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Entre engagement, empathie, prophétie : l’œuvre d’art selon l’Expressionnisme

Georges Bloess
mai 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.131

Résumés   

Résumé

Au tournant des 19e et 20e siècles, les civilisations du monde germanique subissent de plein fouet le choc de la révolution industrielle. Celle-ci défait les structures sociales et les liens traditionnels, arrachant les hommes à leur cadre rural pour les plonger dans la solitude des grandes villes, dans le travail parcellisé et l’isolement des tâches de l’usine. La génération des artistes nés vers 1880 ne reste pas étrangère à cette mutation : sortant de son statut d’élite protégée, elle se trouve placée devant l’alternative suivante : se faire la gardienne des valeurs éternelles menacées par les transformations du présent, ou prendre toute sa part du processus artistique. Elle opte, dans sa grande majorité, pour la seconde voie, mais doit alors répondre à cette question : à quelle condition préserver, dans l’action, son identité d’artiste ? Elle pensera y parvenir en rompant avec les normes esthétiques, en traçant les chemins d’un art visionnaire réconciliant entre elles la création artistique et la prophétie d’une ère nouvelle pour l’humanité. Porté par son espérance mais aussi par ses insurmontables contradictions, l’Expressionnisme allemand contient en germe le destin tourmenté de toutes les avant-gardes artistiques.

Abstract

At the dawn of the twentieth century, the civilizations of the German-speaking world feel the full impact of the industrial revolution. It unravels social structures and traditional bonds, uprooting men from their rural settings and plunging them into the solitude of the large city, into piecemeal work and the isolation of factory jobs. The generation of artists born around 1880 is familiar with this relocation. Emerging from its status as a protected elite it, faces the following alternative: become the guardian of eternal values threatened by the transformations taking place or assume its fair share in the artistic process. The overwhelming majority opts for the latter choice, only to find itself confronted with the following question: Under what conditions in such activity can artistic identity be preserved? The generation of artists believes the road lies in breaking with aesthetic norms, in tracing the paths of a visionary art that reconciles artistic creation with the prophecy of a new era for humanity. Buoyed by hope but awash with insurmountable contradictions, German Expressionism contains in a nutshell the tormented destiny of all avant-garde artists.

Index   

Texte intégral   

1Rouvrir le dossier « L’art et le social au XXe siècle » ? Ce n’est pas sans appréhension qu’on s’en saisit. Impossible d’aborder la question avec sérénité. Nous aimerions croire que ce siècle s’éloigne peu à peu de nous. Or nous ne cessons de traîner derrière nous son lourd héritage, et cette époque qui aura surpassé en férocité toutes les précédentes nous poursuit comme notre ombre. Quant aux artistes, cet héritage les concerne très directement : n’ont-ils pas souhaité, et ceci ardemment, être les acteurs de leur siècle, n’ont-ils pas mis un zèle tout particulier à faire avancer l’Histoire, à montrer la voie d’un avenir radieux, et bien souvent, à prêter leur concours à des politiques conduisant, non pas aux paradis annoncés, mais aux régimes totalitaires qui ont fait de ce siècle un cauchemar ? Mieux encore : lorsque les avant-gardes artistiques se trouvèrent enlisées dans la Guerre Froide, il devint clair qu’il fallait replier les bannières des utopies ; on décréta donc que l’époque était à la « post-modernité » ; par cette notion commode, l’artiste pouvait se glisser hors de l’Histoire, échapper discrètement à une réalité devenue trop complexe pour être pensée, ou traduite en formes. Mais ne soyons pas dupes : cette sortie peu glorieuse ne dégage en rien la responsabilité des artistes dans la tragédie de leur temps.

2Tout au plus convient-il d’évaluer leur rôle à sa juste mesure. Et pour cela, se poser la question : quand et comment l’artiste s’est-il laissé entraîner dans la marche d’un siècle qui s’est rapidement révélé infernal ? À quelle tentation avait-il alors cédé ? Il m’a paru utile d’explorer le centre géographique de cette implication de l’art dans l’Histoire : il se situe en cette région grosse de tous les conflits qui vont ensanglanter l’Europe, je veux parler de l’Empire austro-hongrois, dont la « Modernité viennoise » s’affiche en vitrine, mais s’expose à la vindicte populaire. C’est en ce lieu précis, davantage que dans un Empire allemand soumis à une implacable censure, que réside, chez les artistes, le germe d’une prise de conscience : à savoir, que l’Histoire les « regarde ».

3Ils y entrent à petits pas, et ce premier geste est vécu comme une libération. Écoutons Hugo von Hofmannsthal, célèbre en son pays, bien avant de l’être comme librettiste de Richard Strauss, pour ses poèmes, ses courtes pièces lyriques et ses essais littéraires : parmi ses notes de travail rédigées aux environs de 1905 se trouve cette réflexion : « La comédie : c’est l’accès au social. » Le « social », – remarquons au passage l’étrangeté de ce terme, emprunté au français : das Soziale – Hofmannsthal n’y était donc pas ? Où donc se trouvait-il pour devoir d’abord y « accéder » ? Et quel est cet événement qui mérite ainsi d’être noté, enregistré comme le ferait un voyageur aux longs cours ayant franchi un cap difficile ? Il faudra revisiter un instant ce territoire du « non-social » ou du « présocial » pour prendre la mesure de la démarche d’Hofmannsthal et de ce que signifie la terre nouvelle sur laquelle il pose le pied.

4Il paraît intéressant de le comparer à un artiste très proche de lui par l’esprit, bien que sensiblement plus âgé : Gustav Klimt. Les images poétiques d’Hofmannsthal semblent traduire avec exactitude les productions décoratives de ce peintre ; comme si la magie des mots se faisait l’écho de la magie des couleurs et des formes – en fait, les poèmes anticipent largement sur les faits picturaux. Cependant ces deux univers ne se satisfont pas de leur propre perfection ; tout comme la peinture de Klimt, la poésie d’Hofmannsthal est travaillée par une exigence secrète ; leur dernier mot n’est pas « beauté », mais « vérité », ainsi que l’atteste un tableau de Klimt réalisé au tournant du siècle et intitulé Nuda Veritas. L’Ève nouvelle qui se présente à nos yeux ne vient pas pour nous séduire, mais pour nous délivrer un message des plus austères ; car au-dessus de sa flamboyante chevelure figure cette inscription : « Si tu ne peux plaire à tous par ton œuvre et ton action, fais en sorte qu’elle convienne au petit nombre. Il n’est pas bon de plaire à la foule ». La formule est signée de Friedrich Schiller, elle date, par conséquent, des toutes premières années du XIXe siècle. Pourquoi Klimt reprend-il à son compte ce mot d’ordre du Classicisme allemand ? C’est que, pour lui aussi, l’art ne saurait avoir en lui-même sa propre fin ; en outre, celle-ci consiste, non à divertir, mais à servir. À qui ce service doit-il bénéficier ? À une élite éclairée, pas aux masses. Si l’on songe aux grandes œuvres de Klimt répondant à des commandes publiques (les fresques dédiées à la « Médecine », à la « Philosophie », à la « Jurisprudence », ou aussi les frises consacrées à Beethoven pour les célébrations de l’année 1902), on constate que l’intention ultime de Klimt est d’ordre civilisateur. Très éloigné de l’hédonisme auquel on tend à le réduire, le message de Klimt est celui du rassembleur d’une avant-garde ; si celle-ci ne vise pas à transformer le monde, elle a du moins pour objectif de transformer l’aspect de la capitale de l’Empire, d’en faire le modèle de la cité future. Klimt, peintre engagé ? L’épithète paraît bien exagérée. Elle l’est moins si l’on consent à nuancer ce terme en le replaçant dans le contexte de l’époque. Certes, ce serait faire fausse route que de vouloir lui donner une signification politique : c’est bien plutôt pour une compréhension toute nouvelle de l’humain, de sa subjectivité, de son vécu le plus charnel, que militent les grandes réalisations de ce peintre ; à travers la représentation de quelques individus, c’est une forme d’action inédite qui s’affirme chez Klimt : celle d’une efficacité sociale par les seuls moyens de l’art, d’une transformation aboutissant, non par le travail critique, mais par la rencontre établie avec les forces vives de la société. Cette œuvre qui nous séduit aujourd’hui par son apparente légèreté recèle une profondeur qui n’échappait pas à ses contemporains ; elle possède le secret de ce qu’Hofmannsthal, sans deviner encore que sa formule s’appliquerait aussi bien à Klimt, qualifiait d’« art de l’arrière-plan ». Le mouvement expressionniste dira avec des clameurs ce que le génie du Viennois sait exprimer par le silence : la nécessité de prendre part à la vie présente, de dessiner les linéaments de l’avenir, d’annoncer avec force les aspirations de l’humanité tout en s’enracinant en une communauté, de s’en faire le porte-parole, même le guide :

« Le poète ne rêve plus dans sa baie.
Sa tête se dresse pour accompagner des peuples.
Il en sera le guide. Il annoncera l’avenir.
La flamme de sa parole sera musique1. »

5Est-ce vouloir concilier l’inconciliable ? L’audace de ce mouvement, sa démesure peut-être, fut de vouloir ignorer des contradictions apparemment insurmontables. La prudence s’impose aujourd’hui quand vient l’heure d’en tirer le bilan ; combien de fois l’a-t-on fait déjà, au cours du dernier siècle ! Mais jamais dans des conditions objectives : sous forme de procès toujours, procès aux allures de règlements de compte. Le recul dont on dispose désormais devrait permettre une appréciation plus sereine.

De la solitude au social : délivrance et salut de l’artiste

6C’est délibérément, sans y être aucunement poussé par une quelconque nécessité, que le jeune Hofmannsthal se met à la recherche d’une scène plus vaste que celle de la poésie et du drame lyrique. Dès l’adolescence, il avait été choyé par l’aristocratie et l’élite intellectuelle viennoise, et fêté comme le Rimbaud de l’Autriche. Mais son style s’apparentait davantage à l’esthétisme d’Oscar Wilde : magie verbale sur fond de symbolisme, tout cela dans la plus grande légèreté, à l’opposé de la méthode allemande encombrée de son bagage philosophique. Vienne tient, avec lui, un petit Mozart de la poésie ; elle peut célébrer une nouvelle fois les noces de l’individu génial et de la belle apparence, reconnaître en lui le magicien qui,

« Se baissant, ramenait à la surface le trésor des profondeurs.
[…]
Les filets d’eau de la source devenaient dans ses doigts
D’énormes opalines qui retombaient dans un tintement,
En décrivant de larges anneaux2. »

7Klimt ne tardera pas à livrer, dans son univers de pierreries et de formes ondoyantes, l’équivalent pictural de ce « Rêve de grande magie ». Une bienveillante Destinée semble offrir ici une harmonie sans ombre. Est-il encore besoin d’avoir un quelconque souci du « social » ? Cependant, si l’on y prête attention, cette harmonie procède moins des affaires humaines que d’une configuration plus vaste, étendue aux dimensions de l’univers :

«  il tutoyait si familièrement
Les jours qui nous paraissaient entièrement révolus,
Que ceux-ci revenaient, mélancoliques et majestueux :
[…]
Rien n’était pour lui lointain ou proche, grand ou petit.
[…]
Il éprouvait délicieusement le grand cheminement de toute vie3. »

8C’est de cette expérience-là que la poésie d’Hofmannsthal entend rendre compte ; c’est d’une plénitude, d’une épreuve de la Totalité ; il s’en veut le traducteur, voire le « magicien ». Mais que vienne à manquer cette confiance dans le pouvoir des mots, dans l’évidence des symboles, et tout le charme se rompt, tout s’effondre. Or cette rupture, Hofmannsthal en fait la terrible épreuve à l’exact tournant du siècle : et soudain c’est, non seulement l’écriture poétique, mais aussi la capacité à décrire les situations les plus élémentaires de l’existence, qui fuient de tout son être et le rendent, pour longtemps, inapte à toute activité sociale. Non pas qu’il ait, à l’exemple de son aîné Friedrich Rückert, « été dépossédé du monde », qu’il ait perdu contact avec les réalités ; les plus humbles d’entre elles gardent toute leur intensité, celle-ci tend même à s’accroître, devenant par là une menace pour le sentiment de son identité propre ; il désigne cette sensation d’une formule, c’est une « excessive sympathie universelle » (« zuviel Weltfrömmigkeit »). Cependant c’est le fait de traduire en mots les réalités qu’il éprouve comme une aliénation ; son intégrité physique elle-même est mise en péril par ces sonorités abstraites qui se referment sur lui comme un piège ; images et métaphores sont alors un cabinet aux miroirs dont il ne parvient plus à s’échapper ; son art poétique est devenu sa prison :

« Tant d’aimables lèvres sur lesquelles jamais
Je n’ai aspiré de l’existence l’authentique nectar
[…]
Si parmi toutes les offrandes de la nature
Il m’arrivait d’éprouver une émotion, un souffle,
Aussitôt mon esprit trop prompt, incapable d’oubli,
Trop vif à désigner, lui donnait un nom.
Et quand par milliers venaient les comparaisons,
C’en était fait de l’innocence, c’en était fait du bonheur4. »

9Un paroxysme de cette crise est atteint à l’exact tournant du siècle ; Hofmannsthal en fait la description près de deux années plus tard dans un texte bref, devenu célèbre sous le titre de La lettre de Lord Chandos5. Lettre qui marque la fin d’une période : plus jamais Hofmannsthal ne composera de poésie ; se ressaisissant peu à peu, il va consacrer tous ses efforts à écrire des nouvelles, des drames, s’essayera à la rédaction d’un roman au titre évocateur, Andreas ou ceux qui sont réunis, sans pouvoir en venir à bout.

10Dans le paysage riche et complexe de la culture austro-hongroise de l’époque, l’œuvre d’Hofmannsthal constitue un point de repère : elle désigne le lieu de l’art comme région médiane entre, d’une part, l’expérience d’une unité universelle indicible, et de l’autre, le cours ordinaire, non-créateur, des affaires humaines. L’unité vécue – celle des Romantiques allemands, mais plus largement, celle de toute expérience mystique – lui apparaît, une fois la crise passée, comme un redoutable mirage, parfois même comme une pure construction de son imagination ; mais, d’un autre côté, renoncer à toute forme d’art lui semble une démission, voire une trahison. Trahison envers ses contemporains comme envers son talent propre : Hofmannsthal ne séparera plus désormais l’écriture artistique d’une éthique, et il concevra cette dernière comme le seul moyen de préserver une unité culturelle gravement menacée.

11Pour caractéristique qu’elle soit de l’évolution d’une certaine « Modernité viennoise », la démarche de l’auteur du Chevalier à la Rose et de La Femme sans ombre ne convainc pas tous ses contemporains. Elle est notamment contestée par Rilke, avec lequel Hofmannsthal entretient une correspondance suivie sur les sujets traitant de la condition poétique. Bien des choses les rapprochent : ils partagent une égale aversion pour toute forme d’art naturaliste, et plus généralement pour toute littérature abordant les problèmes politiques ou sociaux : « L’art ne doit pas servir des fins politiques, sous peine de s’abaisser jusqu’au journalisme », déclarait, dès 1898, le jeune Rilke lors d’une conférence6 ; chacun d’eux répugne également à toute forme de didactisme. Et pourtant, ils sont tous deux convaincus que le poète a une « mission » à accomplir : « L’art n’est pas une fin, mais un moyen7 », prononce Rilke avec force dans la même intervention publique. Leur divergence sérieuse ne commence que sur la manière d’exercer cette mission, et avec l’attachement d’Hofmannsthal à la notion de « social » ; Rilke voit une faiblesse grave dans ce refus de trancher les liens avec l’opinion ; c’est selon lui se destiner à une œuvre médiocre que de se soumettre à la loi du « monde ». La « mission poétique » ? Pour l’auteur du Livre de la vie monastique, elle consiste d’abord à assumer une solitude essentielle. Bien plus que d’accepter cette condition solitaire, il s’agit d’aller jusqu’à fortifier celle-ci ; c’est à la cultiver qu’il faut s’employer, car elle est son premier devoir. L’isolement, l’incompréhension, l’insuccès public ? On connaît sa formule à ce propos : « Le succès n’est jamais que la somme des malentendus qui s’abattent sur une œuvre. » L’infortune, mieux vaut s’en réjouir, car elle montre le vrai chemin de l’art. Rilke va donc célébrer les grands créateurs solitaires, Beethoven, Van Gogh, dont les infirmités mêmes demandent à être considérées comme une chance : folie ou surdité ne sont qu’autant de ruses de la destinée pour les préserver de la sottise des hommes, pour protéger de toute intrusion l’écoute intérieure, guide unique de leur génie. Ou encore son contemporain Rodin, au service duquel Rilke s’est placé, et dont il peut dire sans crainte du paradoxe : « Rodin était seul face à sa gloire. Et celle qui vint l’a rendu peut-être plus solitaire encore8. »

12Bien rares ceux qui sont capables de suivre Rilke dans cette voie d’une séparation aussi radicale entre mission artistique et mission sociale. Hofmannsthal s’écartera progressivement de lui, trouvant dans la production de ses comédies le moyen de réaliser cet autre rêve de Schiller : celui d’une humanité jouant9, faisant, au sein de l’espace ludique, la découverte de son unité. Solution fragile, semble-t-il ; intervenant trop tard sans doute face à l’ampleur des conflits.

Engagement humain ou engagement par l’œuvre ?

13Car le cours de l’Histoire va s’accélérant, et tandis que les deux poètes se tiennent à l’écart ou hésitent sur le seuil, leurs cadets nés dans la décennie de 1880 se laissent entraîner dans ses remous. La nouvelle génération, à Vienne et plus encore à Dresde ou à Berlin, se trouve au centre de multiples foyers de tensions, d’ordre politique, social et culturel.

14Politiquement, elle ne peut rester insensible à l’autoritarisme grandissant des régimes, dont les gouvernements ne se maintiennent que par la censure et l’oppression. L’expression artistique souffre directement du poids des Académies ; c’est le pouvoir des générations anciennes qui s’y exerce, et le motif, si répandu dans tous les domaines d’expression, de la révolte des fils contre les pères, illustre un fait de société. À l’autoritarisme s’ajoute cet autre mal caractéristique des sociétés gravement inégalitaires : inégalité entre les citoyens, mais aussi entre les sexes, dont les œuvres majeures, notamment celles de Frank Wedekind ou d’Alban Berg, portent l’inoubliable témoignage. Ce n’est pas un hasard si le mouvement expressionniste comporte comme leitmotiv la reconnaissance d’universelle humanité de tout être humain. Cette revendication s’est heurtée au mépris et au sarcasme du mouvement Dada (dont les protagonistes, souvent issus de l’Expressionnisme, règlent avec lui des comptes obscurs), qui en pourfend le caractère idéaliste et illusoire : comme cette égalité était pourtant loin d’être acquise, en son principe même ! Cependant il y a plus urgent encore : les rivalités impérialistes voient grandir les risques d’une guerre, surtout après la crise du Maroc en 1907, et dès lors l’autoritarisme des régimes, particulièrement celui de la Prusse, se durcit.

15Socialement, l’essor du capitalisme a bouleversé les pays en profondeur : les populations subissent une mutation sans précédent, passant en quelques décennies d’un mode de vie rural à une prolétarisation urbaine dans les conditions les plus sauvages. C’est peu de dire, avec Hofmannsthal, que les « liens » humains se disloquent : ils se rompent, les masses ouvrières ne formant plus qu’un troupeau que de nouveaux bergers, dirigeants des partis sociaux-démocrates et leaders syndicaux, contiennent à grand-peine.

16« Terre sans lien ! !10 » soupire Paul Klee dans son Journal, et l’on reste frappé par la lucidité d’un observateur étranger à ces bouleversements, et de ce cri de détresse poussé par un artiste que protège sa citoyenneté helvétique. Exprime-t-il une mélancolie toute personnelle ? Pourtant, il résume si bien le sentiment universel d’une perte de sens qu’on ne peut le croire complètement fortuit.

17La génération qui parvient, aux environs de 1910, à l’âge d’exercer des responsabilités, est pourtant largement maintenue à l’état de minorité. Aussi n’a-t-elle que confusément le sens de l’action à accomplir. « Pourquoi n’y a-t-il pas de Révolution ? », s’exclame Georg Heym, « je bous de colère dans cette époque prête à éclater de folie11. » À quoi fait écho le poète Ludwig Rubiner : « Nous n’attendrons pas davantage. Nous ne le supporterons pas plus longtemps […] Notre seul bonheur, c’est la puissance morale (l’unique !) de ce qui est destructif12. » Mais ce ne sont là qu’accès de révolte, sporadiques bien que passablement répandus. Très rares en effet sont les artistes ou les écrivains qui rejoignent le parti social-démocrate, principale force d’opposition (la Révolution figure-t-elle d’ailleurs à son programme ? Rien n’est moins sûr, à en juger d’après l’évolution de la IIe Internationale Ouvrière ; celle-ci s’est plutôt fixé pour objectif d’investir les institutions de la bourgeoisie). Leurs affinités les portent bien plus vers la foule des exclus et des marginaux que vers les troupes du prolétariat, ou plus rarement vers le parti libéral, vestige des révolutions de 1848 ; le travail critique qui s’exerce dans la mouvance de ce dernier se fait sous la plume de quelques écrivains de renom, tels Heinrich Mann en Allemagne, Arthur Schnitzler en Autriche, ou à travers quelques revues, animées par Karl Kraus (Die Fackel), Herwarth Walden (Der Sturm), Franz Pfemfert (Die Aktion – celle-ci étant la seule à mériter le qualificatif de « revue engagée » au sens contemporain de ce terme).

18Mais tout ceci ne pèse pas grand poids ; comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement ? En dépit de quelques pulsions de révolte, il reste difficile d’exercer une critique méthodique au sein d’un régime impérial où toute contestation se voit affublée du qualificatif honteux d’« esprit de dénigrement ». Cela ne laisse alors guère d’autre choix que de se réfugier dans l’espérance folle, suicidaire, d’une conflagration armée, dont on pressent l’imminence, et qui viendrait balayer le vieux monde (cette illusion a été largement répandue) ou d’employer dès à présent toute son énergie à construire, au sein d’une civilisation que l’on condamne, des cellules d’une société meilleure13.

L’empathie au service de l’utopie

19Édifier plutôt que détruire, construire plutôt que critiquer : telle pourrait être la devise qu’en s’inspirant de Marx visant l’idéologie allemande, on pourrait appliquer à la vie artistique de ce début de siècle. Un souci, secret ou inconscient, de dépasser les contradictions, de réunir des forces antagonistes, d’obliger à se rejoindre ce qui ne demanderait qu’à diverger, habite tous les esprits créateurs14. Ce qui explique un désir constant de se rassembler, de constituer des groupes, qui ponctue la vie intellectuelle et artistique allemande depuis le Romantisme. Projet d’un « symphilosophieren », synthèse entre poésie et philosophie, issu de l’étroite amitié de Novalis et des frères Schlegel ; mouvement des Nazaréens ; rêves d’un collectif philosophique chez le jeune Nietzsche pendant ses années au Gymnase, groupe des peintres de Worpswede, association de Darmstadt vers la fin du XIXe siècle ; enfin, plus près de nous, groupes « Die Brücke » et du « Blauer Reiter ». Klimt lui-même nous offre, dans nombre de ses œuvres, la représentation symbolique de cette préoccupation de rassemblement et de collaboration des forces divergentes : arts mineurs, arts appliqués et arts libéraux sont conviés à unir leurs contributions en vue de l’œuvre nouvelle. Ainsi, une Pallas Athéné fait allusion au travail du cuivre par les motifs de son armure ; le cuivre témoigne d’une présence effective sur le cadre épais qui enserre le portrait de la déesse ; est-il besoin d’insister sur l’importance des arts décoratifs tels que la joaillerie, la bijouterie, la tapisserie, sur ses Judith I et II, sur son Portrait d’Adèle Bloch-Bauer ou sur Le Baiser ? N’évoquons que pour mémoire les fresques dédiées à Beethoven, qui réinscrivent l’art pictural dans un ensemble mural et architectural. C’est, en filigrane, l’ambition de l’Œuvre totale, initiée par Richard Wagner et dont rêvera à son tour Kandinsky, que l’on devine chez le magicien viennois.

20Simple métaphore que ces allusions et citations ? La recherche d’un geste impliquant une collectivité, la réalisation d’un chef-d’œuvre pluriel est au contraire déjà bien aménagée : la Wiener Werkstätte, (ces « ateliers viennois ») réunit tous les corps de métiers autour de jeunes architectes, Klimt lui-même y dessine des robes, ses disciples Kokoschka et Schiele y travaillent tantôt pour la mode, tantôt à la confection d’un livre tel que les Garçons Rêveurs15, dans lequel Kokoschka joue de son double talent de conteur et de dessinateur-graveur. Soulignons qu’à travers tous ces ouvrages se manifeste la solidarité entre tous les arts : dépassée, en théorie du moins, la hiérarchie entre art et artisanat ; chacun prend sa place dans l’œuvre collective. On voit se profiler à l’horizon le Bauhaus, cette « maison du bâtir » chère à Gropius, se donnant pour emblème, lors de sa fondation en 1919, la « Cathédrale du Socialisme » gravée par Lionel Feininger. Éloquent symbole ! À croire que le mouvement expressionniste débouchait tout naturellement, une fois passée l’atroce parenthèse de la Grande Guerre, vers ce qui constituait son essence : la démonstration vivante du caractère collectif de l’art ; et que, cette essence s’étant révélée, cet art allait constituer le modèle de toute société future.

21Pourtant, c’est aller trop vite en besogne. Dans les formes si épurées, dans la géométrie si fière et les façades si muettes qui constituent le « style Bauhaus », dans cet hymne à la gloire d’un corps-machine, ce n’est pas le pathos expressionniste que l’on retrouve, mais bien plutôt l’aboutissement du patient travail de quelques architectes, initiateurs de la pensée fonctionnaliste. Ceux-là fustigeaient la Wiener Werkstätte, condamnant son goût pour l’art décoratif, exigeant la vérité de la « fonction », qui imposerait spontanément sa « forme » au « matériau », en une implacable trinité. Dans son pamphlet L’Ornement, un crime, Adolf Loos leur avait ouvert la voie. Les architectes et les ingénieurs réunis sous la bannière du Werkbund (Alliance des métiers du Bâtiment) allaient dessiner le paysage urbain du XXe siècle ; ils sont l’incarnation d’un souci de synthèse inscrit depuis fort longtemps dans la pensée et l’art allemands.

22Ce mécanisme de la dialectique allemande, où les termes d’un conflit se dépassent pour donner naissance à une harmonie supérieure, est bien connu. L’harmonie, en l’occurrence, n’est autre que cette « fonction » appelée à résoudre le conflit des volontés humaines et des nécessités matérielles ; en elle, une « forme », débarrassée des scories de la subjectivité, donne le spectacle d’une société apaisée. Tel est le projet ; on devine qu’il recèle, longtemps avant l’invention du concept de « post-modernité », l’ambition de congédier l’Histoire. L’humain, son aventure collective ou singulière, sa dimension vitale et imprévisible, n’est plus qu’un accident négligeable ; il doit s’effacer devant la Fonction, réalisation visible des volontés convergentes. Le Bauhaus, exécuteur testamentaire du Werkbund, évacue discrètement, sans scandale, notre part subjective et corporelle. Il compte dans ses rangs nombre d’artistes expressionnistes de premier plan, et pourtant se fait le fossoyeur de ce mouvement.

23Pareille volte-face ne peut manquer de nous surprendre. « C’est dans ce qu’il y a de plus individuel que réside la puissance16 », avait noté Hofmannsthal. L’Expressionnisme semble lui obéir et porter jusqu’à ses ultimes conséquences cette intuition, dans sa glorification effrénée de la subjectivité, y compris en sa dimension la plus charnelle. La moindre gravure de Kirchner ou de Heckel n’annonce-t-elle pas, longtemps avant qu’Ernst Bloch en livre la formule, une foi inébranlable en la puissance du Moi : « Je suis là pour créer17 » ? La méditation sur le corps, sur ses secrets et ses trésors, sur sa capacité à changer la vie, semble le fil rouge de cette première décennie du siècle artistique. Chez Klimt, ce corps expose ses grâces, en toute impudeur sinon en toute innocence ; s’il fait scandale, c’est parce qu’il ose nommer le désir, ouvrant ainsi la boîte de Pandore. Chez les jeunes peintres du groupe « Die Brücke », le corps se fait héroïque, célébrant son union avec la Nature ; en un bref moment de défi envers la société, il s’affirme capable de conquérir un nouvel Éden. Mais, à Dresde ou sur les îles de la Baltique comme à Vienne, c’est un corps dans sa relation, réelle ou virtuelle, avec d’autres corps, qui est interrogé, c’est l’essence d’un lien organique sans détour par l’intellect qui fait l’objet de toute l’attention. Dans certaines œuvres de Klimt, un personnage central – féminin le plus souvent – est entouré d’un groupe nombreux, ou plutôt d’une masse confuse constituée de fragments, visages, membres, seins, croupes ; tout cela demeure plongé en un demi-sommeil, béatitude ou inconscience, accompagnant de sa présence silencieuse le héros dans son destin. Comment ne pas songer alors à ce vers d’Hofmannsthal, sous la dictée duquel Klimt semble avoir peint ses motifs :

« Il ressentait comme en un rêve la destinée de tous les humains
Comme s’il s’agissait là de ses propres membres18. »

24Chez Kirchner, chez Heckel ou Schmitt-Rottluff, c’est très ouvertement l’innocence d’une communauté primitive qui s’étale sous nos yeux ; sur la plage ou en forêt, elle défie les mœurs d’une société fondée sur le secret et le repli dans la sphère privée. Mais de ces mises en scène se dégage une problématique commune : la mission de l’art consiste à définir ce lien, cette interdépendance charnelle entre tous les êtres. L’artiste est leur porte-parole : « Je peins la lumière qui émane de tous les corps19 », écrit Egon Schiele. Le poète Ludwig Rubiner est plus explicite : « Ce qui importe, c’est de retourner les énergies […]. L’intensité […] ne naît que de la libération des forces psychiques. Traduction d’images intérieures en faits publics. Des lignes de forces apparaissent au grand jour, des coulisses sont mises à bas, des espaces deviennent visibles, la place est faite pour de nouveaux séjours de la pensée. » Affirmer cela, c’est demander à la peinture, ou à l’art en général, bien davantage que de représenter ou de décrire. C’est contribuer à l’identification d’une communauté, c’est, à l’exemple du théâtre antique, prendre la place du héros en lequel s’expriment les craintes et les espoirs de tout un peuple. Et c’est en effet ce modèle tragique que va reproduire, dans son évolution, le courant expressionniste : si les peintures d’Egon Schiele abondent en représentations érotiques, elles ne sont pas avares non plus de corps martyrs, de Saint-Sébastien, comme si l’extase et l’immolation n’étaient séparées que par une mince frontière. Ce que nous confirme la lecture des écrits autobiographiques et des quelques poèmes laissés par Schiele, qui fourmillent d’étranges allusions à son naturel « généreux » : « Parmi tous ceux qui donnent, je suis celui qui donne le plus20 », tel est leur leitmotiv. Rien de surprenant, à bien y regarder : il ne fait ici que donner la réplique à son condisciple Kokoschka, qui, dans nombre de portraits et doubles portraits, voire jusque dans l’extrême provocation qu’est Meurtrier, espoir des femmes, s’est figuré tantôt en écorché vif, tantôt la poitrine marquée des stigmates de l’humaine souffrance. S’il est bourreau, c’est qu’il est d’abord martyr : il faut bien que quelqu’un consente à prendre sur soi la Faute, se charge des péchés des hommes. Dès lors se révèle à nos yeux la permanence d’une méthode de composition propre à l’Expressionnisme pictural21 : l’ancienne perspective, déjà mise à mal par Cézanne, cède maintenant la place à un système de diagonales qui se croisent au milieu de la toile. Le tableau devient ainsi le théâtre d’une intensité encore inconnue, il n’est plus qu’un jeu de forces cherchant au centre le lieu de leur convergence ; le cœur de la toile devient un foyer d’où émanent les énergies, de sorte que la peinture cesse d’être un territoire d’événements placés selon un ordre hiérarchique ; en elles viennent communier d’innombrables nécessités, rassemblées par une figure centrale qui peut prendre forme humaine ou n’être qu’un objet ou une simple couleur.

Vision et Voix

« O lumière en l’homme […]
Dans les villes des voix prennent leur envol
Pareilles à des javelots d’argent.[…]
L’homme de lumière a poussé le cri de sa voix22. »

25C’est donc depuis ce point d’incandescence que l’Expressionnisme nous regarde. Cet art a-t-il fêté l’avènement du corps, ou au contraire son sacrifice ? Les deux extrêmes semblent se conjuguer en lui. Nous ne serons donc nullement surpris si, au paroxysme de ce don de soi, ce corps se manifeste comme une simple voix, comme le laissent deviner quelques écrits d’Egon Schiele, ainsi que la production poétique plus riche de Kokoschka, ou encore cette énigmatique composition scénique de Kandinsky qu’est La Sonorité jaune. Mais c’est surtout à travers la multitude de poèmes rassemblés dans l’anthologie Crépuscule de l’Humanité que se manifeste, dans toute son amplitude, une vocalité. La Voix, de Ludwig Rubiner, en donne un exemple des plus saisissants :

« Ô bouche qui se met à parler, s’élançant en impulsions diaphanes
Au-dessus de la voûte des océans. […]
Ô bouches, par lesquelles jaillit dans sa flamme la voix de l’Humain ! […]
Ô bouche, rondeur résonnante d’un portail, écho et jubilation, chœur d’un peuple…23 »

26Bien plus qu’un ensemble de textes, cette anthologie nous restitue en effet une voix, et c’est elle qui, inlassablement nommée par une cohorte d’auteurs, constitue l’originalité de ce volume. Elle est, certes, porteuse d’un message : message de fraternité, d’universelle reconnaissance, de dignité de tout ce qu’une société d’oppression et – déjà – d’utilitarisme cynique s’occupe à exclure ou à ignorer :

Une voix qui va s’élève vers d’autres voix,
Des amis retournent le désert en bonheur24. »

27Mais peut-on réduire ce message à un programme, ou même à une harangue ? On chercherait en vain à en extraire la rationalité ; il tient en la présence de cette voix, où s’expose, en un ultime geste de don, le corps de l’artiste transfiguré en poète, et qui doit suffire à transformer les ténèbres en lumière :

« S’échappant de nos lourdes lèvres,
Immortel portail sombre et voilé,
Se glisse, pour convertir le monde, le souffle divin25. »

Prophéties par le Verbe, prophéties par le silence

28On demeure frappé de la cohérence d’une trajectoire : en dépit de tout ce qui différencie, voire oppose la Modernité viennoise et l’Expressionnisme, il n’y a nulle rupture, mais bien une progression régulière, depuis Hugo von Hofmannsthal définissant le poète comme « le frère silencieux de toutes choses26 » jusqu’au puissant cantique de la Fraternité qu’entonnent, unanimes, les jeunes auteurs du Crépuscule de l’Humanité. Leur optimisme chaleureux, leur énergie communicative conserve, pour les oreilles désenchantées que sont les nôtres, leur force de conviction. Avec Hofmannsthal, ils ont en commun jusqu’à leur secrète faiblesse : à savoir la mauvaise conscience d’être des élus, au point de ne pouvoir jamais s’acquitter, aux yeux des hommes, des faveurs reçues. Georg Trakl l’avoue en une formule définitive : « Ton poème, une imparfaite expiation27 ». Accéder au social signifiait déjà, pour Hofmannsthal, se fuir soi-même ; à l’automne 1918 et la défaite militaire consommée, les intellectuels et les artistes sont plus nombreux que jamais à vouloir se fondre dans la collectivité, sacrifiant pour cela à l’étrange rite de passage d’une « confession créatrice ». Si certaines d’entre ces confessions restent dans nos mémoires comme des manifestes célèbres, il demeure que leurs auteurs signent par là l’acte de reconnaissance d’une puissance nouvelle ; ils s’en croient les guides ; ils recevront bientôt ses ordres.

29Rilke, quant à lui, nous parle sur un ton différent, lui qui sait concilier humilité et intransigeance envers ces puissances nouvelles. Il aspire, tout comme Hofmannsthal, à une forme d’invisibilité telle qu’il ne serait plus que « l’ombre d’une pomme sur une toile de Cézanne28 ». Pourtant l’idée d’une quelconque faute ne l’effleure pas. Aussi ce qu’il nomme son « labeur » n’a-t-il rien d’une « réparation », il s’apparenterait plutôt, chez celui qui s’est comme retiré de l’Histoire, à un patient travail du négatif. Rilke, indifférent au sort de ses congénères ? Il trouve tout de même la force, dans le déclin et la maladie, de prononcer ce vœu :

« Il serait temps à présent que de toutes choses habitées
Sortent des dieux…
Et que de ma demeure ils abattent toutes les cloisons. […]
Ô dieux, dieux !
Vous qui êtes venus tant de fois, qui dormez dans les choses,
Qui vous éveillez sereins […],
Et qui en toute légèreté ajoutez votre fraîcheur
À ce qui semble si plein, à notre vie si pleine.
Vous les dieux, que vienne à nouveau votre matin29. »

30Aucune ressemblance, il va sans dire, entre ces divinités et les anciens dieux de censure, d’interdit et de colère, dont les fantômes reviennent hanter un siècle morbide et sans boussole.

Notes   

1  Walter Hasenclever, Der politische Dichter, in Kurt Pinthus édit., Le Crépuscule de l’Humanité (Menschheitsdämmerung), Hambourg, Rowohlt, 1959, p. 216 (première édition Berlin, 1920). Les extraits traduits de l’allemand dans cet article le sont par mes soins. G.B.

2  Hugo von Hofmannsthal, « Ein Traum von grosser Magie », in Gesammelte Werke, Gedichte Dramen I, Francfort, Fischer, 1979, p. 24 (première édition : 1911).

3  Ibid., p. 25.

4 Der Tor und der Tod, op. cit., p. 283.

5 In H. von Hofmannsthal, Erzählungen Erfundene Gespräche und Briefe Reisen, G. W., op. cit., p. 461 et suiv.

6 In R. M.Rilke, Vortrag, gehalten 1898 in Prag, G. W. Tome V, p. 365.

7  Ibid.

8  Op. cit., p. 141.

9  C’est la thèse soutenue par Friedrich Schiller dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (1795).

10  P. Klee, in Tagebuch 1914, Cologne, Dumont, 1980, p. 87.

11  G. Heym, Tagebuch 1911.

12  In Paul Raabe édit., Ich schneide die Zeit aus, Franz Pfemferts « Aktion », Munich, DTV, 1964, p. 67.

13  Il y aurait lieu de mentionner ici l’œuvre de la communauté d’Ascona ou celle de l’architecte Bruno Taut, héritier du mouvement des cités-jardins, plus tard fondateur du groupe « Die Gläserne Kette » (la Chaîne de Verre). Ne pouvant aborder ces sujets dans le cadre de cet article, je renvoie à : Georges Bloess, Peinture et poésie expressionnistes : manifestes pour une subjectivité créatrice, Paris-Saint-Denis, Suger, 1999.

14  Le poète Ludwig Rubiner invente pour les désigner ce qualificatif péjoratif : ce sont les « synthètes », dans un article publié dans Die Aktion en mai 1912 (op. cit., p. 67).

15  Paru en 1908. Rappelons que de nombreuses reproductions des gravures contenues dans ce volume figurent dans le catalogue de l’exposition Klimt Kokoschka Schiele Moser au musée du Grand-Palais, Paris, automne 2005.

16  Hugo von Hofmannsthal, Andreas oder die Vereinigten, Francfort, Fischer, 1961, p. 141.

17  Ernst Bloch, Geist der Utopie, Francfort, Suhrkamp, 1964, p. 210 (prem. édit. 1919).

18 Op. cit., p. 25.

19 In Christian Nebehay, Egon Schiele Leben Briefe Gedichte Dokumente, Vienne, Residenz, 1979, p. 182.

20  Ibid.

21  Cf sur ce point Georges Bloess, Peinture et poésie expressionnistes : manifestes pour une subjectivité créatrice, Paris-Saint-Denis, Suger, 1999.

22  Le Crépuscule de l’Humanité, op. cit., p. 234.

23 Ibid., p. 235.

24  Alfred Wolfenstein, Chor, ibid., p. 237.

25  Franz Werfel, Lächeln Atmen Schreiten, ibid., p. 290.

26  Hugo von Hofmannsthal, Der Dichter und diese Zeit (1907), G. W. Prosa II, Francfort, 1959, p. 242/43.

27  Extrait d’une lettre de Georg Trakl à son éditeur, cité dans l’introduction de G. T., Poèmes Majeurs, Paris, Aubier, 1993.

28  Cf. Das Testament, Francfort, Suhrkamp, 1975.

29 Jetzt wäre es Zeit (1925), in Rilke, Gedichte, eine Auswahl, Stuttgart, Reclam, 1959, p. 70.

Citation   

Georges Bloess, «Entre engagement, empathie, prophétie : l’œuvre d’art selon l’Expressionnisme», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, La société dans l’écriture musicale, mis à  jour le : 26/05/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=131.

Auteur   

Georges Bloess