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De l'interprétation acousmatique

Vincent Guiot
novembre 2017

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.844

Index   

Texte intégral   

1Dans l'arsenal des postures d'interprétation de la musique, l'interprétation acousmatique est sans doute l'une des plus récentes. Si le répertoire des musiques acousmatiques est constitué d'œuvres datant pour les plus anciennes de la moitié du 20ème siècle, c'est-à-dire de la naissance de la musique concrète ;la mise en œuvre2 sérieuse de leur interprétation est encore plus récente, puisqu'elle apparaît progressivement dans les années 80'. Il faudra même attendre1995 pour voir apparaître le premier interprète acousmatique déclaré et reconnucomme tel, Jonathan Prager.
On peut dire que la pratique de l'interprétation acousmatique s'estimposée peu à peu dans le milieu électroacoustique, mais donnant lieu à de nombreux débats et controverses. Si l'on admet de manière plus générale dans la musique que l'interprète est un exécutant herméneute, on conviendra que cette pratique herméneutique possède un certain nombrede caractéristiques novatrices marquant de réelles différences avec la tradition de l'interprétation instrumentale. Nous allons voir à travers cet article en quoi l'interprétation acousmatique creuse de nouveaux axes herméneutiques dans la tradition de l'interprétation de la musique.

I. L'ŒUVRE-PARTITION

2  Avant même de parler de la performance herméneutique, attardons nous un instant sur les concepts d'œuvre et de partition dans ces musiques de sons fixés sur support. Dans l'absolu, la musique acousmatique existe en soit sous la forme que lui a donné le compositeur en la concevant et en la fixant sur un support, elle pourrait donc exister dans nos oreilles sans l'intervention d'un quelconque interprète. Les sons sont en effet fixés sur support par le compositeur, et dans un temps différent – celui de la composition – de celui de notre écoute de l'œuvre. La nécessité de passer par la performance d'un ou de plusieurs interprètes pour traduire une partition écrite, en sons, disparaît ici donc au profit d'une transmission directe de la partition, du compositeur à l'auditeur. La partition et l'œuvre en viennent ainsi à se confondre. De cette manière, on peut comprendre l'existence de nombreux débats autour de l'interprétation acousmatique à partir du moment où celle-ci n'a pas besoin d'exister en premier lieu pour qu'il y ait transmission de la création musicale acousmatique.
Cependant, l'interprétation existe non pas dans l'exécution technique d'une partition pour un public mais bien plus dans les qualités créatives qu'un exécutant-herméneute met en place de manière originale pour traduire celle-ci du moment unique et éphémère d'une représentation publique ou lors d'une session d'enregistrement. Tout comme pour l'interprète traditionnel, dès lors qu'il y a live, l'interprète acousmatique doitfaire face aux éventuels imprévus que la situation éphémère du concert lui réserve3.
L'interprétation acousmatique pose un certain nombre de questions quant aux axes herméneutiques qu'elle développe. Cependant comme toute autre interprétation, elle permet à chaque représentation publique de créer une version unique de l'œuvre, que s'approprie l'interprète. C'est ce dernier qui va permettre de donner finalement à la musique des sons fixés une seconde vie ; une vie « live », éphémère et dorénavant ouverte à divers regards interprétatifs.

II. UN DISPOSITIF PLUS QU'UN INSTRUMENT

3  Si une mise en espace des concerts de musique acousmatique s'impose déjà aux premières heures du Club d'essai (puis GRMC en 1951 et GRM en 1958), c'est avec l'acousmonium que vont naître les premiers pas de l'interprétation acousmatique. Défini en 1974 à l'INA-GRM par François Bayle comme étant un « orchestre de haut-parleurs » qui a pour vocation d' « organiser l’espace acoustique selon les données de la salle, et l’espace psychologique selon les données de l’œuvre », l'acousmonium s'est imposé rapidement comme le dispositif référence pour l'interprétation des musiques acousmatiques.
« C'est un dispositif /.../ ce n'est pas un modèle /.../ à chaque fois on doit le régler, à chaque fois le changer, le modifier en fonction des endroits et des musiques. »4Ainsi, nous avons ici affaire à un « instrument » modulable, transformable en fonction de l'occasion qui se présente. Rentrons dès lors un peu plus dans son organologie, avec un schéma qui résume les bases de son fonctionnement technique, communes à tous les acousmoniums :
fichier audio stéréo → Console de mixage → Amplificateurs/Haut-parleurs
L'ŒUVRE              L'OUTIL DE JEU         LES PROJECTEURS DU SON

 « On appellera voie de diffusion l’ensemble de la chaîne électro-acoustique allant de l’entrée physique de la tranche jusqu’à son enceinte correspondante. Nous considérons par ailleurs qu’il faut disposer d’au moins vingt-quatre voies de diffusion pour pouvoir donner aux auditeurs un spectacle spatial à la mesure de ce que permet une interprétation acousmatique de qualité . »5

4 Ainsi, même si le dispositif semble a priori très flexible comme nous le dit François Bonnet, il n'empêche que pour proposer un concert de qualité au public, un certain nombre de voies de diffusion a minima sont requises. Effectivement, plus celui-ci est important plus l'interprète acousmatique possède à la console une palette de jeu importante ; ce qui implique par conséquent une plus grande richesse d'écoute pour le public. Bien entendu, l'interprète doit dans ce cas d'une part maîtriser ses nombreux outils de jeu et d'autre part ne pas se perdre dans une démonstration exhaustive d'effets. Tout d'abord, comme nous le montre le schéma précédent, l'œuvre aux sons fixés sur support doit impérativement être au format stéréo sinon mono ou double mono, afin de pouvoir se répartir sur tous les couples de haut-parleurs contrôlables depuis la console de mixage. Ce postulat de départ s'explique une nouvelle fois par l'étendue de jeu plus grande qu'il donne à l'interprétation quant à la mise en espace du son dans le lieu du concert.

  « format stéréo, le plus adapté à cette forme d’agrandissement de l’image sonore enregistrée. Un plan stéréophonique à deux voies, aisément perceptibles, analysables et mémorisables par l’interprète, procure bien plus de souplesse et de précision au service de l’œuvre, se déploie sur un grand nombre de haut-parleurs bien plus aisément que tout autre format, dans des circonstances et des contraintes techniques, acoustiques et esthétiques les plus diverses. »6

5  En fin de chaîne on trouve les haut-parleurs. Ces derniers - et je me réfère ici grandement à l'écrit technique de Jonathan Prager7- possèdent deux caractéristiques principales, à savoir la puissance et la couleur. La première permet de rendre compte d'abord desnuances dès lors qu'on la fait varier depuis la console, et la seconde nous amène à distinguer deux catégories d'enceintes, à savoir les « large-bandes » et les « colorées ». Les enceintes dites « large-bande » possèdent une très bonne qualité de restitution de l'ensemble du spectre sonore alors que les « colorées » ciblent des zones de fréquences très petites, ce qui permet, lorsqu'on les utilise avec parcimonie,afin de ne pas nuire au contenu de l'œuvre, de marquer ses formes et contours fréquentiels tout en proposant des projections spatiales intéressantes.

III. LES DIMENSIONS HERMENEUTIQUES : De la conception du dispositif au jeu

1) Conception

6 Une fois l'œuvre intégrée, l'interprète acousmatique doit se livrer à différentes étapes à enjeux herméneutiques avant même de jouer l'œuvre en publique.

A) L'élaboration du dispositif

7Cette étape consiste concrètement à choisir l'implantation du système, c'est à dire les types de haut-parleurs utilisés ainsi que leur placement/positionnement. Ce choix est herméneutique dans le sens où il dépend autant de conditions matérielles comme la logistique du lieu (taille, volume, jauge, agencement de l'espace, acoustique) et de l'acousmonium (haut-parleurs disponibles et leur caractéristiques) que d'impératifs esthétiques comme le choix des œuvres, décidé par le programmateur.

B) La conception de l'ergonomie de jeu

8Cette étape consiste à assigner un potentiomètre de la console au contrôle d'une voie de diffusion et par conséquent au volume d'un haut-parleur, ou d'un groupe de haut-parleurs choisis. Ainsi, choisir une ergonomie de jeu, c'est adapter son accès à l'instrument en fonction des préférences de l'interprète et des caractéristiques du dispositif aligné ; c'est un réel parti pris herméneutique.

C) L'accordage du dispositif

9Cette dernière étape avant que l'interprète ne travaille l'œuvre directement sur la console, consiste à harmoniser finalement la réponse spectrale et d'intensité de chaque haut-parleur, entre eux et avec l'acoustique du lieu. Je reprendrai une nouvelle fois l'écrit de Jonathan Prager pour en résumer le contenu pratique8:
a) Filtrages et corrections spectrales
- adaptation du rendu (enceintes large-bandes)
- optimisation du rendement (enceintes colorées)
- protection des enceintes - création de différences de couleurs sonores
b) optimisation du rapport signal/bruit
→ Calibrage des entrées de la console (avec une onde sinusoïdale de 1kHz)
c) Equilibrage de la puissance générale de l’acousmonium
d) Essais, améliorations
→ Changer l'implantation, l'orientation des haut-parleurs, les réglages audio.

2) Jeu

10  L'interprète acousmatique n'est pas à l'originedu son, il ne possède pas non plus de partition ou représentation visuelle symbolique des sons propres à l'œuvre. Il doit construire son interprétation par une analyse auditive de l'œuvre-partition. Une fois analysée, et grâce à toutes les données organologiques énoncées précédemment, l'interprète acousmatique peut exprimer l'œuvre à travers la maîtrise de différents paramètres d'écriture:
- Nuance → Contrôlée à partir des potentiomètres de volume propre à chaque voie de diffusion ainsi qu'au potentiomètre du volume général, le Master fader.
- Couleur → Issue du choix des haut-parleurs projetant le son, chaque haut-parleur ayant des qualités timbrales différentes dans la diffusion du son.
- Géographie
→ de la position des enceintes.
→ du soulignement des placements et des déplacements.
- Distance → Lié au placement des enceintes, plus ou moins proches du public ainsi qu'aux effets de réverbérations naturelles de l'espace de projection, engendrés par ces différents placements.
- Densité → Correspondant à la quantité d'enceintes projetant du son simultanément.
- Vitesse → Liée à la rapidité des changements opérés à la console de projection dans l'ouverture et la fermeture de voies de diffusion.

11Nous voyons ainsi que l'interprétation acousmatique, au même titre qu'une interprétation instrumentale plus classique, met en pratique la maîtrise d'une certaine combinaison de paramètres. Si les critères liés au timbre (ici couleur) ainsi qu'à la nuance n'ont rien de novateurs quant aux pratiques herméneutiques plus traditionnelles, celui de l'espace est cependant beaucoup moins commun, d'autant plus qu'il est fondamental dans le cas de l'interprétation acousmatique.

IV. L'ESPACE

12  Le principal axe d'interprétation dans la projection des sons fixés est l'espace.

« L'art des sons s'est de plus en plus composé, entendu, pensé par rapport à la notion d'espace, laquelle a fini par y être naturalisée »9

13  Aujourd'hui, l'espace est devenu une composante essentielle de l'écriture contemporaine, qu'elle soit électroacoustique ou instrumentale d'ailleurs. Dans le cas des musiques acousmatiques nous parlerons alors, selon les termes de Michel Chion10, « d' espace interne » pour qualifier l'espace composé à l'intérieur de l'œuvre elle-même par le compositeur (grâce aux effets de réverbération, de filtre, de panoramique, etc.), et d' « espace externe » pour qualifier l'espace du lieu dans lequel est diffusée l'œuvre.
Le rôle de l'interprète acousmatique serait donc celui d'un metteur en scène, ou plutôt d'un             « metteur en lieu » de sons venant de l' « espace interne » d'une œuvre vers l'espace « externe » de projection. Il s'agit pour lui de transcender le support en projetant les sons dans un espace collectif, afin de rendre lisible la musique ainsi déployée tout en respectant, à l'image de l'interprétation instrumentale, ce qui nous est est donné par l'œuvre originale, à savoir son propos.

La « spatialisation /.../ a pour but essentiel d'améliorer la définition des objets par leur répartition dans l'espace, puisqu'il se trouve que l'oreille sépare mieux deux sons simultanés si l'un vient de droite et l'autre vient de gauche. Il ne s'agit pas d'un luxe qui viendrait s'ajouter à l'audition, mais d'une facilité qui lui est offert. »11

14  Pour réaliser cette opération, l'interprète acousmatique dispose d'un « orchestre de haut-parleurs », l'acousmonium, dans lequel il peut choisir à tout moment grâce au travers de son jeu avec la console de projection, quel(s) haut-parleur(s) diffuse(nt) le son. Par ce choix, il accède à la création d'espaces acoustiques inédits, résultats de la combinaison des positions des enceintes projetant le son, du soulignement des placements et déplacements des sons ainsi que des caractéristiques acoustiques de l'espace physique du concert.
 L'interprétation acousmatique, par l'importance qu'elle accorde à l'espace fait du lieu de diffusion un véritable acteur du concert, au même titre que l'interprète et le dispositif de projection mis en place. L'intérêt de l'acousmonium est de pouvoir s'adapter à n'importe quel type de lieu susceptible d'accueillir un concert, à savoir, qu'il se déploie sur desdimensions adéquates. L'intérêt est ici de taille car il permet de faire « sonner » une œuvre à travers un lieu, à l'aide d'un lieu, avec ce lieu. Chaque concert est ainsi une nouvelle expérience où l'espace intérieur d'une œuvre vient se fondre avec l'espace extérieur de la salle de projection, créant un lien fort entre l'œuvre et son environnement de diffusion. Ainsi, Denis Dufour nous confie-t-il la réaction très poétique de certains auditeurs lors des concerts Futura à la Tour de Crest : « Les gens entendaient les sons à travers les murs. C'était la tour qui leur parlait. »12

« La notion d'espace est inhérente au phénomène sonore : un son s'identifie par son lieu d'émission dans l'espace »13. Cette remarque est particulièrement intéressante car elle parle d'identification. Il ne s'agit pas ici de réifier le son mais bien plus de lui conférer un sens nouveau de par sa relation au lieu. Par conséquent, plus ce lieu propose des réserves sonores riches plus le son s'identifie originalement et vient caractériser le lieu en retour. Environnement et son viennent ainsi s'unir pour le spectacle.

15  L'interprète acousmatique s'inscrit ainsi dans une certaine modernité technologique car il fait de la diffusion son outil expressif. Dans un autre sens, il renoue avec certaines pratiques musicales anciennes dans l'importance donnée à l'espace à l'intérieur du processus interprétatif. Dans certains rituels religieux « l'espace est lié à la musique à travers la fonction rattachée à celle-ci. »14. Makis Solomos ajoute à ceci que « C'est l'autonomisation de la musique – sa défonctionnalisation, si l'on préfère – qui lui a fait perdre la pensée de l'espace ». Ainsi, c'est lorsque la musique s'est finalement détachée du quotidien du peuple pour s'enfermer dans les salles de concerts ou dans les divers supports de consommation qu'elle s'est désolidarisée de l'espace. C'est d'ailleurs souvent dans les vieilles traditions populaires que l'on trouve encore ces considérations spatiales, comme c'est le cas par exemple avec la « quintina » sarde dans laquelle le chœur, constitué de 4 voix d'hommes, s'arrête de nombreuses fois lors de la déambulation du lundi Saint dans certains lieux du village reconnus pour leur acoustique particulièrement favorable. Ces 4 chanteurs cherchent alors à l'aide de la résonance favorable procurée par le lieu, à créer une cinquième voix fictive appelée « quintina », résultante de la superposition de ces 4 voix riches en harmoniques.

V. LE TEMPS

16  Une des différences fondamentales entre l'interprète acousmatique et l'interprète instrumental est que le premier, contrairement au second, n'a pas d'emprise directe sur le temps de l'œuvre. Il est vrai que comme tous les sons qui s'y trouvent, le temps est lui-même fixésur le support par le compositeur. Néanmoins, si le « temps objectif » à savoir chronométrique, est bien le même et à tout jamais, le « temps subjectif » est lui modulable. Le temps n'est pas perçu linéairement. Avec une écriture de « l'écouter » ou de « l'entendre », on travaille directement sur la perception temporelle de l'auditeur.

« L'OREILLE EST L'ORGANE DU TEMPS, un paramètre insaisissable, étirable, beaucoup plus complexe à appréhender. »15

17  Ainsi il n'est pas rare qu'une œuvre paraisse plus ou moins longue que son temps chronométrique, avec parfois des écarts importants. Bien entendu, comme le dit Jean-Yves Bras, c'est un paramètre très complexe, et donc qui ne peut pas se résumer aux seules conséquences du jeu de l'interprète ; le lieu du concert, son acoustique, le nombre de personnes présentes, notre état de fatigue, notre goût pour l'œuvre, etc. tous ces paramètres participent momentanément à cette subjectivité.
Cependant, nous pensons que l'interprète acousmatique a ici également un rôle à jouer. Prenons par exemple la situation d'une longue séquence immersive de dix minutes, faite de trames stagnantes. Si l'interprète met l'espace en mouvement pendant ces dix minutes l'auditeur risque, à cause de cet ajout de mouvements ponctuels à l'intérieur d'une séquence continue, de sentir son écoute fatiguer pour finalement percevoir cette séquence comme interminable, et peut-être beaucoup plus longue que les dix minutes annoncées. Si au contraire une progression lente se profile, l'œuvre conduira l'auditeur dans un rythme au ralenti et qui, arrivé à l'issue de ces dix minutes à peine expérimentées, trouvera alors la séquence presque trop courte. Enfin, si aucune variation ne se fait sentir, c'est peut-être là que le temps objectif pourra être le mieux perçu par le public. En effet, l'oeuvre non spatialisée et diffusée sur des enceintes de références, ne risquera d'englober l'auditeur que dans une moindre mesure. Dans ce cas, il sera difficile pour l'interprète acousmatique de varier la perception de l'œuvre et donc de décrocher l'écoute de l'auditeur d'une ligne temporelle un peu trop linéaire.
Nous pensons finalement ici que l'interprète joue un rôle déterminant dans la perception subjective du temps par l'auditeur car il permet potentiellement, lorsqu'il réussi à le plonger à l'intérieur de l'œuvre elle-même grâce à ses paramètres de jeu herméneutiques, de provoquer chez lui la perception d'une temporalité nouvelle. Ainsi, même si nous ne nous risquerons pas àajouter le        « temps » directement parmi les autres paramètres d'écriture à cause de sa plus grande subjectivité, la notion de modification du temps perçu est cependant sous-jacente à l'ensemble du travail d'interprétation acousmatique, qui en fin de compte, n'est a posteriori pas si limitée que ça.

18   Nous avons vu, au travers de l'organologie de cet instrument modulable qu'est l'acousmonium et des processus d'écriture d'une interprétation acousmatique, comment celle-ci rend compte d'une expérience tout à fait singulière et novatrice dans la tradition de l'interprétation. Bien que l'interprète acousmatique ne soit pas comme nous l'avons vu, nécessaire à la restitution sonore d'une partition musicale puisque la partition est déjà l'œuvre elle-même ; celui-ci, à travers le rituel du concert, vient donner une seconde vie à des œuvres pourtant fixées dans l'espace et le temps du support. Dans la manière de projeter les sons de l'œuvre dans l'espace réel du concert, l'interprète acousmatique se confronte à des choix herméneutiques forts, qui conditionneront directement l'écoute de l'auditeur. L'interprétation acousmatique fait ainsi de l'espace l'outil central de l'interprète, ce qui constitue en soit une posture herméneutique inédite. La maîtrise du temps est cependant, comme nous venons de le voir, très différente par rapport à une interprétation plus traditionnelle, puisque l'interprète acousmatique n'a pas la possibilité d'arrêter, de ralentir ou d'accélérer le déroulement de l'œuvre. Il se contentera de travailler sur la perception temporelle subjective de l'auditeur à travers le découpage qu'il fera dans le temps de l'espace acoustique de l'œuvre, de ses variations.
Tout comme pour l'interprète traditionnel, la question du respect de l'œuvre originale est fondamentale. En effet, jouer un passage intimiste et non réverbéré sur l'ensemble des haut-parleurs d'un acousmonium avec une nuance globale plutôt forte serait certainement un parti pris en total désaccord avec l'intention donnée par le compositeur.
Enfin, l'instrument de l'interprète acousmatique est très différent de celui de l'interprète traditionnel puisqu'il s'organise plus à la manière d'un dispositif modulable en fonction de choix herméneutiques liés à l'espace du concert et aux musiques programmées ; ce qui fait de lui un élément essentiel dans la construction d'une interprétation.

Notes   

1  Définition acousmatique. Comme son nom l'indique, « akousma » désigne en grec ancien : « un son dont on ne voit pas la cause qui le produit ».

2  J'écarte par-là les premières tentatives de restitution publique, dans lesquelles la notion d'interprétation n'étaient pas encore défendue.

3 Une averse violente sur un toit de taule modifiera complètement le jeu de l'interprète, et cela d'autant plus si la musique qu'il joue est composée de subtiles nuances et de pianissimo.

4 BONNET, in Nicolas DEBADE, « Au cœur de l'acousmonium », À vous les studios, Ina-GRM, 2011, http://www.inagrm.com/au-coeur-de-lacousmonium-0 (consulté le 11/02/17)

5 Jonathan PRAGER, L'interprétation acousmatique, 2002-2012

6 Ibid.

7 Ibid.

8 Jonathan PRAGER, Ibid.

9 Makis SOLOMOS, De la musique au son. L'émergence du son dans la musique des XXe-XXIe siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, juillet 2013, p. 417

10 Michel CHION, « Les deux espaces de la musique concrète », in L'espace du son. Ohain : Musiques et Recherches, 1998, p. 31-33

11 Pierre SCHAEFFER, in Makis SOLOMOS, op.cit. p. 434

12 In Vincent GUIOT, L'interprétation acousmatique, 2014, Mémoire de Master 1, Université Paris-8, p. 69

13 Jean-Yves BRAS, La troisième oreille, Fayard, 2013, p. 105

14 Makis SOLOMOS, op. cit. p. 419

15 Idem

Citation   

Vincent Guiot, «De l'interprétation acousmatique», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Vers une éthique de l'interprétation musicale, mis à  jour le : 09/11/2017, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=844.

Auteur   

Vincent Guiot