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Musicologies ?

Joëlle Caullier, Jean-Marc Chouvel, Jean-Paul Olive et Makis Solomos
mai 2011

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Notes de la rédaction

Correctrice : Hélène Olivesi.

1Nommer une revue, c’est déjà annoncer un programme. L’Humanité, La Croix, Le Figaro, Traverses, Esprit… portaient, dans leur appellation même, l’impulsion, voire l’utopie qui les avaient fait naître. Qu’évoque à son tour Filigrane ? L’absence d’évidence sans doute, un penchant pour l’introversion, mais aussi la nécessaire perméabilité au regard cherchant à pénétrer l’apparente transparence pour découvrir ce qui est crypté dans la matière, ce qui a été déposé par l’homme désireux d’imprimer, au cœur du matériau qu’il destinait aux autres, au cœur de son œuvre, un signe secret, la trace d’un passage, d’une origine, d’une appartenance… Un filigrane conteste la frontière imposée par la surface de la page, suppose la nuance, l’estompement, mais il réclame aussi du lecteur une disposition particulière, qui le rende apte à identifier les empreintes mystérieuses qu’on ne remarque pas dès l’abord – le signe de l’autre –, ce qui échappe au visible…

2Or c’est bien cette disposition qui motive la naissance de Filigrane, une revue consacrée, non pas à la musique contemporaine comme ensemble constitué d’œuvres et de discours, mais bien plutôt à la création considérée comme un champ de forces où s’élabore le sens du monde. Le projet est ici de considérer la musique comme un phénomène global où le sens se forge et circule, où l’homme emploie ses facultés à construire un monde en même temps que lui-même. La musicologie devient alors le lieu où les sciences de l’esprit et de la société croisent la pensée propre de l’art, une pensée en acte, non discursive, une pensée de l’expérience humaine, métaphorisée par l’invention et la disposition d’un matériau dans le temps et dans l’espace. Or, si la musique est bien, avant tout, une pensée de l’expérience, comment la musicologie pourrait-elle sensément, sans contradiction avec l’art lui-même, se constituer en discipline autonome médiatisant cette expérience ? N’a-t-elle pas le devoir de partager la destinée de l’art tout en s’enrichissant de points de vue multiples qui élèveront sa fonction, au confluent de l’art et des sciences humaines ? Une louange de l’interdisciplinarité certes, mais plus encore peut-être, de l’indisciplinarité féconde de l’art !

3Filigrane se consacrera à la connaissance de l’homme et du monde telle que l’art et la pensée d’aujourd’hui peuvent nous l’enseigner, dans l’espoir de contribuer, si modestement que ce soit, à leur transformation ; elle ne sera donc, au sens strict, ni une revue d’analyse musicale, ni une revue d’esthétique musicale, ni une revue d’histoire de la musique, ni même une revue de musicologie. Elle se propose de se tenir à l’affût du sens, observant le devenir de la création artistique pour y déceler des signes et, autant que faire se peut, les déchiffrer. Ce qui implique une vigilance extrême : un engagement critique certes, mais aussi une méfiance à l’encontre des certitudes… Une gageure sans doute, mais tentée avec un souci d’honnêteté qui doit rendre les débats possibles. Les quatre fondateurs de la revue ne sont pas obligatoirement d’accord sur tous les sujets qui seront abordés, mais ils sont en revanche unanimes sur la nécessité d’aborder sans esquive les thèmes difficiles et épineux (politiques, sociaux, spirituels…) qui se dressent sur le parcours escarpé de l’art.

4Ces thèmes feront tour à tour l’objet d’un numéro, confié à un coordonnateur qui aura carte blanche pour le construire. La revue souhaite vivement tisser des liens avec des penseurs et des artistes étrangers, notamment européens, avec lesquels elle aimerait engager un dialogue suivi. Elle s’affirme également soucieuse d’associer à ses réflexions des chercheurs en sciences humaines (philosophes, psychologues, anthropologues, sociologues, historiens…), même si ceux-ci n’ont pas la musique pour spécialité. Les préoccupations exprimées par chacun pourront se croiser et c’est au lecteur qu’il reviendra de prolonger le travail de connexion proposé par la rédaction entre telle et telle réflexion. Par ailleurs, comme une revue consacrée à la création se le doit, chaque numéro confiera une tribune à un ou plusieurs artistes qui témoigneront, sous forme d’écrits, d’entretiens et parfois d’œuvres, de leur expérience et de leur pensée de l’art et du monde.

5Les contributions pourront être publiées dans l’une des langues suivantes : français, allemand, anglais, espagnol accompagnées de résumés dans ces quatre langues. On a choisi pour Filigrane le double mode de diffusion, électronique et sur papier ; une version électronique, car ce mode d’expression contribuera sans doute à faciliter les échanges européens et à constituer un véritable lieu de débats ; une version sur papier, qui demeure un mode de lecture plus agréable et qui sera proposée sur abonnement (une vente au numéro sera néanmoins possible via internet ou les librairies spécialisées). On espère que Filigrane saura remplir sa vocation européenne de revue destinée à penser le sens, l’inscription et la diversité des formes de l’art au sein de sociétés confrontées, à l’aube du XXIe siècle, à une métamorphose sans doute incomparable. La responsabilité des intellectuels et des artistes – ensemble – y est pleinement engagée.

6Le premier numéro a été conçu comme un manifeste dans lequel chacun des co-fondateurs développe une réflexion générale sur les questions à aborder dans l’avenir par la revue. Chacun d’entre eux a proposé à un chercheur ou à un artiste de se joindre à ce questionnement inaugural dont on pourra ainsi mesurer la diversité. L’ordre adopté des articles n’implique pas une hiérarchisation de ces questions, mais un itinéraire en deux temps.

7Premier temps : le cheminement part d’une interrogation sur la possibilité d’écrire sur la musique dans le domaine de ce que l’on appelle la musicologie (Joëlle Caullier) pour aboutir à une évaluation critique de l’état actuel de la composition musicale (Jean-Marc Chouvel). Les étapes intermédiaires sont constituées d’une réflexion sur le caractère utopique de la musique à travers la catégorie du présent (Jean-Paul Olive) ainsi que d’une discussion sur la notion de musique contemporaine et ses relations à la société (Makis Solomos).

8Second temps : le cheminement mène d’une nouvelle interrogation sur la possibilité de parler sur (ou de) la musique, mais cette fois du côté de l’esthétique philosophique (Carmen Pardo Salgado), à l’autoréflexion d’un compositeur à partir de sa lecture de Husserl (Emmanuel Nunes). Les étapes intermédiaires attirent l’attention sur la nécessité de réinscrire la question du sens au cœur de la musicologie (Christian Hauer) et sur une tentative de renouveler celle-ci au contact d’une nouvelle démarche intellectuelle, la médiologie (Vincent Tiffon). Une étude critique des « instruments » avec laquelle la musicologie a récemment tenté de naturaliser des écoutes, pourtant historiques, de la musique complétera ce premier numéro (Nicolas Donin).

9Le prochain numéro sera consacré aux Traces d’invisible dans l’activité créatrice, attirant l’attention sur l’envers des choses : ce qui se cache, ce qui se tait, ce qui ne peut se dire, ce qui ne doit se dire, ni se montrer, enfin, sur les facultés humaines de sentir, de percevoir, de symboliser… La parole sera donnée à des musicologues, des théoriciens de l’art, des philosophes et des artistes. Les numéros suivants s’intituleront : La musique dans la société / La société dans la musique, Nouvelles sensibilités, Musique et globalisation

Citation   

Joëlle Caullier, Jean-Marc Chouvel, Jean-Paul Olive et Makis Solomos, «Musicologies ?», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Musicologies ?, mis à  jour le : 30/01/2014, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=63.

Auteur   

Joëlle CaullierJean-Marc ChouvelJean-Paul Olive

Quelques mots à propos de :  Makis Solomos