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Edifier le(s) Commun(s)Construir el Comú

Joëlle Caullier
décembre 2015Traduction de Marcelle Bruce

Index   

Edifier le(s) Commun(s)

1Edifier le(s) Commun(s). Cette proposition mérite qu’on la considère attentivement. Si le verbe d’action signale un processus, l’adjectif substantivé, le(s) Commun(s), accompagné de sa parenthèse énigmatique, semble vouloir fondre le singulier et le pluriel dans une certaine épaisseur conceptuelle. C’est bien elle en effet que souhaite aborder ce numéro de Filigrane en examinant du point de vue des artistes un concept à la fois philosophique et politique, complexe et multiforme, une théorie récemment apparue1 qui, à la fois, envisage l’existence humaine comme une « action » à mener collectivement au cœur de la diversité du vivant et tente de définir quels sont les Biens communs à préserver des tentatives d’appropriation privées ou publiques. Comme l’écrivent Pierre Dardot et Christian Laval, « les communs ne sont pas tant des choses que des relations sociales entre les individus qui exploitent certaines ressources en commun, selon des règles d’usage, de partage et de coproduction »2. On en vient alors à se demander si la théorie du Commun n’est pas à sa manière - un peu comme pourrait l’être de son côté le Convivialisme3 - une variante occidentale du Buen Vivir andin ou du Bonheur national brut (BNB) élaboré par les autorités bhoutanaises. Ces réflexions, encore au travail, nourrissent les débats politiques, économiques et sociaux de nombreuses contrées du globe, chacune avec sa spécificité et son histoire, et se font écho par-delà les frontières.

2C’est qu’en effet, en une ou deux décennies, le monde a radicalement changé. De nombreuses raisons peuvent expliquer son évolution spectaculaire : le bouleversement des comportements amené par les usages numériques, les crises économiques, environnementales et spirituelles, la globalisation, l’intrusion de la propriété privée dans toutes les sphères de l’existence, fussent les plus immatérielles comme la création ou l’éducation, l’individualisme forcené du monde occidental, le scandale des inéquités croissantes, la défiance vis-à-vis de la classe politique, le désespoir devant la multiplication des guerres, les migrations massives… Il s’agit donc aujourd’hui de réfléchir aux conditions d’amélioration de la vie pour tous, dans des sociétés en perpétuelle recomposition et promptes à l’exclusion. Il faut désormais penser, car les dangers sont pressants, les modes de production, de mise à disposition et de préservation des biens communs menacés et d’autre part l’action en commun pour proposer des alternatives au modèle destructeur qui domine le monde.

3Partout donc, des gens s’interrogent, prennent des initiatives, expérimentent et partagent les idées et les rêves d’un monde plus harmonieux, de sociétés plus solidaires fondées sur des relations de réciprocité conçues dans l’interdépendance de toutes les composantes du vivant. Beaucoup d’artistes s’inscrivent dans cette dynamique et nous avons souhaité faire dialoguer leurs pensées en acte avec des réflexions venues d’horizons différents, disciplinaires et géographiques. Comment les artistes peuvent-ils contribuer au projet collectif d’édification du Commun qui propose de reconsidérer l’ordre du monde ? Comment l’art peut-il participer aux transformations nécessaires, en ces temps de globalisation forcée, des pensées et des comportements ? Le projet de Commun se distingue-t-il de la visée émancipatrice qui a fondé l’éducation populaire au XXe siècle ? La création artistique est-elle capable de se prémunir de sa récupération perverse par les idéologies du développement et de l’innovation ? Saura-t-elle échapper à « l’enclosure »4 qui caractérise depuis des décennies « le monde de l’art », un monde qui a peu à peu jalousement conçu son autonomie, rejetant ceux qui n’y étaient pas préparés 

4L’art a dans doute mille manières de s’inscrire dans cette invention du Commun, « cette chaîne d’équivalence entre les luttes dans des champs très différents »5. Par les pratiques peut-être plus que par les œuvres, les artistes savent coopérer avec tous ceux qui – quel que soit leur domaine d’activité – combattent la marchandisation de l’humain, de la santé à l’éducation, de la justice à la créativité ? Sans doute sont-ils tout particulièrement à même de renforcer, dans le débat politique sur le(s) Commun(s), la question du sens, considéré sous toutes ses acceptions, tant spirituelle que sensorielle, celle-là même qui conditionne toute vie heureuse. Ils apporteront utilement leur pierre à l’édifice du Commun en contribuant au développement de modes participatifs de discussion et de décision comme alternatives crédibles au modèle qui charge l’Etat de la gestion centralisée des ressources (y compris des arts et de la culture). Ils inventeront d’autres pratiques, plurielles et non centralisées, capables de stimuler l’énergie créative des populations, sur des territoires et dans des milieux divers. Ils contribueront également au Commun en stimulant l’activité symbolisante, tache aveugle de l’idéologie du développement exportée dans le monde entier. Et enfin, au moment où la globalisation amène en réaction des raidissements communautaires aussi dangereux qu’elle-même, ils œuvreront à la constitution de groupes humains sur des bases non pas identitaires mais hétérogènes et transculturelles, véritables alternatives aux exclusions secrétées par le néo-libéralisme6.

5Voilà un programme qui mobilise bien des artistes ayant tourné le dos à « l’art autonome » afin de partager une pensée en acte avec le plus grand nombre. Et ce sont eux que nous avons voulu suivre dans leur quête de pratiques alternatives. En effet, c’est bien par l’action artistique offerte à tous que se distingue leur posture héritière de l’éducation populaire, moins tournée vers les œuvres (qui toutefois demeurent irremplaçables) que vers les processus de transformation humaine et sociale enclenchés par les pratiques. Nos enquêtes se sont focalisées sur l’Amérique latine où l’art est naturellement considéré comme un précieux levier de transformation sociale, mais aussi vers l’Europe où les initiatives se multiplient. C’est un premier pas que l’on espère bien étendre à l’avenir à d’autres continents.

6Le volume se nourrit entre autres d’une rencontre7 qui s’est tenue en octobre 2013 dans le Nord de la France et qui réunissait des universitaires et des acteurs de la société civile. S’y était engagé alors un échange fécond entre des artistes européens et latino-américains et un ensemble d’acteurs venus de différents continents (habitants de la ruralité, de régions péri-urbaines, philosophes, anthropologues, sociologues, psychologues, architectes, penseurs de l’art et des cultures…) qui, chacun confronté à des réalités géopolitiques spécifiques, se préoccupaient de l’aggravation des situations humaines et écologiques autour d’eux ainsi que de possibles voies de transformation. Seul le dépassement des logiques disciplinaires était à même de créer un véritable « laboratoire social » dont les artistes seraient partie prenante.

7En s’ancrant toujours davantage dans les territoires, en œuvrant au plus près des populations malmenées par les difficultés de toutes sortes, l’art est-il capable de tenir sa partie dans la grande partition qui dessine une société plus équitable et sous quelles formes ? Est-il capable de contribuer, non en surplomb comme il l’a trop fait au cours des siècles passés mais avec les autres, au tissage du Commun, rendu indispensable par les désastres annoncés ? Le doit-il d’ailleurs ? Peut-il en effet s’inscrire sans dommage dans la transformation sociale ou bien, acceptant son instrumentalisation, risque-t-il d’y perdre une fonction primordiale ? L’œuvre doit-elle céder sa place au processus, considéré comme métaphore de la constante résilience de la vie, ou peut-elle coopérer avec lui ? Comment, concrètement, les artistes parviendront-ils à se libérer de la dépendance du marché de l’art et des industries culturelles, tout en développant leur action responsable ? Les hybridations culturelles propres au monde nouveau vont-elles inexorablement amener le procès du modèle européen et la syncrétisation des ontologies8 à l’origine des cultures ? Les pratiques artistiques sauront-elles contribuer à la métamorphose des cosmovisions qui nous ont construits et notamment de l’ontologie naturaliste à laquelle puisent l’idéologie occidentale du développement et sa maîtrise absolue de la Nature ? Enfin, et contrairement à « cette vie bonne »9 dont les philosophies gréco-latines et classiques nous ont enseigné qu’elle était du ressort de l’individu, l’édification du Commun apparaît-elle comme une condition de la vie heureuse ? L’art est-il définitivement enraciné dans la souffrance humaine, comme nous ont donné à le penser les deux siècles qui viennent de s’écouler, ou peut-il accompagner la construction collective du bonheur ?

8Le croisement des expériences alternatives et des réflexions sur l’inventivité dans les espaces non institués nous paraissait une approche fondamentale de ces questions, sous leurs aspects artistiques, sociaux et politiques. Il s’agissait de méditer sur les expérimentations demeurées « dans l’angle mort de la connaissance et qui échappaient jusque-là aux dispositifs d’observation »10. La richesse de la thématique du Commun nous a conduits à lui consacrer deux numéros de Filigrane, les 19e et 20e. Chacun d’eux s’organise autour de questions pointées par des chercheurs en sciences sociales - politiste, sociologue, philosophe, géographe…- qui proposent un éclairage particulier du Commun auquel font écho nombre d’artistes.

9Ainsi le n°19 aborde-t-il les thèmes du Buen Vivir andin en sa relation au Commun, ainsi que celui du tiers-espace et de son potentiel créatif. Y répondent les témoignages latino-américains de Susana Moreau et Ulrike Hemberger et européens de Pia Bartsch, Nathalie Poisson-Cogez, Filippo Bonini-Baraldi et Florent Manneveau.

10Le n°20 aborde, lui, la subtile contradiction pointée par Camille-Olivier Verseau entre commun et partage, puis la transformation par l’art d’un environnement en milieu grâce à Augustin Berque et enfin, la nécessité d’un modèle universitaire moins surplombant et plus ouvert à l’échange des savoirs, par Miriam Calvillo. Là encore y font écho des situations artistiques concrètes telles que la lutte engagée par Marie-Pierre Lassus contre la privation sensorielle et relationnelle imposée aux détenus, à travers le programme du Jeu d’orchestre, la revitalisation des liens intergénérationnels à laquelle s’emploie Schéhérazade Zambrano, la coopération artistique de l’université Paris 8 avec le Pôle supérieur de musique du Nord de Paris qu’illustre Jean-Paul Olive.

11Autant de pistes qu’il nous faudra à l’avenir continuer de collecter, partager, multiplier et interroger sans relâche et qui permettront peut-être d’inventer un nouveau statut à l’artiste, protagoniste de ce bien commun que l’on nomme Education, dans l’infini de son champ d’application. Et c’est précisément l’enjeu de la création d’un réseau international, AEDE (Art et développement humain), que l’université de Lille est en train d’élaborer avec ses partenaires internationaux. Son but ? Former et soutenir les aèdes contemporains qui, recourant aux pratiques artistiques, se font « pollinisateurs de liens », dans un monde plus que jamais profondément brassé. Pour que la rencontre de la diversité ne soit pas conflictuelle mais bienveillante, des artistes sachant tisser des fils invisibles entre les continents à travers les expériences individuelles, apporteront utilement leur pierre à l’édifice du Commun. Aux côtés des nombreux acteurs sociaux qui se dédient au « vivre, ensemble et dignement » partout dans le monde, les aèdes d’aujourd’hui, lucides, responsables, en paix avec eux-mêmes et avec les autres, formés, par-delà les arts, à la complexité des réalités sociales, ont à prendre leur part de ce qui constitue aujourd’hui, l’un des enjeux majeurs de nos sociétés mondialisées. En favorisant l’expression artistique de l’essentiel, du sens de la vie, ils contribueront aux liens entre les groupes, communautés, peuples, individus, sociétés et cultures (si tant est que celles-ci puissent avoir échappé aux hybridations en cours depuis la nuit des temps…) et mettront en lumière les valeurs communes capables de transcender les différences. Mettre l’accent sur ce qui relie plus que sur ce qui différencie, tel est le propre des pratiques du (des) Commun(s). Notre responsabilité dans l’invention d’un monde différent se veut là, engagée.

Construir el Común

12Construir el Común. Esta propuesta merece ser considerada con atención. Si el verbo de acción señala un proceso, el adjetivo substanciado, el Común, pareciera proponer un nuevo fundamento conceptual. Es este fundamento que se propone abordar este número de Filigrane examinando, desde el punto de vista de los artistas, un concepto a la vez filosófico y político, complejo y multiforme, una teoría de reciente aparición11 que concibe la existencia humana como una acción colectiva en el corazón de la diversidad de lo vivo y pretende definir cuáles son los “bienes comunes” que debemos preservar de las tentativas de apropiación privadas o públicas. Como señalan Pierre Dardot y Christian Laval, “los comunes no son tanto cosas sino relaciones sociales entre individuos que explotan ciertos recursos en común, de acuerdo a reglas de uso, de reparto y de coproduction”12. Nos preguntamos así si la teoría del Común no es a su manera (como podría ser también el Convivialismo13) una variante occidental del Buen Vivir andino o de la Felicidad Nacional Bruta elaborada por las autoridades de Bután. Estas reflexiones, aún en curso, alimentan los debates políticos, económicos y sociales en diversas partes del mundo, cada una con su especificidad y su historia, y se hacen eco más allá de las fronteras.

13En las últimas décadas, el mundo ha cambiado radicalmente. Múltiples razones pueden explicar su evolución espectacular: el impacto de las tecnologías digitales en el comportamiento humano, las crisis económicas, ecológicas y espirituales, la globalización, la intrusión de la propiedad privada en todas las esferas de la existencia, incluso en las esferas más inmateriales como la creación o la educación, el individualismo del mundo occidental, la escandalosa y creciente desigualdad, la crisis de desconfianza en la clase política, la desesperanza ante la multiplicación de guerras, las migraciones masivas… Se trata hoy de reflexionar sobre la manera de mejorar las condiciones de vida para todos, en sociedades en perpetua recomposición y con tendencia a la exclusión. Desde ahora debemos pensar, ya que los peligros apuran, los modos de producción, de uso y de preservación de los bienes comunes amenazados y la acción en común para proponer alternativas al modelo destructor que domina el mundo.

14Grupos de individuos en todo el mundo se cuestionan, toman iniciativas, experimentan y comparten ideas y sueños de un mundo más armónico, de sociedades más solidarias fundadas en relaciones de reciprocidad concebidas en la interdependencia de todos los componentes de lo vivo. Muchos artistas se inscriben en esta dinámica y hemos querido hacer dialogar sus pensamientos en acción con reflexiones de diferentes horizontes disciplinarios y geográficos. ¿Cómo los artistas pueden contribuir al proyecto colectivo de construcción de un Común que propone reconsiderar el orden mundial? ¿Cómo puede el arte participar en las transformaciones necesarias, en estos tiempos de forzada globalización de pensamientos y comportamientos? ¿El proyecto del Común se distingue de la visión emancipadora de la educación popular del siglo XX? ¿La creación artística es capaz de protegerse de la recuperación perversa de las ideologías desarrollistas y de la innovación? ¿Sabrá el mundo del arte escapar al “enclosure”14 que lo caracteriza desde hace décadas y que a poco a poco ha concebido su autonomía rechazando así a aquéllos que no estaban preparados

15El arte tiene mil formas de inscribirse en esta invención del Común, “esta cadena de equivalencia entre las luchas de campos muy distintos”15. Quizás más a través de las prácticas que de las obras, ¿Saben los artistas cooperar con aquellos que, independientemente de su campo de actividad, combaten la mercantilización de lo humano, de la salud a la educación, de la justicia a la creatividad? Sin duda son ellos, los artistas, particularmente quienes pueden reforzar la cuestión del sentido, considerado en todas sus acepciones, tanto espirituales como sensoriales y como condición de toda vida plena, en el debate político sobre el Común. Ellos aportarán útilmente su piedra al edificio del Común contribuyendo al desarrollo de modos participativos de discusión y de decisión como alternativas creíbles al modelo estatal de gestión centralizada de los recursos (incluyendo el arte y la cultura). Inventarán otras prácticas, plurales y no centralistas, capaces de estimular la energía creativa de las poblaciones en territorios y entornos diversos. Contribuirán también estimulando la actividad simbolizante, tarea ciega de la ideología del desarrollo exportada a todo el mundo. Y finalmente, en el momento en el que la globalización genere como reacción radicalizaciones comunitarias tan peligrosas como ella misma, los artistas obrarán por la constitución de grupos humanos sobre bases no identitarias sino heterogéneas y transculturales, verdaderas alternativas a las exclusiones generadas por el neoliberalismo16.

16He aquí un programa que moviliza a artistas que decidieron darle la espalda al “arte autónomo” para compartir un pensamiento en acción con la mayor cantidad de gente posible. Y son ellos a quienes quisimos seguir en su búsqueda de prácticas alternativas. Es a través de la acción artística para todos que se distingue su postura, herencia de la educación popular, menos dirigida hacia las obras (que permanecen irremplazables) y más hacia los procesos de transformación humana y social desencadenados por las prácticas. Nuestras búsquedas se focalizaron en América Latina, en donde el arte es naturalmente considerado como una palanca de transformación social, pero también en Europa en donde las iniciativas se multiplican. Es un primer paso que esperamos extender en el futuro a otros continentes.

17El presente volumen se enriquece, entre otros, de un encuentro17 que tuvo lugar en octubre de 2013 en el Norte de Francia que reunió universitarios y actores de la sociedad civil. A partir de entonces se desarrolló un intercambio fecundo entre artistas europeos y latinoamericanos y un conjunto de actores de diferentes continentes (habitantes rurales, de regiones peri-urbanas, filósofos, antropólogos, sociólogos, psicólogos, arquitectos, pensadores del arte y de las culturas…) quienes, cada uno confrontado a realidades geopolíticas específicas, se preocupaban por el deterioro de las situaciones humanas y ecológicas en su entorno así que por imaginar posibles vías de transformación. Sólo sobrepasando las lógicas disciplinarias podremos crear un “laboratorio social”18 del que los artistas formarán parte.

18Arraigándose aún más en los territorios, obrando más cerca de las poblaciones en dificultad, ¿puede el arte ser capaz de mantener su rol en la gran partitura de una sociedad más justa? ¿Bajo qué formas? ¿El arte es capaz de contribuir al tejido del Común, indispensable  ante los desastres anunciados? ¿Debe? ¿Puede el arte inscribirse sin daño en la transformación social o bien, aceptando su instrumentalización toma el riesgo de perder una función primordial? ¿Debe la obra ceder su lugar al proceso, considerado como metáfora de la constante resiliencia de la vida? ¿O puede cooperar con él? ¿Cómo, concretamente, los artistas lograrán liberarse de la dependencia del mercado del arte y de las industrias culturales, desarrollando una acción responsable? ¿La interculturalidad propia del mundo actual va inevitablemente a expandir el proceso de los fundamentos ideológicos europeos y el sincretismo de las ontologías existentes19 en el origen de las culturas? ¿Sabrán las prácticas artísticas contribuir a la metamorfosis de las ontologías (de las cosmovisiones prehispánicas de América) que nos han construido y especialmente de la ontología naturalista que impulsa la ideología occidental del desarrollismo con su dominio absoluto de la naturaleza? Finalmente, y en contra de esta “vida buena”20 que los filósofos greco-latinos y clásicos nos enseñaron como competencia del individuo, ¿la edificación del Común aparece como una condición de la felicidad? ¿Está el arte definitivamente enraizado en el sufrimiento humano, como nos lo han hecho creer los dos siglos pasados? ¿O puede acompañar la construcción colectiva de la felicidad?

19El cruce de experiencias alternativas y de reflexiones sobre los movimientos que emergen en espacios no instituidos de diversos continentes nos parece fundamental para abordar todas estas cuestiones, en sus aspectos artísticos, sociales y políticos. Se trata de meditar sobre estas experimentaciones que han quedado en el “punto ciego del conocimiento y que escapan incluso de los dispositivos de observación”21. El valor que otorgamos a la cuestión del Común nos condujó a dedicarle dos números de la revista Filigrane, n° 19 y 20. Cada uno trata de temas que son examinados por distintos investigadores en ciencias sociales (politólogos, sociólogos, filósofos, geógrafos…) que tienen un enfoque particular sobre el Común, del cual hacen eco numerosos artistas.

20El número 19 destaca entonces los temas del Buen Vivir con su relación al Común, así como el tema del “tercio espacio” con su poder creativo. Allí encontramos los relatos latino-americanos de Susana Moreau y Ulrike Hemberger. Del mismo modo, autores europeos, Pia Bartsch, Nathalie Poisson-Cogez, Filippo Bonini Baraldi y Florent Manneveau.

21En el número 20 de la revista, Camille-Olivier Verseau llama la atención sobre la contradicción sutil entre común y reparto. Agustín Berque por su lado averigua la transformación del ambiente a través el arte; Miriam Calvillo propone un modelo universitario menos altanero y más abierto al intercambio de los saberes. Similarmente hacen eco situaciones concretas tal como la lucha de Marie-Pierre Lassus contra la privación de contactos sociales y sensoriales a los detenidos en situación carceral gracias a la co-construcción de un orquesta en prisión; la reviviscencia de los lazos intergeneracionales que ofrece Scheherazade Zambrano. Por último, Jean-Paul Olive describe la cooperación artística de la Universidad Paris 8 con el Pôle supérieur de musique en la región norte de la capital.

22Estos son algunos temas que debemos seguir desarrollando y profundizando, lo que tal vez permitira de imaginar un nuevo rol para los artistas, como protagonistas de aquel bien común que llamamos Educación. De este punto de vista conviene mencionar la red internacional AEDE (Aedos) que la Universidad de Lille está construyendo con sus homólogos internacionales. Su meta es formar y apoyar los aedos contemporáneos, los que por sus prácticas artísticas actuan como “polinisadores de lazos” en un mundo que se vuelve cada vez más multicultural.

23Para que el encuentro de la diversidad pueda aceptarse con confianza y sin conflictos, artistas capaces de tejer hilos invisibles entre los continentes a través de las experiencias de los individuos, podrán útilmente contribuir al edificio del Común. Al lado de los numerosos participantes sociales que se dedican al “vivir juntos con dignidad” en el mundo entero, los aedos de hoy, lucidos y responsables, en paz con ellos mismos y con los demás, y formados, más allá del arte, en la complejidad de la realidad social, pueden participar de lo que constituye hoy uno de los desafíos mayores de nuestra sociedad mundializada. Al auspiciar la expresión artística de lo esencial, del sentido de la vida, van a favorecer los vínculos entre los distintos grupos, comunidades, pueblos, individuos, sociedades y culturas, destacando los valores comunes que pueden trascender las diferencias. Dar forma a lo que reúne más allá de lo que divide, así es el propio de las prácticas del Común. La invención de un mundo diferente es nuestra responsabilidad.

Notes   

1  OSTROM Elinor (2010) : Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Bruxelles, De Boeck et (1990) : Governing the Commons. The Evolution of Institutions for Collective Action, Cambridge University Press ; STALLMAN Richard (2002) : Free Software, Free Society. Selected Essays of Richard Stallman, GNU Press ; HARDT Mickael et NEGRI Antonio (2012) : Commonwealth, Paris, Stock ; CORIAT Benjamin, « Qu’est-ce qu’un commun ? Quelles perspectives le mouvement des communs ouvre-t-il à l’alternative sociale ? », Les Possibles, Revue électronique du Comité scientifique d’ATTAC, n°05, Hiver 2015, mardi 6 janvier 2015.

2  Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2014

3  www.lesconvivialistes.org

4  « Prenant acte de ce qu’ils considèrent comme l’échec du communisme, engendré dans les pays du « socialisme réel » par un étatisme exacerbé, les deux auteurs (Dardot et Laval) passent en revue les nouveaux mouvements alternatifs, qu’ils soient écologistes ou altermondialistes, fondés sur la notion de biens communs. Ces mouvements s’opposent à ce qu’ils nomment la « nouvelle enclosure du monde », c’est-à-dire l’appropriation privée tous azimuts de biens qui passaient pour inappropriables, comme l’air ou l’eau. Ils prêtent également une attention appuyée à la manière dont les droits coutumiers des pauvres sont remis en question par l’institution juridique. Ils en arrivent à l’idée que le commun ne doit pas être compris comme un bien qui appartiendrait à tous, mais comme un principe d’organisation qui découle d’une activité commune, celle des membres de la société. » Jean Quétier, Mediapart, 29 mai 2014, http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet/article/290514

5  Dardot et Laval, op. cit., p. 107

6  On citera pour exemple l’action menée par le Centre bruxellois d’action interculturelle (CBAI) et sa remarquable réalisation musicale et chorégraphique interculturelle qu’est Le Monde en scène, très proche de la proposition que font dans ce numéro Filippo Bonini-Baraldi et Florent Manneveau. On trouvera le film relatant cette expérience sur le site www.cbai.be

7  Symposium Développement humain et milieu de vie. Quels partenariats Université/Monde associatif à travers l’acte artistique, Armentières et Le Favril, 11-13 octobre 2013, http://live3.univ-lille3.fr/video-recherche

8  Philippe Descola distingue quatre grandes ontologies : l’ontologie naturaliste, l’ontologie animiste, l’ontologie totémiste et l’ontologie analogiste. « Ces systématisations – l’une animiste, l’autre naturaliste – font partie de la base ontologique (…)  sur laquelle se construit, entre autres, ce que nous appelons une société. Dans le cas des sociétés animistes(…), la notion de société n’a guère de sens, car toute forme de vie capable d’un point de vue subjectif sur le monde est société. (…) Le terme société est donc, en l’occurrence, inadéquat : il ne peut se référer qu’à l’idée que nous en avons : le collectif des humains capables de se gouverner et de créer des conventions qui organisent les relations entre eux et les relations avec le reste du monde. De ces choix fondamentaux s’ensuivent d’autres conséquences qui viennent moduler et organiser de manière systématique des façons de plus en plus complexes de composer le monde qui sont celles auxquelles, encore aujourd’hui, nous sommes confrontés. » Philippe Descola et Tim Ingold, Etre au monde. Quelle expérience commune, PUL, 2014, p. 31-32.

9  Sénèque, Epicure, Cicéron, Marc-Aurèle, Saint Augustin, Montaigne, Descartes…

10  Cf. L’article d’Hugues Bazin dans ce numéro.

11  OSTROM Elinor (2010) : Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Bruxelles, De Boeck et (1990) : Governing the Commons. The Evolution of Institutions for Collective Action, Cambridge University Press ; STALLMAN Richard (2002) : Free Software, Free Society. Selected Essays of Richard Stallman, GNU Press ; HARDT Mickael et NEGRI Antonio (2012) : Commonwealth, Paris, Stock ; CORIAT Benjamin, « Qu’est-ce qu’un commun ? Quelles perspectives le mouvement des communs ouvre-t-il à l’alternative sociale ? », Les Possibles, Revue électronique du Comité scientifique d’ATTAC, n°05, Hiver 2015, mardi 6 janvier 2015.

12  Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2014

13  www.lesconvivialistes.org

14  “Tomando en cuenta aquello que ellos consideran como el fracaso del comunismo, engendrado en los países del “socialismo real” por un estatismo exacerbado, los dos autores (Dardot y Laval) revisan los nuevos movimientos alternativos, ya sean ecologistas o altermundistas, fundados en la noción de bienes comunes. Dichos movimientos se oponen a lo que ellos llaman la “nueva enclosure del mundo”, es decir, la apropiación privada de bienes que no podías ser apropiados como el aire o el agua. Ponen también especial atención en la forma en la que los usos y costumbres de los pobres son cuestionados por la institución jurídica. Llegan así a la idea de que el común no debe ser entendido como un bien que pertenece a todos, sino como un principio de organización de parte de una actividad común, la de los miembros de la sociedad.” Jean Quétier, Mediapart, 29 mai 2014, http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet/article/290514

15  Dardot et Laval, op. cit., p. 107

16  Citaremos, por ejemplo, la acción que lleva a cabo el Centro de Acción Intercultural de Bruselas (CBAI, por sus siglas en francés) y la remarcable realización musical y coreográfica intercultural  que es El Mundo en escena, muy cercana a la propuesta que Filippo Bonini-Baraldi y Florent Manneveau hacen en este número. Se puede consultar el video que relata esta experiencia en www.cbai.be

17  Symposio Développement humain et milieu de vie. Quels partenariats Université/Monde associatif à travers l’acte artistique, Armentières et Le Favril, 11-13 octubre 2013, http://live3.univ-lille3.fr/video-recherche

18  En referencia al  Laboratorio de Innovación Social por la Investigación Acción (Laboratoire d'innovation Sociale par la Recherche-Action) (LISRA), Paris, www.recherche-action.fr/labo-social

19  Philippe Descola distingue cuatro grandes ontologías: la ontología naturalista, la ontología animista, la ontología totemista y la ontología analogista. “Estas sistematizaciones –una animista, la otra naturalista- forman parte de la base ontológica (ya que son afirmaciones a partir de la estructura del mundo) sobre las que se construyen, entre otros, lo que llamamos sociedad. En el caso de las sociedades animistas (…), la noción de sociedad no tiene sentido ya que toda forma de vida capaz de tener un punto de vista subjetivo sobre el mundo es sociedad. (…) EL término sociedad es, así, inadecuado: no puede referirse más que la idea que tenemos: el colectivo de humanos capaces de gobernarse, de crear convenciones para organizar las relaciones entre ellos y con el resto del mundo. Estas elecciones fundamentales tienen consecuencias que moldean y organizan de forma sistemática maneras cada vez más complejas de componer el mundo y a las que, aún hoy, estamos confrontados.” Philippe Descola et Tim Ingold, Etre au monde. Quelle expérience commune, PUL, 2014, p. 31-32.

20  Sénèque, Epicure, Cicéron, Marc-Aurèle, Saint Augustin, Montaigne, Descartes…

21  Cf. El artículo de Hugues Bazin en este número.

Citation   

Joëlle Caullier, «Edifier le(s) Commun(s)», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Edifier le Commun, I, mis à  jour le : 22/03/2016, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=705.

Auteur   

Joëlle CaullierMarcelle Bruce