Logo du site de la Revue d'informatique musicale - RFIM - MSH Paris Nord

Offrande sonore

Thierry Blondeau
juin 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.368

Résumés   

Résumé

« Le seul temps qui nous appartient est présent. La formation du musicien occidental, conditionné par la nécessité de produire un chef-d’œuvre dont le succès est à venir, est le produit d’une perspective pervertie de l’histoire. Confronté à une sélection de monuments sonores du passé, l’apprenti compositeur doit se libérer de cette projection vers l’avenir pour offrir son désir sonore à ses contemporains. La fréquente unicité des créations (rarement suivies de reprises), rencontre l’idée qu’une écriture instrumentale poussée, une conscience de l’espace, des rituels de la représentation sonore puis du lieu peuvent se radicaliser. Donner à entendre à mes contemporains dans des lieux qui ne sont pas interchangeables s’impose à moi. La conception sonore in situ a une histoire, et je souhaite montrer ici en quoi la musique change lorsqu’elle est à l’écoute de son environnement. » 

Abstract

The only time that belongs to us is present. The education of western musicians, conditioned by the need to produce a masterwork whose success lies in the future, is the product of a perverted historical perspective. Confronted with a selection of sonic monuments from the past, the budding composer must be liberated from this projection into the future in order to present personal sonic desires to contemporaries. Frequently, parallel premières (rarely followed by second performances) meet the notion that advanced instrumental composition – a consciousness of space, of the representational rituals of sound and of place – can be radicalised. It is imperative that I give my contemporaries the opportunity to listen in spaces that are not interchangeable. A sonic conception in a given site has its own history, and I seek to demonstrate here how music changes when it listens to its environment.

Index   

Texte intégral   

1L’adjectif « contemporaine » prend de plus en plus de sens à mes yeux. Les projections de la musique écrite vers un avenir radieux et plus réceptif rejoignent les positions esthétiques réactionnaires sur au moins un point : elles se placent dans un temps hypothétique, voire inexistant. Le seul temps qui nous appartient est présent. La formation du musicien occidental, conditionné par la nécessité de produire un chef-d’œuvre dont le succès est à venir, est le produit d’une perspective pervertie de l’histoire. Confronté à une sélection de monuments sonores du passé, l’apprenti compositeur doit se libérer de cette projection vers l’avenir pour offrir son désir sonore à ses contemporains. La fréquente unicité des créations (rarement suivies de reprises), rencontre l’idée qu’une écriture instrumentale poussée, une conscience de l’espace, des rituels de la représentation sonore puis du lieu peuvent se radicaliser. Donner à entendre à mes contemporains dans des lieux qui ne sont pas interchangeables s’impose à moi. La conception sonore in situ a une histoire, et je souhaite montrer ici en quoi la musique change lorsqu’elle est à l’écoute de son environnement.

Normalisation et non-lieux

2En 1992, l’anthropologue Marc Augé publie Non-lieux1. Il y met en évidence le caractère quotidien de la mondialisation, énumérant les espaces interchangeables que nous pratiquons quotidiennement :

3l’aéroport, le supermarché, l’autoroute, la pizzeria, etc........

4La rapidité de nos modes de déplacement, notre manière d’habiter la terre, contribuent à créer des espaces reconnaissables quels que soit leur situation géographique et le contexte environnemental. Reconnaissables, aisément identifiables par l’individu itinérant, ces espaces sont évidemment interchangeables. Quoi de plus semblable que deux aires d’autoroute, deux aéroports, deux salles de concert ? Et même si, comme le constate Marc Augé, une aire d’autoroute rend compte des variantes locales par l’offre de produits régionaux, ou encore la signalétique autoroutière indique les particularités touristiques du lieu à côté duquel on passe, en revanche, sans ces variantes, les aires de repos, les aéroports ou les salles de concert sont substituables.

5Certes l’architecture peut conférer à un auditorium une valeur unique, sa nature même, sa forme ne sont pas nécessairement liées au fait qu’il aura été construit dans un lieu donné. Ce n’est pas parce que la Philharmonie se trouve à Berlin qu’elle est construite ainsi, le même bâtiment aurait tout autant être installé à Boston ou à Sydney. Aussi louable soit le travail de Sharoun, la fonction de la Philharmonie de Berlin, de Pleyel ou Carnegie Hall est de pouvoir permettre une représentation codifiée de la musique, d’offrir une structure pouvant accueillir les musiciens de la même manière sous toutes les latitudes, semblables aux tennismen qui volent d’un tournoi à l’autre pour se retrouver sur une surface différente, mais de même dimension quel que soit le continent.

6La conception de l’architecte peut même être modifiée en raison de facteurs strictement liés à l’économie du spectacle, puisque la taille de la salle de musique de chambre de la Philharmonie de Berlin a été augmentée sous la pression des agents de concert veillant à pouvoir obtenir une billetterie plus importante. C’est ainsi que, contre l’avis de l’architecte et des acousticiens, la salle de musique de chambre s’est vue ajouter des rangs de sièges permettant l’accueil de davantage d’auditeurs.

7Il convient d’objecter à cette conception de la salle de concert une surenchère sur-moderne du non-lieu musical : la salle modulable. Celle-ci permet de créer des espaces sonores virtuels, de simuler l’acoustique d’un lieu sans se déplacer. L’« Espace de Projection » de l’IRCAM à Paris en est un exemple. Mais cette conception a le mérite de pouvoir permettre au lieu d’exister virtuellement, et ce, de façon variable et non normalisée. L’usage montre que la salle modulable est rarement modulée, et si nombre de compositeurs en recherche dans les années 80 avaient leur disquette de réglage de l’espace de projection, aucun n’en a fait usage de façon systématique. La norme a survécu à l’Espace de Projection. La politique artistique de l’institut de recherche du Centre Pompidou ne semble pas indiquer une évolution dans le sens d’une recherche.

8Toutefois, il faut reconnaître à la normalisation une vertu que l’on ne peut ignorer : sans normes, le tennis serait demeuré une pratique locale et la musique occidentale un rite pittoresque pour une caste sociale géographiquement délimitée.

Non-lieux et lieux

9Toutefois, l’observation de Marc Augé produit une ombre, une image négative : la multiplication des lieux substituables valorise les lieux uniques.

10À la lecture de son ouvrage, il m’est apparu que l’adéquation du monde musical occidental aux règles du développement que Marc Augé qualifie de « surmoderne » est parfaite. Les démarches entreprises afin de normaliser la représentation sonore ont même précédé historiquement celle de la consommation ou du voyage. Les conférences de Vienne en 1885 puis de Londres en 1939 fixent le diapason international respectivement à 435 Hertz puis à 440. L’usage conjugué de la salle de concert, de l’orchestre à nomenclature fixe ou très in ? ? sensiblement altérable, le tempérament égal ont permis un espace de diffusion plus vaste, une « colonisation » douce mais intensive du public de musique savante d’influence européenne à l’échelle planétaire.

11D’une musique destinée à une circonstance, à un prince, à un rituel, à un lieu, telle qu’elle était conçue jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, on tend en 200 ans à une représentation musicale, le concert, capable de faire le tour du monde grâce à une normalisation des pratiques. À l’aéroport, le supermarché, l’autoroute, la pizzeria, il convient d’ajouter la salle de concert. La salle frontale mais aussi l’industrialisation de la facture instrumentale ont pour but d’obtenir par sélection une diffusion musicale « normale » permettant de répéter à l’infini les représentations des œuvres sonores du passé.

L’instrument dans l’espace

12La musique classique est jusque dans la fabrication de ses outils de travail en totale adéquation avec le monde économique dans lequel elle se déploie. En effet, la facture instrumentale privilégie les instruments reproductibles correspondant à un idéal esthétique aussi abstrait que l’idéal d’une salle de concert à l’acoustique parfaite. Deux exemples sont significatifs : la marginalisation du basson français et de la clarinette allemande.

13Au-delà des exemples, en observant l’évolution de la facture instrumentale en quatre siècles, on constate que le concert et les salles de plus grande dimension que le salon princier ont nécessité une adaptation importante des instruments pratiqués jusqu’au XVIIIe siècle. Le volume sonore et la capacité à produire des nuances larges ont soit écarté les instruments pratiqués auparavant, soit modifié considérablement leur facture. Les cordes sont plus tendues et fabriquées dans des matériaux plus stables. C’est par exemple la raison pour laquelle la table d’harmonie d’un violon de facture italienne du XVIIème siècle doit être renforcée pour supporter la tension d’une corde moderne en acier. Les anches de hautbois sont plus fortes, les bois plus durs (l’ébène), l’apparition de la clarinette, dont la capacité de variation d’amplitude est phénoménale, est contemporaine de la disparition de la flûte à bec, dont la variation d’amplitude est quasiment nulle, la flûte traversière est fondue en argent, pour permettre une émission plus puissante, un enrichissement en partiels permettant une tessiture plus importante. Le pianoforte, quant à lui, n’a curieusement pas abrégé son appellation par « forte », mais par « piano ». Pourtant ses ancêtres, clavecin ou clavicorde sont bien incapables de produire une amplitude comparable.

14Autre principe aux effets normalisateurs, le tempérament égal, implique une mécanisation généralisée des instruments à vent. Le piston et le palet pour les cuivres, le clétage pour les bois. Les instruments baroques ont bien plus que nos instruments actuels, des tonalités de prédilection. Ainsi, la flûte traversière étant en ré, était un instrument plutôt apte aux tonalités diésées, tandis que la flûte à bec, en fa, s’avère plus adaptée aux tonalités bémolisées. Les spécificités de facture de chaque instrument avaient pour conséquence que certains intervalles étaient tempérés selon une logique propre à chacun des instruments. Il faut distinguer ce tempérament instrumental des tempéraments théoriques, il s’agit bien là d’une justesse due à la lutherie. Là encore, le XIXème siècle a généralisé le principe mécanique afin de pouvoir obtenir un même tempérament à tous les instruments, et pouvoir ainsi moduler à volonté et orchestrer sans limite. Même si certaines survivances sont à constater, la facture instrumentale a tenté dans cette période d’annuler ces « couleurs locales », ces spécificités de facture.

15Une musique utilisant le chromatisme dans sa totalité et son ambiguïté du fait de l’obsédante invariance des intervalles peut nous paraître aujourd’hui inévitable. Cette connaissance de la réalité organologique historique empêche de parler de chromatisme chez Claude Lejeune ou Monteverdi. Le demi-ton wagnérien puis schönbergien ne relève pas de la même réalité sonore que les demi-tons de la Renaissance. Il importe de considérer les données instrumentales et pratiques des époques de composition pour déchiffrer la notation au risque d’y découvrir une modernité trompeuse. Tout comme le missionnaire découvrant une croix dans un temple maya voudra y déchiffrer la présence chrétienne dans les cultures précolombiennes, on pourrait vouloir lire dans Qu’est devenu ce bel œil de Claude Lejeune les fondements historiques de l’atonalité. L’existence de l’atonalité supposant celle de la tonalité, ni Claude Lejeune, ni Monteverdi, contrairement à Wagner et Schönberg, ne sont concernés par ces catégories.

16On verra plus loin que la nature de l’instrument peut de nouveau rejaillir dès lors qu’on le sort de son cadre mécanique contraint.

Espace microphonique

17L’espace a donc modelé la fabrication de l’instrument. Les espaces d’audition de la musique sont devenus plus vastes. Dès lors l’inadaptation par exemple du clavecin à la salle de concert est inéluctable. Paradoxalement, c’est plus tard un espace virtuel qui a permis la diffusion des instruments antérieurs au concert comme le clavecin : celui du microphone et du haut-parleur.

18On compare fréquemment l’invention du microphone à celle du microscope. De fait, celle-ci a provoqué une évolution de l’écoute musicale comparable à celle observée dans le domaine de la biologie. Vérifier par l’observation l’existence d’une vie bactérienne nous a de plus fait repenser notre conception des échelles de grandeur. Écouter un son de quelques secondes étiré sur plusieurs minutes et enregistré à l’aide d’une membrane plus sensible que l’oreille humaine nous a contraint à réviser notre sens du phénomène sonore.

19Pierre Schaeffer a modifié l’écoute du réel et révélé dans ce réel un potentiel musical sans doute infini. L’écoute microphonique au-delà de ce réel audible par l’oreille humaine a adjoint à l’homme une nouvelle oreille, capable de capter les vibrations du quotidien dans ces infimes activités. Appliquée à l’instrument de musique, l’écoute microphonique en transforme les dimensions, celui-ci devenant espace résonnant de taille potentiellement infinie puisque le microphone grossit ce qu’il capte.

20La limite devient floue entre l’instrument et l’espace dans lequel il sonne. Cette anamorphose entre caisse de résonance et espace musical est révélée notamment par l’écoute microphonique. Tout ingénieur du son a conscience, souvent davantage encore que le musicien, de la valeur musicale du lieu dans lequel l’instrument sonne. L’ingénieur établit même une continuité immédiate entre l’instrument et sa caisse de résonance et « l’hyper-caisse de résonance » qu’est la salle de concert ou le studio d’enregistrement.

21À cet égard, certains instruments apparaissent comme des états intermédiaires entre source sonore et espace résonnant. C’est le cas du piano ou du cymbalum, qui utilisent un espace de résonance réel, mais aussi des instruments utilisant la sympathie, simulant donc un espace réverbérant comme la viole d’amour, ou encore, de façon plus radicale, la trompette marine, dont la corde frottée n’est entendue que par les résonances sympathiques des cordes cachées dans la caisse de l’instrument (d’où le sens du poème de Guillaume Apollinaire « et l’unique cordeau des trompettes marines »). L’unique corde, tout comme l’unique alexandrin ont le pouvoir de produire une résonance, virtuelle (au sens étymologique et mallarméen de vertu, « agissant au-delà de soi »).

22Une conception écologique établit la relation entre les éléments d’un phénomène, dans lequel les relations qu’entretiennent les agents entre eux impliquent à chaque action sur un seul des éléments constituants une conséquence sur chacun des autres. Ainsi j’ai établi une relation entre l’instrument de musique et son espace en constatant qu’il se produit à l’intérieur même de l’instrument de musique une relation entre l’impulsion et le résonateur qui trouve sa continuité dans la relation qu’entretient l’instrument (impulsion) avec son lieu (résonateur). Par conséquent, le marteau et la corde du piano ont une relation équivalente à celle du piano à l’auditorium. La différence est une différence d’échelle, pas de nature.

23Mikrophonie de Karlheinz Stockhausen représente un maillon entre l’écoute microphonique et la musique spectrale. Au micro, il faut associer son jumeau, situé à l’autre bout de la chaîne de diffusion : le haut-parleur. Du point de vue du fonctionnement physique, un micro et un haut-parleur sont conçus de manière identique, mais pour une fonction opposée. Tous deux sont constitués d’une membrane, d’un aimant, tous deux transforment l’électricité en mouvement mécanique (le haut-parleur), ou inversement (le microphone).

24Une exécution de Mikrophonie fait intervenir un grand tam-tam (à l’origine celui du compositeur) et un système d’amplification. De part et d’autre de l’instrument agissent d’une part des percussionnistes, et, d’autre part, des « microphonistes », dont la fonction est de capter le son en déplaçant les micros. Ces déplacements mettent en évidence ce que tout ingénieur du son connaît dans son activité quotidienne : la variance du timbre en fonction de l’endroit de captation. Les mouvements de micros dans Mikrophonie sont donc ensuite transmis aux haut-parleurs par l’intermédiaire de l’amplification. Cette dernière provoque une perte de dimension entre espace de l’instrument et espace dans lequel l’instrument sonne. Ce qui nous parvient des haut-parleurs transporte notre oreille dans le cadre d’un tam-tam, et l’auditeur devient un lilliputien baladant son écoute dans un instrument devenu lieu, espace, salle de concert, etc.

25Le piano espace de Michaël Lévinas emporte l’auditeur dans le corps de l’instrument par l’intermédiaire de micros placés dans la caisse de résonance. L’idée est manifeste dans les concertos pour piano espace, le concerto convoquant habituellement un soliste et un orchestre : ici le piano est à lui seul l’orchestre, le soliste et j’ajouterais la salle de concert. Des auditeurs miniaturisés sont déplacés dans le corps de l’instrument. L’analogie avec le microscope prend ici tout son sens. Le microphone se substitue à l’oreille de l’auditeur alors transmuté en lutin auditeur dans un lieu gigantesque et traversé de cordes tendues et vibrantes.

26La pratique électroacoustique a contribué pour beaucoup à la prépondérance de l’espace dans la composition. Lorsque l’on enregistre des sons destinés aux pièces électroacoustiques, on essaie de neutraliser les résonances du lieu. C’est ce qu’on appelle l’échantillonnage (certains studios disposent d’une chambre sourde à cet effet). C’est dans la phase de mixage que l’espace pourra alors varier à volonté, faire l’objet d’une composition à part entière. L’utilisation de réverbérations, délais et autres simulations appelées à tort « effets » (à tort car cela dépasse de loin le seul habillage d’un son), permet alors de composer un espace de dimensions et de matériaux variables à volonté. La profondeur de champ constitue une qualité déterminante dans la réussite d’une pièce électroacoustique, autant que l’orchestration dans la musique instrumentale. Il va de soi de déplacer virtuellement des sources sonores, la situation dans l’espace devenant par endroit le paramètre premier de la musique.

27On voit mal comment les compositeurs auraient pu rester sourds à cette souplesse et à l’écoute renouvelée qu’a entrainé le travail sur la spatialisation.

28En concevant des musiques pour des espaces donnés, il m’est apparu évident que l’écriture changeait. À l’inverse, j’ai cherché dans les œuvres de Gabrieli ce qui dans l’écriture se rapportait à un traitement de l’espace. Par extension, j’ai émis l’hypothèse que certaines écritures contrapuntiques appellent à se réaliser par une interprétation en double chœur, ou fragmentée dans l’espace.

Cori spezzati

29Lorsque Gabrieli compose la Sonata pian e Forte, l’usage consiste à noter des hauteurs et des rythmes. Les autres paramètres de la notation musicale que nous connaissons aujourd’hui, nuance et instrumentation notamment, ne sont pas spécifiés, mais sont considérés comme paramètres par défaut qu’une tradition orale définit ou comme initiative laissée à l’interprète. Ces deux alternatives faisaient de l’instrumentation et des nuances en quelque sorte des données par défaut dans la rédaction d’une partition.

30C’est précisément sur ces défauts qu’en compositeur conséquent, Gabrieli décide d’agir. Dans la Sonata pian e Forte il dispose deux quatuors de part et d’autre du grand chœur de la cathédrale Saint Marc de Venise. C’est ce que l’on appelle dans la musique vénitienne les Cori spezzati (les choeurs divisés).

31Les deux groupes instrumentaux sont constitués d’une part de 3 saqueboutes et d’un cornet à bouquin, de 3 saqueboutes et d’une viole à bras d’autre part. C’est le compositeur qui a noté la nomenclature, fait suffisamment rare à l’époque pour être mentionné. Non pas que l’usage ait suggéré les instrumentations dans la pratique, mais que la notation ait stipulé expressément la distribution instrumentale constitue une innovation non sans fondements acoustiques, pratiques.

32Force est de constater que la nomenclature en appelle à des instruments ayant un rayonnement acoustique à forte tendance directionnelle.

33Ainsi les sacqueboutes diffusent-elles leur son exclusivement par le pavillon et le cornet à bouquin le plus souvent par le pavillon et accessoirement par les trous destinés aux doigtés ouverts.

34Cela constitue une constante dans les caractéristiques acoustiques des instruments à vent : le pavillon est le seul passage de l’air pour les cuivres. Pour les bois, c’est bien sûr le pavillon mais également les différents trous ouverts pour produire les doigtés ; d’où un rayonnement plus complexe des bois, mais encore beaucoup plus directionnel que celui des percussions ou des cordes.

35Le rayonnement de la viole à bras quant à lui ne présente pas une directionalité suffisamment claire pour être efficace, d’où un usage rare en plein air précisément. Cependant, une autre donnée est à signaler : les fréquences aiguës sont plus aisées à localiser que les fréquences graves, ce qui permet dans le cas de la viole à bras une perception géographique par l’auditeur plus précise que celle d’une basse de viole.

36Il apparaît donc que Gabrieli opte pour l’emploi d’instruments localisables et/ou projetant leur timbre de façon directionnelle. Quant à l’équilibre, transposons-le dans la facture de l’époque : une sacqueboute ne couvre pas une épinette ou un violon, et la musique de chambre ne lui est en aucun cas prohibée. En effet, ses mensurations et l’ouverture de son pavillon confèrent à la sacqueboute une discrétion difficile à imaginer chez son descendant, le trombone.

Relation entre nuance et espace

37La notation des nuances forte et piano est tellement essentielle qu’elle en devient nécessaire.

38D’un point de vue strictement acoustique, le fait de produire un son dans la nuance piano en appauvrit la définition harmonique dans le registre aigu, tandis que la production d’un son forte renforce l’ensemble du spectre, y compris les transitoires d’attaques, éléments déterminant dans l’identification d’un timbre.

39Ainsi les nuances ne donnent-elles non seulement l’impression d’éloignement par leur amplitude, mais aussi par leur timbre, puisque l’éloignement a pour effet de filtrer davantage les fréquences aiguës que les graves.

40Cette extrapolation perceptuelle impliquée par l’interférence entre deux données spatiales : l’une réelle et l’autre virtuelle, est délibérée, les instruments étant réellement regroupés en deux chœurs éloignés, et leurs nuances recréent un second éloignement, virtuel cette fois.

41Il s’agit d’un équivalent acoustique des perspectives virtuelles mixant vrais et faux plafonds à caissons – effet perceptif tellement prisé dans l’architecture italienne à l’époque de Gabrieli – tout comme les perspectives exagérées, qui par leur représentation suggèrent un espace beaucoup plus vaste que la surface réelle.

42Toutefois, la seule notation piano et forte ne permet pas d’attester si cette simulation d’espace s’effectuait de façon continue suggérant ainsi un glissement progressif de l’espace, c’est-à-dire le recours au crescendo decrescendo. Seul l’usage a pu générer une telle pratique qu’aucun héritage écrit n’atteste.

43En effet, dans les simulations de plafonds à caissons, c’est la continuité entre la perspective réelle du vrai plafond et la perspective peinte qui produit un leurre, un trompe l’œil, qu’une simple alternance entre proximité et éloignement ne suffit pas à suggérer.

44La notation forte et piano ne remplace pas l’emploi du crescendo et du decrescendo, dont nous ne savons rien à la Renaissance, précisément puisque la notation ne l’a pas fixé. Même si l’emploi des nuances ne permet pas d’établir un leurre entre espace virtuel et réel, il n’en demeure pas moins que celui-ci amplifie les plans spatiaux : non seulement près ou loin, mais près et fort, près et doux, loin et fort et loin et doux. Le reste demeure le domaine de l’interprétation, dont nous savons trop peu. Mais au fond, ce qui importe, c’est d’actualiser ces œuvres pour nos oreilles contemporaines.

45Un fait peut cependant être attesté sans aucun doute : il y a une relation directe entre la pratique des Cori spezzati et la nécessité de noter des nuances.

46Je veux montrer ici qu’une composition tenant compte de l’espace dans lequel elle doit sonner implique une autre musique que celle qui serait conçue sans espace, ou dans un espace par défaut, interchangeable.

Hiérarchie des paramètres dans la notation musicale

47La notation musicale occidentale offre une représentation du sonore qui place au premier plan des paramètres qui ne sont pas prioritaires dans la perception du son. Non qu’elle ne soit pas adaptée à la musique, mais la conscience de cette fausse perspective est primordiale. Il faut toujours préserver les apprentis compositeurs de la partition, les prévenir. Bien avant d’entendre la hauteur, on perçoit l’origine géographique du son, l’instrument qui en est à l’origine, le registre, la nuance, la vitesse, les modes de jeu. Or c’est précisément le contraire que la partition nous montre : elle note, avant tout, précisément des notes, donc des hauteurs et des rythmes. C’est ce que l’auditeur perçoit en dernier lieu, même si la formation des musiciens tente de rétablir cette hiérarchie par l’apprentissage du solfège. Qui songerait à faire une dictée de nuance ou d’espace ?

48J’ai un jour donné un cours de composition à une étudiante très talentueuse, mais qui s’était laissé porter par la partition pour répartir les notes d’un accord qu’elle voulait faire entendre.

49La note la plus grave est donnée au basson jusqu’à la plus haute à la flûte. Questionnant l’étudiante, il s’avéra qu’elle n’avait pas envisagé de répartir les sons de son accord en fonction d’une volonté sonore, mais avait tout simplement pris la convention de répartition des instruments sur la partition comme donnée par défaut. Or elle a par la suite rectifié son accord en imaginant ce qu’elle voulait entendre et non ce à quoi la représentation conventionnelle invitait spontanément.

img-1.jpg

50Cette fausse perspective ne signifie nullement que la notation soit inadaptée à la musique, mais plutôt que son rôle est bien de permettre une médiation codifiée du sonore entre le compositeur et les interprètes, pas davantage (c’est déjà beaucoup). Mais pour l’analyse, elle est jonchée d’embûches pour qui veut entendre intérieurement le son qui doit en découler. Les chefs d’orchestre le savent bien et l’usage des crayons de couleurs sur les partitions préparées pour l’exécution est significative. La plupart des chefs utilisent la couleur bleue pour les nuances faibles, rouge pour les nuances plus fortes, les crescendi etc. Cette pratique a pour fonction de rétablir une pertinence spontanée de la partition par rapport à la réalité sonore à communiquer.

51Deux systèmes de notation existent depuis la renaissance, une notation qui tente de rendre compte de ce que l’auditeur doit entendre, l’autre qui tend à noter ce que le musicien joue. Si l’on pense à la seule notation des harmoniques artificiels aux cordes, on constate que l’ambiguïté entre les deux notations est permanente. Autre exemple : à la fin de Zigzag2, violons et alto jouent fortissimo, mais avec une sourdine dite de plomb, qui atténue le son de sorte qu’une nuance piano est la nuance maximum que l’on peut produire. Helmut Lachenmann note ces « nuances transposées »3 entre guillemets, de sorte que le musicien sait que ce sont les nuances à jouer, mais pas les nuances entendues.

Guillaume de Machaut, Anton Webern, Karlheinz Stockhausen

52Dans la plupart des œuvres polyphoniques de Guillaume de Machaut, qu’il s’agisse de la Messe Nostre Dame ou des Hoquets à trois voix, les voix de même tessiture se croisent fréquemment. Une voix monte tandis que l’autre descend et ce sur un même ambitus. De même, dans la Symphonie opus 21, Anton Webern fait se croiser deux cors dans de larges sauts d’intervalle, ceci sur une durée étirée, ne permettant pas à l’auditeur d’établir de rapport de causalité mélodique.

img-2.jpg

53Dans son ouvrage intitulé Klang4, John Pierce décrit les interférences possibles de mouvements contrapuntiques et leur répartition sur deux canaux stéréophoniques. Ces interférences sont connues de manière sensible par tout musicien pratiquant la mise en espace de lignes sonores.

54John Pierce répartit une gamme majeure de sorte que la première note soit à gauche, puis la deuxième à droite et ainsi de suite pour les huit notes. Est perçue en priorité, dans ce dernier cas, la continuité mélodique, la répartition alternée sur les deux canaux perdant de sa prégnance. Plus précisément, au fur et à mesure que l’on augmente le tempo, la répartition latérale des sources sonores s’amenuise pour disparaître au profit de la logique mélodique.

55Cet exemple montre quel degré de lisibilité est nécessaire à l’audition de figures paradoxales. J’appelle paradoxale une figure en mouvement contraire, une musique constituée de deux éléments se mouvant de manière inverse. On verra plus tard que le contrepoint peut s’appliquer à d’autres paramètres du son que la hauteur, comme le timbre ou la vitesse.

56Soit deux voix de même timbre et de même tessiture placées côte à côte. Il ne sera pas possible de différencier à l’oreille deux notations pourtant distinctes :

57- les deux voix se croisent,

58- la première voix monte puis descend (en “ A ”), et la deuxième descend puis monte (en “ V ”), sans se croiser.

59Dans des conditions d’exécution neutres, à timbre égal et dans un espace rapproché, on entendra dans les deux cas la seconde figure. Qu’est-ce qui peut justifier un contrepoint de ce type dans la réalité acoustique ?

60-Deux chanteurs aux timbres éloignés quoique dans une même tessiture peuvent éventuellement répondre à cette interrogation.

61-L’usage, à l’époque de Guillaume de Machaut, de mettre la musique en espace était-il suffisamment répandu pour que rien ne justifiât de noter la répartition des musiciens en double chœur, voire dans des configurations encore plus fragmentées ?

62Toutefois, il devrait apparaître une volonté supplémentaire de différencier les timbres des deux chanteurs, notamment par un texte différent, ne serait-ce que pour corroborer cette altérité indispensable à l’écoute de deux entités distinctes. Or, dans la Messe de Machaut, il s’agit soit de mélismes invitant à un sentiment de fusion, soit de figures rythmiques courtes et rapides – le fameux « hoquet » – difficiles à identifier comme provenant de sources différentes.

63Dans une interprétation discographique de la Messe de Guillaume de Machaut parue en 19965, Marcel Pérez opte pour une différenciation des timbres et de la densité, en opposant un tutti à un soliste, ce dernier contrepointant la ligne chantée à plusieurs voix. Cette option a pour remarquable avantage de donner un sens au hoquet, en le rendant aussi chantable que véloce. Elle oppose le soliste à une deuxième voix doublée par plusieurs chanteurs.

64Il est possible que certains hoquets aient été des pièces instrumentales. La cause principale invoquée est évidemment qu’aucun texte n’y est mentionné. Dans ce cas, une instrumentation à timbres variés pouvait rendre l’écoute de ces rythmes subtils plus lisible. Cependant, qu’il soit vocal ou instrumental, le hoquet, pour être suffisamment audible, doit faire entendre deux sources acoustiques bien distinctes, éloignées l’une de l’autre, ou bien, comme c’est le cas dans le travail d’interprétation de Marcel Pérez, de timbres, d’articulations et de densités différenciées.

65Une dernière possibilité se présente : l’utilisation de nuances contraires, une voix chantant fort tandis que l’autre chante très doucement. Mais cette hypothèse a pour effet que l’on perçoit ce qui est fort et qui monte, et très peu ce qui est doux et descend, et que le contrepoint se trouve équilibré dès lors qu’il associe ce qui est fort et descend et ce qui est doux et monte. On mesure là assez vite ce que cette hypothèse comprend de difficultés pratiques dans la réalisation. Si l’on y ajoute la réverbération, qui, bien que vraisemblablement moins importante que celle de nos églises actuelles, souvent peu habitées et peu tapissées, contrairement à ce que l’on suppose de leur état au XIVème siècle, l’imprécision voire l’incohérence d’une telle notation devient évidente. Or les chanteurs de l’époque de Guillaume de Machaut pratiquaient aussi l’improvisation. Ceci implique qu’aucune notation de cette époque ne puisse être suspectée de ne pas être contrôlée pour sa vertu acoustique.

66Reste une hypothèse : la mise en espace des voix.

67Plaçons celles-ci aux extrêmes de l’espace où elles émettent. Les oreilles des auditeurs différencieront parfaitement le croisement contrapuntique. Dans le premier mouvement de la Symphonie Opus 21 d’Anton Webern, le croisement entre les deux cors ne peut être perçu que dans le cas d’une situation stéréophonique renforcée. On peut être étonné qu’aucun enregistrement actuellement disponible n’ait tenu compte de cet aspect indispensable à la lisibilité du discours webernien. Dans les Variationen opus 27, les deux mains de la ou du pianiste se croisent sur des intervalles pour lesquels un doigté non croisé serait plus aisé, voire tout simplement possible.

68Rien ne justifie ce croisement, si ce n’est la figure de la croix, que l’on retrouvera quelques décennies plus tard dans Kreuzspiel de Karlheinz Stockhausen. Là où le pianiste doit tellement croiser le bras que son mouvement physique devient une composante de la figure visuelle, du geste. On passe ici de l’audible au visible, puisque l’oreille ne discernera pas quelle main frappe la touche.

69Robert Schumann en appelle à la référence vocale ou contrapuntique pour justifier des interférences entre les mains du pianiste. Ainsi, dans les Fantasiestücke opus 12 n° 1, les deux voix se croisent-elles sans cesse, mais c’est le rythme, l’articulation et la ligne qui permettent d’établir une différenciation entre les voix. Mais Robert Schumann se joue totalement de cette ambiguïté. Ici c’est précisément l’interférence qui justifie le contrepoint croisé. Schumann fait usage de ce que Steve Reich systématise avec le phasing, liant à la fois le contrepoint et l’effet d’espace dû à l’écho.

70On retrouve ce type de comportement contrapuntique paradoxal dans les chants polyphoniques pygmées et dans la première étude pour piano ainsi que dans le premier mouvement du concerto pour piano de Györgi Ligeti. Les voix sont imprégnées d’une personnalité, rythmique où timbrique qui confère à l’ensemble une lisibilité liminale. C’est même là une sublimation du contrepoint : la sensation paradoxale par simultanéité des contraires.

71On pourrait ainsi définir le contrepoint comme une lecture à au moins trois niveaux : le niveau d’écoute de chacune des voix (au moins deux), et le niveau d’écoute du produit de ces voix. Ainsi dans un mouvement contraire à deux voix peut-on fixer l’attention sur une voix ou sur l’autre, ou bien sur le mouvement contraire lui-même.

72Il est clair que ces perceptions n’ont rien de perméable, et que de même que lorsqu’on fixe un objet on perçoit également dans le champs visuel tout un espace environnant cet objet, on entend dans l’exemple cité les deux autres champs à la façon d’un second plan. C’est d’ailleurs ce qui se produit lorsque l’on chante : on tient sa voix, et on se place dans le mouvement contrapuntique, dans l’harmonie et dans le temps afin d’en livrer une interprétation cohérente.

73Dans Zig Zag I (1993) pour 14 instruments et électronique puis Zigzag II (2003) pour 5 instruments, le rythme est décomposé en mouvements accélérés ou ralentis.

img-3.jpg

74Ces tempi sont décomposés de sorte qu’ils soient jouables simultanément par plusieurs instruments. Certains instruments ralentissent pendant que d’autres accélèrent.

75Ce procédé est également issu du modèle rythmique proposé par l’échantillonneur, lorsque l’on programme deux sons en divisant le clavier également en deux, une moitié avec un son accélérant, l’autre avec un son ralentissant. Ce chassé-croisé ajouté aux transpositions permet de faire entendre des contrepoints de vitesses, de rythmes déstabilisant nos repères temporels habituels.

76Cependant, il m’est apparu à l’écoute de Zigzag et surtout de Tohu-bohu (1994) pour flûte solo, ensemble et électronique, que les éléments dynamiques (accélération, registre ascendant) captent évidemment davantage l’attention que les éléments déclinants (ralentis et registre descendant) avec lesquels ils devraient pourtant contrepointer. Il en résulte une écoute analogue à celle des mouvements contraires de hauteur chez Machaut ou Webern. On en perçoit la partie dynamique et l’on ne perçoit la partie déclinante qu’en arrière-plan.

77C’est dans les espaces préludiques (2003) pour orchestre de chambre que j’ai tenté d’y remédier. J’ai tout d’abord fractionné les groupes instrumentaux dans l’espace en fonction de la grande salle du château d’Annecy pour laquelle la pièce est conçue. Ainsi un groupe instrumental placé à droite va-t-il accélérer tandis qu’un groupe placé à gauche ralentira. J’ai appliqué simplement des nuances inverses à la densité de sons. Ainsi, le groupe qui accélère joue decrescendo, et inversement.

78Il en résulte que les sons se comportent comme des objets se densifiant en se raréfiant, à la façon d’une étoile en extinction, puisque les sons raréfiés, ralentissant, sont joués de plus en plus fort. J’ai pu pour la première fois entendre un réel contrepoint de vitesses grâce à l’utilisation d’un lieu pour lequel la pièce est conçue.

79Il en résulte que l’attention de l’auditeur est confrontée à un appel croisé des informations musicales retrouvant alors les trois niveaux d’écoute contrapuntiques décrits plus haut : on entend des instruments ralentir, d’autres accélérer, et la superposition des deux. Deux constatations : la conception in situ modèle l’écriture musicale, et d’autre part, l’écriture musicale convoque une mise en espace afin de devenir plus limpide.

80De plus, les espaces préludiques ou Lieu II et III permettent une relation au temps qui diffère de celle du concert. En effet, interludes, préludes, épilogues permettent de travailler sur des dimensions extrêmement étirées du temps. Ce sont les phases où l’attention de l’auditeur est détendue, soit qu’il prenne place, soit qu’il se déplace, soit encore qu’il sorte de l’espace dédié à la musique. Ce temps est beaucoup plus étiré que celui du concert et permet précisément de mettre en place des dimensions de durée infiniment plus étendues. Jean-Luc Hervé développe également des œuvres dont le point de départ est une installation sonore qui trouve son prolongement dans un concert. Cette forme appelée en Allemagne Konzertinstallation a pour moi un grand avantage. Elle permet de préparer les oreilles de l’auditeur à la densité musicale à laquelle on le convie. Cependant, la plus grande difficulté aujourd’hui pour réaliser ce type de travail réside dans le fait qu’il n’existe pas d’institution compétente pour les réaliser. « L’ensemble de musique contemporaine » est une institution indispensable au siècle dernier, institution créée par Schönberg. Il nous reste à créer les outils pour réaliser nos musiques. Force est de constater que toutes ces propositions retiennent mieux l’attention des programmateurs Outre-Rhin que dans notre France endormie par une centralisation confortable et rassurante qu’elle a peine à décapiter, et que musées, galeries, ou studios de musique électroacoustique entendent mieux le projet qu’orchestres ou ensembles. Qui s’en étonne ?

Notes   

1  Marc Augé, Non-Lieux, la Librairie du XXIème siècle, éditions du Seuil, Paris, 1992.

2  Zigzag II, éditions Jobert, Paris, 2005. Création à Avignon, le 20 novembre 2006, reprise le 21 décembre à Lyon.

3  On parle aussi de « nuances d’intention ».

4  John R.Pierce, Klang, Musik mit den Ohren der Physik, Spektrum der Wissenschaft, Heidelberg, 1985, (édition originale Scientific American Books, New York, 1983).

5  Marcel Pérès, Ensemble Organum, Harmonia Mundi HMC901590 12-199.

Citation   

Thierry Blondeau, «Offrande sonore», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Nouvelles sensibilités, mis à  jour le : 08/12/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=368.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Thierry Blondeau

Thierry Blondeau est né à Vincennes en 1961. Il étudie la musique et la littérature à Paris et Berlin (1er prix de composition au C.N.S.M., Hochschule der Künste). Pensionnaire à la Villa Médicis à Rome de 1994 à 1996. Lauréat de la Villa Médicis Hors les Murs en 1998 à Bâle. Compositeur en résidence à l’E.N.M.D. de Brest de 1998 à 2000 puis à « l’Akademie Schloss Sollitude » en 2000. Compositeur en résidence à Annecy de 2000 à 2002, il participe à la mise en place d’un nouveau lieu de recherche et de diffusion en Haute-Savoie, le M.I.A. (Musiques Inventives d’Annecy). En 2002 et 2003, il est compositeur invité à Berlin par le D.A.A.D. (Office Allemand d’Échanges Académiques). 2004 Avec Jean-Luc Hervé et Oliver Schneller, il fonde l’initiative Biotop(e). Il enseigne à l’Université Marc Bloch de Strasbourg. Sa musique peut se caractériser par une construction audible de données acoustiques, spatiales et instrumentales. L’écoute du son vivant l’a amené à élargir le territoire de l’instrument qu’il fait entendre à l’espace dans lequel il sonne, préoccupation qui l’amène en plus des concerts à la conception d’actions sonores conçues en fonction d’un lieu, d’un espace, d’une situation. Thierry Blondeau crée également des pièces à destination des musiciens de tous niveaux, afin de rendre les créations musicalement exigeantes accessibles dès l’apprentissage. Ses travaux sont édités principalement par Jobert.