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Jazz, musiques improvisées et écritures contemporaines

Pierre Michel
janvier 2012

Index   

1Comme cela fut le cas dans les années 1920 ou 1930 avec Ravel, Milhaud, Stravinsky entre autres, il semble que le jazz moderne et les musiques improvisées aient aujourd’hui un impact particulier sur certains types d’écriture contemporains. Depuis Laborintus II (1965) de Luciano Berio et Die Befristeten (1967) de Bernd Alois Zimmermann jusqu’à des œuvres récentes de Philippe Hurel, Mark-Anthony Turnage, Yan Maresz, Denis Levaillant, Heiner Goebbels ou Wolfgang Mitterer, un très grand nombre d’indices musicaux – qu’ils soient stylistiques ou techniques – révèle une sorte d’imprégnation des sonorités, rythmes, phrasés, improvisations, et du « feeling » du jazz ou des musiques improvisées dans certaines œuvres contemporaines. Inversement, le free-jazz et les formes modernes de musiques improvisées présentent des liens incontestables avec certains des langages musicaux des répertoires « savants » de la seconde moitié du vingtième siècle.

2Le recul des années permettant de dépasser aujourd’hui certains jugements négatifs et peu nuancés d’Olivier Messiaen ou de Pierre Boulez (dans les années 1970 ou plus tard encore) sur le jazz et l’improvisation, et de mieux évaluer l’importance de certains « transferts » culturels, il devient urgent de prendre en compte les échanges qu’entretiennent certaines musiques entre elles et de sortir d’une vision exclusivement progressiste ou linéaire de l’histoire de la musique, telle qu’on peut la percevoir dans les écrits de Célestin Deliège par exemple. La réalité musicale d’aujourd’hui est celle d’une diversité beaucoup plus grande que ce que véhiculent certains ouvrages attachés à la descendance des avant-gardes des années 1950 et 1960. Et parmi les composantes souvent ignorées – ou passées sous silence– de cette réalité se trouvent donc des musiques qui n’intéressent pas certains musicologues ou commentateurs de la période d’après 1945, mais qui nous semblent tout à fait « respectables », substantielles, voire passionnantes pour certaines. Alors que certaines publications étrangères (allemandes et anglo-saxonnes surtout) explorent ces questions d’échanges entre différentes formes d’expression issues de traditions orales et les langages contemporains depuis un certain temps déjà (voir notre sélection bibliographique en fin d’éditorial), la France reste tributaire d’une certaine méfiance à l’égard de tout ce qui n’est pas né des grandes institutions d’enseignement musical ou de diffusion, et parfois de tout ce qui ne se lit pas sur une partition : le livre de Denis Levaillant, L’improvisation musicale (Actes Sud, 1980) restait un peu seul dans sa catégorie en France avant la traduction en 1999 de l’ouvrage de Derek Bailey.

3C’est donc pour enrichir le débat et les recherches musicologiques ou musicales sur ces sujets que nous avons organisé à Strasbourg en novembre 2007 une journée d’étude intitulée Jazz, musiques improvisées et écritures contemporaines : convergences et antinomies, ceci dans le cadre de l’Université Marc Bloch (Equipe d’Accueil EA 3402, « Approches contemporaines de la réflexion et de la création artistiques »), en collaboration avec le Conservatoire National de Région de Strasbourg et le festival Jazzdor.

4L’idée principale était de favoriser la diversité des points de vue et des expériences, de ne pas privilégier la musicologie ou la théorie au détriment du discours précieux des praticiens. Nous avons donc sollicité des instrumentistes improvisateurs (Jean-Marc Foltz, Stephan Oliva), des compositeurs improvisateurs (Henry Fourès, Denis Levaillant), des musicologues improvisateurs (Vincenzo Caporaletti, également théoricien, Pierre Michel), et des musicologues (Christa Haring, Kai Lothwesen). Nous avons favorisé aussi le dialogue entre compositeurs et improvisateurs, ou tenu à faire parler certains musiciens de leurs expériences avec les compositeurs (dans le cas de Henry Fourès et Luc Ferrari). À cette programmation internationale de la journée d’étude nous avons ajouté pour ce numéro 8 de Filigrane des contributions complémentaires de Philippe Michel, Jean-Luc Guionnet ainsi qu’un entretien avec Vincent Lê Quang et Alexandros Markeas.

5L’ensemble de ce volume ouvre donc des perspectives très variées, voire contradictoires parfois, de la plus pure théorie (Caporaletti) aux témoignages relatant diverses expériences (Foltz, Oliva, Fourès). Il permettra, nous l’espérons, de mieux connaître certaines démarches passées ou actuelles, certains types de pensée musicale ou encore diverses attitudes de l’artiste face à la matière sonore. Il soulignera sans doute la nécessité de reconnaître aujourd’hui l’oralité et ses diverses associations à l’écriture musicale comme des critères artistiques parfaitement pertinents.

6Le lecteur pourra également prendre connaissance concrètement des musiques dont il est question ici, puisqu’un CD est joint à la revue. Nous tenons à remercier tous les musiciens ayant accepté de contribuer à celui-ci, ainsi que Madame Brunhild Ferrari, qui nous a donné l’autorisation de rééditer l’œuvre de Luc Ferrari intitulée À la recherche du rythme perdu.

La réalisation de ce numéro 8 de Filigrane a été possible grâce aux étudiants de Master « Musique » (2007-2008) de l’Université Marc Bloch qui avaient d’une part considérablement participé à la Journée d’étude en novembre 2007, puis, pour certains ou certaines d’entre eux, transcrit certaines conférences. Que soient donc remerciés à ce titre : Nathalie Boff, Clara Goormaghtigh, Kévin Jost, Kisito Essele, Amélie Pavard, Anne-Claire Pfeiffer et Wu Dan.

La journée d’étude dont sont issus de nombreux articles de ce numéro de Filigrane avait été réalisée grâce au conseil scientifique de l’université Marc Bloch de Strasbourg et grâce au soutien du conseil général d’Alsace, que nous tenons également à remercier ici.

Un grand merci aussi au comité de lecture : Vincent Cotro et Christian Tarting. Leur patience et la précision de leurs relectures furent tout à fait précieuses !

Bibliographie   

Arnd Jürgen, Jazz und Avantgarde, Hildesheimer Musikwissenschaftliche Arbeiten Band 5, Hildesheim, éditions Olms, 1998.

Bailey Derek, L’improvisation. Sa nature et sa pratique dans la musique, Paris, Outre mesure, 1999.

Brinkmann Reinhold (éd.), Improvisation und Neue Musik: acht Kongressreferate, Veröffentlichungen des Instituts für Neue Musik und Musikerziehung Darmstadt, Band 20, Mayence, Schott, 1979.

Clements Andrew, Mark-Anthony Turnage, Londres, Faber & Faber, 2000.

Cotro Vincent, Chants libres – Le Free-Jazz en France 1960-1975, Paris, Outre Mesure, 1999.

Ebbeke Klaus, « Le Jazz dans la musique de Zimmermann », Contrechamps n° 5, novembre 1985, p. 102-123.

Erwe Hans-Joachim, « Dodekaphonie und Jazz – Die Entdeckung des Populären in der Neuen Musik der fünfziger Jahre », in Bullerjahn Claudia et Erwe Hans-Joachim, Das populäre in der Musik des 20. Jahrhunderts, Hildesheim, éditions Olms, 2001.

Jazz & Neue Musik, dans la revue Neue Zeitschrift für Musik n° 5, septembre 1993.

Kumpf Hans, Postserielle Musik und Free-Jazz – Wechselwirkungen und Parallelen. Berichte, Analysen, Werkstattgespräche, Rohrdorf, Rohrdorfer Musikverlag, 1981.

Levaillant Denis, L’improvisation musicale, Actes Sud, 1980 (réédité en 1996).

Lothwesen Kai, Strategien einer Synthese – Zur Annäherung von Neuer Musik in Jazz in Werken zeitgenössischer Komponisten der 60er und 70er Jahre, Thèse, Giessen, 2000.

Lothwesen Kai, « Zeiten gewissermaßen auf dem Meeresgrund – Zum Jazzverständnis von Bernd Alois Zimmermann », MusikTexte n° 86/87, 2000, p. 80-95.

Lothwesen Kai, Strategien einer Synthese – Anmerkungen zum Jazzverständnis der Neuen Musik, Beiträge zur Popularmusikforschung n° 27/28, 2001.

West Marvin Elizabeth (et Hermann Richard), Concert music, Rock, and Jazz since 1945: Essays and Analytical Studies, Rochester, University of Rochester Press, 1995.

Wilson Peter-Niklas, Anthony Braxton. Sein Leben – Seine Musik – Seine Schallplatten, Waakirchen, Oreos, 1993.

Zimmermann Bernd Alois, « Réflexions sur le Jazz », Contrechamps n° 5, novembre 1985, p. 60-63.

Citation   

Pierre Michel, «Jazz, musiques improvisées et écritures contemporaines», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Jazz, musiques improvisées et écritures contemporaines, mis à  jour le : 26/01/2012, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=344.

Auteur   

Pierre Michel