s’agit alors de communication, du lien.
Walter Benjamin soulève l’importance du récit dans la construction de notre lien social. Dans le texte « Le conteur », de 1936, Benjamin théorise le rôle du récit dans notre construction humaine : celui de véhiculer l’échange de nos expériences. C’est à travers les histoires que nous nous racontons que nos apprentissages se transmettent, plus ou moins ouvertement, de personne en personne, de génération en génération : « Le conteur tire ce qu’il raconte de l’expérience, de la sienne propre et de celle qui lui a été rapportée. Et il en fait à nouveau une expérience pour ceux qui écoutent ses histoires10. » Le récit est ainsi véhicule de nos expériences qui, transmises dans le temps, consolident un pilier dans la construction de notre mémoire collective :

« On peut en effet poursuivre plus loin et se demander si la relation que le conteur entretient avec sa matière, la vie humaine, n’est pas elle-même une relation artisanale. La tâche du conteur ne consiste-t-elle pas justement à façonner la matière brute de l’expérience – étrangère et personnelle – d’une manière solide, utile et unique11 ? »

9Par son récit, le conteur transmet plus ou moins ouvertement un message, un apprentissage, une information, dans tous les cas, utile au collectif. Cette expérience, façonnée à travers le temps, est retransmise et retravaillée : revécue à travers ses successives narrations. C’est ce que le philosophe définit comme Erfahrung ou « genuine experience » ou « per se »12. À propos de la notion d’Erfahrung, dans son livre consacré à la radiophonie et Walter Benjamin, Philippe Baudouin écrit :

« […] l’expérience s’inscrit dans une temporalité commune à plusieurs générations, et suppose donc une tradition partagée et reprise dans la continuité d’une parole transmise de père en fils. Ensuite, cette tradition n’est pas seulement d’ordre religieux ou poétique, mais débouche aussi, nécessairement, sur une pratique commune. Les histoires du narrateur traditionnel ne sont pas simplement entendues ou lues, mais elles sont écoutées et suivies, entraînant par là même une véritable formation valable pour tous les individus d’une même collectivité13. »

10Au concept d’Erfahrung, Benjamin confronte celui d’Erlebnis. En opposition à l’expérience riche collectivement, Erlebnis est un vécu individuel, vide de tout contexte, inutile à la demeure commune. À propos de ce type d’expérience, Berdet écrit :

« Cette expérience vécue (Erlebnis) propre à la modernité urbaine empêcherait par son rythme machinal, ses bavardages journalistiques et ses mouvements de foule – bref son caractère réifiant – l’“image persistante, pour ainsi dire spontanée”, qu’ailleurs la saveur d’une madeleine ressuscite. L’Erlebnis est l’expérience quasi biologique d’un présent infini qui exclut l’expérience authentique telle qu’elle se rapporte à l’histoire (Erfahrung) et, partant, à la mémoire “persistante” faite d’images14. »

11La même idée est expliquée par Duhautpas et Solomos :

« Pour expliquer cette idée, [Benjamin] a introduit une distinction entre Erlebnis, qui peut être traduit par “l’expérience vécue” et Erfahrung, “expérience en soi” ou “authentique” (Benjamin, 1939). Le mode d’expérience spécifique dans le nouveau monde est déterminé par la croissance de la technologie (y compris les caractéristiques telles que la vitesse et la circulation de l’information), qui établit Erlebnis, un type d’expérience inscrite dans la réaction primaire au moment présent et éphémère, au détriment d’Erfahrung, qui introduit la possibilité d’une mémoire collective et continue15. »

12Erlebnis est alors une expérience isolante qui dissocie l’activité individuelle du collectif, qui fait appel à l’immédiateté de nos sensations. Un exemple du partage de ce type d’expérience est décrit par Sheringham, à propos du livre de Philippe Delerm, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, il écrit :

« […] à lire Delerm, on a l’impression de se trouver face à une série de publicités vantant on ne sait trop quel produit. […]. La prose séduisante de Delerm, qui s’attache aux gestes, aux rituels, aux sensations, atteint immanquablement son but, provoquant de vrais frissons de reconnaissance. Son épicurisme a cependant pour effet d’isoler les expériences, de les extraire du cours de l’existence. […] chaque îlot d’expérience, enveloppé individuellement, dans son propre fragment textuel, occulte le reste de la vie. […] Toute approche du quotidien comme dimension de l’expérience faisant partie d’une totalité plus vaste est ici remplacée par une plénitude stable, cohérente, éphémère, mais connaissable16. »

13Par conséquent, ce n’est pas parce qu’une expérience de vie est partagée qu’il y a nécessairement un sens collectif qui en découle ; ce qui explique la différence entre Erfahrung et Erlebnis.
À partir de Walter Benjamin, nous pouvons comprendre l’importance du récit dans notre construction sociale, son rôle à jouer pour notre mémoire collective. Nous pouvons comprendre l’importance d’Erfahrung, c’est-à-dire de l’expérience créatrice de lien social, qui véhicule des valeurs qui dépassent les générations et les intérêts individuels.
Luc Ferrari s’insère dans ce mouvement. Sans en appeler à l’autorité des anciens, il partage d’une certaine manière son expérience à travers sa musique, comme nous le faisons dans la vie de tous les jours. Nous pouvons penser alors à la IVe pièce de l’œuvre radiophonique Far-West News, épisode 117, où apparaît une voix off qui nous dit : « I finally agreed to take to my benefit all my past experiences.» Ou encore à un des entretiens avec Gayou : « C’est ce qui fait que maintenant j’en suis arrivé à considérer que ces expériences passées, au lieu de les oublier, je peux les récupérer18. » À la manière du conteur de Benjamin, Luc Ferrari façonne son expérience de vie pour construire ses récits. L’anecdotique ferrarien s’insère alors dans cette ligne de transmission des expériences riches à nos liens sociaux. Car si toute phonographie peut appeler au vécu des auditeurs, la recherche de Luc Ferrari n’est pas celle d’un appel isolant, mais elle s’inscrit dans un intérêt collectif, de construction.

3. Chantal, ou le portrait d’une villageoise

« Tout n’est qu’expérience, qu’engagement dans l’expérience19. »

14La pièce choisie pour analyser ce balancement entre musique et expériences est Chantal, ou le portrait d’une villageoise. Dans cette œuvre, en compagnie de Brunhild Ferrari et par moments d’Olivier Garros, Luc Ferrari réalise des entretiens d’une jeune fille originaire de Tuchan. L’œuvre entière est une rencontre, ponctuée par des interviews, où la jeune femme se raconte au fur et à mesure des conversations : elle évoque sa vie, son quotidien, ses préoccupations, ses certitudes, ses doutes. Chantal, ou le portrait d’une villageoise est faite d’expériences, du vécu de quelqu’un raconté par lui-même.
Chantal20 est une pièce pour bande magnétique stéréo, enregistrée à l’été 1976, et composée entre juillet 1977 et avril 197821. Elle a été réalisée en collaboration avec Brunhild Ferrari. Quant à la publication de l’œuvre, elle arrive seulement en 2009, c’est-à-dire trente et un ans après la fin de sa composition, chez OHM Éditions. Sa première diffusion en public, elle, sera le « samedi 11 octobre 2014, à Montpellier, dans le cadre du festival Sonorités22. » C’est donc une pièce que Luc Ferrari n’a pas publiée de son vivant.
Parmi le peu de notes qui existent actuellement, il y a celle qui a été publiée avec le disque, qui présente l’œuvre de la manière suivante :

« 1976. Un été très sec. Luc Ferrari et Brunhild Meyer chez des amis, près de Paris, sont couchés dans l’herbe. Ils étudient la carte de la France et font des projets de vacances. Luc demande à son ami, qui est en train d’arroser son jardin, de lui envoyer une goutte d’eau. Elle tombe sur un petit village dans les Corbières, une région viticole dans le sud de la France. C’est là où ils décident d’aller en vacances. Ils parlent avec les gens, avec le facteur, les jeunes, avec le curé et l’anarchiste.
Comment vit une jeune femme née dans un village, 22 ans, un enfant, mariée à un artisan maçon, le SMIG pour le ménage. Elle dit ses occupations, ses désirs, ses troubles, ses problèmes de femme, la recherche de son émancipation23. »

15À l’écoute de l’œuvre, nous comprenons rapidement que si Chantal se raconte elle-même au travers de ses réponses, les intervieweurs le font également au travers de leurs questions. Les questions de Luc et Brunhild Ferrari les décrivent tout autant que les réponses décrivent Chantal. La manière dont ils mènent l’entretien, les thématiques et la forme dans laquelle ces thématiques sont abordées nous disent, en effet, beaucoup sur eux. La femme, la sexualité, le quotidien, la liberté… beaucoup des thématiques chères à Luc Ferrari apparaissent immanquablement dans Chantal.
Le choix technique quant au placement du microphone dans l’œuvre sera systématique : au milieu des personnages, un micro fixe qui capte ce qui l’entoure (des conversations aux sons ambiants). La plupart des enregistrements ont été faits à l’intérieur, chez Chantal, mais avec la fenêtre ouverte24. Les sons de l’extérieur se filtrent ainsi éventuellement, ce qui est renforcé par Luc Ferrari en utilisant en plus des sons du village captés séparément. Il y aura juste un extérieur, à la fin de l’œuvre, dans un champ à côté25. Le microphone devient alors, comme le souligne Joy, non pas l’extension du bras du journaliste, qui cherche à suivre et à chasser les événements, mais « une sonde amicale, intime, […]. Il capte, désinvolte voire espiègle, provoque ce pique-nique de l’écoute26. » Le micro est ainsi simplement là, posé, comme cherchant à être oublié. Le caractériser en tant que sonde révèle bien son attribut d’explorateur, de transmetteur d’une réalité autre, d’un ailleurs. Le microphone ne bouge pas, ce sont alors les événements qui arrivent vers lui, donnant ainsi l’impression aux auditeurs d’être participants à la réunion, d’avoir une écoute personnelle sur place, d’être quelque part présents tout en étant invisibles.

Exemple avec le « Gros problème » : le collectif via le récit de soi

16La conversation qu’on utilisera à titre d’exemple arrive vers 2’ 46”, en crescendo quelques secondes en superposition avec les guitares27. À ce moment, Luc Ferrari interroge Chantal sur sa famille : « Tu viens d’une famille qui est comment ? », question à laquelle elle répond en évoquant les vignes de ses parents et les difficultés de l’agriculture à l’époque. Après cela, Chantal parle de son parcours lycéen à Narbonne, sans aucune question de la part de Luc ou Brunhild Ferrari. C’est donc à partir de ce récit sur ses études, « qui n’ont pas tellement abouti », que le sujet central arrivera. Chantal nous raconte qu’elle a dû abandonner ses études pour se marier, car elle attendait un enfant. Puis, elle lâche la phrase qui interpelle Luc et Brunhild Ferrari : « C’est là qu’est le gros problème, de toute façon. ».
« Alors voilà, raconte-nous ça un peu », l’attention de l’intervieweur trouve un intérêt particulier où la conversation convergera. Chantal vient de qualifier de « gros problème » le fait d’être enceinte et de se marier. C’est à cause de cela qu’elle a dû arrêter ses études. Elle raconte ici un fait marquant de sa vie, un point d’articulation inattendu à partir duquel son parcours a changé. Elle raconte ainsi la difficulté du choix d’avorter ou pas, la relativité de ce choix, car ils n’ont pas d’argent pour le faire. L’angoisse du moment. La décision de se marier « à l’aveuglette ». « Est-ce que c’est bien ça que tu voulais faire quand t’as quitté le lycée, enfin quand t’as quitté tes parents pour aller à l’école, à Narbonne ? », lui demande Brunhild Ferrari. « Pff… Oui, mais enfin j’ai pas eu tellement la possibilité de choisir… », lui répond Chantal. Elle a l’impression de ne pas avoir eu le choix. En rétrospective, dans l’exercice de repenser sa vie et se comprendre, elle sent que ce qui lui semblait des possibilités sur place était de fait un chemin unique : un long tube avec une issue unique.
Chantal se raconte, elle essaie de comprendre le chemin qui l’a amenée jusqu’à son présent, ses décisions, de se comprendre, elle et son comportement. Ainsi, dans ce nouveau retour de son expérience, Chantal retravaille son passé, et elle-même par conséquent. Et nous, à l’écoute, nous pouvons reconnaître éventuellement des choses, en résonance avec nos expériences, que nous retravaillons alors aussi. Chantal commence à parler de tous à travers elle.

17Comme nous l’avons souligné, se raconter, transformer du vécu en histoire, joue un rôle dans notre construction sociale. À partir d’une citation de Josselson, Roselyne Orofiamma écrit à propos du récit de soi : « Les vérités inhérentes à tout récit personnel naissent d’un véritable ancrage dans le monde, dans ce qui fait la vie – les passions, les désirs, les idées, les systèmes conceptuels. Les récits personnels des individus sont autant d’efforts pour saisir la confusion et la complexité de la condition humaine28. » Le geste de se raconter, l’élan de transformer l’expérience en récit pour les autres, comporte une vérité inhérente. Une vérité qui existe par son ancrage au monde : par l’effort de comprendre une réalité vécue, mettant en lumière une complexité qui nous est commune. Le récit de vie est un déploiement des personnes en construction : avec un narrateur-explorateur, qui creuse et structure son sensible, et des auditeurs qui distinguent par empathie des sensations propres dans l’histoire et les explorent dans le même mouvement.
Comme l’explique Orofiamma, dans le récit de soi il y a un dédoublement du sujet : entre celui qui raconte et celui qui est raconté : « En tant que situation d’énonciation et quelle que soit la forme que prend le récit de soi, il met en jeu un sujet locuteur et un sujet biographique : le je qui raconte et le moi raconté29. » Dans notre cas, nous avons « Chantal qui raconte » et « Chantal enceinte ». Il y a donc un effort du narrateur de combler cette distance, à travers l’actualisation de ses expériences passées. C’est justement dans ce mouvement vers le passé que se trouve l’enjeu humain du récit, dans l’initiative de comprendre ce qui est arrivé. Ce déplacement des expériences vers le présent sous forme de récit est alors avant tout une exploration, une mise en forme, des partis pris d’un narrateur qui s’exprime :

« Par le récit, le processus de formation engage à questionner le déroulement d’un parcours, les voies empruntées pour constituer ce qui devient progressivement une histoire personnelle dont le sujet qui cherche à en rendre compte est aussi le narrateur. Le récit accompagne cet effort pour mettre en forme le vécu de l’expérience, pour comprendre en quoi celle-ci est faite de passions, de désirs, de valeurs, de croyances, en quoi les vérités qui s’en dégagent se fondent sur les singularités irréductibles à chacun, mais aussi sur ce qui fait leur ancrage dans un monde social, dans des univers culturels et institutionnels, dans des appartenances familiales dont les projets et les aspirations marquent toujours les destins individuels. Mais si le travail du récit vise la compréhension d’un vécu singulier, il est peut-être et surtout un effort pour saisir, à travers lui, ce qui s’éprouve de la condition humaine dans sa complexité, sa confusion et son inachèvement30. »

18À ce propos, nous parlons d’effort, car la mise en forme de nos expériences (sous forme de récit) est un essai pour donner du sens à ce qui (peut-être) n’en a pas : le devenir du réel. Le narrateur a affaire à un mélange d’images, d’émotions, de sensations : un complexe sensible à partir duquel il doit tirer un ordre, une forme. Une même personne possède d’infinies possibilités pour raconter les mêmes faits vécus. Il raconte une histoire parmi toutes celles possibles, engageant ainsi à chaque fois sa subjectivité et son rapport au monde. L’important alors n’est pas de savoir si le récit correspond ou pas à ce qui s’est passé sur le plan factuel, « mais plutôt de reconnaître que dans ce travail de la narration, le sujet est en construction31. »
Ainsi, derrière l’apparente insignifiance de nos histoires, de nos anecdotes, se cache un de nos piliers collectifs : celui où se tissent nos liens, à nous-même et aux autres.

Bibliographie   

Baudouin Philippe, Au microphone, Dr Walter Benjamin : Walter Benjamin et la création radiophonique 1929-1933, Paris, France, Ed. de la Maison des sciences de l’homme, 2009, 270 p.
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Benjamin Walter, Charles Baudelaire : un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, traduit par Jean Lacoste, Paris, France, Payot, 1974, 287 p.
Berdet Marc, « Benjamin sociographe de la mémoire collective ? », Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines, 1er juin 2005, no 3.
Caux Jacqueline et Ferrari Luc, Presque rien avec Luc Ferrari : entretiens, Nice, France, Main-d’œuvre, 2002, vol. 1, 219 p.
Duhautpas Frédérick et Solomos Makis, « Hildegard Westerkamp and the Ecology of Sound as Experience. Notes on Beneath the Forest Floor », Soundscape, The Journal of Acoustic Ecology, 2014, vol. 13, no 1.
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Joy Jêrome, « Chantal, ou le portrait d’une villageoise » de Luc Ferrari, https://www.academia.edu/1832943/_CHANTAL_OU_LE_PORTRAIT_DUNE_VILLAGEOISE_DE_LUC_FERRARI, consulté le 3 mars 2016.
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Syntone, Une légende électro-acoustique nommée Chantal|Syntone, http://syntone.fr/une-legende-electroacoustique-nommee-chantal/, consulté le 3 mars 2016.

Annexes   

Transcription du dialogue sur le « gros problème »
(Luc Ferrari) Tu viens d’une famille qui est comment ?
(Chantal) Bah… d’une famille très modeste. Enfin, mes parents ont quelques vignes et ils essaient de vivre dessus, normalement. Mais c’est très difficile, parce qu’avec la crise que connaît actuellement l’agriculture…
(Chantal) J’étais au lycée à Narbonne, j’ai fait des études de secrétariat, qui n’ont pas tellement abouti parce que j’ai quitté un an avant de passer mes examens, c’est-à-dire le BEP d’employée de bureau. Eh bien… j’ai arrêté mes études parce que je me suis mariée, parce que j’attendais un enfant. C’est là qu’est le gros problème, de toute façon.
(Luc Ferrari) Alors voilà, raconte-nous ça un peu.
Bien, j’étais déjà inscrite au lycée et puis gros problème, je sortais avec Alain donc et puis du jour au lendemain comme ça j’attendais un enfant…
Du jour au lendemain ?
Oui… (Rires)… C’est bien ça… comment veux-tu que je te dise ? Du jour au lendemain, c’est une évidence de toute façon ! Et puis le problème s’est posé : est-ce que j’avorte ou j’avorte pas ? C’était très angoissant, très difficile… Et puis on avait pas tellement d’argent pour le faire nous-mêmes donc… et on a décidé de se marier comme ça, un peu à l’aveuglette, et c’est ça qui est un peu déprimant parce qu’on ne savait pas si ça allait marcher ou pas.
(Brunhild Ferrari) Est-ce que c’est bien ça que tu voulais faire quand t’as quitté le lycée, enfin quand t’as quitté tes parents pour aller à l’école, à Narbonne ?
Pff… Oui, mais enfin j’ai pas eu tellement la possibilité de choisir… Disons que je ne me suis jamais vraiment posé des questions parce que je savais que de toute façon c’était un peu rêvé…

Notes   

1  Le processus de déconstruction de guitares arrive au milieu de l’œuvre, de 19’ 35” à 20’ 58”. L’évolution formelle de la pièce converge vers ce point, déploie son sommet et trouve en conséquence un point d’articulation central. À ce propos, voir : Alejandro Jose Reyna, La construction de l’hétérogène dans la musique de Luc Ferrari : lieu, récit et expériences : analyses d’Hétérozygote, Far-West News et Chantal, ou le portrait d’une villageoise, thèse de doctorat, université de Paris VIII, France, 2016.

2  Walter Benjamin, Charles Baudelaire : un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, traduit par Jean Lacoste, Paris, France, Éditions Payot & Rivages, 2002, p. 155.

3  « La musique dans laquelle les sons du monde réel procurent aussi bien des matériaux que des sujets peut délibérément revenir sur la réalité ; elle révèle une préoccupation compositionnelle pour l’exploration autant des timbres des expériences recueillies que les timbres des sons enregistrés. » Dans Katharine Norman, « Telling tales », Contemporary Music Review, 1er janvier 1994, vol. 10, no 2. La traduction est de nous.

4  Universalis : EXPÉRIENCE, http://www.universalis.fr/encyclopedie/experience/, consulté le 23 août 2016.

5  On utilise ici un terme qui appartient à Pierre-Yves Mace, à propos de Presque rien no 1 ou le lever du jour au bord de la mer : « Nous dirions que tous les êtres sonores présentés dans ce Presque rien relèvent d’un régime d’existence particulier : celui du “quelconque” […] ». Dans Pierre-Yves Macé, Phonographies documentaires : étude du document sonore dans la musique depuis les débuts de la phonographie, thèse de doctorat, 2009, p. 104.

6  Luc Ferrari « Texte initial Hétérozygote ». Non publié. Document fourni par Brunhild Ferrari.

7  Luc Ferrari « Hétérozygote – J’ai été coupé », Édition Vinyle LP, Phillips, 1969.

8  Luc Ferrari in« Le hasard avec détermination – Rencontre avec Luc Ferrari », propos recueillis par David Sanson et Pierre-Yves Macé, Paris, 2004, http://www.mouvement.net/teteatete/entretiens/le-hasard-avec-determination, consulté le 8 septembre 2015.

9  Katharine Norman, « Conkers (Listening out for Organised Experience) », Org. Sound, août 2010, vol. 15, no 2, p. 122. Traduction libre depuis : Even the lines we draw in daily conversation are narratives that constantly spin from memory to the present, and back again – looping and drifting in an aimless derive. […] In any moment we tell each other stories about ordinary lives that are in fact deeply held experiential narratives, organised and reorganised[…]. And sound is just one of many starting points. We reach each other through a constant exchange of these seemingly inconsequential snippets of mundane information, sent like memory-seeking missiles to locate points of contact, always at the risk of finding no response. But as listeners we try to provide one.

10  Walter Benjamin, Expérience et pauvreté, traduit par Cédric Cohen Skalli, Paris, France, Éditions Payot & Rivages, 2011, p. 62.

11  Ibidem, p. 105.

12  Frédérick Duhautpas et Makis Solomos, « Hildegard Westerkamp and the Ecology of Sound as Experience. Notes on Beneath the Forest Floor », Soundscape, The Journal of Acoustic Ecology, 2014, 13, no 1. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01202890, consulté le 10 septembre 2016.

13  Philippe Baudouin, Au microphone, Dr Walter Benjamin : Walter Benjamin et la création radiophonique 1929-1933, Paris, France, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009, p. 139‑140.

14  Marc Berdet, « Benjamin sociographe de la mémoire collective ? », Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines, 1er juin 2005, no 3.

15  Frédérick Duhautpas et Makis Solomos, « Hildegard Westerkamp and the Ecology of Sound as Experience. Notes on Beneath the Forest Floor », op. cit. Traduction libre d’après : To explain this idea, he introduced a distinction between Erlebnis, which can be translated as “lived experience” and Erfahrung, “experience per se” or “genuine” experience (Benjamin 1939). The mode of experience specific to the new world is determined by the growth of technology (including characteristics such as speed and circulation of information), which establishes Erlebnis, a type of experience inscribed in primary reaction to the present and ephemeral moment, at the expense of Erfahrung, which introduces the possibility of a collective and continuous memory.

16  Michael Sheringham, Traversées du quotidien : des surréalistes aux postmodernes, traduit par Maryline Heck et par Jeanne-Marie Hostiou, Paris, France, Presses universitaires de France, 2013, p. 39.

17  À propos de l’analyse de Far-West News, épisode 1, voir Alejandro Jose Reyna, La construction de l’hétérogène dans la musique de Luc Ferrari, op. cit.

18  Luc Ferrari in Jacqueline Caux, Presque rien avec Luc Ferrari : entretiens, Nice, France, Main-d’œuvre, 2002, vol. 1, p. 62.

19  Jérôme Joy, à propos de Chantal. Voir : Jérôme Joy, « Chantal, ou le portrait d’une villageoise » de Luc Ferrari, https://www.academia.edu/1832943/_CHANTAL_OU_LE_PORTRAIT_DUNE_VILLAGEOISE_DE_LUC_FERRARI, consulté le 3 mars 2016.

20  Pour différencier l’œuvre de la personne, nous utiliserons Chantal (en italique) pour la première, tandis que simplement Chantal pour la deuxième.

21  Chantal ou le portrait d’une villageoise – Luc Ferrari, Base de données de l’IRCAM, http://brahms.ircam.fr/works/work/36448/, consulté le 22 septembre 2016.

22  Syntone, Une légende électro-acoustique nommée Chantal|Syntone, http://syntone.fr/une-legende-electroacoustique-nommee-chantal/, consulté le 3 mars 2016.

23  Jérôme Joy, « Chantal, ou le portrait d’une villageoise », op. cit.

24  Information fournie par Brunhild Ferrari, lors d’un entretien personnel, le 5 septembre 2016.

25  Dans le cadre de l’analyse du travail de thèse, nous appellerons ce moment « La garrigue ». À propos de l’analyse de l’œuvre, voir : Alejandro Jose Reyna, La construction de l’hétérogène dans la musique de Luc Ferrari, op. cit.

26  Jêrome Joy, « Chantal, ou le portrait d’une villageoise », op. cit.

27  Pour avoir la transcription de la conversation entière voir annexe.

28  Ruthellen Josselson citée par Roselyne Orofiamma « Le travail de la narration dans le récit de vie », C. Niewiadomski et G. de Villers (Éds). Souci et soin de soi, liens et frontières entre histoire de vie, psychothérapie et psychanalyse, 2002, p. 163-191.

29  Claude Abastado cité par Orofiamma Roselyne, « Les figures du sujet dans le récit de vie », Informations sociales, 1er février 2008, no 145, no 1, p. 68‑81.

30  Roselyne Orofiamma, « Le travail de la narration dans le récit de vie », op. cit.

31  Ibidem.

Citation   

Alejandro Reyna, «Musique et expériences : éthique du partage des expériences dans Chantal, ou le portrait d’une villageoise de Luc Ferrari», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, L'éthique de la musique et du son, Perspectives historiques et analytiques, mis à  jour le : 11/03/2019, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=891.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Alejandro Reyna

Alejandro Reyna commence ses études en composition instrumentale à Santa Fe, Argentine, à l’Universidad del Litoral (UNL). Diplômé d’un Master à l’Université Lyon 2, il réalise ensuite son Doctorat à l’Université de Paris 8 en étudiant l’œuvre de Luc Ferrari et plus largement la musique acousmatique française. Il a donné des cours à l’Université de Paris 8 en tant qu’ATER et il est actuellement enseignant-chercheur à l’Universidad del Litoral (Argentine).