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Qu’est-ce que la psychanalyse apporte à l’analyse musicale ?

Xavier Hascher
mai 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.198

Résumés   

Résumé

Cet article a pour objet de légitimer l’application de la psychanalyse à l’analyse des œuvres musicales, à la fois d’un point de vue formel et comme herméneutique. Il tente de préciser la possible articulation de la psychanalyse avec l’analyse musicale en promouvant pour cette dernière une forme rigoureusement théorisée, appuyée sur des modèles clairement définis. Il récapitule le point de vue traditionnel de la psychanalyse sur l’art en vue de montrer que, contrairement sans doute à l’idée courante, l’apport de la psychanalyse se situe bien dans l’analyse et l’interprétation des œuvres et non dans une tentative d’approche psychologique de la vie de leurs auteurs à travers leur « pathobiographie ». Notamment, les outils développés pour l’analyse du rêve (mais aussi du mot d’esprit) peuvent s’avérer utiles dans la perspective de leur application aux œuvres musicales.

Abstract

This article aims to legitimise the application of psychoanalysis to the analysis of musical scores, both from a formal standpoint and as a hermeneutics. It tries to specify the possible articulation of psychoanalysis with musical analysis by promoting for the latter a rigorously theorised form, based on clearly defined models. It recapitulates the traditional views on the application of psychoanalysis to art in order to show that, no doubt in contrast to the commonly accepted idea, the contribution of psychoanalysis lies clearly in the analysis and interpretation of works and not in any attempted psychological approach to the life of their authors through their “patho-biography”. Notably, the tools developed for the analysis of dreams (but also of jokes) can prove useful in the event of being applied to musical works.

Index   

Texte intégral   

1Pourquoi la psychanalyse ? Au-delà du rapprochement – qui ne paraît s’expliquer que par la douteuse présence, dans les deux cas, du terme d’« analyse » – entre psychanalyse et analyse musicale (on serait tenté d’écrire, par une construction parallèle, musico-analyse ou musicanalyse), rapprochement qu’il convient donc de légitimer, on ne peut ignorer les débats qui ont entouré depuis quelques temps déjà les travaux de Freud, qu’il s’agisse de leur dimension morale, idéologique, sociale, éducative (la question de la sexualité de la femme, celle de l’homosexualité, aujourd’hui de l’homoparentalité) et de l’attitude normative adoptée par certains psychanalystes contemporains face aux évolutions des comportements, qu’il s’agisse encore de la mise en cause, notamment sous l’influence des praticiens des thérapies comportementalistes, de la validité de la cure psychanalytique et de son efficacité dans le traitement des troubles psychologiques, ou qu’il s’agisse enfin des postulats fondamentaux qui sous-tendent l’apport freudien : l’existence de l’inconscient, l’importance accordée à la pulsion sexuelle, la théorie des instances psychiques, ou même la théorie du rêve. Il n’est pas jusqu’à la vie de Freud qui n’ait fait l’objet d’investigations pour en débusquer les conflits, les dissimulations, les mensonges concernant aussi bien ses expériences cliniques que sa vie privée, comme son adultère (semble-t-il avéré) avec sa belle-sœur Minna. À côté du scepticisme qui accompagne aujourd’hui parfois la psychanalyse, celui du regard posé sur l’analyse musicale, discipline dont l’impact collectif est incommensurablement négligeable en comparaison, en paraît bien bénin.

2La tentative que nous proposons se présente ainsi comme bien mal engagée. Sans doute a-t-il manqué à la psychanalyse, dans les années récentes, de réaliser son aggiornamento pour faire le point sur son évolution propre et tenir compte, notamment, des avancées de la science. Il ne nous appartient évidemment pas de procéder à une telle entreprise : mais l’utilisation que nous voulons faire de la psychanalyse, même si le contexte qui nous intéresse est en définitive celui d’une psychanalyse appliquée, se doit d’être critique. Notre démarche tente ainsi de resituer la psychanalyse dans une perspective inspirée des recherches contemporaines sur le fonctionnement du cerveau et la nature de l’intelligence, tels qu’en rendent comptent en particulier les sciences cognitives et les travaux sur les modélisations informatiques de la pensée.

3Peut-être pourrait-on dire que ce qui rapproche – admettons dans un premier temps que ce ne soit que superficiellement – l’analyse musicale de la psychanalyse est la résistance que toutes deux rencontrent. L’indicible, celui de nos sentiments, de nos sensations intérieures, qu’ils soient ceux vécus dans la vie quotidienne, ou ceux que réveille en nous la musique, peut bien être poétisé, éventuellement philosophé comme une catégorie générale, mais s’il s’agit de l’analyser, à savoir de mettre des mots là où précisément les mots nous fuient, alors cette idée promptement provoque une réticence, allant jusqu’à l’opposition.

4Pour la psychanalyse, ce qui est en cause est le rejet par le moi conscient, non seulement de la possibilité d’un inconscient qui pense en dehors de lui, voire qui nous agit en dépit de lui, mais également un rejet du contenu des pensées que l’investigation analytique attribue à cet inconscient. S’il y a refoulement, ce n’est pas uniquement parce que les pensées refoulées (sans préjuger de leur nature) doivent être soustraites à la conscience, mais parce qu’elles ne doivent pas se créer un accès à la motilité, en raison notamment de leur incompatibilité avec la vie sociale du sujet et le danger qu’elles représentent pour son assimilation par le groupe, laquelle garantit sa survie. Pour l’analyse musicale, couramment, c’est l’intuition irraisonnée que trop connaître, trop disséquer, empêcherait d’aimer – que donc l’affectif se rétracterait dès lors que les projecteurs de la pleine conscience seraient dirigés vers lui à travers le révélateur que constitue l’œuvre que nous avons investie. Par extension, on peut penser que nous assistons à une réticence face à l’analyse en général, inspirée par le sentiment qu’il vaut mieux ne pas trop en savoir, l’impression que certaines choses ne doivent pas être examinées de trop près. Cette attitude, d’une part, peut s’expliquer par un désintérêt pour le niveau subalterne d’organisation du matériau : nous ne voulons pas nous encombrer du détail du « comment » pour mieux appréhender la globalité du message qui parvient à nos sens. Mais c’est surtout le fait que nous projetons de l’affectivité sur la musique, et que lorsqu’on cherche à décrire les processus cachés de celle-ci, c’est, dans une certaine mesure, notre intimité que l’on fouille…

5Ce que montre l’analyse musicale, ou qu’elle tente de montrer, c’est qu’il existe des niveaux en deçà de l’immédiatement perceptible, niveaux dont la prise en considération peut nous conduire à modifier la signification que nous donnons à la réalité. Ceci implique bien évidemment que l’on s’entende sur ce qui est désigné par « analyse musicale ». En effet, la description, même précise, de la surface des phénomènes, n’est pas (encore) l’analyse. C’est pourtant à ce type de description que renvoie entre autres ce que, dans les conservatoires, on nomme « analyse auditive », où il s’agit de rendre compte le plus fidèlement possible des événements musicaux dans leur séquence temporelle. Or, l’analyse est au contraire synonyme de dé‑composition. Il n’y a, de ce fait, analyse qu’à partir du moment où il y a dissociation des événements entre eux, rupture de l’unité des événements eux-mêmes, et mise en relation des éléments ainsi dégagés. L’analyse dé-construit son objet et, ce faisant, le laisse apparaître sous un jour nouveau. Elle l’ouvre, l’écorche, pour montrer les nervures qui le parcourent, et qui relient des points éloignés, ou apparemment sans rapports. L’analyse constitue une remontée vers les rouages, logiques et autres, qui animent les niveaux recouverts par la peau de la surface. Elle dévoile, ou s’efforce de dévoiler, l’interaction entre ces niveaux.

6Ceci nous écarte de l’affectif que nous évoquions plus haut. Il y a en effet une contradiction manifeste entre la démarche rationnelle, positive, explicative, de l’analyse et la subjectivité, de surcroît difficilement communicable, du sentiment. L’analyse, d’ailleurs, n’a pas pour propos de nous expliquer pourquoi nous aimons telle musique plutôt qu’une autre. Elle opère, de l’œuvre, un démontage qui vise à l’objectivité, elle s’intéresse à sa structure, non à son impact émotionnel. Néanmoins, cette contradiction s’amenuise lorsqu’on distingue l’entreprise analytique de l’approche théorétique. Cette dernière s’attache exclusivement à la généralité, dans laquelle elle réduit l’exception. La première, au contraire, s’intéresse à l’unicité de l’œuvre qu’elle prend comme objet d’étude. Elle se préoccupe de ses traits particuliers, et ce sont ceux-là même qui font de l’œuvre, également, l’objet unique de notre expérience sensible. Dès lors, l’analyse se donne pour tâche – que finalement elle en convienne ou non – de rendre explicite du point de vue du langage musical l’effet implicite que la musique génère sur nos émotions (quelle que soit leur nature) ou plus largement sur notre psychisme. Mais ce dont, au fond, cette contradiction est révélatrice, c’est que la déconstruction logique de l’analyse – l’« ingénierie à rebours » à quoi elle procède, pour employer une expression informatique actuelle, ce que Freud désigne par rückgängig machen, « aller à rebours », ou zurückführung, « rétrogression » 1 – rencontre en chemin des noyaux irréductibles aux schémas trop linéaires, et par là que dimension affective et dimension logique sont non seulement liées, mais s’interpénètrent.

7Ajoutons enfin cet autre point : la musique est alternativement un plaisir des sens qui ravit l’esprit, et un plaisir de l’esprit qui ravit les sens. Nous voulons souligner par là qu’elle procure du plaisir, que ce soit dans l’habitude ou la nouveauté. Ce plaisir d’organe lié à la musique, lorsqu’il réveille nos fantasmes inconscients, lui confère un potentiel érotique puissant en dépit de son immatérialité. Elle possède, en capacité, sa propre plasticité, son enveloppe charnelle et ses lieux érogènes, susceptibles de nous attirer et nous faire réagir. Si nous acceptons l’hypothèse freudienne que l’activité artistique correspond à une sublimation de la libido, la coloration fondamentale de celle-ci subsiste dans les réalisations de l’artiste malgré le changement de finalité qui est imposé à la pulsion sexuelle. Peut-être, alors, dans cette hypothèse, que la réticence suscitée par l’analyse musicale est moins superficielle, et le rapprochement que nous en faisions avec la résistance à la psychanalyse moins aventureux que nous ne le supposions pour commencer.

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8La psychanalyse se définit triplement comme une méthode d’investigation de l’inconscient et de ses processus, comme une pratique médicale du traitement des troubles mentaux (essentiellement des névroses) fondée sur la parole et la technique de la libre association, et comme une théorie de l’appareil psychique, de sa constitution et de son fonctionnement, y compris de la perception. Elle combine donc, à la démarche analytique proprement dite, une forme particulière de psychothérapie, et ce que Freud dénomme la « métapsychologie » – élaboration conceptuelle appuyée sur l’observation clinique. Bien que, depuis Lacan, la psychanalyse (notamment française) ait mis entre parenthèses cet aspect, il n’en reste pas moins que, dès les premiers temps de son existence, le mouvement psychanalytique avait intégré à son projet l’étude de l’art et de la littérature. Parmi les membres de la Société psychologique du Mercredi, qui se réunit à partir de 1902, figuraient un musicologue, Max Graf, ainsi que d’autres personnalités extérieures au corps médical, comme Otto Rank, et qui s’intéressaient à l’application de la psychanalyse au domaine de la création.

9En 1906, Freud incite l’éditeur Hugo Heller, lui aussi membre de la Société, à créer une collection d’« Écrits de psychologie appliquée » (Schriften zür angewandten Seelenkunde), suivie plus tard de la fondation de la revue Imago en 1912. Celle-ci, sous-titrée Revue de psychanalyse appliquée aux sciences humaines (Zeitschrift für die Anwendung der Psychoanalyse auf die Geisteswissenschaften) est entièrement dévolue à cette dimension de la psychanalyse. C’est dans ce cadre que Freud publie ses propres travaux (Le délire et les rêves dans la « Gradiva » de W. Jensen, Le créateur littéraire et le rêve éveillé, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Le Moïse de Michel-Ange, L’inquiétante étrangeté, pour n’en citer que ceux-là 2), et où écrivent encore – outre Rank et Graf – Eduard Hitschmann et Theodor Reik, si l’on se limite à ceux qui ont abordé le cas de la musique.

10On associe généralement l’application de la psychanalyse à l’art à une tentative de psychobiographie des artistes. On interroge leur vie à la recherche de symptômes de déséquilibre psychique et on traite leur production comme étant révélatrice de refoulement ou de névrose. L’artiste est considéré comme un patient et son œuvre est traité sous l’angle de la pathographie. Freud le premier invite à se défier de cette tentation, car on ne peut pratiquer valablement la psychanalyse lorsque l’analysé est un absent, qu’il soit vivant ou à plus forte raison disparu, car c’est à l’analysé à procéder à ses propres associations, nul ne pouvant le remplacer. Mais les psychanalystes, surtout après Freud, se sont aussi intéressés au processus créateur, à la fonction de l’art du point de vue du psychisme de l’artiste, ainsi, du côté du récepteur, qu’à la nature de l’expérience esthétique. La bibliographie concernée par le rapport de la psychanalyse et de l’art est ample et comprend, en plus des noms déjà cités, ceux de Hans Sachs, de Mélanie Klein, d’Hanna Segal, de Bertram Lewin, d’Anton Ehrenzweig, de Guy Rosolato ou de Didier Anzieu, parmi tant d’autres 3.

11Dans un passage de Totem et tabou, Freud rapproche ce qu’il désigne comme « les grandes productions sociales de l’art, de la religion et de la philosophie », des névroses, avec lesquelles elles « présentent des analogies frappantes 4 ». Mais il met aussitôt en garde contre une équation entre ces domaines, les névroses apparaissant en même temps « comme des déformations de ces productions ». En effet, poursuit-il,

On pourrait presque dire qu’une hystérie est une œuvre d’art déformée, qu’une névrose obsessionnelle est une religion déformée et une manie paranoïaque un système philosophique déformé 5.

12Cette déformation a pour origine le fait que, dans la névrose, les tendances sexuelles prédominent sur les tendances sociales, elles-mêmes « nées d’une rencontre de facteurs égoïstes et de facteurs érotiques », le névrosé tendant à s’isoler de la société alors que l’art contribue à ramener l’artiste au sein de celle-ci. La théorie freudienne (dans sa première formulation, en tout cas) oppose ainsi, aux pulsions sexuelles, soumises au principe de plaisir, les pulsions du moi, qui ont pour but la conservation de l’individu. Liées au principe de réalité, elles tendent à l’utile et à l’adaptation du moi au monde extérieur pour en assurer la survie. La névrose introduit un déséquilibre entre ces pulsions conduisant à émousser chez le malade le sens de la réalité. Ceci est à considérer également du point de vue du rapport au temps, comme il transparaît de manière implicite chez Freud, mais comme on le trouve développé de manière plus explicite chez Minkovski, Straus, ou Janet 6.

13L’artiste n’est donc pas, du moins par définition, un névrosé, et les œuvres ne sont pas, au sens propre, des symptômes névrotiques. Néanmoins, la parenté soulignée par Freud entre les productions de l’art et les manifestations de la névrose vient rappeler que l’énergie déployée en direction de l’activité artistique (ou de l’activité intellectuelle en général) provient de la libido par détournement de celle-là. C’est ce que Freud définit par le mécanisme de sublimation, où la pulsion sexuelle

met à la disposition du travail culturel une quantité extraordinaire de forces et cela, sans doute, par suite de la propriété particulièrement prononcée qui est sienne de déplacer son but sans perdre essentiellement en intensité. On appelle capacité de sublimation cettecapacité d’échanger le but qui est à l’origine sexuel contre un autre qui n’est plus sexuel mais qui est psychiquement parent avec le premier 7.

14C’est précisément cette capacité qui permet d’échapper à la névrose, laquelle naît de la fixation inadéquate d’un certain nombre de pulsions partielles concourant à former la libido, ou de la frustration causée par l’énergie inemployée dans le cas de ce que Freud nomme les névroses actuelles – la neurasthénie ou la névrose d’angoisse – liées à une activité sexuelle insuffisante ou insatisfaisante. Plus exactement, note Freud, « les forces utilisables pour le travail culturel sont acquises, pour une grande part, par la répression de ces éléments de l’excitation sexuelle qu’on nomme pervers 8 ».

15Il faut se garder d’interpréter ici le terme « pervers » (Freud écrit plus loin « soi-disant pervers ») sous l’angle moralisateur. De fait, ces éléments concernent chaque individu, dans l’enfance duquel l’ensemble des pulsions coexiste de façon inorganisée. Ces pulsions partielles auxquelles Freud renvoie sont essentiellement les pulsions associées aux zones érogènes orales et anales qui sont réprimées par l’éducation ou sous la pression de la société en général. La sublimation peut aussi concerner les pulsions génitales, mais il n’en est pas nécessairement ainsi car la créativité devrait alors dépendre de l’abstinence. Or, Freud note que :

Le rapport entre la sublimation possible et l’activité sexuelle nécessaire oscille naturellement beaucoup pour les individus différents et aussi selon les professions. Un artiste abstinent ce n’est guère possible ; un jeune savant abstinent ce n’est certes pas rare. Le dernier peut par sa continence libérer des forces pour ses études, le premier verra probablement son efficience créatrice fortement stimulée par son expérience sexuelle 9.

16Si la société et la morale accordent le primat à la sexualité génitale canalisée au sein du couple hétérosexuel (c’est-à-dire, jusqu’à récemment en Occident, à travers le mariage), c’est parce que la sexualité est associée à la procréation. Or, pour Freud, « la pulsion sexuelle des êtres humains ne vise pas du tout originairement à servir la reproduction mais a pour but certaines façons d’obtenir du plaisir 10 ». Il s’agit là d’une affirmation primordiale, et qui est à reconsidérer dans la perspective du rapport entre le but sexuel originel des pulsions et le but dévié qui leur est assigné par le processus de sublimation.

17De ce premier survol, on retiendra trois points importants pour la suite : a) la nature dynamique, économique, du modèle freudien de l’organisation psychique et de la libido, reposant sur le postulat d’une certaine quantité disponible d’énergie ; b) la parenté psychique entre le but assigné aux pulsions sexuelles après le processus de sublimation, et leur but originel ; c) l’étayage fantasmatique inconscient de l’activité artistique. Quoique ce dernier aspect n’ait pas été directement abordé jusqu’ici, il découle de ce qui précède. En effet, si l’artiste parvient à réinjecter vers le réel l’énergie dérivée de la libido, la comparaison de Freud entre production artistique et hystérie nous renvoie au second grand type de névroses que sont les psychonévroses de transfert. Or, ce qui est en cause dans ces affections sont les souvenirs inconscients de la petite enfance et leurs rejetons, c’est-à-dire les repousses du matériau refoulé après que celui-ci a été l’objet du refoulement initial. Bien que Freud nuance la part du sexuel dans les « émotions inhibées quant au but qui font pour l’essentiel la matière de l’esthétique [au motif que ces émotions sont] assourdies, dépendantes d’un grand nombre de constellations concomitantes 11 », il s’agit plus là d’une mise en garde contre une réduction simpliste que d’une remise en cause profonde.

18Le contenu sexuel des souvenirs inconscients nous intéresse ici moins que le processus de refoulement mis en jeu du fait de ce contenu. Le refoulé tend à vouloir revenir vers la conscience et il est maintenu dans l’inconscient par les mécanismes de défense du moi. Ce n’est qu’en vertu d’un travail de déformation, puis de réélaboration que les pensées inconscientes peuvent être présentées comme acceptables à la censure et franchissent ses barrages. Dans « Le créateur littéraire et le rêve éveillé 12 », Freud compare ainsi le travail du poète ou de l’écrivain avec la rêverie d’une part, et le jeu de l’enfant d’autre part, dont les premiers sont la continuation à l’âge adulte. La fonction dévolue à la création est parente de celle du rêve, à savoir se libérer de la réalité pour combler un désir insatisfait. Cependant, ce n’est que grâce au travail d’élaboration littéraire que le créateur rend ce matériau intéressant pour les autres, alors que, note Freud, autrement ces fantaisies nous répugneraient, comme si nous établissions une barrière similaire au rejet par la censure de nos propres fantasmes inconscients. Ce que fait le créateur littéraire, mais également l’artiste quelque soit son médium d’expression, est de réinstaurer par son travail la toute-puissance de la pensée, revenant ainsi à un mode magique, infantile, d’appréhension du monde. Cette prédominance de l’univers psychique sur la réalité est elle-même une des caractéristiques essentielles de la névrose. Mais alors que le créateur parvient à retrouver un chemin vers la réalité par sa création même, le névrosé se sépare de cette dernière. « Ici, écrit Freud, s’embranche une large voie latérale qui mène à la pathologie 13. »

19Ce qui est commun à la névrose, au rêve et à la création artistique, est la résurgence, à l’occasion d’une expérience actuelle, d’un souvenir inconscient attaché à la première enfance, une poussée du refoulé. Comme le rêve, donc, la création dissimule un contenu latent derrière un contenu manifeste. Or, le rêve, explique Freud, «  appartient à la même série de formations psychopathologiques que l’idée fixe hystérique, la représentation de contrainte [c’est-à-dire obsessionnelle] et l’idée délirante 14. » De ce fait, l’étude des névroses est susceptible d’apporter des lumières intéressantes sur le travail artistique et son produit. Si l’art n’est pas un symptôme névrotique, il constitue une manifestation dont la forme offre un parallélisme avec celui de la névrose et qui puise aux mêmes sources inconscientes. De son côté, Mélanie Klein observe que, chez l’enfant, le jeu est le pendant de l’association libre pour l’adulte, et qu’il est de même révélateur des fantasmes inconscients. Développant les idées introduites par Freud, Klein formule l’hypothèse que les fantasmes inconscients sont sous-jacents à la perception et à la créativité en général 15.

20À ces voies concurrentes et reliées entre elles que la vie psychique inconsciente est susceptible d’emprunter pour se manifester au-dehors, il faut encore ajouter le mot d’esprit avec lequel le travail artistique a en partage le fait d’introduire un gain de plaisir dû à l’esthétisation du matériau fantasmatique. Ce gain, selon Freud, est en réalité une économie faite sur la dépense psychique qui aurait été occasionnée pour réprimer une pensée inconsciente, laquelle trouve à s’exprimer par la levée de l’inhibition qu’autorise l’élaboration artistique ou le trait spirituel. Cette économie peut aussi être simplement réalisée par un « “court-circuit” [dans] le cheminement de pensée [permettant de] passer d’un premier domaine de représentations à un second qui en est éloigné 16 », ou encore lorsqu’on « retrouve quelque chose de connu toutes les fois qu’on aurait pu s’attendre à rencontrer quelque chose de nouveau à la place 17 ».

21Pour revenir à la comparaison des productions de l’art avec l’hystérie, le choix de cette forme particulière de névrose se justifie sans doute pour Freud par une assimilation entre le processus de conversion, c’est-à-dire la transposition en innervation corporelle, manifestée par des symptômes somatiques allant jusqu’à une mise en action théâtrale du conflit psychique dont souffre le malade hystérique, et le processus de sublimation de l’art qui se traduit dans un retour vers le réel, commandant là aussi un accès à la motilité. Freud interprète l’attaque hystérique comme une représentation figurée des fantasmes inconscients. Plus spécifiquement, il assigne au symptôme hystérique la même fonction que la rêverie diurne ou le rêve, à savoir en particulier d’être l’« expression d’un accomplissement de désir », de correspondre « à un mode de satisfaction sexuelle qui a été réel dans la vie infantile et qui depuis lors a été refoulé 18 », et enfin de « pouvoir se charger de différentes motions inconscientes non sexuelles, mais [sans] manquer d’avoir une signification sexuelle 19 ». Ajoutons encore que le symptôme hystérique réalise un compromis, par le mécanisme – notamment actif dans le rêve – de la condensation, « entre deux motions opposées dont l’une s’efforce de donner expression à une pulsion partielle tandis que l’autre s’efforce de réprimer la première 20 ». Où l’on retrouve donc ces pulsions partielles qui alimentaient le processus de sublimation.

22Pour Freud, le rapport entre le symptôme hystérique et les fantasmes inconscients est bien du même ordre que celui entre pensées latentes et contenu manifeste dans le rêve. De fait, l’attaque hystérique est construite à partir du même travail de déformation que le rêve, procédant des mêmes censures que celles qui s’appliquent au matériau onirique. Outre la condensation, qui permet de représenter dans un unique élément composite une pluralité de pensées inconscientes, ces déformations recouvrent notamment la transformation d’un matériel en son contraire, ainsi que l’inversion de la chronologie, qui fait débuter l’attaque par la fin de l’action figurée et en inverse le cours 21. En comparant le travail du rêve aux processus psychiques à l’œuvre dans « la genèse des symptômes hystériques, des idées anxieuses, obsédantes et délirantes 22 », Freud remarque bien que « la condensation et surtout le déplacement », les deux principaux procédés de déformation distingués dans le rêve, « sont deux caractères qui ne manquent jamais aux autres processus 23 ».

23Si, en dehors d’hypothèses générales dont l’étayage par le matériau biographique ne peut se faire qu’avec une sage prudence, il serait illusoire face à une œuvre d’art de remonter avec quelque certitude que ce soit à la nature des fantasmes inconscients de l’artiste créateur, en revanche le parallélisme entre névrose d’un côté (sans limitation à la forme particulière que constitue l’hystérie), rêve et mot d’esprit d’un autre, et enfin création artistique d’un troisième côté, fournit à l’investigation de l’œuvre un riche appareillage interprétatif, à la fois d’un point de vue formel et herméneutique. Les procédés d’élaboration et de déformation qui se manifestent de façon privilégiée dans le rêve, de même que la description de certains symptômes névrotiques, projettent sur les modes de fonctionnement du psychisme un éclairage qui, à son tour, peut illuminer la logique interne des œuvres d’art. Nous touchons là au cœur de ce qui nous intéresse. En effet, au-delà de l’esthétisation introduite par le travail artistique, qui, comme on a vu, rend acceptable à la censure tant du créateur lui-même que du récepteur le matériel fantasmatique inconscient, l’art en général, et la musique plus particulièrement dans la technique de composition, témoignent pour la psychanalyse de procédures formelles qui sont les pendants de la déformation opérant dans le rêve, ou qui rappellent certaines conduites ou symptômes névrotiques. Cela n’a rien de surprenant dans la mesure où, dans l’optique freudienne, l’activité artistique tirerait son énergie des mêmes pulsions sur lesquelles s’exerceraient les mêmes refoulements, passant au travers des mêmes barrages pour se frayer un chemin vers l’expression et la motilité.

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24La psychanalyse a ainsi, du point de vue de l’analyse musicale, un double rôle possible, qui est la fois de fournir à cette dernière des outils pour approcher les œuvres, mais également de permettre une interprétation des résultats musico-analytiques en les rapportant à un arrière-plan théorique. Rappelons que c’est déjà ce qu’elle fait dans son cadre ordinaire, puisqu’en même temps qu’elle propose une méthode d’investigation du psychisme, elle s’organise en corpus théorique. Elle participe donc à la fois de la démarche analytique proprement dite, et d’une forme particulière d’herméneutique. Mais elle est également susceptible d’éclairer les processus cognitifs mis en jeu dans la perception musicale et dans l’acte compositionnel. Par là, la question de l’analyse se trouve reliée à celle de l’écoute.

25Tout d’abord, et moyennant une mise en garde précautionneuse – à savoir, mais il faut y insister, qu’il n’est pas question de « psychanalyser » qui que ce soit à distance – la psychanalyse permet de reconsidérer le lien entre l’œuvre et la vie, souvent traité de façon simpliste. En effet, pour le biographe un tant soit peu psychologisant, les événements marquants de l’existence semblent posséder un rapport de causalité suffisamment persuasif pour expliquer la naissance des œuvres qui suivent de près ou de loin la survenue de ces événements. Or, d’un point de vue logique, succession n’est pas conséquence, et une des hypothèses fondamentales de la psychanalyse est que les accidents de l’existence ne peuvent motiver l’apparition d’une névrose que s’ils viennent réveiller un souvenir inconscient appartenant à l’enfance. De même, dans le rêve, les circonstances récentes ne peuvent avoir d’efficacité que si elles s’associent à un matériau fantasmatique réprimé, un désir refoulé, dont elles reçoivent l’intensité tout en le dissimulant. Dans L’interprétation des rêves, Freud compare ainsi les pensées diurnes à un entrepreneur qui ne peut agir que s’il y a une mise de fond de la part d’un capitaliste, dont le rôle est joué par le désir inconscient 24. De ce qui précède, il est clair qu’il n’en va pas différemment dans le domaine de la création, et l’on voit mal comment il pourrait en être autrement : l’œuvre ne peut s’éclairer de la vie, ou la vie être éclairée de l’œuvre, que si l’on commence par refuser tout déterminisme naïf pour considérer le matériel biographique de manière globale, en l’envisageant dans son intégralité, à la recherche de circonstances ou de déclarations révélatrices, et en tenant compte de l’idée freudienne de permanence des fantasmes et des souvenirs inconscients.

26Il n’en reste pas moins que de telles constructions resteront toujours conjecturales, surtout si l’on considère que le matériel concernant la petite enfance se présente en général sous une forme aussi maigre qu’inexploitable. Cela, pour autant, n’ôte pas tout intérêt a priori à une démarche de cet ordre, dès lors qu’on n’est pas tenté de trop en surestimer les possibilités ni la portée. S’il ne s’agit plus de prononcer un diagnostic sur un artiste comme dans les pathographies d’antan mais d’éclairer une lecture de sa production par un certain nombre d’hypothèses mettant en relief soit un tableau clinique, soit un ensemble de comportements typiques, la limite entre ces genres se montre parfois difficile à cerner. La différence réside essentiellement dans l’utilisation qui est faite des œuvres, et donc de leur examen analytique, pour étayer une argumentation dont la visée s’est déplacée de la personne de l’artiste sur le produit de son activité. Le but n’est donc pas de déceler une pathologie particulière (même s’il peut certainement s’en trouver chez divers artistes), mais de montrer comment certaines figures parentes dans la vie et dans l’œuvre peuvent recevoir une signification à la lumière des concepts de la psychanalyse. Dans une telle enquête, on peut dire que l’analyse des œuvres tient une place analogue à l’analyse des rêves dans la consultation.

27Le malentendu principal qu’éveille le recours à la psychanalyse est dû à sa traditionnelle fonction thérapeutique. Malgré les mises au point, la réaction première reste une défiance légitime envers la dérive que constituerait une médicalisation, une pathologisation de l’approche de l’art. C’est oublier que, dans la propre définition de Freud, la dimension thérapeutique n’est qu’un des aspects de la psychanalyse 25. Freud ira même un moment – alors qu’était en jeu, il est vrai, le statut médical de la psychanalyse et sa pratique par des non-médecins – jusqu’à écrire : « L’utilisation de [la psychanalyse] pour la thérapie des névroses n’est qu’une de ses applications ; l’avenir montrera peut-être que ce n’est pas la plus importante 26 ». De fait, précise Freud, non sans un certain lyrisme,

En tant que théorie de l’inconscient psychique, [la psychanalyse] peut devenir indispensable à toutes les sciences qui s’occupent de la genèse de la civilisation humaine et de ses grandes institutions, tels l’art, la religion, l’ordre social. J’estime qu’elle a jusqu’à présent apporté à ces sciences une aide éminente dans la solution de leurs problèmes mais ce ne sont que de petites contributions en regard de ce qu’il sera possible d’obtenir quand les historiens des civilisations, les psychologues des religions, les linguistes, etc., auront appris à manier eux-mêmes le nouvel instrument de recherche mis à leur disposition 27.

28En qualifiant lui-même de « psychanalyse appliquée » son utilisation par la psychiatrie, utilisation qu’il relativise, Freud tout à la fois démarginalise le recours à la psychanalyse dans des domaines où elle n’a aucune fonction thérapeutique, et légitime son appropriation par les spécialistes de ces domaines sans formation médicale propre.

29Néanmoins, une difficulté supplémentaire se présente en ce que le rêve, du point de vue freudien, est réputé ne rien inventer. Niant l’idée populaire du rêve prémonitoire, Freud affirme fortement que le rêve, loin de se tourner vers l’avenir, est tout entier tourné vers le passé, et même le passé lointain. Le rêve tire en effet son matériau des traces mnésiques présentes dans l’inconscient, qui par un processus régrédient viennent exciter par l’intérieur le système perceptif au lieu que ce soient, comme à l’état diurne, les informations transmises par ce dernier qui viennent imprimer la mémoire. Le rêve réarrange ces traces, les associe, mais il s’agit bien d’un matériel déjà présent dans le psychisme. Peut-on considérer que la déformation et le travail du rêve résument à eux seuls la créativité ? Peut-on réduire l’art aux seules stratégies de dissimulation des désirs inconscients qu’il est censé traduire ?

3

30On ne peut répondre à ces questions que de manière nuancée. D’abord, parce que le rêve utilise des procédés qui sont en eux-mêmes créatifs dans la mesure où les figures composites créées par condensation, le transfert d’accentuation du déplacement, la compression globale du matériel aboutissant à sa surdétermination et par là à son ambiguïté, le travail de réorganisation, contribuent à un résultat original. Mais également, l’inconscient étant capable selon Freud d’une activité mentale élaborée, les pensées du rêve elles aussi « constituent un matériel très abondant de formations psychiques de l’ordre le plus élevé et pourvues de toutes les caractéristiques d’une opération intellectuelle normale 28 ». Le point qu’il faut souligner est donc que l’activité inconsciente ne se limite pas à l’expression plus ou moins grossière des pulsions, mais que le degré de raffinement et de complexité de la pensée dont témoigne l’état de sommeil (où la conscience est par définition au repos, même s’il ne s’agit que d’un repos relatif) ne doit pas être sous-estimé. Au contraire, c’est parfois en rêvant que les mathématiciens résolvent les problèmes laissés en suspens à l’état de veille, ou dans le cas des artistes, qu’ils réalisent leur œuvre. Freud cite à ce propos le propre témoignage de Goethe 29, et l’on pourrait certainement mentionner d’autres exemples à l’appui du rôle de l’activité inconsciente dans la création, dont ceux de Schubert ou de Schoenberg.

31L’apport de cette activité n’est donc pas uniquement d’ordre fantasmatique : elle paraît capable en réalité de prendre en charge une part du processus artistique lui-même, notamment en tant qu’il a pour objet la forme artistique. Mais s’il s’agit d’une activité inconsciente, c’est non pas à l’inconscient en tant que système psychique mais à un autre système, le préconscient, qu’il faut l’attribuer. En effet, ce dernier peut poursuivre un fil de pensée sans recevoir l’attention de la conscience, qui peut être sollicitée par d’autres tâches. Ce fil peut alors aboutir pendant le sommeil, en étant investi par une énergie psychique venant de l’inconscient, le contexte onirique reflétant les déformations habituelles du rêve. Ce qui compte ici est le fait que « les activités de pensées les plus compliquées peuvent se produire sans que la conscience y prenne part 30. » De telles activités, par conséquent, peuvent tout à fait rendre compte de la dimension d’originalité du travail artistique. Mais il reste bien évidemment, pour expliquer cette dernière, le rôle du conscient, dont il serait absurde de prétendre qu’il ne participe pas au processus de création. La question n’est bien sûr pas d’évaluer le pourcentage respectif qui revient aux pensées conscientes et inconscientes. Le conscient contribue à la rationalisation de l’activité de pensée et à son inscription dans le contexte social, au retour vers la réalité. Ceci peut se comprendre par la prise en compte du contexte artistique et la recherche d’originalité au sein de celui-ci.

32En rapprochant, à la suite de l’école psychanalytique, la création artistique du rêve, en suggérant que la description freudienne du rêve peut nous aider à comprendre analytiquement l’œuvre d’art et plus particulièrement l’œuvre musicale, nous endossons bien évidemment la validité globale de cette description. Cependant, depuis la remise en cause du statut scientifique de la psychanalyse et sa qualification de « pré-science » par Popper 31, les débats houleux dont la psychanalyse a été à nouveau l’objet dans les récentes décennies ne peuvent pas nous laisser indifférent, surtout lorsque les critiques proviennent des sciences cognitives ou des neurosciences. En ce qui concerne l’aspect épistémologique et la question de la falsifiabilité de la psychanalyse, nous ne pouvons ici reprendre les termes de la controverse, qui a vu s’opposer tant les philosophes que les psychiatres et les psychanalystes. Tantôt ont été contestés les critères de démarcation de Popper, tantôt – et contradictoirement – sa vision, jugée tronquée, de la psychanalyse, qui l’aurait amené à méconnaître ce par quoi elle pourrait se conformer à ces mêmes critères 32. Pour nous, tout comme une démarche phénoménologique pourrait s’avérer éclairante, le ravalement de la psychanalyse au rang de « théorie métaphysique » n’est pas un obstacle fondamental à son utilisation, du fait même que la théorie musicale ne prétend pas à se constituer en science expérimentale, mais hésite encore à choisir entre le fait d’être une science théorique, dont les modèles ne constituent au mieux que des approximations, ou historique, s’intéressant à expliciter d’après un point de vue déterminé des faits en eux-mêmes isolés. Les conditions qui nous importent sont celles de rationalité et de cohérence argumentative, d’utilité et de formalisation objective.

33Paradoxalement, alors même que certaines voix reprochent à la psychanalyse d’être infalsifiable, d’autres (qui sont parfois les mêmes) arguent pour la rejeter du fait même de sa falsification. Parmi les aspects ainsi donnés pour dépassés par la science contemporaine figure la théorie du rêve. Il est certain que les connaissances sur le sommeil et le rêve se sont considérablement améliorées depuis l’époque où Freud rédigeait sa Traumdeutung à la toute fin du dix-neuvième siècle. En revanche, il ne semble pas que la recherche psychiatrique ou neurologique ait encore atteint un consensus sur la question du rêve. Ainsi, pour J. Allan Hobson, qui combat férocement les idées de Freud,

De même qu’au cours du sommeil paradoxal nous pouvons supposer (et constater) une activation sélective des circuits cérébraux sous-tendant l’émotion et d’autres percepts reliés, de même nous pouvons rechercher (et constater) une inactivation sélective des circuits cérébraux – et des substances chimiques – qui sous-tendent la mémoire, la pensée dirigée, la conscience réflexive de soi, et le raisonnement logique 33.

34Selon cet auteur, ces observations suffisent à invalider la théorie psychanalytique du rêve puisqu’elles permettent d’expliquer toutes les caractéristiques oniriques essentielles sans qu’il soit besoin de faire appel à des souvenirs infantiles réprimés. Pour Hobson, il n’y a tout simplement pas de pensée latente du rêve. Celui-ci ne résulte que du fonctionnement chaotique du tronc cérébral, résultant en des projections hallucinatoires aléatoires que le cerveau antérieur fait de son mieux pour organiser en scénario. Si l’on considère l’inhibition globale de la pensée qui a cours pendant le sommeil, le rêve ne peut donc non plus donner lieu à l’intense activité d’élaboration secondaire décrite par la psychanalyse.

35On peut être en désaccord sur ce point : si le cerveau rêvant se caractérise par son incapacité à penser autrement que par des liens analogiques d’une pauvreté révélatrice, on s’étonne alors de sa capacité à former des jeux de mots verbaux ou visuels d’une quelconque subtilité. Également, dans notre expérience, l’état de rêve n’est pas incompatible avec une vigilance logique et critique reflétant une continuité de la conscience de soi. Enfin, l’émotion ne semble pas, contrairement à l’insistance de J. Allan Hobson, une caractéristique constante accompagnant le rêve. Le modèle de l’activation-synthèse développé par Hobson se rapproche néanmoins du modèle freudien par la ressemblance entre le processus de synthèse et le rôle du préconscient chez Freud qui n’a pas, comme l’avance Hobson, pour fonction de brouiller le rêve, mais au contraire d’« ordonner les constituants du rêve de manière qu’ils s’assemblent en un ensemble à peu près cohérent, une composition de rêve 34. » La différence est que Hobson réintroduit au niveau de la synthèse les figures freudiennes du déplacement, de la condensation et de la formation de symboles, alors que chez Freud ces figures précèdent l’élaboration secondaire. Le modèle de l’activation-synthèse présente par ailleurs d’autres parallélismes, plus ou moins accentués, avec le modèle psychanalytique. L’opposition fondamentale de Hobson avec Freud se trouve dans l’origine attribuée au rêve : excitation spontanée et désordonnée chez l’un induisant une activation sensori-motrice, alliance d’un reste de pensée diurne (désir conscient) avec une pensée inconsciente (désir refoulé) chez l’autre. Le psychiatre américain s’appuie sur les transformations chimiques du cerveau et la désactivation de certains types de neurones au cours du sommeil paradoxal, transformations dont Freud ne pouvait avoir connaissance, pour démontrer la validité de son modèle. Mais ces transformations ne disent rien, en définitive, sur le caractère aléatoire ou non des phénomènes à l’origine du rêve, et le contraste entre les deux théories peut être ramené à une divergence d’attitude originelle chez leur concepteur respectif. Si l’on voulait transposer l’opposition entre Freud et Hobson d’un point de vue musicologique et esthétique, l’on dirait probablement de ce dernier qu’il est un formaliste pour qui la musique n’a pas de signification en dehors de sa forme propre, tandis que le psychanalyste viennois s’assimilerait à un herméneute pour qui les formes musicales ont une signification qui les dépasse.

36Pour J. Allan Hobson, la cause est donc entendue : le rêve a pour origine l’activation spontanée du tronc cérébral et les images visuelles sont engendrées par activation primaire et non par restitution. Il suffit néanmoins de traverser la Charles River qui sépare Cambridge (où travaille Hobson) de Boston pour entendre une version différente. Ainsi, selon Subimal Datta, le rêve se réduit à une sorte de bruit de fond parasite accompagnant la consolidation de la mémoire durant le sommeil paradoxal : « Alors que les souvenirs récents sont stockés dans les zones du cerveau abritant la mémoire à long terme, ils rencontrent de façon aléatoire d’autres souvenirs qui sont réactivés 35. » Or, les zones du cerveau concernées sont essentiellement, pour ce qui nous intéresse, celles où est logée la mémoire épisodique, dont la consolidation se fait au niveau du lobe médio-temporal, et non du tronc cérébral. Cette différence mise à part, Subimal Datta postule lui aussi que le cerveau s’efforce de bâtir la meilleure (ou la moins pire) narration possible autour de ce matériau incohérent. Néanmoins, l’une des objections que l’on peut formuler à l’encontre de cette conception aléatoire du rêve est qu’elle ne peut rendre compte des rêves récurrents. En effet, que les images du rêve soient produites par hallucination (Hobson) ou restituées par la mémoire (Datta), il semble étonnant que le hasard redirige deux rêves différents, non nécessairement successifs, sur des traces similaires.

37Il ne fait pas de doute que l’on connaît mieux aujourd’hui le sommeil qu’à l’époque de Freud. En ce qui concerne le rêve, en revanche, on en est reste aux supputations. C’est ce qu’explique Michel Jouvet, découvreur du sommeil paradoxal : « Le problème de l’activité onirique est qu’on a affaire à un phénomène sans aucune fonction… Nous connaissons beaucoup de comment sans que cela nous autorise à connaître le pourquoi du rêve 36. » Dans la mesure où la psychanalyse propose une psychologie du rêve et non une physiologie, elle se montre finalement peu affectée sur le fond par les critiques qui lui sont adressées. Son appareil herméneutique demeure en revanche le plus riche dont on dispose et le seul à reposer sur un substrat théorique organisé et cohérent. Lorsque, décrivant le modèle de l’activation-synthèse, J. Allan Hobson énonce que la forme du rêve contribue de façon significative à déterminer son contenu 37, il ne s’agit que d’une vérité générale qui en soi n’a rien pour nous déranger. C’est même une des raisons de notre intérêt pour la psychanalyse, qu’elle offre une approche détaillée du rêve du point de vue formel. Mais si l’on suit Hobson, le contenu du rêve se subsume tout entier dans sa forme : le contenu du rêve, c’est sa forme, ce n’est que sa forme, c’est-à-dire son contenu apparent. Pour paraphraser Stravinsky, on pourrait ainsi dire que « le rêve n’exprime rien en dehors de lui-même ».

38C’est faire fi un peu vite de l’activité associative du cerveau. À l’état vigile, c’est par la concentration de l’attention que nous maintenons la pensée sur des rails logiques et que nous ignorons délibérément comme perte de temps et d’énergie tout ce à quoi chaque pensée nous fait elle-même penser. Il en est de même de nos percepts, par lesquels nous choisissons de ne pas nous laisser troubler en canalisant non seulement les émotions, mais également les souvenirs d’émotions qu’ils peuvent induire. Or, lorsque nous dormons, le cerveau reste actif pour une très large part. Ce que nous plaçons en veilleuse, en même temps que nous déconnectons nos sens du monde extérieur, c’est la pensée dirigée, volontaire, celle précisément qui fait que nous ne nous laissons pas aller aux associations d’idées, de perceptions ou d’affects. Ce faisant, nous devrions laisser libre cours au mode de fonctionnement associatif de la pensée. Mais le modèle de l’activation-synthèse ne rend pas compte de cela : chez J. Allan Hobson, le cerveau halluciné ne pense plus, sauf pour habiller le rêve de quelques haillons narratifs. Si, néanmoins, comme nous le soutenons, nous ne cessons pas d’associer, alors il paraît pour le moins difficile d’admettre que cette activité s’exerce purement au hasard et ne suive pas un certain nombre de routes mentales privilégiées.

4

39Posons, à ce stade, que la musique est un langage. Ceci suppose, naturellement, que l’on s’accorde sur ce qu’on entend par là. Nous ne prétendons évidement pas qu’on puisse, en musique, traduire des phrases du langage courant telle que « Madame est servie » ou « Il pleuvra demain ». L’on pourrait bien imaginer un code permettant de dissimuler des messages au sein d’un énoncé musical, mais un code n’est pas un langage : si de tels messages existaient, ce qui pose la question de leur perceptibilité, ils seraient en français ou dans toute autre langue, mais non pas « en musique ». Nous ne voulons pas dire non plus que la musique soit, selon l’expression habituelle, un « langage des sentiments », dans la mesure où ce langage permettrait par une figure musicale donnée, reconnue par tous les « locuteurs » de ce langage, de susciter immanquablement certaine émotion chez l’auditeur, ou lui permettre au moins d’identifier précisément cette émotion. Une telle conception laisserait supposer, de surcroît, qu’il n’existe qu’un seul langage musical possible, ce que bien évidemment nous ne pouvons accepter. Pas plus, nous ne croyons qu’à défaut d’émotions ou de sentiments déterminés, la musique représente la forme de l’émotion ou du sentiment, pour autant que cette forme puisse être appréhendée. Quant à la musique descriptive ou illustrative, elle n’introduit que des effets qui n’engagent pas la syntaxe de la musique. Il n’y a aucune grammaire de tels effets, et, partant, aucun langage. Si nous rejetons ces trois manières de considérer la nature langagière de la musique, c’est que, pour nous, elles posent la question de manière incorrecte.

40Notre première observation est que la musique s’approche des caractéristiques d’un langage formel, défini comme l’ensemble des phrases possibles engendrées par un certain nombre de règles agissant sur un vocabulaire (par exemple le vocabulaire des accords dans la musique tonale). Les langues naturelles elles-mêmes possèdent une telle nature formelle. Comme ces dernières, les langages musicaux précèdent l’énonciation des règles qui tentent de les décrire, même si l’inverse – l’invention d’un langage à partir d’un jeu de règles sur un vocabulaire donné – est concevable. Contrairement aux langages naturels, les « mots » du vocabulaire musical n’ont pas de correspondance dans la réalité. Les signes de la partition renvoient à leur exécution sonore, mais cette dernière ne renvoie à rien d’extérieur à elle-même, rien en tout cas de comparable au couple signifiant-signifié du langage verbal. Pour commettre un mauvais jeu de mots, on peut écrire que la musique est faite de notes (on prendra ce terme dans une acception très large) sans dénotation, s’il reste en revanche à s’interroger si elles sont bien sans connotation. En considérant la musique sous l’angle d’un langage formel, on se simplifie ainsi la tâche de manière très appréciable puisqu’il suffit dès lors à un énoncé, pour faire sens dans ce langage, d’être syntaxique. Notons que pour les grammairiens français du dix-huitième siècle, le sens est conféré par la phrase, il est distinct de la signification du mot. Que cette dernière soit vide n’en résulte pas forcément en un vide de sens puisque celui-ci naît de l’articulation de l’ensemble.

41Mais, et c’est notre deuxième point, nous ne voulons pas dire que la musique soit inexpressive ou que son expressivité ne soit jamais autre chose qu’accidentelle, comme lorsqu’on perçoit une ressemblance humaine ou animale dans le relief d’un piton rocheux ou le contour d’un sommet montagneux. Même si l’on admet que la musique ne se réfère qu’à elle-même, l’œuvre individuelle ne peut être considérée comme purement autotélique. Dans son traité De magistro, saint Augustin attribue au langage le but d’instruire et de rappeler des souvenirs, faisant tout d’abord participer le chant à cette dernière fonction. En effet, commentera-t-on, comme nous savons que la mémoire est largement associative, on comprend que la musique puisse renforcer la mémorisation des mots, de sorte que le rappel de la musique facilitera celui des mots eux-mêmes (ou lui fera éventuellement écran). Néanmoins, poursuit saint Augustin, la musique étant détachable des mots, son rôle spécifique est plutôt de procurer du plaisir par l’harmonie des sons – sans se préoccuper du fait que cette harmonie elle-même suppose une cohérence, et donc une forme de grammaticalité qui, à nos yeux, en font un langage. Mais le point qui nous intéresse est le passage où saint Augustin énonce que « tout ce que l’on produit comme son de voix expressif vient frapper l’oreille pour être perçu et est confié à la mémoire pour être connu 38. » Même si c’est le langage sous son double aspect verbal et nominal qui est ici visé, cette phrase pourrait – malgré son auteur – s’appliquer presque sans changement à la musique, à condition toutefois de donner aux mots une interprétation légèrement différente. En tant elle-même que langage au sens formel, la musique constitue un système de sons articulés, au moins expressif de lui-même. Mais outre le fait que la musique présuppose pour le récepteur la reconnaissance d’une intentionnalité chez le producteur, la remarque de saint Augustin vient nous rappeler que, de même, les sons musicaux ne viennent pas frapper une oreille vierge. À chaque fois que l’oreille est frappée, la mémoire est également sollicitée et l’œuvre entendue n’est pas rapportée qu’à elle-même, mais à un ensemble d’œuvres avec lesquelles elle développe dans notre mémoire des affinités. Quand bien même elle n’entretiendrait pas de relation référentielle au monde extérieur, la musique se réfère au moins toujours (ne serait-ce qu’inconsciemment) à nos expériences musicales antérieures.

42Pour autant, si nous la créditons de sens, la musique n’a-t-elle pas de signification ? Il semblerait au contraire que, même lorsqu’on s’emploie à le faire, la signification soit difficile à éviter dès lors qu’un sens est présent. Pour définir ce que nous comprenons par signification, commençons par décrire un langage comme un système de symboles produisant des structures plus ou moins complexes. La signification, à son tour, émerge de la manière dont ces structures reflètent, éventuellement malgré elles, ou intentionnellement « piègent », selon l’expression de Douglas Hofstadter 39, des phénomènes du monde réel, elle est la relation d’isomorphisme (partiel) entre les structures élaborées par le système et le monde. Selon la précision de l’isomorphisme, sa fidélité, la signification sera plus ou moins riche : il peut ainsi y avoir des degrés de signification en fonction de la qualité de l’isomorphisme. Mais la seule complexité des structures n’est pas une garantie de cette richesse. Ce qui importe, c’est qu’il se produise de la signification dès qu’un isomorphisme est décelé. De fait, c’est bien là une propriété fondamentale du système nerveux, que de refléter le monde au moyen de représentations internes qui constituent des « versions structurées du monde par codage neuronal 40 ». Ici, le monde extérieur n’est pas que le milieu où évolue l’individu : il commence en réalité aux états externes du système nerveux lui-même.

43Et la musique ? En tant que système ou langage formel, elle n’échappe pas à ces définitions, avec une spécificité toutefois : c’est que le monde avec lequel elle présente un isomorphisme est précisément le monde mental. Bien que chaque symbole individuel (note, accord, tonalité, etc.), ou élément du langage musical, soit dépourvu de signification en soi, la signification apparaît dans la musique lorsque des structures mettant en jeu un ensemble de symboles sont isomorphes aux phénomènes cognitifs et émotionnels qui se produisent dans le cerveau. Si des isomorphismes sont possibles, c’est que ces phénomènes sont eux-mêmes organisés comme un jeu de symboles formés d’un assemblage de neurones – qui, individuellement, ne signifient rien – et où des structures se font et se défont lorsqu’un symbole est déclenché par un groupe d’autres symboles. Comme dans tous les cas, et non spécifiquement celui de la musique, le nombre d’isomorphismes correspondant à une structure donnée est potentiellement infini, de sorte que sa signification n’a pas à être univoque. Ce que la musique peut signifier est de même virtuellement infini : mais cet infini n’est pas rien. La complexité et l’interaction des phénomènes musicaux, d’autre part, font que si l’on veut dépasser les modèles rudimentaires de grammaire musicale, on en vient à devoir élaborer en lieu et place de ceux-ci, selon la formule de Hofstadter, une véritable « grammaire de la pensée 41 ». C’est évidemment dans cette perspective que l’apport de la psychanalyse peut s’avérer d’un grand intérêt, et c’est ce qui légitime en retour l’utilisation d’un outil tel que la psychanalyse.

44Enfin, et c’est notre troisième point, il existe dans la musique des éléments qui se réfèrent plus directement au monde extérieur : ce sont les topiques musicaux. En réalité, les topiques ne renvoient qu’à la musique elle-même et à la somme de leurs occurrences, ils sont des lieux communs musicaux. Mais ces lieux communs sont en rapport soit imitatif, lorsqu’il s’agit principalement du monde naturel (par exemple l’orage), soit fonctionnel (comme la musique militaire) ou générique (comme la musique champêtre) lorsqu’il s’agit plutôt du monde social. Alors que le type de signification décrit ci-dessus peut s’avérer extrêmement variable et dépendre du récepteur, la signification des topiques est plus stable et largement figée. Les topiques forment de ce fait un ensemble dont la fonction au sein de la composition est assimilable, selon nous, à celui de la symbolique dans la théorie freudienne du rêve, qui est largement indépendante tant du rêve que du rêveur. Pas plus que les symboles oniriques, néanmoins, il ne semble que les topiques suffisent à livrer une clé de la signification musicale, dans la mesure où celle-ci ne peut être associée à un élément en particulier, mais à un dynamisme impliquant une diversité d’éléments complexes jouant entre eux.

5

45Ce que la psychanalyse peut apporter à l’analyse musicale, là où elle peut intervenir en relation avec cette dernière, apparaît à présent plus clairement. En tenant compte de l’état des connaissances sur les processus cognitifs et l’intelligence artificielle, nous pouvons considérer l’objet musical comme organisé en niveaux, à l’instar du fonctionnement du monde mental qu’il reflète tout en étant son produit. Aux niveaux les plus bas, l’œuvre est régie par des processus logiques stricts, unidirectionnels, dont seules sont susceptibles de rendre compte une théorie formalisée de type mathématique et une méthodologie musico-analytique dérivant de cette théorie. On voit donc que l’analyse musicale dont il est question ne peut se contenter d’être purement empirique mais doit être fortement articulée sur des modèles théoriques bien définis. Envisageant les choses du point de vue de la création, Stravinsky ne dit pas autre chose dans sa Poétique musicale lorsqu’il déclare :

L’art, au sens propre, est une manière de faire des œuvres selon certaines méthodes… Et les méthodes sont les voies strictes et déterminées qui assurent la rectitude de notre opération 42.

46Aux niveaux plus élevés, les procédures étant plus complexes, elles subissent l’influence d’une multiplicité de facteurs qui contribuent à rendre les résultats moins prévisibles. En effet, le fonctionnement rigoureux des niveaux inférieurs n’empêche pas que des « erreurs » puissent se produire aux niveaux supérieurs, dont le lapsus – qui ouvre une sorte de fenêtre sur les mécanismes inconscients cachés – est un exemple. Chaque système mental présente en outre un certain nombre de spécificités, ou « imperfections », qui font qu’il n’est jamais un miroir fidèle du monde, mais un miroir plus ou moins déformant.

47Dans la perspective qui nous intéresse, c’est évidemment ici que la psychanalyse peut le plus valablement intervenir, en fournissant des modèles qui permettent d’interpréter ces conduites complexes, notamment à partir de l’analyse du rêve et des pathologies nerveuses. Car, pour la psychanalyse, ces déformations ne sont rien d’autre que l’effet des interférences occasionnées par les désirs inconscients, des perturbations générées par les représentations refoulées ancrées dans l’inconscient. Une bonne représentation du monde suppose une adaptabilité à celui-ci dont l’inconscient, en tant que siège du refoulé, est incapable, et plus forte est son influence, plus fortes sont les déformations de cette image. En tant que reflet des processus mentaux, la musique témoigne donc de ces déformations, dont aucun mécanisme strictement logique ne peut rendre compte. On voit qu’il n’est pas tant question de connaître la nature des désirs et des représentations inconscients, que de prendre en considération leur influence. La neuropsychologie contemporaine reconnaît ainsi aux « représentations internes » du cerveau la faculté de déformer les souvenirs, contribuant ainsi à la constitution de « faux souvenirs », mais également d’influer sur notre perception 43.

48D’autre part, les différentes dimensions musicales interagissent naturellement entre elles et il est difficile d’établir une primauté de l’une sur l’autre. Il apparaît donc préférable de les envisager sous la forme de processus parallèles interreliés : en effet, l’objet musical se présente perceptivement comme une globalité texturale, et non comme une addition de paramètres. Même lorsqu’on ne traite qu’une dimension à la fois, comme le fait l’analyse schenkérienne, on ne peut définir avec une complète clarté l’appartenance d’un processus à tel ou tel niveau ou délimiter chacun de manière entièrement stricte. De sorte que la meilleure manière de considérer la hiérarchie entre les niveaux est de la voir comme une « hiérarchie enchevêtrée », pour emprunter une autre expression de Douglas Hofstadter 44, c’est-à-dire où chaque niveau est susceptible d’agir sur n’importe quel autre niveau supérieur ou inférieur. De fait – c’est l’essence de notre proposition – toute tentative pour aborder une œuvre avec des outils psychanalytiques est pour nous indissociable d’une approche analytique rigoureuse et formalisée 45.

49Enfin, comme l’a suggéré Tzvetan Todorov 46, l’appareillage développé par Freud pour l’analyse du mot d’esprit offre une parenté frappante avec l’appareillage rhétorique, dont on sait qu’il ne concerne pas que l’art rhétorique lui-même, mais qu’il s’applique également à l’architecture ainsi qu’à la musique. Par là, l’analyse des processus cognitifs renvoie à son tour aux procédés formels dans un échange continu entre les uns et les autres. Si l’on aborde ainsi la musique dans une perspective musico-théorétique ou musico-analytique, la psychanalyse se montre susceptible d’éclairer les procédures au niveau compositionnel en les mettant en relation avec des procédures mentales analogues. Lorsqu’on l’aborde du point de vue de la psychanalyse, à l’inverse, seule une méthodologie analytique rigoureuse appuyée sur une théorie explicite permet de lire la musique avec suffisamment de profondeur pour permettre à la psychanalyse d’exploiter le matériel musical comme elle le fait avec le matériel verbal. La psychanalyse permet à l’analyse musicale de dépasser le formalisme applicable aux niveaux inférieurs du langage musical mais qui, par sa rigueur même, s’avère mal adapté pour expliciter les conduites de niveau supérieur, tout en évitant de verser dans un pur empirisme dénué d’assises théoriques. L’analyse musicale permet à la psychanalyse d’appuyer son discours sur des éléments précis, de construire une argumentation étayée sur la musique elle-même et non pas claudiquant sur les béquilles extra-musicales.

50On peut dire que la musique reflète, aux niveaux les plus bas, un certain nombre de mécanismes cognitifs préverbaux ou intuitifs tels que l’équivalence, l’implication, l’égalité ou leurs contraires, la dissemblance, l’incongruité, l’inégalité. D’une certaine manière, un énoncé musical élémentaire ressemble à un énoncé logique également élémentaire. L’élaboration qui s’ensuit dépend alors d’opérations de pensée plus complexes et qui sont d’autant plus dépendantes du langage musical qui permet de les articuler. À tout prendre, cette proposition n’est pas tellement éloignée de celle de Hanslick lorsqu’il soutient que les formes musicales

sont animées par l’activité formative de l’esprit, elles sont des pensées en sons qui reflètent l’individualité du compositeur. Pour autant que les mathématiques soient impliquées, elles ne servent qu’à réguler le matériel musical élémentaire 47.

51Sans qu’il s’agisse d’universaux directement et sans ambiguïté interprétables par des récepteurs de n’importe quelle culture, l’hypothèse sous-jacente est que la compréhension des gestes musicaux les plus élémentaires est moins dépendante d’un apprentissage que les gestes plus complexes. On a d’une part des mécanismes logiques, quasi objectifs, d’autre part des mécanismes uniquement compréhensibles en relation avec un contexte culturel, sans que la frontière entre les deux soit tracée de manière ferme. C’est évidemment à ces derniers mécanismes que s’adresse la psychanalyse, ce qui invite naturellement à la considérer dans une perspective culturelle plus vaste, et à manipuler ses outils avec d’autant plus de précaution que l’on s’éloigne dans le temps et l’espace de la société occidentale moderne.

52Récapitulons les principales figures du rêve, puisque ce sont celles-ci que nous visons prioritairement. Dans Sur le rêve, Freud les énumère ainsi :

  1. Le déplacement, qui consiste en ce que « l’intensité psychique passe des pensées et des représentations auxquelles elle convient légitimement à d’autres pensées et représentations qui ne peuvent prétendre à une telle mise en valeur 48 » ;

  2. La condensation, également compression en ce que tout élément transformé est surdéterminé, exprimant plusieurs pensées simultanément, lesquelles « peuvent appartenir aux domaines les plus divers du tissu des pensées 49 ». La condensation aboutit généralement à la formation de figures composites, créant des compromis à partir d’éléments communs et visant « à signifier un “et”, un “comme”, à établir une équation sous une certaine forme 50 » ;

  3. La dramatisation, ou « transformation d’une pensée en une situation 51 ».

53Pour compléter l’exposé de ces figures principales, Freud ajoute les précisions suivantes :

La relation causale entre deux pensées est soit laissée sans figuration, soit remplacée par la succession de deux fragments du rêve… Cette figuration est souvent renversée, en ce sens que le début du rêve fournit sa conséquence, sa fin la prémisse. La transformation directe d’une chose en une autre semble figurer la relation de cause à effet. Le rêve n’utilise jamais la corrélation « ou bien – ou bien », mais il recueille ces deux termes comme également justifiés dans la même corrélation. J’ai déjà signalé qu’un « ou bien – ou bien » doit être traduit par un et 52.

54Enfin, le rêve ne peut exprimer directement la négation et doit recourir, soit à une figuration contradictoire, par condensation, soit à « la sensation du mouvement inhibé [qui] sert à figurer une contradiction entre deux impulsions, un conflit de volontés 53 ». Freud conclut :

Une seule des relations logiques – celle de l’analogie, de la propriété de traits communs, de la concordance – est favorisée au plus haut point par le mécanisme de la formation du rêve 54.

55Dans tout ce qui précède, il convient évidement de remplacer le rêve par l’œuvre, et les pensées visuelles formant le matériel actuel du rêve par les pensées en sons de la musique. Le rapprochement est plus intéressant et surtout moins arbitraire qu’il n’y paraît car, tout comme le rêve élabore son langage à partir des moyens qui lui sont propres, la musique élabore un langage marqué de contraintes similaires comme, par exemple, l’impossibilité de signifier la négation ou la contradiction autrement que par des moyens détournés. S’il n’est donc – on s’en doute – pas question d’opérer une transposition pure et simple d’un langage à l’autre, il n’est pas difficile d’imaginer que les outils freudiens (qui s’appliquent aussi, d’ailleurs, au matériel verbal du rêve) puissent être mis à profit dans le contexte de la musique. En outre, certaines figures annexes de déformation, comme la rétrogradation d’un élément, sont encore plus familières au musicien, pour qui elles représentent des manipulations élémentaires du matériel. Quant au rôle des topiques musicaux, nous avons suggéré ci-dessus de le comparer à celui de la symbolique du rêve, à cause notamment du caractère extrinsèque de leur signification.

56S’il faut citer un exemple de parallèle entre un processus psychique décrit par la psychanalyse et un processus musical, on peut, en raison de son aspect économique – c’est-à-dire impliquant une notion d’énergie –, mettre en avant la conception freudienne du principe de constance. Par ce principe (également connu, quoiqu’avec une nuance, sous le nom de « principe de Nirvana »), le système psychique tend à maintenir à un niveau bas l’énergie qui le traverse. Toute excitation est en conséquence ressentie comme une tension, un déplaisir, et elle doit être évitée, ou bien éliminée. Le plaisir résulte de la résolution de cette tension, de la décharge de l’énergie accumulée par l’excitation, de sa réduction à un minimum. On reconnaît là aisément un analogue du schéma de tension-détente qui règle le régime des dissonances et des successions harmoniques de la musique tonale : c’est également ce principe que la tonalité élabore de façon plus complexe au niveau structural. Seule, toutefois, la mise en œuvre en est propre à la musique savante occidentale ; le principe lui-même, que l’on pourrait décrire comme une forme d’homéostasie, se retrouve dans nombre de répertoires modaux, notamment extra-européens. Il n’est question là que d’un principe élémentaire : son intérêt est de décrire une correspondance possible entre les modèles théoriques de la psychanalyse et de la musique dans une perspective de circulation et de distribution d’une énergie. Cet énoncé très général recouvre en réalité un réseau d’implications plus subtiles – dont témoigne la théorie psychanalytique dans son ensemble – et c’est surtout à travers son application à des situations concrètes (et donc plus riches) qu’il prend toute sa valeur par le va-et-vient qu’il permet entre le domaine de la psychanalyse et celui de l’analyse musicale. Du point de vue économique, chaque œuvre peut ainsi s’avérer révélatrice, et une œuvre de Schubert se distingue nettement d’une œuvre de Mozart ou Beethoven, qui elle-même se distingue d’une œuvre de Bach, appelant dès lors à des interprétations différentes 55.

57Pour conclure, avançons que la singularité d’une démarche faisant appel conjointement à un outillage analytique systématique et à l’appareillage de la psychanalyse réside dans la souplesse du va-et-vient qu’elle suppose entre les différents niveaux, les différentes dimensions de l’œuvre, et qui dérive d’une forme d’écoute particulière de cette dernière. Une telle écoute demande à être ouverte, sans présupposés, sans hiérarchisation a priori. Elle tend à gommer l’opposition de la figure et du fond de manière à laisser perméables les frontières tant entre les niveaux d’un même processus qu’entre les processus parallèles, à rendre possible l’aperception de relations non linéaires, non discursives. Cette écoute, mettant en jeu le « scanning inconscient » défendu par Ehrenzweig 56, est également proche de l’attention flottante recherchée par le psychanalyste. Elle s’éloigne, en revanche, des modèles d’écoutes structurales tels qu’ils ont été proposés (on pense ici, naturellement, à Adorno 57) tout en visant, elle aussi, à saisir la structure profonde. Elle va, d’une certaine façon, au-delà de cette écoute. Elle ne répudie donc pas la technicité de l’oreille, ni ne rejette l’éventualité de son expertise ; ces qualités restent désirables, voire certainement nécessaires : mais elle ne les tient pas pour suffisantes.

Notes   

1  Sigmund Freud, Sur le rêve, traduction de Cornélius Heim, Paris, Gallimard, 1988, p. 85 n., p. 117 et n.

2  Sigmund Freud, Der Wahn und die Träume in W. Jensens « Gradiva », Leipzig-Vienne, Heller, 1907 ; « Der Dichter und das Phantasieren », in Neue Revue 1 (1908) ; Eine Kindheitserinnerung des Leonardo da Vinci, Leipzig, Deuticke, 1910 ; « Der Moses des Michelangelo », in Imago 3 (1914) ; « Das Unheimliche », in Imago 5 (1919). Les traductions françaises de tous ces textes ont été publiées par Gallimard.

3  On trouve dans l’ouvrage d’André Michel, L’école freudienne devant la musique (Paris, Scorpion, 1965), une bibliographie des écrits psychanalytiques sur la musique jusqu’à 1955.

4  Sigmund Freud, Totem et tabou (1923), traduction de Serge Jankélévitch, Paris, Payot, 1965, p. 114.

5  Ibid., pp. 114-115.

6  Voir ainsi Eugène Minkovski, Le temps vécu, Paris, l’auteur, 1933, (rééd., PUF, 1995) ; Erwin Straus, Geschehnis und Erlebnis, Berlin, Springer, 1930 ; Pierre Janet, Les obsessions et la psychasthénie, Paris, Alcan, 1903 (rééd., L’Harmattan, 2005). Ces auteurs sont d’autant plus intéressants qu’ils font le lien de la psychologie et de la psychiatrie avec la philosophie, celle de Bergson et de Bachelard d’une part, et la phénoménologie de l’autre.

7  Sigmund Freud, « La morale sexuelle “civilisée” et la maladie nerveuse des temps modernes », in La vie sexuelle, traduction de Denise Berger et Jean Laplanche, Paris, PUF, 1969, p. 33.

8  Ibid., p. 34. Voir également « Le trouble psychogène de la vision », in Névrose, psychose et perversion, traduction de Jean Laplanche et coll., Paris, PUF, 2002, pp. 170–171.

9  Sigmund Freud, « La morale sexuelle », op. cit., p. 40.

10  Ibid., p. 34.

11  Sigmund Freud, « L’inquiétante étrangeté », in L’inquiétante étrangeté et autres essais, traduction de Bertrand Féron, Paris, Gallimard, 1985, p. 213.

12  Sigmund Freud, « Le créateur littéraire et le rêve éveillé », in ibid., pp. 33-46.

13  Ibid., p. 40.

14  Sigmund Freud, « La sexualité dans l’étiologie des névroses », in La première théorie des névroses, traduction de Janine Altounian et coll., Paris, PUF, 1995, p. 176. On reconnaît des formules similaires dans l’essai Sur le rêve, écrit trois ans plus tard, en 1901 (op. cit., pp. 49-50, 111 et 142).

15  Voir Mélanie Klein, « Psychological Principles of Early Analysis », « Personification in the Play of Children », in Love, Guilt, and Reparation and Other Works, 1921-1945, New York, The Free Press, 2002 ; « The Psycho-Analytic Play Technique », in Envy and Gratitude and Other Works, 1946-1963, New York, The Free Press, 1984, 2002.

16  Sigmund Freud, Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, traduction de Denis Messier, Paris, Gallimard, 1988, pp. 227-228.

17  Ibid., p. 229.

18  On trouve une formulation comparable dans L’interprétation des rêves (traduction de Ignace Meyerson, Paris, PUF, 1967, p. 482) : « Le rêve est un fragment de la vie psychique infantile qui a été supplantée » (Soulignement de Freud.)

19  Sigmund Freud, « Les fantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité », in Névrose, psychose et perversion, op. cit. p. 153.

20  Ibid., p. 153.

21  Sigmund Freud, « Considérations sur l’attaque hystérique », in Névrose, psychose et perversion, op. cit., p. 162.

22  Sigmund Freud, Sur le rêve, op. cit., p. 111.

23  Ibid., p. 111.

24  Sigmund Freud, L’interprétation des rêves, op. cit., p. 477.

25  Voir Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, « Psychanalyse », in Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1967, 2002, p. 351.

26  Sigmund Freud, La question de l’analyse profane, traduction de Janine Altounian et coll., Paris, Gallimard, 1985, p. 137.

27  Ibid., pp. 137-138.

28  Sigmund Freud, Sur le rêve, op. cit., p. 142.

29  Sigmund Freud, L’interprétation des rêves, op. cit., pp. 520-521.

30  Ibid., p. 504 (soulignement de Freud).

31  Karl Popper, Conjectures and Refutations : The Growth of Scientific Knowledge, Londres, Routledge, 1963, pp. 45-46.

32  Parmi une abondante littérature, voir Don C. Grant et Edwin Harari, « Psychoanalysis, Science and the Seductive Theory of Karl Popper », in Australian and New Zealand Journal of Psychiatry 39.6, 2005, pp. 446-452 ; Adolf Grünbaum, The Foundations of Psychoanalysis : A Philosophic Critique, Berkeley, University of California Press, 1984 ; M.L. Wax, « How Oedipus Falsifies Popper : Psychoanalysis as a Normative Science », in Psychiatry 46.2, 1983, pp. 95-105 ; Jane Flax, « Psychoanalysis and the Philosophy of Science : Critique or Resistance ? », The Journal of Philosophy 78.10, 1981, pp. 561-569.

33  James Allan Hobson, Dreaming : A Very Short Introduction, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 6.

34  Sigmund Freud, Sur le rêve, op. cit., p. 103.

35  Cité par Taylor McNeil, « Inside Sleep », in Bostonia, 2006-2007, p. 33.

36  Michel Jouvet, « Le maître des rêves », interview avec Laurent Mayet, in Sciences et avenir : le rêve, hors-série, Paris, décembre 1996 (disponible via http://sommeil.univ-lyon1.fr/articles/savenir/jouvet/jouvet.html, consulté le 31-03-2007).

37  Voir Allan Hobson, op. cit., p. 9.

38  Saint Augustin, Le maître, traduction de Bernard Jolibert, Paris, Klinksieck, 1988, p. 48 (Nous avons retouché quelque peu la traduction).

39  Douglas Hofstadter, Gödel, Escher, Bach : An Eternal Golden Braid, Londres, Penguin Books, 1980, 2000, p. xxi.

40  Yadin Dudai, « Internal Representation », in Memory from A to Z : Keywords, Concepts and Beyond, Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 134.

41  Douglas Hofstadter, op. cit., p. 627.

42  Igor Stravinsky, Poétique musicale, édition établie et annotée par Myriam Soumagnac, Paris, Flammarion, 2000, p. 78 (Nous soulignons).

43  Voir Yadin Dudai, op. cit., p. 97.

44  Douglas Hofstadter, op. cit., p. 10.

45  Le lecteur intéressé trouvera dans notre ouvrage Symbole et fantasme dans l’adagio du Quintette à cordes de Schubert (Paris, L’Harmattan, 2005) une illustration de la démarche que nous défendons ici. Voir également Xavier Hascher, « “In dunklen Traümen” : Schubert’s Heine-Lieder through the Psychoanalytical Prism », Nineteenth-Century Music Review 5.2, Aldershot, Ashgate publishing, 2008 (à paraître).

46  Voir le chapitre « La rhétorique de Freud », in Tzvetan Todorov, Théories du symbole, Paris, Seuil, 1977, pp. 285-321.

47  Edward Lippman, A History of Western Musical Aesthetics, Lincoln, University of Nebraska Press, 1992, p. 299.

48  Sigmund Freud, Sur le rêve, op. cit., p. 84 (tous les passages soulignés ici et dans les citations suivantes sont le fait de Freud lui-même).

49  Ibid., p. 81.

50  Ibid., p. 79.

51  Ibid., p. 81.

52 Ibid., p. 95.

53 Ibid., p. 96.

54 Loc. cit.

55  Voir notre analyse des différentes tensions harmoniques dans la phrase initiale du mouvement lent du Quintette à cordes en do majeur D956 de Schubert, in Xavier Hascher, Symbole et fantasme, op. cit., p. 136 sq., ainsi que de la section centrale de ce même mouvement, p. 147 sq.

56  Anton Ehrenzweig, L’ordre caché de l’art, traduction de Francine Lacoue-Labarthe et Claire Nancy, Paris, Gallimard, 1974, p. 66 sq.

57  Voir Theodor Adorno, Introduction à la sociologie de la musique, traduction de Vincent Barras et Carlo Russi, Genève, Contrechamps, 1994, p. 7 sq.

Citation   

Xavier Hascher, «Qu’est-ce que la psychanalyse apporte à l’analyse musicale ?», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Musique et inconscient, mis à  jour le : 27/05/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=198.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Xavier Hascher

Xavier Hascher enseigne la théorie et l’analyse musicale à l’université Marc-Bloch de Strasbourg. Il s’intéresse particulièrement aux méthodes formalisées d’analyse, en particulier inspirées de modèles mathématiques, et à leur lien possible avec la psychanalyse et la psychologie cognitive. Il a publié récemment Symbole et fantasme dans l’adagio du Quintette à cordes de Schubert (Paris, L’Harmattan, 2005).