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Bertrand Ricard, La fracture musicale, les musiques à l’ère du populisme de marché, Paris, L’Harmattan, 2006.

Juremir Machado da Silva
janvier 2012

Index   

1Il faut qu’un livre ait du rythme. Et il faut qu’il son ne vrai. Dans le cas contraire, les lecteurs iront danser ailleurs. L’harmonie est essentielle, même lorsque la chanson est critique. C’est justement cela qu’on peut ressentir en lisant le livre de Bertrand Ricard, qui livre une analyse précise, riche et poussée de la situation de la musique en tant que marchandise dans les sociétés de consommation. Avec une grande connaissance de son sujet, l’auteur conduit son lecteur dans un voyage en cinq chapitres contenant de très nombreuses informations et des analyses pertinentes, et en traitant des obstacles et des espoirs d’une musique depuis de ses origines jusqu’à « la victoire définitive de la Musique populaire ». Nous vivons dans les paradoxes d’une culture post-industrielle vouée à l’industrie culturelle résistante. Jean Baudrillard avait averti : « Il y a et il y aura toujours quelque difficulté majeure à analyser les media et la sphère de l’information à travers les catégories traditionnelles de la philosophie du sujet : volonté, représentation, choix, liberté, savoir et désir. Car il est éclatant qu’elles y sont absolument contredites, et que le sujet y est parfaitement aliéné dans sa souveraineté »1. Bertrand Ricard montre simultanément à quel point cette affirmation est vraie et comment les acteurs sociaux arrivent, malgré tout, à dépasser, sous certaines conditions, cette situation d’expropriation de leur autonomie créative et culturelle : il existe des brèches à exploiter.

2Voici un exemple de cette interprétation : « La particularité de la musique populaire d’aujourd’hui est qu’elle constitue une parfaite synthèse de l’histoire même du lien social depuis ses origines. Elle comporte à la fois une logique communautaire éthique ou stylistique, mais elle participe également à l’édification d’une identité nationale et culturelle comme c’est le cas de la musique populaire brésilienne ou américaine. Elle se base pour cela sur le talent individuel et repose sur le postulat du talent personnel et de la personnalité, donc d’un certain individualisme égotiste et hédoniste, tout en admettant la nécessité pour son maintien et sa perpétuation de créer des liens associatifs entre les individus qu’elle fait se croiser » (p. 234). Il y a donc négociation et affirmation sociale.

3La musique populaire fait ainsi partie du monde de la marchandise. Mais elle peut jouer avec cette limitation créant des espaces de renouvellement de la souveraineté sociale et artistique. La musique est art, mais elle est aussi un produit de consommation. Cependant, elle peut faciliter le lien social et contribuer à l’identité d’un groupe ou d’une culture. C’est une question de choix et de posture politique. C’est aussi une question d’imaginaire et de vision de monde. La musique populaire, du point de vue de Ricard, amplifie une fracture sociale entre, d’une part, le prêt-à-écouter des grosses machines à se faire de l’argent avec des produits soi-disant culturels et, d’autre part, l’inventivité spontanée de gens, car elle s’oppose à la médiocrité de la standardisation de l’industrie culturelle pure et dure. Il y a de la puissance sociale à l’œuvre dans ce refus de la marchandisation totale de la vie, de l’art et des rapports entre les hommes.

4Le livre de Bertrand Ricard constituera une référence importante pour tous ceux qui veulent comprendre l’économie du champ musical. Il nous invite à explorer les entrailles d’une partie très importante de l’industrie culturelle et – il faut insister sur ce point – met l’accent simultanément sur le danger de la marchandisation de la musique et sur les mouvements de résistance, sur la créativité populaire, sur le renouvellement des styles, etc. Ricard n’est jamais pessimiste, il n’est pas dupe non plus. Il arrive à faire tenir ensemble les contradictions en jeu et à réaliser en un seul mouvement la critique de la société du spectacle et l’éloge de la musique populaire comme force sociale et outil de libération de ceux qui n’ont pas de voix même s’ils savent chanter très bien et très fort.

Notes   

1  Jean Baudrillard, Les stratégies fatales, Paris, Grasset, 1983 , p. 105

Citation   

Juremir Machado da Silva, «Bertrand Ricard, La fracture musicale, les musiques à l’ère du populisme de marché, Paris, L’Harmattan, 2006.», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Jazz, musiques improvisées et écritures contemporaines, Numéros de la revue, Comptes rendus de lecture, mis à  jour le : 31/01/2012, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=402.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Juremir Machado da Silva

Faculté de Communication de la Pontificale Université Catholique de Porto Alegre, Brésil