Logo du site de la Revue d'informatique musicale - RFIM - MSH Paris Nord

L’exception culturelle » dans le spectacle vivant à l’épreuve du confinement : symptômes et alternatives

Titiane Barthel
décembre 2023

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.1446

Résumés   

Résumé

Qu’est-ce que la mise à l’arrêt du secteur culturel au moment des confinements nous dit du statut particulier des travailleur·euses de l’art ? À partir de constats de chercheur·euses, d’artistes et d’entretiens avec des acteur·rices du secteur du spectacle vivant pendant le confinement, cet article se propose d’interroger ce que cette mise à l’arrêt forcée révèle d’une « exception culturelle » pensée tout autant que subie par les travailleur·euses culturel·les dans leur lien au service public. En retraçant les liens entre institution et artistes dans l’injonction à la productivité au-delà du cadre de l’emploi, cet article tend à montrer les grandes différences révélées par une période de crise dans les manières de se vivre à la fois idéologiquement comme créateur·ices mais aussi socialement comme travailleur·euses et comme intermittent·es. C’est enfin aussi un moment de réalisation des pistes de solutions qui puissent ramener ce secteur du spectacle vivant vers davantage de commun.

Abstract

What does the closure of theatres during lockdown tell us about the conditions of public sector workers in the performing arts? This article shows how the unprecedented events of 2020 resulted in a shift of perspective from cultural workers and self- or state-imposed productivity to a decision of “productive withdrawing”. Through the multiple responses to the complete shutdown, it identifies an ideological and social self-conception of these public sector workers as both creators and casual workers. These circumstances also became an opportunity to imagine and propose new ways of making culture in common.

Index   

Index de mots-clés : Création, Spectacle vivant, Confinement, Exception.

Texte intégral   

1.Introduction

1Cet article a été rédigé en 2020, pendant la pandémie de la Covid-19, au moment où l’industrie culturelle était à l’arrêt. Certains éléments ont été repris a posteriori et prolongés jusqu’en 2021 pour permettre d’évoquer également l’engagement des intermittent·es à la sortie du confinement.

2En 2020, le secteur culturel est confronté à une crise majeure : le(s) confinement(s) sanitaire(s) décidé(s) par le gouvernement d’Emmanuel Macron en réponse à la pandémie mondiale de la Covid-19, de mars à mai 2020, et de novembre à décembre 2020. Face à cette situation inédite de mise à l’arrêt, les réponses étatiques, institutionnelles et individuelles sont profondément symptomatiques d’un esprit et d’une économie du spectacle vivant qui le régissent en profondeur. En est ressortie une problématique structurant la construction historique du statut d’artiste en France : celle de sa place sociale, définie par son rapport à l’emploi et/ou au travail, et donc son rapport à l’État, en tant que travailleur·euse du service public.

3Cet article cherche à interroger ce que la mise à l’arrêt que constitue un confinement pour le secteur du spectacle vivant dit de la réalité, des nécessités et des forces politiques et idéologiques à l’œuvre dans la conception actuelle des travailleur·euses culturel·les, à la fois par eux·elles-mêmes et par l’État. Par « exception culturelle », on entend la manière que peuvent avoir ces travailleur·euses, ou que peut avoir à leur encontre un regard institutionnel, à se ou à les définir comme un corps social à part, avec, par conséquent, une définition propre de son activité, de sa nécessité ou de son rôle par comparaison avec d’autres secteurs. Et cela se traduit principalement par le rapport qu’entretiennent les travailleur·euses de l’art à la question de leur emploi et de leur productivité. Quelle présence artistique a pris place dans les espaces disponibles de ces périodes de confinement ? Quels nouveaux horizons cette activité ou non-activité a-t-elle ouverts ? Au terme de travailleur·euse culturel·le, nous donnons une double définition : à la fois celle de l’emploi, donc d’une activité rétribuée, de ceux et celles qui vivent et sont payé·es pour le travail qu’ils et elles fournissent en tant qu’artistes ou technicien·nes, intermittent·es, permanent·es ou indépendant·es ; mais aussi celle du travail, en tant qu’activité productive, parfois non rémunérée ou dépassant le cadre de sa rémunération. En effet, dans ce cas particulier, ces deux termes, de travail et d’emploi, ne sont pas toujours impliqués l’un avec l’autre et c’est ce décalage qui permet d’interroger le rapport à la productivité de ces travailleur·euses.

4Cet article se fonde sur une réalité française du spectacle vivant en faisant notamment appel à des entretiens réalisés avec différent·es travailleur·euses du secteur du spectacle vivant, aux statuts et aux réalités différentes.

5Cela passera par l’examen de l’étoffe des liens entre les artistes et l’État apparus pendant ce coup d’arrêt qu’a constitué le confinement, mais aussi de la multiplicité des réactions personnelles et artistiques, et enfin de la piste des solutions nées du trop-plein de cette situation politique et sanitaire.

2. Les liens entre les artistes et l’État lors du confinement

2.1 Contextualisation : artistes et politiques en France

6Il s’agit dans un premier temps de repréciser rapidement les jalons les plus récents de l’idée d’un spectacle vivant considéré comme un « service public » pour mieux comprendre les tensions entre artistes et État que nous pouvons lire aujourd’hui. Cette idée, déjà évoquée à la fin du xixe siècle chez les fondateur·rices du théâtre populaire1 est institutionnalisée dans l’après-guerre, à l’initiative de Jeanne Laurent, sous-directrice des spectacles et de la musique au ministère de l’Éducation nationale à la Libération. Le théâtre, service public, est notamment le fer de lance d’un Jean Vilar, avec le premier festival d’Avignon en 1947. L’aventure du TNP2 accompagne cette mise en place du service public, consistant avant tout à offrir un soutien étatique aux artistes auparavant principalement dépendant·es du privé, et d’œuvrer à la décentralisation ainsi qu’à la construction d’un véritable théâtre populaire, par opposition à un théâtre jusque-là considéré comme élitiste. À une époque où le public prend le pas sur le privé à d’autres endroits, notamment l’ORTF, le pacte pour Jean Vilar est le suivant :

Décider et faire en sorte que les arts et donc le théâtre, qui, par excellence, est l’art du mouvement et de l’action publique sinon civique, décider que dans tout plan de transformation de telle région, de telle cité industrielle comme dans tout plan national, les arts soient non pas seulement subventionnés mais promus aux rangs les plus hauts et que l’Opéra de Paris est aussi important qu’Orly3.

7Ce seront par la suite les Maisons de la culture de Malraux, les réformes de l’intermittence, le développement des subventions, des conventionnements et des actions culturelles. Sans nier la difficulté de coordonner pouvoir politique et liberté culturelle, Vilar continue toutefois à prôner un geste des artistes allant contre l’État, par ce qu’il appelle le « pouvoir culturel4 ». Très rapidement se pose pourtant cette question de la liberté des artistes, que cela soit contre les logiques d’argent qui émergent progressivement au sein du secteur subventionné, ou dans la construction d’une activité intermittente qui ne justifie pas pour autant la précarité par la liberté de l’emploi. Quelques années après la réouverture du TNP dirigé par Jean Vilar, le problème était déjà très clairement posé par les artistes eux·elles-mêmes :

Nos problèmes ? Il y en a toujours un qui domine tous les autres : le plein-emploi, et il n’a pas de solution, ou plutôt il n’en a qu’une illusoire, hélas, l’État. […] Pour qu’il y ait du travail pour tout le monde, il faut faire cent trente films par an, au moins, multiplier par vingt les crédits de la télévision, modifier profondément le régime économique du théâtre de Paris et de province. Rien de tout cela n’est, hélas, du ressort de notre syndicat mais notre devoir étant de le dire, nous le crions5.

8Aujourd’hui, cette gestion du service public s’est en effet révélée problématique, qu’on la lise à l’échelle des nombreuses grèves des intermittent·es ou à celle de la fermeture des théâtres en temps de confinement. Le confinement en situation de pandémie n’est qu’une difficulté de plus dans un lien qui ne peut être qu’insuffisamment fonctionnel, d’abord par manque d’argent. Cette bascule, d’un État qui place la culture au cœur de sa démarche à un État qui menace régulièrement le 1 % que représente le budget de la culture, est simple et presque brutale :

Jean Vilar est mort, les contestataires de 1968 ont dénoncé la « haute culture », la contre-révolution intellectuelle des années 1980 a mis en doute qu’il existât encore quelque chose comme le peuple et des usines. Reste le nerf de l’argument et de la guerre : le besoin de subventions. C’est pourquoi le scepticisme régnant à l’égard du théâtre populaire doit s’accompagner de l’inévitable démonstration que l’État a pour devoir de subventionner la culture6.

9Si manque d’argent il y a, alors doit s’exercer en permanence une sélection entre le nécessaire et le dispensable, et les artistes luttent aujourd’hui soit pour en être les décisionnaires, soit pour refuser cette concurrence imposée. La difficulté de cette lutte est qu’elle peine à se rassembler et à convoquer une discussion collective et démocratique pour un service public qui, plutôt que de suivre religieusement le « vilarisme7 », doit être en mouvement constant et toujours capable de se réinventer face à une société, elle, profondément différente : « Défendre les services publics, tout autant que se les réapproprier contre l’État et contre le marché dont l’État est le garant, suppose concrètement, démocratiquement, de s’interroger sur ce que peut signifier un “service public de la culture”8. » C’est aussi là la difficulté de la défense d’un service public : il peut vite devenir aussi inégalitaire que la politique publique à laquelle il est lié, par exemple dans une politique de la croissance :

Revendiquer que les arts soient considérés comme aussi utiles à la société que le gaz et l’électricité part certainement de la meilleure intention du monde, et anime d’ailleurs vos propos les plus automatiques, mais il faut dire une bonne fois que cela consiste à les aligner à tout jamais sur la marchandise9.

10À cela s’ajoute la conséquence du statut d’exception sociale de l’artiste : la contradiction interne entre « art de masse » et « haute culture10 », pour un spectacle vivant aujourd’hui souvent accusé d’être trop élitiste.

11Ainsi, quand l’État met en place des mesures face à une pandémie en mars 2020, et au sein d’une mesure aussi drastique que celle du confinement, le service public devient « du sponsoring, pas une artère vitale à la Nation et à sa population11 ». Dans ce contexte, on comprend en quoi la fermeture des salles de spectacles renforce la culture à son endroit de non-priorité et de manque d’argent, face à un impact qui est à la fois économique et culturel. D’une part, nombre de spectacles se voient annulés, réduisant la diversité du champ de la création, et de l’autre, certain·es directeur·rices de lieux publics craignent que ce confinement ne permette d’autres coupes budgétaires au sein des budgets régionaux et départementaux12. Par ailleurs, sous couvert de pandémie, on a pu voir une lutte contre les inégalités faire trois pas en arrière. Par exemple, à Avignon, où le festival 2020 a été complètement annulé, partiellement reprogrammé lors d’une semaine d’art à l’automne (elle-même interrompue par le second confinement), la part des créatrices et metteuses en scène s’est réduite comme peau de chagrin. Des treize créatrices (metteuses en scène, chorégraphes, performeuses) initialement prévues, sur trente-sept spectacles, il n’en reste que deux sur sept spectacles. Au travers de ces dangers qui menacent le spectacle vivant, on peut reconnaître les trois conséquences du service public tel que décrit par Aurélien Catin13 : il manifeste une exception sociale des artistes, qui les sépare de leur public et des autres travailleur·euses, les rend dépendant·es de l’État, ce qui, en fonction de l’État en question peut se révéler très paradoxal. Mais il s’y joue aussi l’extinction de la capacité de « subversion réelle14 », autrement dit, la possibilité des artistes à s’engager politiquement.

12En effet, qu’il s’agisse du journaliste Jean-Marc Adolphe dans son livre au titre éloquent Nuit debout et culture assoupie15, ou Olivier Neveux dans Contre le théâtre politique, le même constat semble émerger sur les dernières années :

Tout est passé sans grands heurts : les baisses de budget, l’inflation bureaucratique, les interventions politiques de municipalités sur les programmations, les empêchements des œuvres causées par des règles de sécurité et le flicage, etc. […] Que s’est-il donc passé pour qu’en quelques décennies le pouvoir politique ait réussi à imposer une telle allégeance aux artistes et aux institutions artistiques ? Qu’il ne soit plus toisé mais craint16 ?

13Malgré l’importance du mouvement Art en grève17 lors des manifestations contre les retraites de 2019, l’accusation demeure vive. Cependant, à partir de mars 2020, des voix politiques se font entendre du côté des travailleur·euses de l’art. Face à cette mise à l’arrêt totale, peu de syndicats ont été aussi actifs sur l’espace virtuel, à défaut de l’espace public, que la CGT Spectacle, par exemple, en reliant toujours dans ses comptes rendus la condition des artistes à celle des autres travailleur·euses également touché·es gravement par la crise. Nous pouvons aussi parler de différenciation des formes d’engagements, et de leurs terrains.

2.2 Un spectacle vivant au service de l’État ?

14Cette difficulté à se situer à la fois dans le combat politique et dans sa propre survivance, n’est cependant pas nécessairement du seul ressort des artistes, mais aussi du fait d’une utilisation du spectacle vivant comme soft power, financé pour être divisé.

15L’État maintient aujourd’hui une exigence envers le service public culturel.

On affirme volontiers des exigences concernant les « effets » (sociaux, éducatifs, économiques…), ce qui évite de préciser quel sens on donne à la culture, et pourquoi et comment elle pourrait avoir ces « effets », et de justifier les raisons d’une telle exigence18,

16écrivait le metteur en scène et directeur du Studio Théâtre d’Alfortville, Christian Benedetti. La place donnée par l’État à la culture dans le coup d’arrêt du confinement oscille cette fois-ci entre la culture d’État, sous forme d’un soft power censé guérir les plaies sociales, et la profonde indifférence économique et discursive. On peut également le voir sous un autre angle : simplement la libéralisation, après celle de l’économie, de l’art lui-même :

Toutes ces initiatives, souvent dérisoires à l’échelle du problème épidémique, contribuent à entretenir le mythe d’une philanthropie privée venant au secours des services publics ruinés – que les philanthropes ont pourtant souvent eux·elles-mêmes contribué à casser en échappant à l’impôt et en apportant un soutien actif aux politiques néolibérales. […] Ce phénomène met ainsi en exergue les liens intrinsèques entre art et libéralisme autoritaire19.

17Dans cet article « “Sauver l’art”. Les rhétoriques de l’art contemporain au service de l’accélération conservatrice20 », Guillaume Maraud tisse un parallèle entre la crise du Covid-19 et la Grande Dépression aux États-Unis. En 1933 et 1935, le gouvernement fédéral américain avait en effet mis en place deux programmes, le PWAP (Public Works of Art Projet) et le WPA (Works Project administration), permettant de rémunérer un petit nombre d’artistes, le tout à la condition que leurs productions artistiques soient mises au service d’un certain nationalisme. Il compare ainsi cette période de l’histoire américaine à la période que nous vivons actuellement, en évoquant les grandes initiatives des maisons de luxe, comme les ventes aux enchères d’œuvres d’art en direction des soignant·es. Dans la réalité, du côté des soignant·es comme des artistes, la prise en charge est bien minime : économiquement, nous le montrerons, mais davantage encore idéologiquement. De l’allocution sur la culture du 6 mai 2020 à celle du déconfinement le 25 novembre 2020, Emmanuel Macron n’aura donné à la culture et aux intermittent·es que la place d’animer « un été apprenant et culturel21 » ou « du temps périscolaire, mais qui sera payé par l’État avec l’Éducation nationale22 », agrémentée de hashtags « #culturecheznous » ou « #nationapprenante ». Or, comme l’évoque Lia, circassienne,

ça, c’est un métier en fait, c’est une branche artistique, elle existait déjà et elle avait déjà du mal à fonctionner dans les écoles parce qu’il n’y avait pas d’argent ! Parce que les écoles et les mairies ne pouvaient pas accueillir des artistes. Et en fait c’est un métier, c’est une écriture particulière de spectacle, sociale presque. C’est un art en soi23.

18L’annoncer comme une mesure inédite semble donc bien ironique, et surtout une manière très superficielle de contourner les conséquences humaines et économiques de ces fermetures des lieux de culture. De la même manière, lors du deuxième confinement, il faudra attendre le discours présidentiel au sujet du déconfinement, le 24 novembre 2020, pour que le mot soit même prononcé, annonçant une réouverture des théâtres plusieurs semaines après celle des églises. La metteuse en scène et marionnettiste Gisèle Vienne, traduisant un sentiment global qui n’ira qu’en grandissant, dira, au lendemain de cette annonce :

Les gens qui nous gouvernent, je ne crois pas que ce sont des gens qui aiment l’art et qui comprennent l’art de ce que je vois. Un mépris pour la diversité, un mépris pour la parité, c’est ça que je vois dans la politique culturelle aujourd’hui. Donc, en fait ces paroles d’hier je ne les crois pas, par contre j’invite le gouvernement à me convaincre et à les mettre en actes réellement24.

19Aucune de ces paroles ou de ces actes n’a, effectivement, traduit la moindre réminiscence de la notion de secteur public sur lequel se sont construits tout un statut et une reconnaissance.

20De plus, on pourrait continuer le parallèle avec les plans de relance de la Grande Dépression évoqués par Guillaume Maraud en insistant sur la prise en compte d’une partie très réduite de la profession, car c’est bien là ce qui s’est joué lors du dévoilement du plan pour la Culture d’Emmanuel Macron du 6 mai 2020 : « Tout en rassurant les intermittents (et eux seuls) sur la prolongation de leurs droits, il a enjoint les artistes à “libérer leur énergie créatrice” et à “enfourcher le tigre”25 ». C’est en effet un sauvetage d’une très petite marge de ce groupe de travailleur·euses qui s’est joué dans ces mesures, excluant encore davantage, économiquement et idéologiquement, de nombreux·euses travailleur·euses du spectacle vivant : on sait par exemple à cet endroit la disparité homme/femme dans les moyens donnés par l’État26. Ces privilèges ont vite été manifestes publiquement : la littérature a eu Leïla Slimani, le spectacle vivant a eu le « Journal de confinement » de Wajdi Mouawad au théâtre de la Colline :

« #Culturecheznous », a dit Franck Riester dans un hashtag qui tient lieu de politique culturelle. Et en toute logique, c’est un théâtre national, La Colline, qui est monté au front pour appliquer ce programme protectionniste et dégainer l’artillerie lourde. Bam ! En deux temps trois mouvements, les spectateurs, devenus désormais de simples followers, ont été gratifiés d’un « Journal de confinement » tenu par le maître des lieux, Wajdi Mouawad27.

21Cette place prise est une manière de maintenir une forme de « rente sociale » accordée par l’État à un petit groupe élu, où État et artistes semblent si proches : « Notre théâtre est comme notre politique, ce sont les mêmes personnes. C’est comme ça maintenant. Le directeur de La Colline va à l’Odéon, celui de l’Odéon va au Festival d’Avignon… Qu’est-ce que ça change ? Rien. Comme dans la politique28. » Déjà se dessine le monde d’après, un monde où l’écart économique entre compagnies conventionnées et compagnies émergentes, voire « immergées29 », se creusera d’autant plus, augmentant les privilèges des unes au détriment des autres :

22Gauthier, comédien et metteur en scène : « Le déconfinement c’est encore pire, parce que le “monde de demain” qu’on nous a vendu n’est pas meilleur que celui d’hier, c’est sans nous, les portes se sont rouvertes, mais pas pour nous30. »

2.3 Artistes, croissance et productivité

23Au-delà de leurs privilèges, ces figures publiques d’artistes traduisent une injonction à la productivité qui semble continuer sa course folle, même à l’arrêt du confinement. Ce piège du « métier-passion » artistique, les syndicats d’artistes du spectacle vivant le dénonçaient déjà dans les années 1960, diffusant le plus possible la mise en garde contre un travail souvent sans contrat, « pour l’amour de l’art ». Comment fonctionne cette logique fallacieuse, ce mécanisme selon lequel les artistes doivent continuer à travailler après et malgré l’arrêt total ? Nous retrouvons ici l’équilibre incertain du service public, entre précarité et liberté. Cette situation peut se tenir, mais dans une situation de gravité majeure telle que celle du confinement pour le secteur professionnel du spectacle vivant, les conséquences se font sentir :

C’est la réduction même de la relation de travail à l’emploi et de l’emploi à la relation de travail qui se trouve menacée par l’aspiration de nombreux artistes du spectacle à travailler indépendamment des conditions d’emploi. Si dans les périodes fastes, les effets de cette tension peuvent être atténués, dans les périodes de contraction de l’emploi, ils sont violemment aiguisés31.

24En effet, si cette acceptation d’un travail non rémunéré n’est pas nouvellement dangereuse dans le domaine du spectacle vivant, elle l’est d’autant plus dans une situation où certain·es tentent de le continuer, sans moyens et sans rémunération. D’autre part, dès la déclaration du premier confinement, qui mettait fin à toute activité relevant du spectacle vivant, répétitions comme représentations, les petites formes, toujours virtuelles, podcasts, dessins, animations, théâtre radiophonique en tout genre se sont multipliées sur les plateformes. Les bon·nes servant·es du service public se sont appliqué à eux·elles-mêmes une logique d’utilité publique, quand, comme le soulignait François Regnault : « Qu’est-ce qu’un théâtre d’utilité publique ? J’ai envie de vous répondre justement : c’est un théâtre qui n’a pas d’utilité publique32. » Comment expliquer autrement ces tentatives désespérées de sauver l’art, envers et contre tout ? Les travailleur·euses du spectacle vivant réagissent à la mise à l’arrêt par un énième sursaut pour prouver leur valeur et leur légitimité. De la même manière, les artistes qui déclarent avoir le sentiment que leur confinement leur a laissé davantage de temps pour créer (gratuitement) avec l’annulation de leur agenda habituel se livrent une fois encore à une séparation de l’emploi et du travail. Il faudrait alors se souvenir de la définition du travail au foyer des femmes de l’autrice Silvia Federici : « They say it is love. We say it is unwaged work33. » [Ils disent que c’est de l’amour. Nous disons que c’est du travail non rémunéré]. Cela va même jusqu’à la perte de sens du « vivant » du spectacle :

Ce qui est intéressant dans un moment comme celui-là, ce n’est pas seulement la transformation du théâtre public en une vaste chaîne YouTube ou un compte Twitter géant — même s’il faut admettre qu’il parvient à en reprendre les codes à une vitesse grand V et qu’il ne semble pas avoir trop de difficultés à passer, en vingt-quatre heures, de la célébration du spectacle vivant à la promotion de contenus dématérialisés34.

25Les compagnies en profitent pour diffuser les captations de leurs spectacles, en l’absence d’autre moyen de visibilité, comme si leurs spectateur·rices étaient devenu·es un bonus. Cette vision du travail artistique le ramène à sa condition de divertissement, oubliant les personnes qui en vivent.

26Il s’agit cependant également d’un impératif de croissance imposé par l’État depuis quelques années. Si les artistes sont pris·es dans cette course à l’utilité, c’est aussi parce que l’institution leur signifie quotidiennement que leur survie en dépend. Déjà en 2017, Régine Hatchondo, directrice générale de la création artistique, au festival d’Avignon, lors de sa rencontre annuelle avec les directeur·rices de CDN, déclarait : « Quand vous me parlez d’argent, vous ne me faites pas rêver… heureusement que j’ai autre chose que vous dans ma vie35. » Le metteur en scène Matthias Langhoff renverse dans un texte paru pendant le premier confinement le rapport de force et répond à l’injonction par la phrase suivante : « Donnons congé aux destructeurs de la culture36. » Prenant les fermetures des salles de spectacle pour endroit de résistance ultime celui-ci dénonce un présent où : « tous sont rivés, de gré ou de force, à l’efficacité, à ce qui marche déjà, à ce qui fait du bruit, aux progressions linéaires des carrières, au plus conforme partagé. D’une vie, il ne faut attendre aucune autre ampleur que celles que dicte un présent d’entrepreneurs et de managers37. »

27Idéologiquement, le spectacle vivant, s’il veut demeurer valide en tant que service public à l’ère de la productivité numérique, continue à croître même lorsque c’est physiquement impossible, comme le remarque Thibaud Croisy dans Le Monde diplomatique :

Ce qui vaut la peine d’être relevé, c’est surtout l’incapacité du théâtre à faire le vide. Le théâtre ne s’arrête pas. Le théâtre ne s’arrête jamais. Trop heureux d’être un service public « comme les autres », au même titre que l’électricité ou le gaz. Mais c’est ça, au fond, la contrepartie de cette revendication qui consiste à vouloir être un service public comme un autre : cela demande de livrer la marchandise coûte que coûte, quoi qu’il arrive, virus ou non. Que le flux ne s’arrête jamais38.

28Quoi de plus ironique que d’être à la fois un service public et un service « non essentiel » ? Soudainement, quand la légitimité par l’emploi ne semble plus possible, c’est la légitimité par la quantité artistique produite qui prend la place, contribuant à une croissance qui profite d’une mise à l’arrêt pour raisons sanitaires pour créer toujours plus de profit, car « la magie de ce monde est que les opérateurs culturels ont toujours quelque chose à nous vendre, y compris dans les situations les plus extrêmes39 ». Nous atteignons avec le second confinement sans doute la partie la plus absurde de cette logique, qui amène des compagnies à financer leurs résidences de création jusqu’au bout, pour ne finalement jouer devant personne, démonter leur décor et s’en aller. Cependant, ce confinement a aussi permis à certain·es artistes de se distancier de ce rapport de production, tout en maintenant la valeur de leur travail :

29Lia, circassienne :

Je ne suis pas tellement d’accord pour balancer du contenu comme ça, parce qu’en fait c’est notre travail. On parle bien de produit fini, un contenu artistique ça doit être fini, ça doit être vendable, c’est bien ça qu’on nous fait comprendre, aujourd’hui. On n’est pas en école de commerce, on est artiste avec notre sensibilité et ça prend la forme que ça prend40.

30Dans le dessein de cet acharnement à la production artistique en confinement, apparaissent des dynamiques qui rongent le monde des travailleur·euses du spectacle vivant depuis longtemps, mais y apparaît aussi la radicalité d’une scission d’avec le service public.

3. Le confinement comme révélateur d’une faillite du service public

3.1 Creuser la dépendance idéologique au service public

31Thomas Jolly, directeur du CDN Le Quai à Angers, avait ouvert le bal du théâtre « covid-friendly » :

Cette saison « corona-compatible » restera souple, réactive, se ré-inventera sans cesse avec les équipes et pour les spectateurs afin de s’adapter à l’évolution de la situation sanitaire. Nous resterons dans cette réactivité le temps qu’il faudra. […] Ce sera toujours mieux qu’aucun spectacle. Au Quai, ou ailleurs, alentours. Ce sera toujours mieux que nulle part. […] On peut faire mieux que rien. On doit faire mieux que rien41.

32Vaut-il mieux faire du mauvais théâtre que pas de théâtre du tout par peur de laisser derrière cette vieille idée du service public ? Produire pour produire, est-ce une motivation suffisante pour travailler ?

33Dans tout cela, un élément concret et simple fait toute la différence : l’inégalité au sein même du statut des intermittent·es. Avec le confinement, nombreux·euses sont celles et ceux qui, dans le pire des cas, ont vu l’intermittence leur échapper, dans le meilleur, ont plus que jamais éprouvé la précarité de leur statut. Née de la convention Unédic de 1979, l’intermittence est à la fois une aide publique et un complément conventionnel : c’est la forme la moins éloignée du salaire socialisé que nous connaissons aujourd’hui en France. Pour beaucoup, c’est le nerf de la guerre, la possibilité d’une survie : « Elle permet de laisser du temps à la création, de ne pas être esclave du succès du jour, de mieux faire face aux aléas d’un métier par essence précaire. L’intermittence est un régime de précaire qui permet d’éviter la grande précarité42. » Mais, l’intermittence tient aussi à la lutte des travailleur·euses précarisé·es qui en dépendent : c’était le cas par exemple en 2014, avec la grève du Festival d’Avignon contre les accords du Medef qui visaient à supprimer ce régime. De la même manière à la sortie du confinement, l’intermittence a dû être défendue par les concerné·es pour que son cadre soit adapté à la situation. Dès 2021, les occupations de théâtres tels que l’Odéon, le CDN de Montreuil, le Théâtre du Nord, pour en demander la réouverture et la reprise de l’activité, mais aussi demander des engagements du gouvernement concernant le prolongement de l’année blanche, ont permis de sauvegarder une partie des droits des intermittent·es. Et si l’année blanche a été accordée aux intermittent·es, leur permettant de prolonger la durée de leur indemnisation d’autant de mois que le travail a été impossible pendant le premier confinement, cette mesure laisse de côté de nombreux·ses autres travailleur·euses, comme les primo-entrant·es, les bénéficiaires de congés maternité ou maladie, ou ceux·celles dont les fins de droits tombent mal ; et enfin, c’est dans ces plans de relance que l’intermittence semble être l’apanage d’une caste artistique par excellence :

Soyons justes : les intermittents ont obtenu ce qu’ils voulaient. Leurs droits seraient « prolongés d’une année, jusqu’à fin août 2021 ». […] Et ça ne concerne que les intermittents (en gros, 100 000 personnes). Le 1,84 million de foyers qui touchent le RSA en France (dont je suis, à 490 €/mois) n’ont pas trouvé leur Juliette Binoche pour faire savoir à Jupiter qu’ils existent. Et quand les intermittents gagnent un an de prolongation, les soignants auront dû se contenter d’une prime unique de 500 €. C’est que, ma brave dame, la culture, c’est important43.

34C’est bien là toute l’impasse déjà entamée par les artistes dans leur lien aux autres travailleur·euses impacté·es par ce confinement : la sensation d’avoir « le pistolet de la survie sur la tempe44 » s’accompagne d’un sentiment d’exception.

35Par l’existence même du statut de l’intermittence, la différenciation d’avec un emploi permanent est déjà consommée ; excluant·e et exclu·e, l’artiste se taille un rôle à part de la société : « Attitude de corps séparé qui souhaite pérenniser une rente liée à un titre. Moi, Je, Nous sommes (l’élite) culturelle donc45. » C’est là la réalité d’une division du travail capitaliste, au sens marxiste du terme46. Cependant, pour d’autres, cette exception d’un « métier-passion » n’a plus lieu d’être :

36Gauthier, comédien et metteur en scène : « C’est pareil pour ma mère et la coiffure, ça la rend heureuse, ça lui donne une raison de vivre47. »

37Lia, circassienne : « On voit bien, la condition des médecins, on voit bien les profs, […] C’est une vie, c’est une sensibilité, c’est une approche du monde. Et dans l’agriculture c’est pareil, c’est une passion, c’est une vie, c’est un lien à la terre. […] Je crois que je vois l’art un peu à égal de ces choses-là48. »

3.2 Mettre le travail artistique à l’arrêt pour retrouver le collectif

38Il y a peut-être aussi dans ce confinement la possibilité de prendre le temps d’une réconciliation : celle des artistes avec une autre forme de service public où l’on s’arrêterait pour prendre « la responsabilité d’interroger notre condition, et surtout, ce qu’elle charrie de signifiants et de partis pris49 ». L’attache profonde des artistes intermittent·es à leur statut est avant tout celle de leur liberté, d’avoir « la possibilité de choisir de chômer plutôt que d’être mal employés50 ». Du refus d’un retour à la normale chez des comédien·nes stars51 au véritable choix de la disparition, un climat d’autocritique réflexive semble se dégager de ce désir de pause. Prendre position peut passer par le refus de produire, par le temps pris, le suspens accepté. C’est le cas par exemple de lieux de création comme les Maisons Folie, scènes subventionnées par la mairie de Lille, qui ont décidé, au lieu de commencer à reprogrammer de nouveaux spectacles, de garder la liberté d’une saison entière pour continuer à accompagner les artistes dont le travail a été interrompu par le(s) confinement(s), en prenant le temps de mener à bien chacun de ces partenariats. Une autre réalité, plus extrême, a été celle de ce que l’artiste Kuba Szreder appelait le « retrait productif » (productive withdrawing). Ce concept correspond exactement à un arrêt pour repenser sa propre place, une idée de renoncement à la productivité et peut-être aussi de remise en question de certaines dynamiques de pouvoir au sein du milieu artistique52. Entre les deux confinements, un groupe d’artistes parisien·nes lançait ainsi son « Appel à mettre en crise la crise » : « Nous […] décidons unilatéralement l’annulation de toutes les représentations jusqu’à l’été 2022 et demandons la reconduction de l’année blanche. Décidons de nous plonger dans la recherche et l’étude et donnons rendez-vous au public à l’automne 202253. » Certains partagent cette radicalité :

39Gauthier, comédien et metteur en scène :

40Il faut une rupture, là c’est chacun pour son bout de gras, il faut accepter de perdre, il va falloir accepter de perdre pour celles et ceux qui ont tout, et perdre beaucoup (moi, j’ai rien à perdre), pour faire tomber et gagner en partage et en lien social54.

41Mathieu Bertholet, metteur en scène, directeur du théâtre de poche, Genève :

42Je pense qu’il est urgent de faire une pause. Profiter de cette pause pour penser et repenser la manière dont on fait du théâtre. Je profiterais vraiment de cette opportunité pour rappeler que ce que l’on fait, c’est du théâtre et pas de la communication55.

43Parce que cette radicalité-là existe, et qu’elle permet de fouiller en profondeur la possibilité d’une liberté des artistes au sein d’un service public, ce confinement a été l’occasion de penser, dans le prolongement des incohérences actuelles, les possibilités d’un changement futur au sein des emplois du spectacle vivant.

4. À la recherche de solutions politiques et artistiques

4.1 Vers une refonte du modèle institutionnel

44Par la puissance de son coup d’arrêt, que cela passe par la recherche d’autres moyens de créer ou la mise en retrait d’une partie des travailleur·euses du secteur du spectacle vivant, le confinement a ouvert une prolongation des chemins de la création vers ceux de la mobilisation. Ce sont des éléments qui, du fait de l’impuissance généralisée que constituent un ou des confinements, ne sont ni complètement efficaces, ni complètement directs, mais qui cheminent entre différents espaces, selon les mots de Daniel Bensaïd :

L’espace-temps de la politique est décisif, mais les sentiments, la beauté, la pensée ont aussi leurs rythmes propres qui ne sauraient s’y réduire. L’intéressant, c’est de circuler entre ces espaces, de chercher les portes de communication, les passages secrets, sans abattre les cloisons56.

45Comment combiner un engagement politique qui consiste à laisser de côté l’utilité des artistes, à prôner une temporalité différente de la création, tout en maintenant l’importance que comportent cette temporalité et cette action créatrice-là ? Le théâtre dématérialisé traduit aussi un besoin de faire lien fécond pour repenser la place sociale de l’artiste, et pourtant, nous restons perplexes lorsque Thomas Jolly, directeur du CDN d’Angers, en vient à écrire : « Oui, il sera toujours temps dans “le monde d’après” de savoir si nous faisons du “bon” théâtre57. » Peut-être s’agit-il d’abord, comme l’écrivait Jean Vilar, « de faire une société, après quoi nous ferons peut-être du bon théâtre58 » ? Comment séparer l’artiste de sa fonction d’éclairer les foules, avec des demandes comme celle de la SACD qui pendant le premier confinement, a lancé un appel à fictions sonores pour « penser le monde de demain » : comment penser le monde de demain sous une forme imposée par la contrainte pandémique ? Et pourquoi appartiendrait-il plus aux artistes qu’à tous et toutes les autres de l’écrire, ce monde de demain ? Il n’incombe certainement pas à l’élite artistique de penser le monde d’après, mais il existe des moyens, mêmes artistiques, de faire société.

46À un niveau plus concret, la mise à l’arrêt du confinement semble être le moment idéal pour entreprendre une refondation du modèle de l’institution et du statut des artistes en son sein : « En cette période de choc, il me semble possible, pour ne pas dire nécessaire de porter collectivement, comme ce fut le cas au cours des derniers mois, un regard lucide sur la réalité des conditions de production de l’art, et donc celle de ses institutions, de ses artistes et de ses modes de représentation59. » Il y a bien entendu la question de l’augmentation des moyens, mais d’abord celle d’un rapport à l’exigence envers les artistes et envers les publics. À l’inverse d’un impératif de productivité, il est question de laisser du temps, mais aussi de l’espace à la création, c’est-à-dire l’emmener ailleurs que sur les plateaux. Nombreux·ses sont aussi les artistes qui appellent à faire de la mise à l’arrêt l’occasion d’une refondation du fonctionnement des scènes subventionnées :

Car l’écriture d’un lieu, sa conception, sa veille, son entretien, jusqu’à sa disparition, à l’évidence, fait partie intégrante du cheminement des artistes. Ces espaces de création que sont les centres dramatiques et chorégraphiques doivent renouer avec leurs principes et leurs activités fondatrices : laboratoires, pépinières, lieux de vie et de rayonnement60.

47Chacune de ces prises de position déplace l’endroit d’action politique, et le replace peut-être à un endroit où il est davantage à même de s’exercer : au cœur de la question du travail, pour les artistes, comme pour les autres.

4.2 Vers une lutte artistique

48En assimilant les artistes à des travailleur·euses comme les autres, c’est aussi les autres travailleur·euses qu’on ramène au même endroit que les artistes. Le confinement, s’il ouvre des questionnements quant au modèle travail/emploi/salaire des artistes, le fait pour tous·tes :

S’il est évidemment urgent de plaider pour une réponse de gauche à la crise dans le milieu de l’art en soutien aux travailleur·euses les plus précaires, mais surtout les plus exploité·es par les institutions (vacataires, gardien·nes de salle, agent·es de nettoyage, stagiaires, volontaires en service civique, travailleur·euses non ou peu rémunéré·es…), il me semble aussi primordial de ne pas le faire au nom de l’art. […] Ce sera l’occasion d’évoquer des exemples de nouvelles approches théoriques et pratiques qui conçoivent le champ de l’art non plus comme un espace de libération, mais comme un terrain de lutte en soi, permettant de dépasser les traditionnelles catégories discursives à propos de l’art et de la politique61.

49Le modèle de l’intermittence pourrait même davantage être envisagé comme un modèle pour tous·tes. De cette manière, un service public qui appartiendrait à tous·tes sans s’asservir à l’État devient pensable, accomplissant la démarche de l’Unédic en 1979. Car en décloisonnant le travail, on en décloisonne l’artistique par le même coup. Par temps de confinement, c’est ce dont nous semblons avoir le plus besoin : « Nous souffrons tous d’une frustration fondamentale liée au fait que nos actes vitaux, à commencer par le travail, sont privés de la créativité qui les rend générateurs de sens62. » Cela nous permet d’inclure cette problématique dans une approche générale du concept de travail qui fasse coexister deux modèles :

Il s’agit d’affirmer que les salariés qui ne se conforment pas, volontairement ou involontairement, au modèle de l’emploi stable devraient pouvoir bénéficier d’un statut et de droits de niveau équivalent aux salariés à l’emploi stable. […] De ce point de vue, la socialisation du salaire et la déconnexion entre le travail et l’emploi ne sont pas des problèmes, comme le martèlent les contempteurs du régime des intermittents, ce sont des solutions et des gages de progrès63.

50Si l’on fait se rencontrer la socialisation du salaire des intermittent·es et la sécurité de l’emploi fixe, on contribue à faire disparaître ce sentiment d’élitisme, dans et hors de ces métiers :

Le travail théâtral devrait, comme dans d’autres métiers, avoir des prix fixes qui seraient les mêmes pour tous les lieux subventionnés. Il devrait en être ainsi pour le directeur ou la directrice comme pour l’homme ou la femme de ménage, pour les metteuses en scène comme pour les comédiens, pour les techniciennes comme pour les hommes dans les bureaux. […] La culture ne peut conquérir une place dans la vie générale de la société que si, dans sa façon de payer les gens, elle tient compte des besoins de cette vie64.

51C’est à cet endroit de liberté commune que l’on pourrait rêver à une pratique politique et subversive du spectacle vivant, à un présent de la représentation que Daniel Bensaïd qualifiait de passage secret qui puisse « y parvenir, parfois, au grand jour, contre toute attente65 ». Une initiative telle que le Musée des enfants confinés, mis en place par le metteur en scène et marionnettiste Simon Delattre, nous semble semer une graine en ce sens : lancée pendant le premier confinement, cette initiative permettait de s’inscrire pour que différent·es artistes joignent par téléphone des enfants pour leur donner des thèmes de dessins, afin de finalement constituer un grand musée (virtuel) des enfants confinés. Il s’agissait bien ici pour les artistes de se faire relais d’une création, d’un moyen d’expression, un passage secret loin du confinement pour les enfants dessinateur·rices et ceux·celles qui les regardent. Cet exemple nous montre bien que, face à la mise à l’arrêt, lutter peut avoir plusieurs sens, comme le revendique le collectif Vibri Feno :

Lutter peut se faire en cherchant à favoriser l’expression des sensibilités et l’accueil sensible des situations. Lutter peut se faire comme dans un rapport de soi au monde du même type que lorsque nous créons, ou que lorsque nous sommes face à une œuvre : ouverts à l’émotion, attentifs aux détails, perméables aux finesses et subtilités66.

4.3 Resituer le statut d’artiste

52Faire se rejoindre les problématiques des travailleur·euses de la culture avec celles des autres passe également par de nouvelles manières d’envisager le statut d’artiste, en questionnant le point où il commence et celui où il finit. En la matière, le champ de l’invention est vaste : cela peut passer par une reconnaissance de la part artistique du·de la spectateur·rice, comme le fait Jacques Rancière : « L’émancipation du spectateur, c’est alors l’affirmation de sa capacité de voir ce qu’il voit et de savoir quoi en penser et quoi en faire67. » C’est aussi la question du mot « amateur » ou « amatrice » que beaucoup appellent à replacer au centre de la création :

53Gauthier, comédien et metteur en scène : « Amateur·rice devrait être un mot exclusivement positif. Nous sommes tous·tes des amateur·rices68. »

54Chloé, comédienne : « Il y a plein de gens qui ont une activité artistique et qui ne sont pas des artistes, ou qui sont pas créateur·rices, il y en a même une majorité. […] La pratique n’est rien d’autre qu’un moyen d’expression69. »

55Thomas, comédien : « La pratique artistique, et particulièrement celle du théâtre, est liée intrinsèquement à la politique, à mon sens, par la question de la vie de la communauté humaine, de ce qui s’y joue, de comment nous pouvons nous en saisir70. »

56Dans ce dépassement-là, provoqué par la mise à l’arrêt commune, l’élan de création prend une dimension collective, comme l’exprime le collectif Vibri Feno :

À l’inverse, nous disons que le premier des critères pour définir une bonne œuvre, c’est sa capacité, non pas à émouvoir, non pas à décrire le monde avec justesse, mais à transmettre la volonté de créer. […] Pour cela, nous disons : il n’y a pas d’artiste (en tant que corps séparé), mais il y a peut-être de l’art71.

57Il y a, en somme, dans cette mise à l’arrêt-là, la possibilité d’un sens du commun retrouvé au sein de la création comme au sein de la pensée du statut des travailleur·euses du spectacle vivant.

58Toutefois, si ces brèches sont bel et bien ouvertes du point de vue de l’engagement personnel et de la prise de conscience collective, à l’heure actuelle, c’est le matériel qui fait plus que jamais défaut, mettant en péril l’existence même de ces métiers du spectacle vivant. Tous·tes continuent de demander « en URGENCE un fond transitoire sur au moins deux années qui couvre tous·tes les artistes et technicien·nes du spectacle vivant du cinéma et de l’audiovisuel qui ne renouvellent pas leurs droits72 », tout en essayant de maintenir une cohésion sociale qui, du régime intermittent au régime général en passant par les soignant·es, permette que « la bataille continue pour ne laisser personne au bord de la route73 ».

Notes   

1 On parle ici du théâtre populaire au sens de Romain Rolland, Maurice Pottecher et Firmin Gémier, soit « l’expression impérieuse d’une société nouvelle, sa voix et sa pensée ; et c’est, par la force des choses, dans les heures de crise, sa machine de guerre contre une société caduque et vieillie […]. Il s’agit d’élever le Théâtre par et pour le Peuple. Il s’agit de fonder un art nouveau pour un monde nouveau. » (Romain Rolland, Le Théâtre du peuple).

2 Fondé par Firmin Gémier en 1920 à Chaillot, puis dirigé par Jean Vilar après la Libération, à partir de 1951.

3 Vilar Jean, « Budget : politique », Le Théâtre, service public, Gallimard, Paris, coll. « Pratiques du théâtre », 1975, p. 76.

4 Vilar Jean, « Le théâtre et la soupe », Le Théâtre, service public, Gallimard, Paris, coll. « Pratique du théâtre », 1975, p. 151.

5 Darcante Jean, « Bulletin du SNA », Union des artistes-FNS-CGT, no 7, février 1956.

6 Rancière Jacques, « Que peut être aujourd’hui un théâtre politique ? », Le Monde.fr, 10 juillet 2009, https://www.lemonde.fr/idees/article/2009/07/10/que-peut-etre-aujourd-hui-un-theatre-politique-par-jacques-ranciere_1217511_3232.html.

7 Regnault François, Théâtre-équinoxes, Écrits sur le théâtre, Actes Sud/CNSAD, Arles, 2001, vol. I, p. 248.

8 Neveux Olivier, Contre le théâtre politique, La Fabrique éditions, Paris, 2019, p. 81.

9 Regnault François, Théâtre-équinoxes, Écrits sur le théâtre, op. cit., p. 234.

10 Rancière Jacques, « Que peut être aujourd’hui un théâtre politique ? », op. cit.

11 Langhoff Matthias, « Donner congé aux destructions de la culture », Au Jour d’Après, le Blog de Mediapart, 20 avril 2020. https://blogs.mediapart.fr/au-jour-dapres/blog/200420/donner-conge-aux-destructions-de-la-culture-par-matthias-langhoff.

12 On sait que ces craintes sont aujourd’hui réalisées (voir le budget de la région Auvergne-Rhône-Alpes, amputé de 3,7 millions d’euros en 2022, puis encore d’un million en 2023).

13 Catin Aurélien, Notre Condition : Essai sur le salaire au travail artistique, Riot Éditions, Saint-Denis, 2020.

14 Ibid.

15 Adolphe Jean-Marc, Nuit Debout et culture assoupie, L’Entretemps, Montpellier, 2016.

16 Neveux Olivier, Contre le théâtre politique, op. cit., p. 88.

17 Art en grève est un intercollectif (rassemblant entre autres Plein le dos, Décoloniser les arts, Gilets Jaunes), créé le 5 décembre 2019 en réaction contre la réforme du gouvernement Philippe mais aussi plus largement en dénonciation de la privatisation du monde de l’art ou du racisme institutionnel. Ses actions vont de la présence en manifestations à l’affichage public (notamment sur des statues en 2020 à Besançon), en passant par la grève visant à mettre à l’arrêt musées comme grands festivals.

18 Benedetti Christian, « Qui va nous dire de nous embrasser à nouveau ? », Le Blog au Jour d’Après, Mediapart, 22 mai 2020 https://blogs.mediapart.fr/au-jour-dapres/blog/220420/qui-va-nous-dire-de-nous-embrasser-nouveau-par-christian-benedetti.

19 Maraud Guillaume, « “Sauver l’art”. Les rhétoriques de l’art contemporain au service de l’accélération conservatrice, Contretemps, 18 mai 2020 https://www.contretemps.eu/rhetorique-art-contemporain-acceleration-conservatrice/.

20 Ibid.

21 Macron Emmanuel, Déclaration du président de la République sur les premières orientations du plan de soutien pour la culture, visioconférence, Paris, 2020.

22 Ibid.

23 Entretien 1, Lia, « Pour avoir un métier il faut avoir du travail », op. cit.

24 Vienne Gisèle, « Gisèle Vienne quoiqu’il advienne », in Boomerang, de Trapenard Augustin, France Inter, 25 novembre 2020.

25 Adolphe Jean-Marc, « Un Président fort minable », Blog de Mediapart, 7 mai 2020, https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-adolphe/blog/070520/un-president-fort-minable.

26 On compte 38 % de femmes à la direction de lieux de création et de diffusion au 1er janvier 2021, et seulement 36 % des équipes artistiques dirigées par des femmes touchent des aides, qui elles-mêmes ne représentent que 27 % des montants totaux (source : Publication de l’Observatoire de l’égalité, 2023).

27 Croisy Thibaud, « La catastrophe comme produit culturel », Contrebande, Les blogs du « Diplo » https://blog.mondediplo.net/la-catastrophe-comme-produit-culturel, 24 mars 2020.

28 Benedetti Christian, « Qui va nous dire de nous embrasser à nouveau ? », op. cit.

29 Manifeste des immergé·es, Fédération des Pirates du Spectacle Vivant, Komos, Paris, 2021.

30 Entretien 2, Gauthier, « Artistiquement, le confinement a été un vrai coup d’arrêt », op. cit.

31 Grégoire Matthieu, Les Intermittents du spectacle : Enjeux d’un siècle de luttes, La Dispute, Paris, coll. « Travail et Salariat », 2013, p. 139.

32 Regnault François, Théâtre-équinoxes, Écrits sur le théâtre, op. cit., p. 235.

33 Federici Silvia, « Salaire contre le travail ménager », Le foyer de l’insurrection. Textes sur le salaire pour le travail ménager, Collectif L’Insoumise, Genève, 1977, p. 45.

34 Croisy Thibaud, « La catastrophe comme produit culturel », op. cit.

35 Capron Stéphane, « Premières tensions entre les artistes et le ministère de la Culture », Sceneweb, 15 juillet 2017 https://sceneweb.fr/premieres-tensions-entre-les-artistes-et-le-ministere-de-la-culture/.

36 Langhoff Matthias, « Donner congé aux destructions de la culture », op. cit.

37 Neveux Olivier, Contre le théâtre politique, op. cit.

38 Croisy Thibaud, « La catastrophe comme produit culturel », op. cit.

39 Ibid.

40 Entretien 1, Lia, « Pour avoir un métier il faut avoir du travail », op. cit.

41 Jolly Thomas, « Théâtre “Corona-compatible” – Actualité », op. cit.

42 Ibid.

43 Adolphe Jean-Marc, « Un Président fort minable », op. cit.

44 Catin Aurélien, Notre Condition : Essai sur le salaire au travail artistique, op. cit., p. 42.

45 Vibri Feno, « Par tous les moyens, même artistiques – “Le luxe communal est notre programme.” », Lundimatin, #236, 30 mars 2020, https://lundi.am/Par-tous-les-moyens-meme-artistiques.

46 « La concentration exclusive du talent artistique chez quelques individualités, et corrélativement son étouffement dans la grande masse des gens, est une conséquence de la division du travail. » (Marx Karl et Engels Friedrich, L’Idéologie allemande, trad. H. Auger, trad. G. Badia, trad. J. Baudrillard et trad. R. Cartelle, Éditions sociales, Paris, 1968, p. 434.)

47 Entretien 2, Gauthier, « Artistiquement, le confinement a été un vrai coup d’arrêt », op. cit.

48 Entretien 1, Lia, « Pour avoir un métier il faut avoir du travail », op. cit.

49 Catin Aurélien, Notre Condition : Essai sur le salaire au travail artistique, op. cit., p. 10.

50 Grégoire Matthieu, Les Intermittents du spectacle : Enjeux d’un siècle de luttes, op. cit., p. 150.

51 Collectif, « “Non à un retour à la normale” : de Robert De Niro à Juliette Binoche, l’appel de 200 artistes et scientifiques », Le Monde.fr, 6 mai 2020, https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/06/non-a-un-retour-a-la-normale-de-robert-de-niro-a-juliette-binoche-de-joaquin-phoenix-a-angele-l-appel-de-200-artistes-et-scientifiques_6038775_3232.html.

52 On pense par exemple au mouvement #MeTooThéâtre, porté par Séphora Haymann et Louise Brzezowska-Dudek, dont la constitution en 2021 est tout sauf une coïncidence.

53 Moreira Emmanuel, Carlier Anna et Haleb Christophe, « Appel à mettre en crise la crise », Réseaux sociaux, 18 octobre 2020.

54 Entretien 2, Gauthier, « Artistiquement, le confinement a été un vrai coup d’arrêt », op. cit.

55 Morard Romaine, « La Matinale du 2 avril 2020 ».

56 Bensaïd Daniel, « La Politique et l’histoire, entretien avec Michel Surya », Libre choix, février 1998.

57 Jolly Thomas, « Théâtre “Corona-compatible” – Actualité », op. cit.

58 Vilar Jean, De la tradition théâtrale, L’Arche, Paris, coll. « Scène Ouverte », 1995.

59 Maraud Guillaume, « “Sauver l’art.” Les rhétoriques de l’art contemporain au service de l’accélération conservatrice », op. cit.

60 Tackels Bruno, « Les Maisons d’artistes », op. cit.

61 Maraud Guillaume, « “Sauver l’art.” Les rhétoriques de l’art contemporain au service de l’accélération conservatrice », op. cit.

62 Noël Bernard, « Pour la culture », Le Monde.fr, 12 juillet 1987, https://www.lemonde.fr/archives/article/1987/07/12/pour-la-culture_4049357_1819218.html.

63 Grégoire Matthieu, Les Intermittents du spectacle : Enjeux d’un siècle de luttes, op. cit., p. 147.

64 Langhoff Matthias, « Donner congé aux destructions de la culture », op. cit.

65 Neveux Olivier, Contre le théâtre politique, op. cit., p. 210.

66 Vibri Feno, « Par tous les moyens, même artistiques – “Le luxe communal est notre programme” », op. cit.

67 Rancière Jacques, Le Spectateur émancipé, La Fabrique éditions, Paris, 2008.

68 Entretien 2, Gauthier, « Artistiquement, le confinement a été un vrai coup d’arrêt », op. cit.

69 Entretien 4, Chloé, « La pratique n’est rien d’autre qu’un moyen d’expression. », op. cit.

70 Entretien 5, Thomas, « Je crois que de mauvaises conditions économiques peuvent tuer des spectacles », op. cit.

71 Vibri Feno, « Par tous les moyens, même artistiques – “Le luxe communal est notre programme” », op. cit.

72 Benedetti Christian, « Qui va nous dire de nous embrasser à nouveau ? », op. cit.

73 CGT Spectacle, Communiqué du 26 juin, 21 heures (version en attente de la publication des textes au JO), http://www.fnsac-cgt.com/article.php?IDart=1650&IDssrub=214.

Citation   

Titiane Barthel, «L’exception culturelle » dans le spectacle vivant à l’épreuve du confinement : symptômes et alternatives», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Sons et esthétiques dans la protestation sociale. Mouvements post-altermondialistes, Europe, mis à  jour le : 11/12/2023, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php/lodel/docannexe/image/516/lodel/docannexe/file/651/index.php?id=1446.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Titiane Barthel

Titiane Barthel est metteure en scène, créatrice lumière et chercheuse. Après un master en Comparative Dramaturgy and Performance Research à l’Université de Nanterre et l’Université libre de Bruxelles et un mémoire sur le geste marionnettique dans le travail de Gisèle Vienne sous la direction de Christophe Triau, elle poursuit en mise en scène sa recherche autour d’un théâtre documentaire subjectif avec Les Vierges de Fer, spectacle porté par le collectif « C’est quand bientôt ? ». En création lumière, elle collabore sur différents projets avec des compagnies de théâtre et de cirque en s’intéressant tout particulièrement à l’enjeu de la perception. Metteure en scène. titiane.barthel@gmail.com.