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Mahagonny de Brecht, Mahagonny de Weill, Mahagonny de… Herz

Jean-François Trubert
mai 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.245

Résumés   

Résumé

Bertolt Brecht et Kurt Weill n’ont pas seulement renouvelé la forme spectaculaire : ils ont tenté de tester au sens propre du terme la pertinence de modèles sociaux, de stigmatiser les aberrations des rapports humains dans ce qu’ils ont de plus sensible : leurs utopies. L’opéra Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny est à ce titre particulièrement emblématique. Plusieurs systèmes d’organisation sociale sont passés au crible : libéralisme, totalitarisme, anarchie, qui définissent à chaque fois de nouveaux rapports entre la masse et l’individu, entre le système social et la liberté individuelle. Ces problématiques sont développées à travers trois regards : celui du dramaturge, qui fait participer la conscience collective du spectateur à ces mécanismes sociaux, celui du musicien, à qui incombe la charge de rendre sensible la fluidité et la mouvance constante de ces rapports, et enfin celui d’un metteur en scène, Joachim Herz. En 1976 à l’Opéra Comique de Berlin-Est, il réalise une production qui renvoie les problématiques présentes sur scène dans la salle. L’orientation des composantes scéniques amène peu à peu le spectateur anonyme à être confronté à sa propre histoire, et à prendre position.

Abstract

Bertolt Brecht and Kurt Weill did not merely renew the genre of opera; they probed the validity of social models, and denounced the Achilles’ heel of human relationships, i.e. their utopias. The opera The Rise and Fall of the City of Mahagonny illustrates this point. It examines various social organisations - liberalism, totalitarianism and anarchism-, and defines new relationships between the individual and the masses, as well as between social system and individual freedom. These issues are developed through three viewpoints: the librettist, Bertolt Brecht’s, who involves the audience’s collective consciousness in these social mechanisms, the composer, Kurt Weill’s, who conveys the fluidity and flux of these relationship, and the stage director, Joachim Herz’s. In 1976 at the Comic opera of Berlin, he put on a show that rebounded the theatrical issues to the audience. The stage elements incited the anonymous spectator to confront his own history and take an active stand.

Index   

Texte intégral   

1« Mahagonny est le premier opéra surréaliste »1. Pour Adorno, l’œuvre la plus emblématique du tandem formé par le dramaturge Bertolt Brecht et le compositeur Kurt Weill se signalait avant tout par sa forme tout à fait originale, construite sur les « décombres » du romantisme. Pièce d’« avant-garde »2, Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny a su, dès la première qui eut lieu le 9 mars 1930, sonner le glas des formes de représentation conventionnelles et ouvrir une porte sur la modernité – porte dont les « chemises marrons » ont immédiatement évalué la force subversive. Enchâssé dans l’histoire de la république de Weimar, cet opéra n’est pas uniquement le reflet d’une époque. Il transcende la chronique en tentant de se saisir d’une question centrale à l’ère des cités urbaines, qui concerne la place de l’individu. Mahagonny signe à n’en pas douter un moment de basculement dans la prise de conscience de ce début du XXe siècle, aussi bien sociologiquement qu’artistiquement. Ce moment de renversement peut être considéré comme le signe d’une attitude, « l’attitude calme de l’homme réfléchi »3, celui du regard extérieur. Mahagonny tout entier interroge : l’action est sans cesse soumise à la critique en plaçant au cœur de ces considérations la question du rapport entre l’individu et la masse.

2Cet opéra reste peu joué sur le territoire français où il fait pourtant l’objet d’une discussion régulière4. Or pour leurs auteurs, il fut porteur d’enjeux théoriques qui auront bouleversé le regard porté sur le rapport entre musique, texte et mise en scène. Mais ce discours artistique ne peut se concevoir en dehors de l’expérience scénique qui détermine la contingence des gestes fondamentaux de l’opéra. Ces gestes sont déterminés socialement, et prennent dans le temps de la représentation une allure profondément agonistique : une lutte certes, mais dont l’utopie fondatrice semble floue et reste à définir. Cet affrontement possède ses héros, allégories du groupe qu’ils représentent : Jimmy, Jenny, la veuve Begbick, Fatty, Moses. Ces personnages interagissent constamment les uns avec les autres en proposant de nouvelles définitions. Celles qui concernent le groupe, l’individu, ses modes d’action et sa morale, et surtout sa disparition, sont au cœur de l’opéra et transparaissent à plusieurs niveaux : dans l’écriture dramatique, dans le langage musical et la forme, et enfin dans la mise en scène elle-même. Maintes fois censurée, l’histoire ô combien emblématique du bûcheron Jimmy (en allemand « Holzfäller », littéralement qui fait tomber le bois, comme celui qui fait tomber la ville) pose à chacun de nous la question de « la forme esthétique de l’opéra » qui est « celle de sa propre construction »5 et qui mérite d’être sondée à travers trois regards. Celui de Brecht et celui de Weill bien sûr, mais aussi celui de Joachim Herz qui en réalisa une mise en scène particulière en 1977 à l’Opéra comique de Berlin, dans la partie est-allemande. Entre l’élaboration de l’oeuvre, les prises de position théoriques de leurs auteurs et les regards extérieurs qui ont émaillé l’épitexte afférent à l’oeuvre, le paradigme du collectif et de l’individuel y est omniprésent.

« Auf nach Mahagonny ! »

3En 1927, un jeune compositeur est à la recherche d’un sujet pour son opéra : Kurt Weill vient de recevoir une commande du festival de musique de chambre de Baden-Baden. Sans pouvoir se décider pour un livret définitif, il menace d’abandonner le projet purement et simplement6 lorsqu’en mai 1927 il va totalement changer d’avis7. Il décide de porter à la scène un cycle de poèmes écrits par Bertolt Brecht : il s’agit des Mahagonny-Gesänge qui font partie du recueil Taschenpostille, réédité un an plus tard sous le nom de Hauspostille8. Le 17 juillet 1927, le Mahagonny-Songspiel déchaîne alors un petit scandale à Baden-Baden. Mais ces sept tableaux (comportant quatre interludes instrumentaux) ne sont en réalité que le prélude d’une œuvre beaucoup plus ambitieuse préparée de concert par Weill et Brecht, qui travaillent aussitôt à l’élaboration du livret.

4Le compositeur avait été marqué par la représentation radiophonique de la pièce Homme pour homme de Brecht en 1927, dans laquelle le dramaturge avait laissé entrevoir une conception vivifiante des rapports entre musique et scène, sans compter l’aspect tout à fait particulier des songs brechtiens et de leur interprétation. Weill y trouve l’occasion de mettre en pratique sa volonté de renouveler la forme de l’opéra selon le principe de l’opéra à numéros décrit par Busoni dans l’Esquisse d’une nouvelle esthétique musicale. Brecht, « le fondateur du théâtre épique »9, est quant à lui particulièrement séduit par l’idée de porter à l’opéra ses conceptions scéniques nouvelles : il avait en tête un projet d’opéra intitulé Mahagonny10 depuis le début des années 20.

5Ce recueil de poème, les Hauspostille, marque toute la production du tandem pendant l’année 1927. Outre les Mahagonny-Gesänge et le projet d’opéra, Weill travaille à la réalisation d’une cantate radiophonique, Das Berliner Requiem, considérée comme une étude pour la réalisation de la grande forme de l’opéra11 et dont les poèmes sont extraits du même recueil. Du point de vue du fond, le thème central de Das Berliner Requiem concerne la mort, ou plutôt la mise à mort : le sacrifice de la liberté individuelle dans sa relation au groupe, la contingence de l’individu pris dans les mailles de son aliénation sociale. Au-delà de la vision particulièrement matérialiste qui est proposée dans la cantate, la narration de Vom Tod im Wald – premier numéro de l’opus dans sa version de 1929 – nous renvoie l’image d’une individualité violentée et mise à mort dont le credo « Je veux vivre ! Manger ! Ne rien faire ! Respirer fort ! » se rapproche étrangement du « Du darfst es » que proclame Jimmy et des plaisirs énumérés dans les tableaux centraux du deuxième acte de l’opéra Mahagonny : « Manger, boire, faire l’amour, se battre ».

6La réflexion centrale qui constitue le point de départ du Mahagonny-Songspiel concerne la vie dans les grandes villes et la constitution de groupes sociaux – bûcherons, prostituées – ainsi que leurs aspirations en tant que groupe – intérêt, ennui, révolte – qui se résout sur une aporie liée à la nature même de la ville. C’est ce rapport qui dirige d’ailleurs les premières ébauches de réflexion sur l’opéra :

« 1. À notre époque dans les grandes villes, il y en a beaucoup pour lesquels ça ne [va] plus.

2. Aussi, Allez donc à Mahagonny, la ville-d’or, qui se tient loin du trafic du monde, sur les rivages de la consolation.

3. Voilà à Mahagonny. La vie est belle.

4. Mais bientôt à Mahagonny voilà l’heure du dégoût, de l’embarras et du désespoir.

5. Ici, on entend les hommes de Mahagonny répondre aux questions de Dieu, pourquoi ils mènent une vie pleine de péchés.

6. Devant vos yeux, la belle Mahagonny tombe en ruine ».12

7Mahagonny, ville du plaisir réifié où tout s’échange contre de l’argent, soumet le monde à sa loi du marché et toute évasion en est impossible à la fois dans l’espace subjectif – La ville-refuge de Benares est détruite – et dans l’espace tangible – pour le spectateur. Le moment de révolte du tableau V montre cet échec du changement. Les pronoms de la narration sont le « Nous » et le « on », ils sont pris au piège dans un univers clos que décrivent les différents tableaux du Songspiel, dans la version de 1927, et que l’on peut résumer ainsi :

8Mahagonny-Song : une foule enthousiaste se dirige vers la ville de Mahagonny, où l’on sait rire, boire, jouer, manger, mais aussi attraper la syphilis : « Auf nach Mahagonny/Das Schiff wird losgeseilt/Die zi-zi-zi-zi-zivilis/Die wird uns dort geheilt ».

9Alabama-Song : chanson de prostituées venues chercher à Mahagonny « the next little dollar ».

10Mahagonny-Song : Qui veut vivre à Mahagonny a besoin d’argent : « Wer in Mahagonny blieb/Brauchte jeden Tag fünf Dollar ».

11Benares-Song : « Where shall we go ? ».

12Mahagonny-Song : la révolte qui s’amorce à Mahagonny répond aux accusations de Dieu. Les gens de Mahagonny sont menacés d’être envoyé en enfer. Mais ceux-ci rétorquent : « l’enfer, nous y avons toujours été ».

13Finale : « Mais tout ce Mahagonny/N’est possible que parce que tout est mauvais/Parce qu’il ne règne pas de sérénité/Ni d’entraide/Et parce qu’il n’y a rien/sur quoi l’on puisse compter ».

14À partir du « prototype » que constitue le Mahagonny-Songspiel, la production du tandem va se focaliser entre 1927 et 1929 sur la question du rapport de l’individu au groupe en réintroduisant le sujet et le sacrifice – symbolique ou réel – de ses libertés. Sacrifice qui va jusqu’à la mort car la liberté y est dépeinte comme irréconciliable avec la vie sociale. Par rapport à Mahagonny et au Berliner Requiem, la ligne qui se tend vers des pièces plus radicales comme Der Jasager (1930, musique de Kurt Weill), Die Maßnahme (1930, musique de Hanns Eisler), ou encore La mère (1931, musique de Hanns Eisler) reste cohérente. Ces dernières pièces maintiennent une contradiction, une sorte de dialectique négative – pour reprendre les termes adorniens – beaucoup plus subversive qu’il n’y paraît : elles proposent en apparence seulement le sacrifice de l’individu au profit de la communauté. Mais dans le même temps celui-ci ne renonce jamais à ses libertés : il préfère mourir que de déroger à ce principe. Il en va de même pour Jimmy, personnage qui devient le moteur central de la trame narrative de l’opéra Mahagonny : son aveuglement lié à son amour de la liberté – du libre arbitre et de l’abolition de toute contrainte – va le pousser à commettre l’irréparable et va le précipiter vers son destin funeste. Il sera condamné à mort par le tribunal de fortune réunit à Mahagonny. Avec Jim, l’opéra revêt une dimension plus symbolique, mais plus universelle également : il renvoie à une condition humaine et à la quête de l’identité.

15Enfin, on ne peut manquer de remarquer qu’avec l’apparition du sujet dans l’opéra, la dimension collective du travail de création commence à s’émousser. Les difficultés rencontrées lors de la première de l’opéra à Leipzig, le travail de réécriture envisagé pour la version de Berlin, la publication par Weill – avant Brecht – des notes sur l’opéra, ont poussé ce dernier à se démarquer et à faire valoir son identité en définissant un je dont les contours ne sont pas toujours très nets13. En 1931, pendant les répétitions de la version berlinoise, l’emportement – ou l’exiguïté – feront éclater pour un temps cette présence d’un « on » collectif dans la collaboration.

Du Songspiel à la grande forme : « Mahagonny…ist nur ein erfundenes Wort »

16Malgré ces différents éclats, malgré le succès de certaines pièces ou leurs scandales, la collaboration de Brecht avec Kurt Weill a permis d’installer la question des rapports entre le groupe et l’individu sur le plan de la grande forme musicale. En passant de la cantate à l’opéra, Mahagonny pourrait être considéré à titre de provocation comme une hyper-cantate constituée de plusieurs moments et de plusieurs formes, l’œuvre possédant un caractère profondément hétérogène. En outre, l’édition pose toujours des questions d’ordre philologique que les différentes versions des mises en scène successives ne viennent pas simplifier. Le passage d’une conception par tableaux à l’élaboration d’une structure narrative plus élaborée s’est fait en plusieurs étapes, le résultat final reflétant cette hétérogénéité. Plusieurs modèles actantiels14 sont superposés, évoquant toujours la même question, celle du rapport des hommes à la ville, mais selon différents points de vue.

17Le premier modèle actantiel s’attache à trois personnages, la veuve Begbick, Fatty et Moses, qui, en fuyant la police, imaginent de fonder une ville artificielle dans laquelle les travailleurs « de tous les continents » pourraient venir y dépenser leur argent. La banqueroute menace leur ville, ainsi qu’une catastrophe naturelle, mais ils exigent par la force que leur soit toujours payé leur dû. La mort de Jim et l’apparition de Dieu déclenche une révolution, montrant leur incapacité à fournir les plaisirs promis.

18Le deuxième système d’action concerne Jimmy (alias Jim, ou encore Paul selon les versions), et à travers lui le groupe des travailleurs – ici des bûcherons. Ceux-ci viennent de travailler dur pendant sept longues années et décident de s’offrir du bon temps – des filles, de l’alcool et du whisky. Ils viennent à Mahagonny et semblent jouir de tout. Pourtant, Jimmy s’ennuie. Alors qu’un typhon menace de tout détruire, il prend conscience de la vacuité de l’existence et décide alors de vouer sa vie à la recherche absolue du plaisir individuel. Imposant, en l’achetant à Begbick, le libre arbitre comme principe – « Du darfst es » – il entraîne Jenny et ses amis bûcherons dans une ronde aussi insouciante que funeste où chacune de ses envies lui sera sévèrement facturée par la tenancière du lieu : la veuve Begbick. Incapable de payer ses dettes, tout soutien lui ayant été refusé par ses anciens amis qui l’ont abandonné, il est condamné à mort pour le crime le plus impardonnable qui soit à Mahagonny : il n’a plus d’argent. Il accepte la sentence et meurt de n’avoir jamais dérogé à ce principe de liberté dont il découvre la teneur fondamentale avant sa mort.

19Le dernier modèle actantiel, plus diffus, concerne la ville elle-même et son organisation, la constitution du groupe autour des différents protagonistes et ce qui le menace. La ville est ici pensée comme allégorie de l’organisation sociale. Les fondateurs sont les détenteurs d’un ordre – amoral certes – mais qu’ils font respecter de manière totalitaire. Jimmy propose par opposition un contre-système basé sur l’anarchie la plus totale, dont la révélation lui vient à cause d’une catastrophe naturelle, menaçant la ville, c’est-à-dire la suite des règles sociales édictées. Mais cette anarchie n’est qu’apparente, car sans idéologie elle ne fait que se greffer sur l’ordre libéral précédent qui n’a pas été dissout. Enfin, la révolution éclate, et une conscience de groupe se déclare : les « hommes de Mahagonny ». Celle-ci est vite dépassée par une somme d’individualités diverses – des « nous » différents et opposés – qui fait basculer cette amorce dans l’échec et qui précipite la dissolution du groupe dans une masse sans direction. Les formes d’utopies sociales – libéralisme, anarchisme, révolution spontanée populaire – y ont échoué, la ville disparaît.

20Toutes les situations présentées sont ainsi liées aux différentes postures possibles face à une entité urbaine. Il est frappant qu’ici, Brecht et Weill n’envisagent à aucun moment cette urbanisation du point de vue matériel ou du point de vue du rapport à la masse immobilière comme dans Metropolis de Fritz Lang, où la construction même de la cité dirige les rapports humains et segmente les classes sociales. On se trouve avec Mahagonny dans une situation totalement différente : la cité est pensée comme le produit direct des rapports sociaux. Les différents tableaux sont articulés en fonction de ce rapport à la ville – pensée en tant que règles et somme d’entités vivant ensemble – et de la capacité qu’elle possède de subvenir à leurs besoins. À travers l’histoire des trois brigands, Fatty, Moses et la veuve Begbick, Brecht montre que toute constitution sociale est avant tout œuvre humaine, qu’elle est par définition éphémère et interchangeable, que l’on peut en comprendre les mécanismes intimes. C’est l’une des interprétations possibles de la scène de l’ouragan : si celui-ci évite la ville de Mahagonny, c’est pour bien montrer que seule l’intervention humaine sera responsable de sa destruction.

21La constitution finale de l’opéra relate l’évolution de cette relation entre individu et groupe sous la forme de vingt-et-un tableaux où la répartition entre songs et scènes durchkomponiert (c’est-à-dire prises dans une section musicale de plus grande ampleur avec un développement plus continu – au sens musical du terme) est irrégulière. On peut donner ainsi un récapitulatif de la structure globale de l’opéra telle qu’elle apparaît dans la version du livret éditée en 192915 sous la cote 9852 par Universal :

Sc. 1 : Fondation de la ville de Mahagonny

Sc. 2, 3 et 4 : Présentation des différents protagonistes, par groupes (prostituées, ouvriers des grandes villes, bûcherons)

Sc. 5 et 6 : Rencontre de protagonistes particuliers : Jimmy et Jenny

Sc. 7, 8 et 9 : La ville est en crise, ce qui est donné à percevoir en trois points : a. Point de vue de la veuve Begbick, b. Point de vue de Jim, c. première révolte de Jim, avant l’arrivée du cyclone.

Sc. 10 et 11 : Le cyclone menace la ville, Jim prend la mesure de l’existence humaine, fin du premier acte.

Sc. 12 : Le cyclone finalement évite Mahagonny. « Du darfst », la licence devient la devise de la ville, instaurée par Jim en échange de toute sa fortune.

Sc. 13 à 16 : dissolution du groupe de compagnons et assouvissement des plaisirs : a. manger, b. faire l’amour, c. se battre, d. se saoûler. Cette dernière scène présente en sus le conflit principal : Jim est dans l’incapacité de payer. Fin du deuxième acte.

Sc. 17 : Air de Jimmy : « quand le ciel devient clair, commence un jour damné ». Inversion temporelle. Les lamentations de la dernière aube de Jim avant son exécution ont lieu avant son procès qui a lieu scène 18.

Sc. 18 et 19 : Jugement de Jim et condamnation à mort.

Sc. 20 et 21 : Dieu vient à Mahagonny, ce qui déclenche une révolution dans la ville. Le défilé de protestataires se disperse et éclate en de multiples groupes de revendications diverses, le rideau se ferme sur la marche incessante du défilé.

Si l’on se base sur cette version du livret de 1929 à 21 numéros16, on peut observer une structure qui divise l’opéra en sept grandes étapes logico-temporelles. Ces actions – qui s’entendent comme étapes narratives à un niveau plus profond que celui qui est scéniquement perceptible17 – se répartissent autour de la scène de l’ouragan qui en est l’axe de symétrie.

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Exemple 1. Répartition des séquences logico-temporelles

22Cette structure profonde n’est jamais donnée per se, mais s’aperçoit à travers le filtrage de l’hétérogène, une prise de risque calculée dans la structure générale et dans les grimaces de la forme. Le déséquilibre notable qui existe entre les différents tableaux participe de cet effet d’« étrangéisation » qui donne à l’opéra cette facture car ils n’ont pas tous la même valeur ni la même importance. Certains sont de véritables scènes faisant avancer l’intrigue, d’autres se réduisent à un song, d’autres sont de simples peintures de situations. Ces disparités de genre et de fonction entraînent des dissymétries dans la perception de la forme générale, et font apparaître chaque moment comme le résultat d’une opération antérieure ayant délibérément fait subir à un hypothétique modèle actantiel de base – une sorte de Urdramaturgie – des déformations sensibles. La métaphore optique convient assez bien à ce phénomène, où comme Weill le précisait :

23« C’est seulement maintenant, après que le théâtre d’actualité antérieur a libéré le matériau, que nous avons acquis la spontanéité et le naturel qui nous permettent de former l’image du monde, que nous voyons […] non plus à travers une photo mais dans un miroir. Cependant, il s’agira dans la plupart des cas d’un miroir concave ou convexe qui renvoie la vie avec le même grossissement ou le même rétrécissement que cela se passe dans la réalité ».18

24La structure proposée dans le livret final de l’opéra assimile les ballades originelles issues des Hauspostille, les songs, qui servent de moments de subversions et assurent cet éclatement du déroulement dramatique qui a tant marqué Adorno19. Leur inclusion dans les différents tableaux possède ici un rôle central qui consiste à interrompre le déroulement linéaire de la narration et à renvoyer le spectateur à sa propre réflexion car, selon Walter Benjamin, le geste d’un moment scénique est d’autant plus prégnant lorsqu’il est interrompu20. La nécessaire identification au personnage est ainsi mise en stase – elle n’est pas niée – afin d’amener une situation inattendue. Il est possible d’emprunter à Anne Übersfeld le terme de réversion21 en le détournant légèrement de son acception première : elle signalerait ici un moment de retour au réel et aux conditions réelles de l’existence après que la cohésion des moyens artistiques ait créé une altérité. Cette réversion de la situation dramaturgique de départ permet d’en saisir soit le mécanisme soit l’absurdité, sur scène et dans la salle. C’est ainsi qu’agit – d’un point de vue fonctionnel – une part de l’aspect « gestuel » recherché dans la musique de Brecht, que l’on trouve notamment dans l’Alabama Song22.

« Das ist die ewige Kunst »

25L’hétérogénéité manifeste du texte renvoie à celle de la musique. Adorno fut l’un des premiers à relever la manière dont Weill a su puiser dans sa culture les éléments les plus désuets, voire kitsch, pour en faire un « montage ». Le programme théorique de Kurt Weill23, une relation avec une large audience, la volonté didactique qui transparaissent nettement dans Der Jasager, et la réflexion sur la forme de l’opéra largement inspirée de la Junge Klassizität de Busoni, reflétait alors les préoccupations de l’avant-garde artistique berlinoise. Le véritable tournant pour lui ne se situe pas en 1927 lors de sa rencontre avec Brecht, contrairement à ce qui est souvent retenu dans l’historiographie, mais bien avant lorsqu’en 192w il collabore avec Iwan Goll pour la pièce Der neue Orpheus. Weill tend à clarifier son style musical, en intégrant déjà les idiomes de la musique populaire. En parallèle, les préoccupations politiques de Weill et sa sensibilité envers les problèmes sociaux24 lui font adhérer en partie aux thèses du théâtre épique brechtien25.

26Les moyens musicaux qui permettent de réaliser ces ambitions à la fois sociales et esthétiques se trouvent concentrés dans Mahagonny. L’aspect rythmique est particulièrement fondamental dans la construction de l’opéra, mais il ne doit pas être réduit à la seule utilisation de séquences rythmiques aisément reconnaissable, comme les marches militaires, les valses, les rythmes des songs qui à eux seuls ne forment pas l’essence du « caractère gestuel de la musique ». Justement, l’utilisation du rythme comme principe de mouvement se situe à un niveau autre, dans la relation que de petites cellules rythmiques entretiennent entre elles tout au long du drame : un réseau (Net en allemand, comme « Mahagonny, die Netzestadt ») encore une fois se crée, répondant au réseau sémantique des mots du texte poétique comme l’apparition récurrente de la figure « die großen Kälte » (les grands froids), ou encore du chiffre sept comme dans « sieben Jahre ». Là où les mots changent de fonction – voire les personnages eux-mêmes – les cellules rythmiques changent d’aspect, entraînant une modification de la perception du champ temporel. En outre, ces mêmes cellules s’associent souvent au mètre poétique pour former de véritables paradigmes parcourant l’œuvre : comme la séquence Longue-trois brèves issue des marches militaires, ou encore la séquence Longue-brève/Longue-Longue du mot de Ma-ha/gon-ny, ou de Ma/ho-ney. Les songs, allusions à l’univers populaire, semblent alors décharnés : le réservoir mélodique dans lequel ils puisent leur substance n’existe pas. Il s’agit en réalité d’une redistribution constante de conglomérats d’intervalles, tierces mineures et quintes le plus souvent, qui émaillent le discours de leurs déformations en même temps qu’elles le cimentent26, prenant l’apparence d’une mélodie.

27Au-delà de ces constructions souterraines, la ville de Mahagonny laisse voir en surface quantités de citations qui jouent avec la mémoire collective en construisant l’inscription sociale de chaque personnage. La pluralité des idiomes et les allusions intertextuelles agissent comme une sorte de contextualisation du monde de Mahagonny : ce monde est celui dans lequel nous vivons, et la représentation renvoie ainsi le spectateur à sa propre expérience en lui faisant néanmoins percevoir que d’autres mécanismes sont à l’œuvre. Le répertoire lyrique est également passé en revue, ainsi que celui du cabaret, et l’on assiste à une succession inégale d’airs, d’aria, de chœurs, de chants chorals, de Songs, d’airs de valse, de finales d’opéra dans la grande tradition classique et romantique, de solos, de duos, de moments parlés, parlés-chantés, de numéros. Tout l’opéra semble s’arranger d’un palimpseste de différentes formes musicales, un peu comme si l’on avait superposé plusieurs calques correspondant à ces formes, en en gommant ici et là les plus grosses parties. On peut donc s’y reconnaître, même si je suis surpris par la teneur de l’ensemble : d’où la réaction de Alfred Einstein : « il y a malentendu : Mahagonny est un opéra qui ne peut pas être représenté dans un opéra ».27 Ces effets de construction – utilisation de petites cellules paradigmatiques et allusions diverses – permettent une grande labilité de l’architecture globale : il devient ainsi possible non seulement d’apporter une lisibilité des différents moments dramatiques, mais encore de leur imprimer leur mouvement avec une grande clarté, de précipiter en quelque sorte chacune des différentes actions vers leur dénouement, comme c’est le cas dans la scène du Dieu à Mahagonny28.

28Dans le même esprit, l’opéra utilise plusieurs factures vocales, depuis le parlé jusqu’au chanté en passant par l’air de cabaret et le choral. Les interventions des personnages sont cependant principalement régies par une forme de déclamation chantée, selon les principes exposés par Weill dans « le caractère gestuel de la musique ». La relation au mètre poétique déjà évoquée dans la relation à la grande forme donne une fluidité à un niveau plus localisé, en même temps qu’elle permet d’articuler des différenciations fonctionnelles. Plusieurs modes de scansion et de déclamation sont ainsi juxtaposés, sur le modèle du psaume, du choral, de la déclamation, de l’air ou du récitatif. Chaque mode va sous-tendre un modèle d’actant particulier – la scansion psalmodiée contre le récitatif plus libre mettant en opposition contingence sociale et désir de liberté – en induisant une interprétation particulière de la scène. D’un autre côté, les effets chorals ou les allusions aux chœurs de finales d’opéra sont utilisés dès qu’il s’agit de représenter la masse. Ces chœurs sont souvent employés pour déclamer une parabase, commentant l’action de l’extérieur dans le principe du théâtre épique brechtien – même s’il faut remarquer que cette fonction est aussi ancienne que la forme de la tragédie, et que ce procédé de la parabase est particulièrement employé par Mozart dans les finales des actes de La Flûte enchantée.

29La caractérisation vocale issue de l’opéra classique et romantique rajoute aux effets de distance. Par exemple, la voix de soprano attribuée au personnage de Jenny lui confère le rang d’héroïne, alors que son rôle devient plus effacé au deuxième et troisième acte. En outre, les personnages voient leur individuation respective lissée par une sorte d’ambitus standard, qui va au maximum à l’intervalle d’une octave plus une tierce si l’on considère les personnages principaux – si l’on se réfère à la répartition de l’ambitus scène par scène, et non à la totalité de l’opéra29. Au sein de ce tissu qui vu de loin apparaît comme assez uniforme, seule la facture vocale du personnage de Jim dénote. Au cours des sept grandes actions (Cf. tableau supra) qui parcourent l’opéra, le traitement vocal qui lui est associé va peu à peu refléter la prise de conscience de ce personnage, et sa quête funeste de l’émancipation.

30Dans la scène 4, Jim pour sa première apparition se joint au chœur de ses camarades, l’ambitus vocal n’est pas très étendu et le traitement ne manifeste pas de reliefs particuliers par rapport aux autres, et seul un duo avec Jenny à la scène 6 viendra caractériser ce personnage au cours de ce qui s’apparente à une bluette kitsch. Dans la scène 5, Jim utilise le dialogue parlé, mais il n’est pas le seul à le faire, Bill (ténor) également. À ce moment de l’opéra, Begbick (mezzo-soprano) et Jenny semblent être les héroïnes incontestées de l’opéra, et sont très clairement mises en relief par le traitement vocal qui leur est dévolu.

31Mais dans les scènes 8 et 9, Jim commence à s’opposer à l’ordre établi dans Mahagonny : c’est alors que la musique va souligner vocalement le caractère original de ce personnage. À la crise financière de la scène 7 succède la crise individuelle : l’ennui et l’insatisfaction gagnent. Un dialogue parlé oppose Jim et ses amis : « pourquoi fais-tu une telle figure ? ». Jim : « Parce que j’ai vu un écriteau avec écrit dessus : “Ici, c’est interdit” ». Bill de rétorquer : « N’as-tu pas le calme et la concorde ? ». Jim : « Trop calme ! ». Vient alors une énumération de la part de Bill, où la présence du je (par l’intermédiaire du tu) s’estompe, remplacée par le on : « On fume. On dort un peu, on nage, on se prend une banane, On regarde couler l’eau, On oublie ». Un geste musical formé de deux doubles croches vient alors mettre littéralement en suspension le déroulement, précédant la protestation de Jim : « Mais quelque chose manque ! ». Pour toute réponse, les trois bûcherons vantent la douceur de la vie à Mahagonny en exécutant un chant choral dont la teneur est profondément parodique. Il est homorythmique pour souligner l’absence d’individuation des trois compères gagnés par la torpeur des plaisirs de Mahagonny et les aspects dissonants – voire de mauvais goût – de son contrepoint sont clairement soulignés afin d’en montrer le caractère artificiel30.

32Mais Jim n’est pas prêt à « oublier » comme ses camarades. Toujours dans cette scène, il se démarque du chœur en interprétant le Song de Mandelay qu’il est seul à exécuter et dont l’accompagnement s’articule justement autour des doubles croches de « quelque chose manque ! ». Sa mélodie a interrompu le cours uniforme du chœur et son ambitus vocal s’est élargi donnant à Jim un pouvoir nouveau face à ses camarades. À partir de ce moment-là dans l’opéra, toutes les interventions vocales du personnage de Jim feront l’objet d’un soin particulier et le mettront en exergue, et la séquence rythmique de l’accompagnement de ses airs sera toujours liée à un même paradigme rythmique formé de deux brèves ou de deux brèves et d’une longue. Certaines exceptions demeurent, essentiellement lorsque, comme tous les personnages, toutes les individualités demandent à retourner dans la masse informe du groupe ou de l’allégorie sociale comme c’est le cas pendant les scènes de l’action de l’ouragan, ou dans les finales. Weill s’en exprime très clairement d’ailleurs :

33« Car de même que les besoins des hommes influencent le développement de la ville, celui-ci modifie en retour l’attitude des hommes. C’est pourquoi tous les chants de cet opéra sont l’expression de la masse, même quand ils sont exécutés par une seule personne, porte-parole du groupe ». Le texte original allemand est encore plus éclairant par la suite, littéralement : « Le groupe des fondateurs du début se trouve face au groupe des arrivants. Le groupe des partisans des nouvelles lois luttent à la fin du premier acte contre le groupe de ceux qui sont contre »31.

34Pendant l’acte II et III, la figure de Jim prend une autonomie plus grande encore, surtout dans la scène onirique de l’ivresse et de la fuite en bateau. La courbure vocale, dotée à la fois d’une envolée plus grande et d’inflexions proches du parlé, c’est-à-dire en perdant le caractère impersonnel du psaume, font de ce personnage une individualité de plus en plus saisissable pour le public, de plus en plus réelle en somme, de sorte qu’une identification avec le héros va s’opérer, mais elle n’aura véritablement lieu qu’au moment où Jim sera mis à mort.

35En effet, cette dimension incontestable du je atteint son sommet dans les scènes 17, 18 et 19 de l’opéra, lors du procès et de la mort de Jim. Toute la scène 1732 est d’ailleurs entièrement dévolue à ce personnage. Cet air de Jim au moment de son emprisonnement dans l’opéra correspond paradoxalement à une véritable libération du point de vue vocal – c’est également le seul véritable aria de l’opéra avec un personnage seul en scène. Le style se libère de la déclamation parlée et de la scansion, et la mélodie se construit sur de plus amples phrasés. Surtout, son ambitus est le plus étendu de l’opéra (Mib2-Do4) et le plus tendu également puisqu’il atteint le contre-ut (Do4). Il constitue une sorte d’apex vocal et ce personnage, ni aucun autre, n’aura plus de traitement vocal équivalent. Cet élan lyrique est l’expression d’un moi intérieur clairement identifiable qui entraîne l’empathie : je ne veux pas mourir. La dernière réplique de Jim dans l’opéra sera parlée : « Oui, maintenant j’y vois clair : quand je suis venu dans cette ville pour m’y payer du plaisir avec mon argent j’ai signé mon arrêt de mort/Je me retrouve assis ici, et je n’ai toujours pas vécu ».

36Cette dernière intervention achève de lui conférer une « réalité », et permet au spectateur un des rares moments, voire le seul, d’identification avec un personnage. Celle-ci évacue toute fonction cathartique pour une raison structurelle : le temps de l’identification correspond au temps de la catharsis, sans développement. L’attention est précipitée vers une finalité : le je symbolique est exécuté et nous avec lui. Symboliquement morts, mais frustrés de toute transcendance, la fin de la ville de Mahagonny est un événement dont nous devenons nécessairement extérieurs, et donc critiques.

« Weil nur so schlecht ist »

37« Pourquoi est-ce que la pièce s’appelle finalement Ascension et chute de la ville de Mahagonny33 ? L’ascension est montrée. […] Mais où est, s’il vous plait, la chute ? »34. C’est en ces termes que Joachim Herz35 problématise sa propre mise en scène de Mahagonny à l’Opéra comique de Berlin, en 1977. Avec cette nouvelle production – une mise en scène avait déjà été réalisée dix ans auparavant à Francfort et à Leipzig – ce sera la première fois que l’opéra sera représenté dans sa version intégrale en Allemagne de l’Est.

38Joachim Herz soumet l’histoire au regard du spectateur. Cette réflexion passe par le jeu, par la confusion entre salle et scène, par l’artifice, autant d’effets que l’austérité post-brechtienne avait laissés de côté mais qui résonnent ici avec le kitsch des années trente. L’alchimie remarquable qui se dégage du rapport entre drame et musique suscite les événements, et les différentes scènes ne se pensent pas comme des superpositions de tableaux mais bien comme faisant partie d’un flux dont le texte musical guide les accents. Cette production se caractérise également par le choix assez original qui a été adopté pour réorganiser les différents numéros de l’opéra – ce qui rend cette version de 1977 unique et totalement différente de la version courante36. Joachim Herz change la disposition de scènes isolées pour créer de nouvelles unités, ce qui a pour effet de respecter le découpage en sept actions, et d’accentuer l’élan dramaturgique. Les contours des différentes étapes (Fondation – Protagonistes – Crise – Ouragan – Plaisirs – Condamnation – Chute) sont ainsi plus nets, et la progression vers le dénouement est le fruit d’une causalité qui n’est pas détournée. Les tableaux qui étaient isolés, comme la scène 6 ou le duo des grues, sont insérés à l’intérieur des grandes actions en acquérant une fonction analogue à celle des songs de l’Opéra de Quat’sous. L’interruption de l’action principale est ainsi rendue plus sensible, mais en perdant peut-être en efficacité sur le plan de la subversion et de l’ambiguïté des formes et des structures de l’opéra.

39Le sens donné à cette mise en scène est de prendre l’histoire à parti pour montrer comment la réification des plaisirs peut représenter un danger de plus grande ampleur. Dans Mahagonny, l’anarchie est un principe d’action qui n’est contingentée à aucune idéologie. Au contraire, ce principe ultime précipite la ville dans sa chute. L’absence de projet menace de son vide tout l’édifice social, jusqu’à l’édifice formel puisque l’opéra ne se « termine » pas véritablement, et se dissout dans le chœur final. La menace que constitue le groupe pour l’individu, avec la mise à mort de Jim (ici Paul), est balancée par l’impossibilité pour le groupe constitué autour de règles économiques libérales de subvenir aux besoins de cet individu et à son épanouissement. La dissolution de toutes les structures sociales dans l’anarchie aboutit alors à une « catastrophe », point sur lequel nous reviendrons. Tout l’édifice de mise en scène réalisé par Herz consiste en des allers-retours incessants entre passé – symbolisé – et présent – vécu ontologiquement par le spectateur – sous forme d’allusions, de citations de textes collés ou rajoutés, scénographie évoquant soit des projections de Neher à l’époque de la première de l’opéra, soit des images d’archives. Herz amène ainsi ce même spectateur à l’expérience de ce processus de transformation.

40Le premier acte débute par une intervention du trio Begbick-Fatty-Moses qui arrive dans une véritable voiture (lors de la première, cette voiture était visible, fumante et accidentée, à l’extérieur des murs de l’opéra) gommant la frontière entre scène et salle. Le grand hall d’entrée de l’opéra est décoré de plusieurs affiches d’époque, tandis que des haut-parleurs diffusent de la musique d’archive des années vingt et trente, constituée d’enregistrements de chansons de cabarets, ou d’émissions de radio. Le spectateur est donc dès le départ invité à s’identifier, ou pour le moins à se plonger dans l’atmosphère proposée. Au départ, cette atmosphère est plutôt bonne enfant, auréolée de la langueur facile des GoldenenJahre.

41Pendant le déroulement de l’opéra, d’autres citations et collages vont menacer cette nostalgie doucereuse. Le narrateur ne fera pas qu’annoncer les titres des différentes scènes : il va bientôt lire des extraits d’articles de presse de la première en 1929, comme la célèbre vindicte pro-nazie de Fritz Stege37, ou bien inclure des paragraphes de pièces de théâtre postérieures à la création de l’opéra, comme Têtes rondes et têtes pointues de Brecht. Le metteur en scène articule l’idée d’un jeu entre passé et présent, entre histoire de l’opéra et histoire sociale, entre le temps de la création de l’opéra et celui de la création de la représentation de l’opéra.

42D’autres citations sont présentes dans la scénographie. Celle de l’Alabama-Song est inspirée de l’illustration des disques d’époque enregistrés en 1930 et 1931 par Lotte Lenya. La scénographie de la scène 9 évoque l’atmosphère de Salò de Pasolini (1975) : des hommes de Mahagonny jouent aux cartes en utilisant le corps dénudé de femmes sans visages en guise de table, se livrant à la recherche du plaisir de manière mécanique et désabusée. Pour les tableaux 3 (les gens des grandes villes), 10 (l’ouragan), et pour le Benares Song, des documentaires filmés sont projetés montrant d’abord des scènes d’une grande place d’échange boursière (scène 3) puis des images d’émeutes. Une gradation dans la violence des images conduit aux scènes de la répression nazie diffusées pendant le Benares Song avant la scène de la révolution, le tremblement de terre dévastateur de Benares résonnant alors comme une allégorie : « Worst of all Benares/Is said to have perished by an earthquake ».

43Ces projections s’inscrivent dans un contexte historique où la mise en scène cache des connexions intertextuelles. La première d’entre elles concerne Erwin Piscator, dans le giron duquel est apparu le qualificatif « épique » pour caractériser ses représentations, qui utilisait des matériaux divers dont justement la lecture de coupures de presse, les diapositives et les extraits de films documentaires. La seconde référence appartient à l’histoire de la création : pour la dernière scène de l’opéra, Herz rappelle que Caspar Neher a eu l’idée de projeter une scène de bombardement pendant la marche des manifestants, bombardement dont on retrouve le son à la fin de cette production de 197738.

44Avec ce nouveau réseau de citations ainsi créées, tout se passe comme si l’on faisait doucement pivoter la perspective du spectateur. À partir de l’entracte, la mise en scène emmène progressivement vers une seconde lecture de l’opéra, plus violente, qui évoque l’histoire de l’Allemagne. La scène « Manger » (scène 13) s’ouvre ainsi sur des bannières larges traversant toute la hauteur de la scène, où les mots « Du darfst » (tu as le droit de) sont croisés en évoquant la typologie visuelle des banderoles nazies.

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Exemple 2. Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny. Mise en scène de Joachim Herz, Opéra Comique de Berlin, 1977. Réalisation télévisuelle, Christoph F. Flieke. Acte II, scène 13 : « Essen »39.

45Le public va être peu à peu confronté à sa propre responsabilité historique en particulier dans la scène finale où ces annonces de catastrophe vont prendre corps. À partir de la scène 18, des gardes en uniformes apparaissent discrètement sur scène et dans la salle, ceinturant symboliquement les spectateurs. À la scène de la révolution, différents cortèges de manifestants s’animent avec des pancartes revendicatives différentes, dominés par un aigle menaçant, perché sur un fil électrique.

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Exemple 3. Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny. Mise en scène de Joachim Herz, Opéra Comique de Berlin, 1977. Réalisation télévisuelle, Christoph F. Flieke. Acte III, scène finale.

46Ces manifestants sont rejoints par des hommes en noir, le visage masqué (autre allusion aux dessins de Caspar Neher pour la création de l’opéra).

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Exemple 4. Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny. Mise en scène de Joachim Herz, Opéra Comique de Berlin, 1977 Réalisation télévisuelle, Christoph F. Flieke. Acte III, scène finale.

47Puis tout le cortège va s’unifier, mais sous le contrôle des agents sans visages de la Gestapo. Les pancartes se retournent et laissent apparaître les mots « für » (pour) et « Führ » (abréviation de : chef) en lettres gothiques blanches sur fond noir.

48Pendant cette marche, le chœur en action scande la devise finale : « Vous ne pouvez pas aider un homme mort. Vous ne pouvez aider ni nous, ni vous ni personne ». Le rideau tombe, sous le bruit des bombes, et des soldats sifflent dans la salle – nouvelle allusion historique à Mahagonny où les nazis tentaient d’interrompre la création et les représentations successives.

49Il s’opère un double mouvement dans ce parti prix de mise en scène, car Herz survole l’opéra en s’adressant directement au spectateur : comment notre histoire a-t-elle pu avoir lieu ? Quelle en a été leur responsabilité et aujourd’hui, quelle est la votre ?

50Autrement dit, à une conscience collective se substitue ici une responsabilité individuelle. Le chaos qui menace l’individu et le collectif, que Herz a pensé trouver dans l’opéra de Brecht et Weill, est celui du totalitarisme. La mise en scène donne ici une lecture – peut-être une des plus originales – des mécanismes internes qui y conduisent et qui oeuvrent de manière implicite sans que l’individu s’en aperçoive. On peut y trouver une transposition quasi littérale de la thèse fondamentale de Hannah Arendt dans Sur les origines du totalitarisme : « Les formations totalitaires ne restent au pouvoir qu’aussi longtemps qu’elles demeurent en mouvement et mettent en mouvement tout ce qui les entoure. […] Les mouvements totalitaires visent et réussissent à organiser des masses – non pas des classes »40.

51La lecture de la scène finale s’inscrit, par delà l’interprétation de Herz, dans une interprétation du sens de l’histoire. S’il semble bien évident que la mise en scène joue avec des anachronismes quant à la date de création de l’opéra, elle s’appuie sur l’intuition assez aigue de Brecht et de Weill concernant des événements qui leur sont contemporains, mais aussi sur la synthèse et l’analyse réalisées à posteriori de ces mêmes événements :

52« Le terme de “masses” s’applique seulement à des gens qui, soit à cause de leur simple nombre, soit par indifférence, soit pour ces deux raisons, ne peuvent s’intégrer dans aucune organisation fondée sur l’intérêt commun – qu’il s’agisse de partis politiques, de conseils municipaux, d’organisation professionnelles ou de syndicats. Les masses existent en puissance dans tous les pays, et constituent la majorité de ces vastes couches de gens neutres et politiquement indifférents qui votent rarement et ne s’inscrivent jamais à un parti »41.

53Selon cette lecture, Mahagonny constitue une sorte de signal d’alarme, et son final est tout autant fantastique – dans la version originale – qu’anticipatoire – dans la mise en scène de Herz. Le rapport de l’individu au groupe est ici envisagé selon plusieurs angles, l’identité individuelle étant au centre du questionnement de l’opéra, en proposant un laboratoire, une expérience de l’entreprise individuelle et collective et de son contrat social. Au-delà de la vision historicisée de Herz et de sa volonté de mettre à jour des mécanismes politiques, Mahagonny se penserait alors comme un parcours, celui d’un individu – et non de l’individu – qui nous entraîne à voir ce qui est déformé : « Laßt euch nicht verführen » (ne vous laissez pas séduire). Lorsque la ville de Mahagonny s’effondre sur elle-même – elle ne chute pas réellement – ces événements sont donnés à voir de l’extérieur : le parcours individuel passe alors de la scène à la salle, et c’est moi que l’opéra vient solliciter dans ses dernières scènes.

Notes   

1  Theodor W. Adorno, « Mahagonny » (1930), Moments musicaux, trad. française de Martin Kaltenecker, Genève, Contrechamps, 2003, p. 107.

2 Theodor W. Adorno, « Mahagonny in Frankfurt am Main » (Die Musik, 1930/31), dans : Fritz Hennenberg et Jan Knopf (éd.), Brecht/Weill “Mahagonny”, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2006, p. 362.

3  Kurt Weill, « Über den gestischen Charakter der Musik » (Die Musik, 1929), Musik und musikalisches Theater, édité par Stephen Hinton et Jürgen Schebera, Mainz, Schott, 2000, p. 84. Trad. française de Pascal Huynh dans Kurt Weill, De Berlin à Broadway, Paris, Plume, 1993, p. 148.

4  Pascal Huynh, « Commentaire musical », Kurt Weill : Grandeur et décadence de l’opéra Mahagonny, L’avant-scène opéra, n° 166, 1995. Laurent Feneyrou, « Dramaturgie musicale et idéologie, Brecht et ses musiciens », Musique et dramaturgie, esthétique de la représentation au XXe siècle, p. 100-110.

5  Theodor W. Adorno, « Mahagonny » (1930), op. cit., p. 106.

6  Kurt Weill, lettre à Albert Weill (père de Kurt Weill) du 7 avril 1927, Briefe an die Familie, édité par Elmar Juchem et Lys Symonette, Stuttgart, Metzler, 2000, p. 334. Voir également Lettre du 25 avril 1927 à Universal Edition, op. cit., p. 59.

7  Kurt Weill, lettre du 2 mai 1927 à Universal Edition, op. cit., p. 60.

8  Bertolt Brecht, Taschenpostille, 1ère édition 1926 Suhrkamp, réimpression à l’identique Berlin, Aufbau-Verlag, 1958. Un an plus tard, une réédition sera publiée par Suhrkamp sous le nom de Hauspostille. Dans cette version du recueil toujours disponible aujourd’hui des poèmes n’y figurent plus, comme le célèbre Alabama-Song.

9  Weill, « Der musiker Weill » (1928), Musik und musikalisches Theater, op. cit., p. 71. Trad française de Pascal Huynh dans Kurt Weill, De Berlin à Broadway, op. cit., p. 57.

10  Fritz Henennberg et Jan Knopf (éd.), Weill/Brecht “Mahagonny”, op. cit., p. 103.

11  Kurt Weill, « Zur Uraufführung der Mahagonny-Oper » (1930), Musik und musikalisches Theater, op. cit., p. 106 (texte non traduit en français).

12  Fritz Hennenberg et Jan Knopf (éd.), Brecht/Weill “Mahagonny”, op. cit., (traduction personnelle), p. 103.

13  Dans cette période, Brecht essuie une accusation de plagiat pour l’opéra Mahagonny. Voir Fritz Henennberg, Jan Knopf (éd.), Weill/Brecht “Mahagonny”, op. cit., p. 281-289.

14  Dans le cours du texte, nous distinguerons « structure fondamentale », « modèle actantiel », « action » et « intrigue », dans le sens de Patrice Pavis. L’action est la suite des transformations actantielles à un niveau abstrait. L’intrigue est « perceptible au niveau superficiel », dans la « durée » de l’action. Le modèle actantiel prend en considération le système des actions lié à un conflit de forces donné. Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre, Paris, Armand Colin, 2002, p. 8.

15  Une autre version du livret est conservée à la Bibliothèque Nationale d’Autriche à Vienne. Tapée sur la machine à écrire de Kurt Weill elle est antérieure à la première version imprimée et ne comporte que 19 tableaux, le Benares-Song de l’acte III n’y figure pas encore ainsi que le choral final extrait du Berliner Requiem : Können einen toten Mann nicht helfen. Voir Fritz Hennenberg et Jan Knopf (éd.), Brecht/Weill “Mahagonny”, op. cit., p. 46.

16  C’est à peu près la teneur de la version éditée par David Drew en 1969. Voir David Drew, « Preface to the 1969 Edition », dans Kurt Weill, Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, édition révisé par David Drew d’après les autographes, correction et autres sources du compositeur, réduction pour clavier de Norbert Gingold, UE 9851, Wien, Universal Edition, 1969. Voir également David Drew, Kurt Weill : a Handbook, London, Faaber and Faaber, 1987, p. 180-182. Dans l’édition de 69, un point d’interrogation concerne le Duo des grues : ce song employé par les créateurs pour remplacer la scène 14 « faire l’amour » qui avait été censurée, a été placé par Drew dans la scène 19 de l’acte III. Le Benares-song est intégré à la scène 18.

17  « L’action est l’élément transformateur et dynamique qui permet de passer logiquement et temporellement d’une situation à l’autre. Elle est la suite logico-temporelle des différentes situations » : Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre, op. cit., p. 8.

18  Kurt Weill, « Die Zeitoper », Melos, 1928, trad. française de Pascal Huynh dans Kurt Weill, De Berlin à Broadway, Paris, Plume, 1993, p. 172. Original en langue allemande dans : Kurt Weill, Musik und musikalisches Theater, Gesammelte Schriften, édité par Stephen Hinton et Jürgen Schebera, Mainz, Schott, 2000, p. 65.

19  Theodor W. Adorno, « Mahagonny » (1930), op. cit., p. 106-107 : « l’élement de l’intermittence ».

20  Walter Benjamin, « Qu’est-ce que le théâtre épique ? », dans Œuvres III, (trad. française de Maurice de Gandillac, Pierre Rusch et Rainer Rochlitz), coll. Folio/essais, Paris, Gallimard, 2000, p. 323-324.

21  Anne Übersfeld, Lire le théâtre, vol. I, Paris, Seuil, 1996, p. 66-67.

22  Jean-François Trubert, La mise en œuvre du caractère gestuel de la musique chez Kurt Weill entre 1927 et 1929 et ses incidences sur la forme de l’opéra Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, Thèse de doctorat (en cours de publication), Université de Nice-Sophia Antipolis, 2005, p. 162-166.

23  Le manifeste le plus flagrant à cet égard est le texte « Der musiker Weill » (1928), trad. française dans : Kurt Weill, De Berlin à Broadway, op. cit., p. 55-59.

24  Kurt Weill, « Die Oper – wohin ? » (Berliner Tageblatt, octobre 1929), trad. française dans Kurt Weill, De Berlin à Broadway, p. 180. Dès 1922, Kurt Weill s’est rapproché de mouvements politiques impliquant l’avant-garde artistique comme le Groupe Novembre au sein duquel il a côtoyé notamment Johannes R. Becher mais aussi Hanns Eisler. Voir Pascal Huynh, La musique sous la république de Weimar, Paris, Fayard, 1998, p. 68-69.

25  Kurt Weill, « [ Brechts Mann ist Mann als Sendespiel] », Compte-rendu paru dans Der deutsche Rundfunk, 1927, trad. française dans Kurt Weill, De Berlin à Broadway, op. cit., p. 127-129.

26  Jean-François Trubert, « Mahagonny a living mask », Brecht-Yearbook, Mahagonny.com, vol. 32, 2004, p. 203. Voir également Jean-François Trubert, Le « caractère gestuel de la musique » chez Kurt Weill entre 1927 et 1929 et ses incidences sur la forme de l’opéra Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, op. cit., p. 284-286.

27  Alfred Einstein, « Contradictions », Berliner Tageblatt, 10 mars 1930, trad. française dans Kurt Weill, Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, L’Avant-scène Opéra, traduction et commentaires de Pascal Huynh et Jürgen Schebera, n° 166, 1995, p. 117.

28  Jean-François Trubert, « Langage musical et Gestus : le cinquième tableau du Mahagonny-Songspiel de Kurt Weill et Bertolt Brecht », La musique et la scène, l’écriture musicale et son expression scénique au XXe siècle, dirigé par Giordano Ferrari, Actes du colloque du 23 et 24 novembre 2006 « L’écriture musicale et son expression scénique au XXe siècle », coll. Arts8, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 30-31.

29  Pascal Huynh, « Commentaire de l’œuvre », L’Avant-scène Opéra, op. cit., p. 12.

30  Voir Mesures 45 à 50, dans : Kurt Weill, Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, UE 9851, op. cit., p. 80-83.

31  Weill, « Vorwort zum Regiebuch der Oper Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny » (1930), Musik und musikalisches Theater, op. cit., p. 104, d’après la traduction française de Pascal Huynh dans De Berlin à Broadway, op. cit., p. 187.

32  Scène 17 : Kurt Weill, Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, UE 9851, op. cit., p. 236-241.

33  La traduction française – peut-être à cause de l’ouvrage de Montesquieu sur l’empire romain – consigne l’expression Grandeur et décadence, ce qui ne rend pas compte de l’idée allemande d’ascension inclus dans le terme « Aufstieg », ni de chute d u mot « Fall ». Joachim Herz avait soulevé cette question lors d’un entretien avec l’auteur effectué en 2004, question que M. le Professeur Günter Krause avait également abordé lors du colloque « Contemporanéité de Mahagonny » organisé par l’Université de Nantes le 23 et 24 janvier 2009.

34  Joachim Herz, « Fragen und Antworten zu “Mahagonny” », Programme de salle de la mise en scène de l’opéra en 1977 à l’Opéra comique de Berlin, dans : Fritz Henennberg, Jan Knopf (éd.), Brecht/Weill “Mahagonny”, op. cit., p. 402.

35  Joachim Herz, récemment promu docteur Honoris Causa de la Musikhochschule de Dresde, est un élève de Walter Felsenstein, dont il a pris la succession à la tête de l’Opéra Comique de Berlin en 1976.

36  C’est-à-dire depuis 1969. Pour une étude approfondie des différentes versions du livret, Esbjörn Nyström, Libretto im Progress, Brechts und Weills Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny aus textgeschichtlicher Sicht, Bern, Peter Lang, 2005.

37  Voir Jürgen Schebera, « Zur Wirkungsgeschichte bis 1933 », dans Fritz Henennberg et Jan Knopf (éd.), op. cit., p. 222.

38  Joachim Herz, op. cit., p. 402.

39  L’auteur tient à remercier Joachim Herz pour lui avoir permis l’accès à ces documents.

40  Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme t. 3 : Le système totalitaire, coll. Points, Paris, Seuil, 1972, p. 27-29.

41  Ibid., p. 32.

Citation   

Jean-François Trubert, «Mahagonny de Brecht, Mahagonny de Weill, Mahagonny de… Herz», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, L'individuel et le collectif dans l'art, mis à  jour le : 30/05/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=245.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Jean-François Trubert

Jean-François Trubert est Docteur en Musique, qualifié au CNU en section 18 (Musique, musicologie) et 22 (Histoire des mondes contemporains, histoire de la musique). Il a été boursier de la Kurt Weill Fondation (New York) en 2004 et boursier de la Fondation Paul Sacher (Bâle – Suisse) en 2007. Il est actuellement chercheur rattaché à la MSH de Nice – Sophia Antipolis, et au RITM (EA 3158, Centre de Recherche sur l’analyse et l’interprétation des textes en Musique et dans les Arts du spectacle).