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La "nouvelle" complexité de l'oralité musicale

Carlo Carratelli
juin 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.375

Résumés   

Résumé

L’article essaie de situer l’importance prise par le phénomène de l’oralité musicale dans la constellation des exigences créatives actuelles, afin d’en proposer une révision conceptuelle et esthétique. En fait, grâce à l’exemple d’une expérience particulière, celle du compositeur italien Giovanni Mancuso et de son ensemble, on a envisagé la possibilité de reconsidérer le rapport entre écriture et oralité au-delà d’une opposition simplificatrice, qui réserve à la première la maîtrise de la conceptualisation et de la complexité et à la deuxième celle de l’immédiateté. L’oralité, dans notre hypothèse, ne représente pas l’effet d’une involution technique ou d’un dégagement conceptuel, mais plutôt le signe d’une sensibilité « nouvelle ».

Abstract

This article seeks to situate the importance of the phenomenon of oral music transmission in the constellation of current cultural conditions, with the aim of proposing a conceptual and aesthetic revision. Indeed, thanks to the experiences of one case in particular, the Italian composer Giovanni Mancuso and his ensemble, the possibility of reconsidering the relationship between written and oral music going beyond a facile opposition can be envisaged. Such an oversimplification assigns to writing the mastery of conceptualisation and complexity, and to oral transmission, immediacy. In our hypothesis, oral transmission does not represent the effect of a technical involution or a conceptual shift, rather the sign of a ‘new’ sensitivity.

Index   

Texte intégral   

Novo

1(…) la novitade de la mia condizione, la quale, per non essere da li altri uomini esperta, non sarebbe così da loro intesa come da coloro che ‘ntendono li loro effetti ne la loro operazione ; e questa ragione tocco quando dico : Ch’io nol so dire altrui, sì mi parnovo.1

2Pour exprimer le caractère extraordinaire de son ineffable expérience poétique, intellectuelle et spirituelle, Dante Alighieri puise à un concept – celui de novitas – qui cache et engendre une série non négligeable de problèmes et de suggestions. En effet, Dante qualifie de novo non seulement le dolce stil qu’il partage avec d’autres poètes de son propre “cercle”, se vouant comme lui aux « rime d’amor […] dolci [soavi per musicalità, n.d.r] e leggiadre [eleganti per forma e contenuto, n.d.r.] »2, et qui en même temps le distingue d’expériences poétiques qui lui sont contemporaines ou antérieures3 ; pour Dante, le terme de nova s’applique également à sa propre condition humaine et à sa propre vita4 dès lors que l’épiphanie de Béatrice a asservi sa plume et son art aux prescriptions de l’Amour. La sensibilité nouvelle de Dante se réfère par conséquent à trois ordres de rapports :

  1.  Le rapport au passé, donc avec la tradition : l’école provençale5, l’école sicilienne, etc.

  2.  Le rapport au présent, autrement dit avec les expériences poétiques de son temps ou qui le précèdent de peu (donc encore en acte et en vigueur) : l’école bolonaise, l’école sicilo-toscane, etc. Guittone d’Arezzo, avec lequel Dante a engagé une âpre polémique, en est un exemple emblématique.

  3.  Le rapport à sa propre inspiration6 et, surtout, à la définition de cette dernière. D’un certain point de vue, la nouveauté que Dante revendique, la nouveauté qu’il sent et entend justement raisonner dans son cœur est, avant toute chose, la nouveauté d’une expérience : nouvelle donc dans le sens que c’est quelque chose que l’on n’avait jamais éprouvé auparavant ; mais nouvelle aussi dans le sens qu’elle est absolument unique, comme si l’auteur comprenait que cette expérience ne sortira jamais plus de sa vie (qui devient justement « vita nova »), comme s’il découvrait pour la première fois la beauté. Dans ce sens, « nouveau » a davantage affaire au beau qu’à l’ancien. C’est pourquoi même pour Dante7 – l’auteur des définitions les plus pertinentes que la littérature italienne ait jamais connues, au moins jusqu’à Leopardi – il est bien difficile de dire en quoi consiste cette nouveauté.

3Dante pouvait bien justifier sa propre incapacité à définir (mais non pas à penser et à expérimenter) ce qu’il y avait de nouveau et de beau dans sa propre création poétique, du fait qu’il avait profondément conscience que les confins de la pensée sont plus vastes que ceux du langage8. Aujourd’hui, le « tournant linguistique » a mis en discussion cette conception qui ne concède au langage qu’un rôle instrumental et à la pensée un statut prélinguistique. Pourtant, les termes de la question sont déplacés, mais pas supprimés : ils consistent à savoir si les limites de l’art sont plus larges que les limites de la pensée.

4En d’autres termes, nous nous demandons si la difficulté à trouver des catégories esthétiques pouvant interroger, sinon expliquer, la complexité de la réalité musicale et artistique d’aujourd’hui, sont à attribuer à la pensée critique contemporaine ou plutôt à une éventuelle spécificité de l’art de nos jours. Dans le premier cas, on serait face à un manque de capacité logique et d’ordonnancement critique. Dans le second, au contraire, c’est l’état de l’art – et du monde – qui serait trop fragmentaire et contradictoire pour pouvoir être réduit à des concepts et des catégories, pour pouvoir être traversés et reparti par le principium firmissimum 9de la raison, pour devenir un objet d’abstraction.

5Dans les deux hypothèses – qui, en regardant bien, sont loin de s’exclure l’une l’autre – le nouveau acquiert les traits « ineffables » et « individuels » d’une expérience privée, de généralisation ardue, à l’instar de la beauté, proie facile de l’irrationalisme (« la beauté est indéfinissable ») ou du relativisme sceptique (« n’est pas beau ce qui est beau, mais c’est ce qui plaît qui est beau »).

6Chez Dante, toutefois, c’est précisément l’expérience nouvelle et personnelle de la beauté qui permet au poète de transfigurer une chronique autobiographique – comme celle qui fournit l’argument à la Vita Nova – en une métaphore universelle, prélude de la Divine Comédie.

Actuel.

7Le « nouveau », dont l’artiste contemporain a longtemps recherché les incarnations fait effectivement allusion à une idée de progrès entendu comme une accumulation constante de « nouveautés », qui vieillissent au moment même où elles voient la lumière, comme les « nouvelles » de l’actualité. Si l’on y regarde de près, ce scénario est un héritage judéo-chrétien, qui nous livre une conception de la création ex-nihilo, et pour cette raison radicalement nihiliste, qui étend son influence même à l’idée de création artistique, alors que le nouveau, comme la vérité [alètheia], a souvent besoin d’être simplement révélé, d’être porté à la lumière en enlevant le voile qui l’occulte.

8Aujourd’hui où l’on a abandonné jusqu’à cette idée résiduelle de progrès, et où l’on favorise la récupération même des idées du passé et leur coexistence harmonieuse avec celles du présent, le nouveau revêt l’aspect de ce voile opaque à plier et re-plier au sein des formes post-modernes de l’art « actuel »10.

9Il y a quasiment deux siècles, Giacomo Leopardi faisait émerger, dans des pensées teintées d’ambiguïté, la valeur dé-voilante de l’intuition, à laquelle correspond une conception « ordinaire » de progrès :

10Ho detto : tutti vedono, ma pochi osservano. Aggiungo, che basta talvolta annunziare una verità anche novissima, perché tutti quelli che hanno intendimento (escludo i pregiudizi ec. ec. ec.) la riconoscano o certo la possano riconoscere subito, prima della dimostrazione. Questo ci accade le mille volte leggendo o ascoltando. Appena quella verità è trovata, tutti la conoscono, e pur nessuno la conosceva. Ed accade allo spirito umano, o all’individuo ordinariamente, che al primo accennarglisi una cosa ch’egli avea sotto gli occhi, ei la vede, e pur prima non la vedeva, cioè la vedeva, ma non l’osservava, ed era come non la vedesse. Questo è l’ordinario progresso de’ nostri lumi in tutto ciò che non appartiene alle scienze materiali, e bene spesso anche in queste11.

11Or, une des tâches de l’artiste est effectivement d’orienter notre regard, de nous indiquer, nous montrer, nous évoquer, pour reprendre les termes de Leopardi, ce que nous avons sous les yeux, mais que nous ne sommes pas en mesure de voir. Les voies du nouveau, en somme.

12Le manque de velléité programmatique des générations de compositeurs de la post-avant-garde, conjuguée peut-être à l’inadéquation des instruments théoriques de la critique et de l’esthétique contemporaines, compliquent la tâche à qui veut reconnaître les traits qui unissent en « écoles », courants et tendances les expériences individuelles, et à plus forte raison, les nouveautés qui les distinguent l’une de l’autre. Cet état de choses reconduit à la réalité l’espiègle remarque de Leopardi, selon laquelle le problème n’est pas tant de « rencontrer » le nouveau que de le « reconnaître ». Si les mots pour définir le nouveau nous manquent c’est, évidemment, parce que les instruments conceptuels pour l’intercepter nous font défaut. Comme nous l’enseignent Heidegger et Gadamer, la recherche conceptuelle est une recherche avant tout linguistique.

13En ce qui concerne ensuite l’auto-conscience même de l’artiste, le problème se complique ultérieurement, puisque les artistes sont souvent, comme le disait Giacomo Debenedetti, comme des oiseaux qui portent sous les ailes un don dont eux-mêmes n’ont pas connaissance ; le même critique soutenait avec force l’idée quelque peu passée de mode – mais à notre avis fort actuelle – selon laquelle la faiblesse de la critique est souvent cause et/ou effet de la faiblesse de l’art : bien que conscient du rapport historiquement déterminé entre art et critique, Debenedetti entrevoyait la relation non-instrumentale ou secondaire de la seconde par rapport au premier, et il se gardait donc bien d’assigner à l’art un statut « précritique ». L’art conceptuel devait s’épanouir quelques années après.

14Arrivés a ce point, nous pourrions nous demander quelle fonction explicative il est donc possible d’accorder à la notion critique de nouveau et d’innovation, à une époque qui en a fortement redimensionné la position et le prestige. N’est-il pas inéluctable que ces catégories deviennent aujourd’hui insignifiantes et confuses, voire intrinsèquement inaccessibles, après avoir au contraire représenté, pendant une bonne partie du XXe siècle, des critères d’interprétation essentiels, parfois même inévitables ?12 A ce sujet, Leonard B. Meyer écrit, dans des pages perspicaces et prophétiques : « […] si le contexte chronologique est inutile [le postmodernisme en témoigne, n.d.r.], comment peut-on savoir ce qui est nouveau ? […] L’innovation n’est pas seulement non pertinente, elle est inconnaissable »13.

Une oralité complexe ?

15Gerard Bennett, dans un artiche où il soutient la thèse second laquelle la musique contemporaine assumerait toujours plus les caractères d’une culture orale, reproche, dans la composition actuelle, « l’absence de tout cadre conceptuel général abstrait », face à une sensibilité vers la seule « sensualité directe du son » et d’un « mode d’écoute largement associatif »14.

16Encore une fois, en somme, l’on met en discussion une prétendue carence conceptuelle, attribuée cette fois-ci à la pratique artistique elle-même : la notion de « cadre conceptuel abstrait » renvoie en effet tant aux « artifices » de la composition à travers lesquels le compositeur filtre le « feu sacré » de sa propre créativité, qu’à la conscience spéculative qui lui consent non seulement d’insérer son œuvre dans un système intertextuel, mais aussi de se placer dans un contexte historique, stylistique, culturel (lien avec le passé, liens avec le présent) : la notation, en tant qu’ « objet d’abstraction », a représenté dans la musique occidentale l’instrument paradigmatique de cette tension spéculative, en s’interposant entre le compositeur et le matériel sonore et en consentant, un fois maîtrisé, une domination non immédiate du premier sur le deuxième.

17Le retour à l’oralité qui toucherait la musique contemporaine est certainement tangible dans le cas de la musique électroacoustique, mais, selon Bennett, ses effets seraient paradoxalement décelables, dans des formes et des manières sans doute plu subtiles, même dans la musique cultivée « écrite ».

18Parmi ces effets, Bennett distingue en particulier : la difficulté à formuler des modèles compositionnels (et par conséquent une certaine résistance dans l’analyse des oeuvres), la primauté du son en soi, l’absence de passé et une pédagogie inefficace.

19En particulier, l’absence de passé correspond à la difficulté de la critique et de la conscience auto-réflexive de l’artiste à reconstruire les relations entre les événements, à reconnaître les éléments de nouveauté d’une oeuvre en en induisant les filiations et les influences. Mais, une fois de plus, cette incapacité peut être interprété comme le réflexe d’une spécificité des expériences musicales actuelles : celle de croître sans racines, de « communiquer sur un mode solipsiste », selon la paradoxale formule de Arnold Gehlen15 : dans une société fragmentée, désagrégée et individualiste, où même le fait spirituel est objet de bricolage individuel, comment s’attendre à pouvoir discerner des traits communs de reconnaissance symbolique ?

20Or, plutôt que d’insister sur la fragmentation actuelle de l’horizon musical, il nous semble intéressant de relever comment Bennett met en relation « l’absence de tout cadre conceptuel général abstrait » avec la recrudescence de l’oralité dans la culture et, donc, dans la musique contemporaine.

21Le retour à l’oralité est sans aucun doute un phénomène général, qui, comme le remarquait Marshall McLuhan, fait du monde une sorte de « village » de dimensions planétaires. L’oralité, comme phénomène opposé à l’écriture, polarise souvent une série de déterminations conceptuelles qui gravitent autour de l’idée d’immédiateté, d’improvisation, d’informalité, de simplicité. C’est l’écriture, c’est bien connu, qui a consenti d’un côté à délester l’intellect du fardeau de la mémorisation, et de l’autre de pousser l’esprit à des niveaux de complexité autrement inconcevables ou irreproductibles.

22Tant la culture populaire que la culture pop se basent sur des formes de communication essentiellement orales. Elles se caractérisent souvent par des structures assez simples à mémoriser et relativement partagées. L’expérimentation et la complexité ne sont admises qu’à des doses faciles à assimiler. Même le jazz, qui aujourd’hui constitue sans aucun doute un phénomène musical cultivé et recherché, mais qui est né dans un contexte de toute autre nature, conserve son empreinte orale, liée surtout à l’improvisation, et là où l’expérimentation du langage s’alourdit (comme, par exemple, dans le free) la cohésion structurelle décroit. Même la pratique d’improvisation, développée à partir des années cinquante dans un contexte lié à la musique cultivée d’avant-garde) s’est toujours basée, comme le fait remarquer Walter Branchi16, sur des structures perceptives plutôt élémentaires, telles que l’imitation et le contraste. La musique électro-acoustique représente certainement une expression cultivée, mais, de par sa constitution orale, elle est animée, selon Bennett, par une attraction directe et quasi-exclusive pour le son dans sa « sensualité »17.

23La complexité, en tant que fruit d’un effort d’abstraction, ressemble donc à une caractéristique étrangère à la « musique orale », puisque c’est précisément la notation qui représente, selon Bennett, l’instrument fondamental d’abstraction.

24L’oralité primaire et/ou secondaire de la musique d’aujourd’hui, entendue au sens large comme modalité de gestation, de transmission, d’échange et de réception des expériences musicales, constitue certainement un phénomène global et en même temps capillaire, même au-delà des évidences les plus flagrantes.

25Le retour à l’oralité de la musique cultivée, regretté plus que constaté par Bennett, est accompagné d’une kyrielle de phénomènes hétérogènes, tel que la contamination entre genres et pratiques, la généralisation des technologies informatiques, l’autoproduction musicale, qui, d’une certaine manière, font de la fragmentation évoquée plus haut une dominante non seulement esthétique mais aussi socio-psychologique. Dans une multitude de réalités cachées et non relatées, et non plus dans les cours d’été ou dans les vitrines internationales, le nouveau (dans le sens que nous avons donné à l’expression de Dante) est rencontré et expérimenté, ainsi que partagé à travers des canaux anonymes et ramifiés, volatile et informels. L’écriture a probablement du mal à en suivre et en cristalliser les traits identitaires, circonstance qui explique peut-être, au moins partiellement, la déroute de la critique.

26À notre avis, toutefois, il est important de bien comprendre que l’oralité en question n’est pas, surtout aujourd’hui, quelque-chose qui s’oppose à l’écriture ou que n’entretient plus avec l’écriture la moindre relation. Dans l’histoire de la musique cultivée, l’écriture a représenté, et représente toujours, bien plus qu’une pratique : c’est une forme mentale qu’il est impossible d’éradiquer en déposant simplement la plume. C’est, tout au plus, le rapport entre oralité et écriture qui, à notre avis, a évolué au cours des dernières décennies : le rôle, les modalités, la fonction de l’écriture ne sont peut-être plus les mêmes, surtout par rapport à ce dont la notation constitue le signe et/ou l’outil : la réalité, la représentation de la réalité, l’imagination. D’autre part, l’oralité, c’est vrai, s’infiltre de plus en plus dans les domaines que l’écriture n’arrive plus à décrire ou à prescrire – donc à maitriser : pourtant, elle continue à vivre en symbiose et parfois, paradoxalement, à se confondre avec elle.

27Nous nous demandons s’il s’agit alors de mettre à jour le concept d’oralité musicale, en déconstruisant une opposition conceptuelle problématique, comme celle qui met face à face l’oralité et la complexité. Nous essayerons de suggérer une réponse à cette question en décrivant une expérience créative particulière. Le fait, d’ailleurs, que cette complexité, même conceptuelle, nourrisse des formes orales (ou partiellement orales) de communication, peut-elle probablement en expliquer l’opacité par rapport à la critique et à la réflexion d’aujourd’hui, très attachées encore à l’objectivité de la trace graphique (la partition, la transcription, etc.)

28Avant de passer à la description de cette expérience, un petit avertissement : le point de départ – qui a consisté à revoir le concept de nouveau en rapport avec la sensibilité créatrice de l’artiste – nous serve, entre autres, à écarter une équivoque : ce dont je m’apprête à parler à présent n’a pas la présomption de se présenter comme nouveau, dans le sens auquel ce terme a longtemps renvoyé au siècle dernier (innovant, inouï, révolutionnaire, etc.). Nous parlerons plutôt d’une sensibilité nouvelle, dans le sens que nous avons donné à l’expression de Dante, et qui se réfère à l’unicité et à l’« intégralité » d’une expérience artistique qui est aussi esthétique, morale et humaine.

Novamusica à Venise.

29L’Italie est un exemple « parfait » de société qui, surtout du point de vue culturel, souffre aujourd’hui d’une fragmentation et d’un isolement pathologiques18.

30Par conséquent, après les « écoles » que les maîtres de l’avant-garde19 ont inspirées plus ou moins volontairement, c’est très difficile de reconstruire une « carte » des tendances et des sensibilités qui ne soit pas superficielle20. Une des affinités les plus significatives partagées par les compositeurs d’aujourd’hui est profonde comme une vérité de Lapalisse : la proximité géographique. Toutefois, dans le cas de l’expérience dont on va rendre compte, l’environnement a une importance significative.

31Venise, en fait, n’est pas une ville comme les autres, même au-delà des trésors artistiques qu’elle conserve. Les dimensions lilliputiennes de la citée, par rapport à l’importance internationale qui est la sienne, en font une sorte de « village global » miniature, où les artistes et les intellectuels se connaissent tous entre eux. D’autre part, Venise est la ville de la Biennale, des expositions et des festivals internationaux, circonstance qui déséquilibre le rapport entre le système culturel institutionnel – conçu pour les touristes – et les friches créatives locales, qui doivent en affronter la concurrence.

32D’autre part, ce qui rend Venise une ville unique, c’est un paysage sonore et visuel qui, grâce à l’incontournable présence de l’eau, offre une dimension perceptive hors du commun ; cette dimension, de façon peut-être inconsciente, exerce son influence sur la sensibilité des artistes qui habitent quotidiennement à Venise.

33En fait, la forte sensibilité pour le son constitue une caractéristique de l’histoire musicale de la ville, de Vivaldi à Nono. Ce dernier écrit dans la présentation de …Sofferte onde serene… :

34Dans ma demeure de l’île Giudecca de Venise, on entend continuellement sonner diverses cloches dont le son nous parvient, jour et nuit, à travers la brume et avec le soleil, avec des résonances différentes, des significations variées. Ce sont des signes de vie sur la lagune, sur la mer. Des invitations au travail, à la méditation, des avertissements. Et la vie continue dans la nécessité subie et sereine de l’« équilibre du fond de notre être », comme dit Kafka21.

35En accord avec cette tradition, les compositeurs vénitiens d’aujourd’hui partagent presque tous une recherche originale sur le paramètre du timbre, et cette donnée est plutôt étonnante si on observe l’évolution stylistique de quelques compositeurs (Stefano Bellon, Luca Mosca…) qui, une fois installés à Venise, ont développé une sensibilité particulière pour cet aspect de leur langage.

36En particulier, pour Giovanni Mancuso (1970), compositeur vénitien élève de Salvatore Sciarrino, le son représente d’une certaine manière le sens originaire de la composition, et c’est autour de lui que tourne tout un manège d’objets et de couleurs qui constitue sa projection kaléidoscopique. En effet, contrairement à d’autres expériences compositionnelles qui ont montré un intérêt spécifique vers le son, la recherche du compositeur vénitien ne vise pas l’exploration spectrographique de son univers intérieur ; au contraire, le son représente une sorte de big bang, d’explosion extrovertie d’où jaillit un mouvement centrifuge, imprévisible et joyeux. Néanmoins, le son des objets et des instruments dont Mancuso se sert dans ses pièces, n’est pas une donnée naturelle (déterminée a priori par la physique acoustique) ni conventionnelle (suggérée par la tradition instrumentale et fonctionnelle) : c’est plutôt le résultat d’une découverte de l’imagination, d’une exploration joyeuse.

37Mancuso, en fait, se sert d’un très ample attirail d’instruments-jouets, d’instruments ethniques, d’inventions personnelles, d’appareils mécaniques ou électrodomestiques : un parc dense d’objets dont jouer et avec lesquels jouer. Mancuso explore chaque instrument, chaque objet, avec curiosité et sans préjugés : il recherche la « voie » de chacun de ces instruments, voie qui ne coïncide pas forcément avec les sons produits par leur usage conventionnel, mais qui, au contraire, est le résultat inattendu d’une sorte de « révélation acoustique », comme si chaque objet, une fois interrogé, révélait son âme, tel un oracle. La voix d’un objet est son âme la plus secrète, qu’il cache et protège des usages les plus banals ou au contraire des extravagances anticonformistes. En effet, il n’y a aucune intention provocatrice derrière l’utilisation de ces instruments ; il n’y a aucune recherche d’originalité gratuite. Il y a par contre une attitude ludique et en même temps sacrale22.

38Le jeu est en fait pour Mancuso une dimension poétique et créative complexe, comme il l’est d’ailleurs dans la réalité, contrairement à la pensée courante. « Le jeu est une chose sérieuse » écrit Johann Huizinga son célèbre essai23 : c’est un acte libre et désintéressé qui a toutefois ses propres règles, et qui forme un îlot spatio-temporel au sein de la vie quotidienne, en lui conférant un équilibre délicat d’ordre et de tension, de stabilité et de mouvement, de sacralité et de réalisme, d’instinct et de rationalité, d’individualité et de collectivité. Le jeu n’est pas seulement un acte doté d’une prégnance symbolique irréfutable, visant à l’assouvissement du désir, au contrôle de la réalité et à la libération de l’anxiété : les nombreuses dispositions qu’il met en jeu – telles le plaisir kinesthésique, le désir de la compétition, la propension à investir différents rôles – sous-tendent toutes une seule et même fonction – la médiation entre la réalité et l’imagination – qui fait du jeu un phénomène culturel comparable à l’action sacrée ou à la création artistique24.

39En particulier, la dialectique entre individualité et collectivité, et celle entre règle et improvisation, fait du jeu une métaphore appropriée de la créativité de Giovanni Mancuso.

40Il y a des traits spécifiques qui assimilent la pratique de Mancuso et de l’ensemble dont il est le directeur à une sorte de création et d’action collective ludique. Ces traits nous ramènent au point de départ, c’est à dire à la possibilité d’imaginer des formes d’oralités complexes, associées à des formes hybrides d’écriture.

41L’activité compositionnelle de Giovanni Mancuso a été de plus en plus liée à celle de son ensemble, l’ensemble Laboratorio Novamusica25. L’instrumentation très originale utilisée par Mancuso rend, d’une certaine manière, assez difficile la reproductibilité de ses pièces en dehors du contexte pour lequel elles ont été conçues26. Toutefois, au delà de cette donnée contingente, ce qui rend indissoluble le rapport entre le compositeur vénitien et son ensemble ce sont ses exigences expressives, qui vont dans la direction de la transfiguration et de la formation des pratiques interprétatives et créatives de chaque instrumentiste, dans un parcours où innovation individuelle et pratique collective s’avèrent difficilement discernables ; la notion d’improvisation guidée, comme on désigne habituellement ce type de processus créatif, n’explique pas toutes les spécificités de cette démarche qui doivent plutôt être cherchées dans le rapport entre oralité et écriture :

42On pourrait approfondir un point. L’écriture, ou bien les écritures et la communication d’un langage. L’oralité complexe et l’écriture traditionnelle. S’il ne naît pas de nouveaux langages, c’est parce que les modalités, les pratiques et les « chaînes méthodologiques » sont tenues pour acquises. Par exemple : il m’est maintenant plus difficile que jamais de communiquer à mes collègues, avant même qu’au public, la complexité de l’« écriture » et de la « méta écriture » que nous pratiquons sur un langage « oral », comme le genre d’improvisation que nous exerçons et cultivons avec le Laboratorio. Lorsque j’ai fait écouter, récemment, Musica compressa27 à un de mes collègues, je me suis entendu dire : « Oui, oui, c’est bien le montage, etc., mais la partition ? »

43Avec cette oeuvre, j’entendais procéder de la manière suivante :

  1.  une « oralité » de base, dérivée et prescrite sur la base du style de composition et d’improvisation (les deux aspects ne s’opposent pas mais s’intègrent) forgé et partagé au cours des années au sein du Laboratorio.

  2.  une « partition intermédiaire », autrement dit une écriture du montage.

  3.  une « post-écriture » pour l’exécution en live

44On me dira que ce n’est que de l’improvisation, alors qu’il y a trois partitions au lieu d’une seule, et de « répétitions » il y en a mille, en des années de lutte intense et de partage, au lieu de cinq ou six !28

45L’activité de Mancuso et du Laboratorio est caractérisée par un mélange d’improvisation collective et d’écriture individuelle qui n’est pas facile à définir avec une formule précise.

46En effet, même la dimension improvisative présente des aspects particuliers, que nous allons essayer de définir en les comparant avec d’autres expériences d’improvisation.

47Un certain nombre de compositeurs de l’avant-garde ont envisagé le rapport problématique entre improvisation et écriture. En particulier, pour ne citer que des exemples italiens, Berio, Maderna et Nono.

48Luciano Berio, dans plusieurs de ses Sequenze, confère une forme, en les fixant sur la partition, aux expressions improvisées de la virtuosité des interprètes avec qui il partageait sa recherche musicale. Sous l’influence aussi de l’esthétique de l’ « oeuvre ouverte » des années 60, Berio, comme d’autres compositeurs au cours de cette période, cherchait des solutions notationnelles29 qui d’une certaine manière ne limitaient pas, mais, au contraire, stimulaient la liberté des interprètes. L’oralité qui est à la base de la gestation de nombreuses compositions de l’avant-garde – celles appuyées, justement, sur une collaboration « orale » entre compositeur et interprète – se répercute souvent même sur la notation et sur l’écriture, qui tendent à accorder des marges plus amples de liberté à l’interprète.

49Pour ce qui concerne Luigi Nono – et notamment …Sofferte onde serene… (19741976) pour piano et bande magnétique – le mécanisme est plus subtil : le pianisme de Maurizio Pollini30, fait objet de déconstruction et de recomposition en studio, est exploité par Nono afin de réaliser une bande magnétique qui accompagne et qui se confonde avec l’exécution en live d’une partition pour piano ; cette partition est complètement définie dans tous ses détails, mais elle est conçue en secrète résonance avec les sonorités reproduites par la bande. L’âme du pianisme de Pollini, capturée et intégrée au sein du processus poïétique de gestation de la pièce, arrive donc à éclairer l’œuvre aboutie.

50Tant dans le cas de Berio que dans le cas de Nono, ce sont la liberté et la virtuosité improvisative de l’interprète qui constituent le mobile de la composition ; cette dernière, grâce à l’écriture et au travail en studio, vise à en absorber et en métaboliser l’essence, sans en épuiser l’inspiration orale, l’étincelle de liberté qui représente d’ailleurs le charme de l’improvisation.

51Des documentaires mémorables montrent comment le même charme émanait de Bruno Maderna, lorsqu’il essayait de transmettre à l’orchestre31 – avec la parole (dialectale !), la voix et les gestes – le sens du jeu improvisatif, que la notation ne pouvait suggérer que d’une façon imparfaite. Grâce à un dialogue « gesticulant » avec les orchestres, la personnalité et le charisme de Maderna communiquaient à l’ « improvisation guidée » le sens musical de la pièce.

52C’est à cet usage gestuel que peut bien être rattachée l’expérience d’un artiste comme Butch Morris, malgré l’évidente différence de provenance culturelle : Lowrence D. Butch Morris, compositeur qui provient du jazz américain d’avant-garde, à aboli complètement l’écriture, et il a codifié une méthode gestuelle grâce à laquelle il à dirigé une multitude des musiciens, d’orchestres et d’ensembles au cours de la dernière vingtaine d’années32.

53Celui des Conductions de Butch Morris c’est un cas d’improvisation guidée et en même temps de composition différée ; le processus se réalise grâce à une méthode de communication gestuelle de grande complexité ; les formations musicales apprennent ce système codifié à travers un entraînement propédeutique intensif, qui toutefois ne dénature pas l’identité stylistique de leur langage musical (que ce soit jazzistique, « contemporain », ou même tonal).

54D’ailleurs, même une personnalité comme Frank Zappa – pour citer un autre exemple d’artiste qui a pratiqué des genres et des styles musicaux hétérogènes – utilisait une gestuelle originale, mais néanmoins codifiée, pour conduire son ensemble, « The Mothers of Invention ».

55La réévaluation du génie américain a mis en lumière la complexité de ses pièces, même de ceux qui ne font pas partie du Zappa « strictly genteel », et qui, donc, ne s’adressent pas au publique de la « musique savante » ; dans sa pseudo-autobiographie33, Zappa raconte que, pour assimiler cette complexité, il soumettait son ensemble à des sessions exténuantes de répétitions34, difficiles à imaginer, aujourd’hui, même par les ensembles les plus engagés.

56En effet, en écoutant des pièces comme The Adventures of Greggery Peccary (1978), on a du mal à imaginer que Zappa et « The Mothers of Invention » pouvaient les jouer en live par coeur, sans l’aide d’une partition.

57Certainement, celui de Zappa représente juste le cas peut-être le plus emblématique de tout un univers – celui de la musique « rock » expérimentale (rock progressive, psychedelic rock, alternative rock, electronic music, etc.) – où la complexité rythmique, timbrique ou mélodique des morceaux n’est gérée que d’une façon limitée et non-systématique par l’écriture : le rôle de l’oralité, de l’improvisation collective et de l’entente humaine est beaucoup plus important.

58L’improvisation cultivée par l’ensemble « Laboratorio Novamusica » est débitrice de cette forme de pratique orale et quotidienne, quoi que le contexte soit tout à fait différent. Avec des propos comparables à ceux de Frank Zappa, Giovanni Mancuso vise à former un « groupe » qui, au-delà de l’exécution des partitions, soit capable d’intérioriser les pivots esthétiques et techniques de son langage compositionnel, et d’interpréter productivement son horizon expressif.

59Si l’on regarde de près, cet objectif n’est pas trop loin de ce que Maderna visait, lorsqu’il proposait à l’orchestre une partition « ouverte », riche de sections improvisées, dont il expliquait oralement le sens et le fonctionnement. Pourtant, chaque fois Maderna se trouvait en face d’un orchestre différent, avec un nombre limité de répétitions à disposition. On peut se poser la question de savoir si, dans le cas contraire, le rôle de l’improvisation et de l’oralité n’aurait pas eu une plus grande importance dans son œuvre.

60Mancuso, par contre, a l’opportunité de disposer, comme Zappa, d’un ensemble stable, qui au cours du temps peut acquérir la maîtrise d’un répertoire linguistique et expressif en accord avec la logique et l’esthétique de son parcours compositionnel.

61À la différence des cas de Berio et Nono, donc, ce n’est pas la personnalité et la virtuosité de l’interprète que le compositeur essaie de « capturer » ; le parcours est, plutôt, inverse : c’est l’ensemble qui est amené à apprendre le langage du compositeur – bien que filtré, bien sûr, par la technique, l’histoire et la culture de chaque instrumentiste – et de le produire par la suite sous forme d’improvisation.

62Par conséquent, l’improvisation du « Laboratorio Novamusica » n’est pas libre, comme pouvait l’être dans le free jazz ou dans la pratique de certains ensembles des années ‘60 et ‘7035. Il s’agit plutôt d’improvisation guidée, non pas par schèmes, standards ou parcours formels, mais plutôt – en amont – par une pratique orale et quotidienne d’assimilation, de partage, de production. Le langage musical de Giovanni Mancuso est objet d’une sorte de socialisation au sein de son groupe, et ses caractéristiques syntactiques et esthétiques constituent les règles du jeu improvisateur, son guide.

63Ce genre d’improvisation est donc organisé comme peut l’être le jeu, où, pour que le mécanisme puisse marcher, il est nécessaire que les règles soient intériorisées par les joueurs, plutôt que fixées par un règlement écrit. Il faut que les règles deviennent « patrimoine commun ». Néanmoins, comme dans le jeu, c’est le facteur imprédictible de l’improvisation qui contribue à préserver l’intérêt et l’amusement.

64Dans le cas de Musica Compressa, par exemple, l’improvisation peut être définie justement comme le développement différé (par le collectif) d’idées musicales prescrites par le compositeur, selon une logique partagée (la logique de la compression36), qui répond à l’esthétique du compositeur.

65Cependant, l’improvisation ne représente qu’une phase – la première – du processus que nous sommes en train de décrire.

66En fait, l’improvisation de l’ensemble, enregistrée et décomposée, constitue – c’est justement le cas de Musica Compressa – le « matériau » pour un travail successif de composition en studio, pour lequel Mancuso rédige ce qu’on pourrait appeler une « partition intermédiaire », une partition de « montage ». Cette partition représente, certes, un outil de travail de nature projective, qui permet au compositeur de planifier et de gérer les opérations d’édition et de montage à effectuer sur le matériau enregistré.

67On est, pendant cette phase, dans le domaine méthodologique de la musique électroacoustique, domaine pour lequel Bennett37 déplorait l’absence du filtre conceptuel de la notation. Même en faisant abstraction de la présence d’une partition projectuelle (comme la « partition intermédiaire »), toutefois, il faut remarquer que l’usage d’outils informatiques pour opérer sur le matériau musical – ou, plus généralement, sonore – répond d’une certaine manière à un besoin équivalent à celui que la notation satisfait : la possibilité de manipuler des objets abstraits qui représentent l’univers des sons ou les opérations à effectuer sur cet univers. Bref, ces outils assument une fonction symbolique qui, à notre avis, constitue le processus d’abstraction dont Bennett parlait.

68Dans le cas de Musica Compressa, d’autre part, Mancuso réalise aussi une « post-écriture », c’est-à-dire une sorte de transcription du produit discographique, visant la performance en live de la pièce, afin de reconduire le processus poïétique à la dimension sociale et ludique de départ.

69Ce passage éclaircit, a posteriori, le sens même du travail en studio : le montage à l’ordinateur du matériau enregistré répond à une exigence artistique du compositeur ; représente, en d’autres termes, le moyen logique nécessaire à l’ « artistisation » du langage pratiqué par l’improvisation. La possibilité de transcrire le produit final pour une performance acoustique en live témoigne – en négatif – de la valeur d’un choix : le choix d’utiliser une stratégie (le montage) et un médium (l’ordinateur) qui répondent mieux, par rapport à la notation, à la logique de la compression de la pièce, et qui permettent de sublimer un matériau improvisé sans pourtant faire abstraction de son « oralité ».

70La performance en live de Musica Compressa nécessite une virtuosité remarquable, surtout par rapport aux changements soudains de rythme, mètre, instrument, position et situation auxquels chaque instrumentiste est contraint. En fait, la performance assume des traits quasiment paroxystiques, au point qu’elle est pratiquement subordonnée à la mémorisation quasi intégrale de la partition, dans un acte ultérieur d’intériorisation et d’émancipation de l’écriture.

71L’exécution et la conception de Musica Compressa nous rappellent le rythme et l’esprit d’un célèbre tableau du peintre flamand Pieter Bruegel l’Ancien, Jeux d’enfants (1560). Cette toile représente une multitude de gens engagés dans les jeux les plus disparates de l’époque, dont il constitue une véritable encyclopédie. La densité des situations, comprimées au sein d’un espace ouvert mais limité, rend l’ensemble vaguement surréel, au point de transfigurer ce qui pourrait apparaître un pur et simple catalogue en une allégorie de la folie, en une satire poétique du genre humain.

72De même, la composante ludique du langage de Giovanni Mancuso est au fond son âme tragique et corrosive, incapable de chutes pathétiques, imprégnée d’une ironie constante.

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Bruegel, l’Ancien : Jeux d’enfants, 1560 ; 118 x 161 cm ; Huile sur bois de chêne. (Vienne, Kunsthistorisches Museum)

Dante, à nouveau

73Nous sommes convaincus que formule très efficace de Boulez, selon laquelle la nouveauté est l’imprévisible qui devient nécessaire, n’est plus valable. Comme on a essayé de le suggérer, le nouveau est devenu difficile à identifier parce qu’il ne coïncide peut-être plus avec la dernière figure phénoménologique de la « tendance historique du matériau »38.

74La pratique d’improvisation que nous avons décrite n’est qu’une figure, par contre, d’un phénomène – l’oralité – qu’il faudrait à notre avis réviser dans une perspective plus ample et, justement, plus complexe. Pour notre part, nous avons simplement essayé d’esquisser quelques aspects et de soulever quelques questions. Grâce, en particulier, à l’exemple de Musica Compressa, nous avons formulé l’exigence de reconsidérer le rapport entre écriture et oralité au-delà d’une opposition simplificatrice, qui réserve à la première la maîtrise de la conceptualisation et de la complexité.

75Dans la musique du passé, d’ailleurs, la notation passait sous silence toute une constellation de savoir-faires – domaine de l’oralité – dont la philologie moderne restitue une sorte d’archéologie. L’improvisation, de Bach à Beethoven, jouait un rôle déterminant et peut-être sous-estimé – ou pas du tout clair – par rapport à la composition et à l’écriture. La complexité d’une fugue improvisée par Bach est indiscutable, pourvu qu’on puisse en parler ; plutôt, il faudrait s’interroger sur le niveau d’assimilation individuel et de partage social des pratiques musicales qui la rendaient possible. La fragmentation et l’individualisme qui caractérisent tant la musique que la société contemporaines rendent difficile de reconnaitre la complexité et l’abstraction qui se cachent derrière les expériences musicales d’aujourd’hui entièrement ou partiellement « orales ».

76Comme on l’évoquait au début, c’est peut-être dans des communautés créatives petites et anonymes, et non plus dans les métropoles festivalières, que les germes de cette socialisation commencent à prendre racine, à rencontrer le nouveau dans les formes sociales et – en même temps – privées d’une expérience vécue. Vécue, et pourtant complexe, bien qu’écrite – comme l’a dit Dante – non pas sur le papier mais dans le « livre de la mémoire » :

77« In quella parte del libro della mia memoria dinanzi a la quale poco si potrebbe leggere, si trova una rubrica la quale dice : Incipit vita nova »39.

Notes   

1  Dante, Convivio, Tratt. II, 6, 3 : « ... la nouveauté de ma condition, qui, n’étant pas expérimentée par les autres hommes, ne serait pas comprise par eux comme elle l’est par ceux qui, ayant pour nature d’agir par l’entendement, comprennent les effets qu’ils produisent dans la mise en oeuvre de cet entendement ; c’est à cette cause que je fais allusion quand je dis : “ car ne puis me résoudre à le dire à d’autres qu’à vous, tant il me paraît nouveau ” ». trad. Philippe Guiberteau, Paris, Les Belles Lettres, 1968

2  Dante, Commedia, Purgatorio, XXVI, v. 99 : « d’Amour douces (suaves par leur musicalité, n.d.r] rimes légères [élégantes par leur forme et leur contenu, n.d.r.] », trad. Henri Longon, Paris, éditions Garnier Frères, 1966.

3  Nous rappelons, entre autres, celles de Iacopo da Lentini, Guittone d’Arezzo et de Bonagiunta da Lucca, auquel Dante prête ces mots, dans le chant XXIV du Purgatoire (v. 55-62) : « “O frate, issa vegg’ io”, diss’ elli, “il nodo / che ‘l Notaro e Guittone e me ritenne di qua dal dolce stil novo ch’i’ odo ! / Io veggio ben come le vostre penne di retro al dittator sen vanno strette, / che de le nostre certo non avvenne ; / e qual più a gradire oltre si mette / non vede più da l’uno a l’altro stilo” » : « “ Frère, à présent, je vois, reprit-il, quel obstacle / A détourné Guitton, le Notaire et moi-même / Du doux style nouveau que tu me fais entendre. / Et je vois bien comme vos plumessuivent / Étroitement Celui-là qui vous dicte ; / Ce qui n’arrivait pas, assurément, aux nôtres.. / Mais qui voudra chercher plus loin encor, / Ne distinguera plus l’un de l’autre nos styles ” », trad. H. Longon, cit.

4  Dont justement la Vita nova.

5  Surtout en la personne d’Arnaut Daniel, qu’il préfère – même s’il le fait à travers le filtre littéraire de Guido Guinizzelli -à Giraut de Bornelh. Dans la Commedia, Dante fait même parler le troubadour dans son propre idiome provençal (Cf. Purgatorio, XXVI, vv. 140-147).

6  Dante parle : « E io a lui : “I’ mi son un che, quando / Amor mi spira, noto, e a quel modo / ch’e’ ditta dentro vo significando” ». (Purgatorio, XXIV, vv. 52-54 : « Je suis, lui répondis-je, un homme qui écris / Lorsque m’inspire Amour, et qui m’exprime / De la façon qu’il me dicte en mon coeur », trad. H. Longon, cit. ; à noter l’emploi significatif du verbe spirare, dont dérive, mutatis mutandis, le terme moderne d’inspiration. Il ne s’agit pas ici comme il ne vaut quasiment pas la peine de le rappeler -d’inspiration dans l’acception romantique du terme, où « nouveau » est essentiellement synonyme d’ « original », et où les contributions de la rhétorique sont plus cachées que montrées : chez Dante, Amour est de toutes façons toujours dictator, celui qui dicte selon les règles de l’ars dictaminis, l’art du dire.

7  « Voi che ‘intendendo il terzo ciel movete, / udite il ragionar ch’è nel mio core, / ch’io nol so dire altrui, sì mi par novo » (Convivio, tratt. II, canzone I, vv. 1-3) : « Vous, qui par le seul jeu de l’entendement faites mouvoir le troisième ciel prêtez l’oreille au raisonnement qui est dans mon coeur car je ne puis me résoudre à le dire à d’autres qu’à vous, tant il me paraît nouveau », trad. Ph. Guiberteau, cit.

8  « Più ampî sono li termini de lo ‘ngegno [a pensare] che a parlare, e più ampî a parlare che ad accennare » (Convivio, tratt. III, 4, 7) : « il faut savoir che ces limites sont plus large pour le penser que pour le parler, et pour le parler que pour le signifier », trad. Ph. Guiberteau, cit.

9  Le principe d’identité et de non-contradiction (Cf. Aristote, Métaphysique).

10  Cf. Dominique Olivier, « Les “musiques actuelles” », in Musiques. Une encyclopédie pour le XXIe siècle. Tome 1. Musique du XXe siècle (sous la direction de Jean-Jacques Nattiez). Acte Sud / Cité de la Musique, Arles, 2003, pp. 1335-1346. (Enciclopedia della Musica Einaudi, Torino, Einaudi, 2001, vol. I, pp. 1182-1193).

11  Giacomo Leopardi, Zibaldone di pensieri, 22 septembre 1821, Milano, Mondadori, 1997, 3 vol. , p. 1583 (c’est nous qui soulignons) : « J’ai dit : tous voient, mais peu observent. J’ajoute qu’il suffit parfois d’annoncer une vérité même entièrement nouvelle pour que tous ceux qui ont un entendement (j’exclus les préjugés, etc., etc. etc.) la reconnaissent ou puissent assurément la reconnaître immédiatement avant sa démonstration. C’est ce qui nous arrive très souvent en lisant et en écoutant. A peine une vérité est-elle trouvée que tous la connaissent, alors que nul ne la reconnaissait. Il arrive à l’esprit humain, ou communément à l’individu à qui l’on montre pour la première fois une chose qu’il avait sous les yeux, qu’il la voie alors qu’il ne la voyait pas avant, c’est-à-dire qu’il la voyait mais ne l’observait pas, ce qui était comme s’il ne la voyait pas. Tel est le progrès ordinaire de nos lumières dans le domaine des sciences non matérielles et très souvent aussi directement en celles-ci » : trad. Bertrand Schefer, Paris, Ed. Allia, 2004, pp. 825-826.

12  Cf. Jean-Jacques Nattiez, « La musique de l’avenir », in Musiques. Une encyclopédie pour le XXIe siècle. Tome 1, op. cit., pp. 1393-1424.

13 Leonard B. Meyer, Music, the Arts and Ideas. Patterns and Predications in Twentieth-Century Culture, Chigago University Press, Chicago, 1967, p. 152, note 47, in Nattiez, Jean-Jacques, « La musique de l’avenir », op. cit., p. 1406.

14  Gerald Bennett, « La musique depuis 1945 et la culture orale », in Hugues Dufourt, Joël-Marie Fauquet (éd.), La Musique depuis 1945. Matériau, esthétique et perception, Bruxelles, Mardaga, 1996, pp. 299-310.

15  Arnold Gehlen, Die Seele im technischen Zeitalter (trad. it. A.Burger Cori), L’Uomo nell’era della tecnica, Milano, Sugarco, 1984.

16 Walter Branchi est un des animateurs, de 1966 à 1975, du Gruppo di Improvvisazione Nuova Consonanza.

17  Il faudrait, à notre avis, revoir ce jugement. Comme Jean Molino nous le rappelle, "[...] d’importants progrès ont été réalisés depuis une vingtaine d’années dans le domaine de la composition assistée par ordinateur (CAO) (Vinet-Delalande, 1999) et ils vont tous dans la même direction : créer des objets représentant des données, des opérations et des processus musicaux qui soient à la fois efficaces et faciles à utiliser pour des gens qui n’ont pas une solide formation informatique. Ces recherches n’en sont qu’à leur début mais elles répondent à un besoin fondamental, le même besoin qui a conduit à la construction des échelles et de la notation : celui de disposer d’objets abstraits qui permettent d’organiser et d’utiliser l’univers des sons. Et ces nouveaux objets, ces nouvelles notations se référeront désormais moins à la réalité sonore qu’ils représentent qu’aux modalités de leur production." Jean Molino, « Qu’est-ce que l’oralité musicale ? », in J.-J. Nattiez et al. (éd.), Musiques. Une Encyclopédie pour le XXIe siècle, vol. V, « L’unité de la musique », Arles, Actes Sud / Cité de la musique, 2007 [à paraître en septembre 2007].

18  Dans le cadre d’un sondage que nous avons proposé à une vingtaine de compositeurs italiens – compositeurs de musique ainsi dite « contemporaine » -la question sur la définition de « nouveau » au sein du panorama créatif italien d’aujourd’hui a souvent donné libre cours à un épanchement au sujet des conditions de la culture et de la musique en Italie. La société italienne est perçue comme une réalité qui demeure indifférente à la recherche intellectuelle et qui fait montre d’une avarice à l’égard de tout forme de soutien. Ce qui frappe, c’est l’absence de références au panorama environnant de la création, comme si chacun des compositeurs menait sa propre expérience dans une sorte d’isolement, ou tout au moins de dissémination généralisée. Dante, par contre, parvenait fort bien à tisser des relations intellectuelles denses et fécondes sans renoncer à manifester son propre malaise face à la société de l’époque, et tout en vivant dans une situation essentiellement d’exil. La comparaison avec Dante, certes, est dépourvue de toute générosité, mais elle souligne un fait qu’il ne faut point négliger : dans une société globalisée, ou la communication est à portée de clic, l’individu peut malgré tout vivre dans un état psychologique d’ « isolement » tel qu’il peut se sentir obligé d’ « émigrer ». Le nombre considérable de compositeurs qui vivent et travaillent hors d’Italie, en particulier en France et en Allemagne, est fort éloquent à cet regard. Naturellement, on pourrait aisément étendre cette observation à tous les domaines du savoir et de la recherche, où il s’opère manifestement une « fuite des cerveaux » à l’étrangère. La « mobilité » des artistes et des chercheurs italiens doit-elle donc être saluée comme un signe de cosmopolitisme, ou interprétée comme un symptôme de mal-être ?

19  En particulier : Donatoni, Corghi, Manzoni, les compositeurs les plus actifs du point de vue didactique.

20  Nicola Sani y a essayé dans un article riche d’informations : « La musica italiana nuova e nuovissima » (CEMAT, Roma, 2002), in « titre pag web », consulté en 30/09/2005.

21  Luigi Nono, Écrits, (réunis présentés et annotés par Laurent Feneyrou), Christian Bourgois éditeur, Paris, 1993, p. 320.

22  Même dans le jeu et dans l’action sacrée les objets perdent leur fonction conventionnelle et en acquièrent une symbolique.

23  Johann Huizinga, Homo ludens, il Saggiatore, Milan, 1949.

24  Cf. Id., Homo ludens, op. cit., pp. 13-53.

25 Cf. « www.laboratorionovamusica.it »

26  C’est pourquoi la production de Mancuso ne peut pas aspirer à intercepter le marché des concours, des exécutions et des commandes, qui règlent les destins des compositeurs d’aujourd’hui ; ce manque, toutefois, permet au compositeur italien de jouir d’une certaine liberté, c’est-à-dire d’une absence de « pression fonctionnelle » (cette absence représente d’ailleurs une condition essentielle du phénomène ludique).

27  Musica compressa (® 2003, Galatina Records) est le titre d’une composition récente de Giovanni Mancuso. Comprimée parce que la composition naît de la compression d’environ six cents idées musicales stylisées (phrases, rythmes, bref morceaux), où sont recherchées les plus grandes variétés et articulations possibles de situations musicale qui se suivent, comme en une sorte de montage. Ces six cents et plus idées ont été développées par les instrumentistes, selon une logique compositionnelle et une direction esthétique apprises et intériorisées au cours d’innombrables répétitions (ces dernières, en effet, font partie d’un travail qui transcende ce projet spécifique, et qui est visé à l’assimilation d’une sorte de « langage musicale courant », de « langage orale »). En suite, les idées développées ont été enregistrées, cataloguées et montées en vingt-deux tableaux, selon une structure temporelle et dont la densité dérive du Sefer Yetzirah, ancien texte fondamental de la mystique hébraïque qui part de l’analyse des relations numériques et symboliques de l’alphabet. Un CD est le résultat de ce processus : il s’agit d’une oeuvre qui, grâce au travail d’editing et de montage, transcende la quotidienneté de ce langage, sans en faire abstraction. En outre, comme pour le montage d’un film d’animation, de l’enregistrement discographique il a été retiré une partition destinée pour l’exécution en live, pour laquelle le projet s’élargit aussi à la projection de quelque film d’animation extraits du surprenant répertoire de LenLye, Jan Svankmajer et Norman McLaren.

28  Giovanni Mancuso, communication personnelle. La notion de compression renvoie à une idée antinaturaliste du temps, dont on envisage trois dimensions (l’élasticité, la superposition et les changements improvisés comme en un montage), et qui s’oppose ouvertement à la poétique de la dilatation, comme à celle du fragment. Cette logique temporelle répond à une exigence expressive personnelle du compositeur, mais c’est l’ensemble entier qui doit convenir de ces choix esthétique, pour que le développement des idées musicales soit en accord avec cette exigence. Les « milles répétitions » servent précisément à cela, à concorder et à intérioriser les « règles du jeu ». La compression concerne, en outre, la « jouabilité » des innombrables objets et instruments utilisés, autrement dit leur rapport aux actions nécessaires à leur utilisation. Ce système constitue en effet un langage, capable de montrer, grâce à une « fiction grammaticale », le fonctionnement même des symboles à travers les comportements : les règles, arbitraires comme celles d’un jeu, s’écartent de cette réalité, tout comme les actes performatifs appliqués aux objets s’éloignent des actions habituellement produites en vue de leur fonctionnement « orthodoxe ». Il s’agit donc, dans une certaine mesure, de « jeux linguistiques », autrement dit d’enchevêtrements de mots et d’actions qui sont – comme le dit Ludwig Wittgenstein – étroitement liés aux fins et à l’usage qu’on en fait au sein d’un cercle communautaire.

29  Exception faite pour quelque tardif changement d’avis, comme dans le cas de la Sequenza pour flûte, que Berio a réécrite en utilisant, au lieu de l’originale notation proportionnelle, une notation rythmique traditionnelle, beaucoup plus rigide et sévère.

30  Nono demanda à Pollini d’ « improviser », en se concentrant surtout sur les attaques du son. Dans une entrevue conduite par Enzo Restagno, Nono révèle : « Mi sentivo molto attratto dalla tecnica di Maurizio Pollini, non solo dal suo straordinario modo di suonare, ma da certe sfumature del suo tocco, che nelle sale da concerto non si riescono a percepire. […] È curioso che nel compiere operazioni di questo genere sul suono di Pollini mi siano saltate fuori certe memorie antiche veneziane : le classiche risonanze della scuola di San Marco e della Laguna riverberate idealmente nelle luci e nei colori della città. […] Con Maurizio Pollini abbiamo lavorato tre giorni nello studio… ». (AA.VV. Nono, Torino, EdT, 1987, p. 57) : « J’étais très attiré par la technique de Maurizio Pollini, non seulement par sa façon extraordinaire de jouer, mais surtout par certaines nuances de son toucher, que dans les salles à concert on arrive pas bien à percevoir. […] Ce qui m’étonne est que, lorsque je conduisais ce genre d’opérations sur le son de Pollini, il m’arrivait de sortir certaines mémoires vénitiennes : les résonances classiques de l’école de San Marco et de la Lagune, réverbérées idéalement dans les lumières et dans les couleurs de la ville. […] J’ai travaillé pendant trois jours avec Maurizio Pollini, en studio… ».

31  Bruno Maderna était aussi un extraordinaire chef d’orchestre.

32  Cf. « www.conduction.us/conductionchronology.html » pour une chronologie des 143 Conductions de Butch Morris.

33  Cf. Frank Zappa, The Real Frank Zappa Book, sous la direction de Peter Occhiogrosso, Milano, Arcana, 1990.

34  L’activité du groupe se partageait généralement en deux périodes de six mois : la première était consacrée aux répétitions (tous les jours, huit heures par jour), la deuxième aux concerts et aux tournées. Cela explique l’insatisfaction de Zappa à l’occasion de ses collaborations avec d’autres ensembles, même quand le chef d’orchestre s’appelait Boulez et l’orchestre « London Symphony Orchestra » ou « Ensemble InterContemporain ». Une exception notable est la collaboration avec l’Ensemble Modern (The Yellow Shark, 1993), dont les musiciens, toutefois, ont accepté de se soumettre aux répétitions stakhanovistes de Zappa, pour arriver à jouer les partitions réalisées par Ali Askin, le transcripteur et l’orchestrateur de confiance du compositeur américain.

35  Par exemple, le « Gruppo di Improvvisazione Nuova Consonanza » de Franco Evangelisti à Rome, le network « Fluxus » éparpillé en Europe, États-Units et Japon, l’ « AMM » de Cornelius Cardew à Londre.

36  Cf. nota 28.

37  Gerald Bennett, « La musique depuis 1945 et la culture orale », in Hugues Dufourt, Joël-Marie Fauquet (éds.), La Musique depuis 1945. Matériau, esthétique et perception, Bruxelles, Mardaga, 1996, pp. 299-310.

38  De cette formule, on peut bien garder la dialectique toujours actuelle entre nécessité et liberté, qui cache peut-être celle entre écriture et oralité.

39  Dante, Vita nova, cap. 1 : « Dans cette partie du livre de ma mémoire, avant laquelle il n’y aurait presque rien à lire, se trouve un titre qui dit : Incipit vita nova [Ici commence la vie nouvelle] » , trad. Alain de Libera, Paris, Arfuyen, 1997, p. 19.

Citation   

Carlo Carratelli, «La "nouvelle" complexité de l'oralité musicale», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Nouvelles sensibilités, mis à  jour le : 08/12/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=375.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Carlo Carratelli

Carlo Carratelli est pianiste. Né à Venise en 1976, depuis 1999 il est membre du « Laboratorio Novamusica », un ensemble qui s’occupe de jouer et de promouvoir la diffusion de la musique et de la culture contemporaines. Parallèlement, après avoir obtenu en 2001 un DEA en Littérature Italienne à l’Université de Venise, il poursuit ses études musicologiques, dans le cadre d’un doctorat en « Sciences de la musique » à l’Université de Trente, en cotutelle avec l’Université Paris Sorbonne.