Disparues


Numéro 2

Gaëtan Tremblay et François Pichault

Editorial -1988


Résumé
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  Résumé

Nous terminions l'éditorial de notre premier numéro en lançant un défi audacieux : celui de faire vivre une revue scientifique en langue française qui puisse devenir un lieu de rencontres et de débats multidisciplinaires sur les implications sociales du développement des N.T.I. Vous avez été nombreux à nous manifester votre intérêt, à nous proposer des contributions, à nous encourager. Nous savons, bien sûr, que beaucoup de chemin reste à parcourir. Mais nous sentons aujourd'hui que notre appel commence à être entendu et que notre pari n'était pas vain. C'est donc pleinement confiants en l'avenir que nous vous présentons ce deuxième numéro.

La diversité tant disciplinaire que thématique - qui était sans aucun doute un des traits caractéristiques du premier numéro - est toujours de mise. Mais elle nous engage, cette fois, à défricher des terrains nouveaux : l'histoire des sciences de la communication, la problématique des transferts de technologie, les usages sociaux de la télématique, les transformations professionnelles liées à l'informatisation, les conditions d'implantation de nouveaux services bureautiques.

De plus, la vocation internationale de la revue continue à s'affirmer puisque les textes présentés ici proviennent de chercheurs non seulement belges et québécois, mais aussi américains, français et italiens. Cependant, au-delà d'une telle diversité, c'est surtout l'intérêt et l'originalité des apports théoriques qui nous semblent caractériser la présente livrée.

Celle-ci débute par un texte important de Jean-Louis Le Moigne, qui nous propose un point de vue critique sur le développement des sciences de la communication et sur le redéploiement épistémologique qu'elles imposent désormais à l'ensemble des disciplines scientifiques contemporaines dans leur manière de penser les rapports entre sciences, technologies et société. L'évolution vers un « principe d'action intelligente », qui intéresse particulièrement l'analyse des technologies de l'information, constitue sans aucun doute un renversement de perspective majeur, qu'il convient de souligner.

A la suite de ce premier texte, Vittorio Capecchi, Adele Pesce et Michel Schiray nous permettent d'aborder certains aspects relativement méconnus de l'introduction des nouvelles technologies de l'information : les implications en matière de formation et de santé, les incidences sur la vie domestique et sociale, etc. Ils y dégagent le rôle central des « utilisateurs » et des pratiques que ceux-ci mettent en œuvre. Le caractère profondément innovateur de telles pratiques est à la source d'une imprévisibilité fondamentale qui invalide concrètement toute tentative de prédétermination des effets liés au changement technologique et incite à un recours systématique à l'expérimentation sociale.

De leur côté, Jan Servaes et Peter Schields envisagent les problèmes posés par le transfert de technologies - particulièrement dans le domaine des technologies de l'information - à partir d'une critique des principaux paradigmes qui traversent l'analyse de ce champ. À l'un des extrêmes, on trouve une position qualifiée de « moderniste », se fondant sur la capacité qu'auraient les technologies de faire émerger de nouvelles structures sociales, mieux adaptées à la situation des pays en voie de développement. La position située à l'autre extrême souligne au contraire le risque de renforcement des structures existantes, de dépendance accrue vis-à-vis des pays occidentaux ainsi que le danger d'une perte progressive de toute identité culturelle. Quant à la position défendue par les auteurs, elle se situe entre ces deux pôles et plaide pour un paradigme de la multiplicité, dans lequel seraient prises en compte les relations dialectiques entre dynamiques locales et facteurs externes du développement.

La contribution de Pierre-André Julien, Jean Lorrain et Louis Hébert concerne plus particulièrement le processus d'informatisation au Québec. Elle nous semble cependant apporter une vision suffisamment large et nuancée pour nourrir l'analyse dans d'autres contextes. De plus, les aspects méthodologiques de l'étude feront sans aucun doute l'objet d'une attention particulière de la part de nombreux lecteurs. L'un des intérêts majeurs du texte réside dans le fait que l'auteur élabore des scénarios quantitatifs sur l'évolution de l'emploi administratif, scénarios qui relativisent fortement les prévisions pessimistes avancées en la matière par diverses études.

Le texte de Guy Fréchet, Danny Chouinard, Pierre Ardouin, Gilles Dussault, André Gamache, Lam Locong, Jean Mercier et Richard Parent présente une intéressante étude de cas, consacrée à l'implantation d'un système d'agenda électronique multiposte. Les conclusions relativement négatives des auteurs à propos d'un éventuel effet de substitution par rapport à l'agenda traditionnel mettent une nouvelle fois en évidence l'importance des phénomènes d'appropriation de la technique par ses utilisateurs. Elles rappellent également le décalage inévitable entre la logique technique qui tente de prédéterminer l'exécution des diverses activités et la logique sociale informelle qui caractérise le fonctionnement de toute organisation.

En définitive, les différents textes que nous venons de présenter sont autant d'illustrations de cette complexité de relations, rappelée par Jean-Louis Le Moigne, entre sciences, technologies et société, dans des contextes aussi divers que les pays en voie de développement, le secteur associatif ou le monde du travail de bureau. Il s'agit là, peut-être, d'un des défis essentiels qui se posent à toute réflexion sur les implications sociales du développement technologique : comment intégrer la poursuite d'une maîtrise de la complexité, qui se trouve à la base d'un tel développement, à l'analyse même de l'objet technique, dans ses interrelations avec le social ? Quels sont les moyens dont nous disposons et que nous acceptons de nous donner, en tant que chercheurs, dans la quête de cette maîtrise ?

La diversité des thèmes, des points de vue, des niveaux théoriques et des apports disciplinaires présentés dans ce numéro, n'est pas seulement le gage d'un certain « pluralisme » épistémologique - qui pourrait finalement dissimuler une sorte de laxisme théorique, voire une absence de perspective. Elle nous semble au contraire constituer un premier pas, fondamental, vers un décloisonnement de la réflexion sur le thème technologies de l'information et société, vers une « mise à plat » des problèmes théoriques et méthodologiques rencontrés et vers cette maîtrise de la complexité que nous entendons poursuivre.

Toutefois, un tel objectif n'empêchera pas la revue de privilégier, à l'occasion, l'un ou l'autre objet d'analyse. La concentration des points de vue théoriques sur un objet cohérent peut, à nos yeux, favoriser la fécondation mutuelle d'approches qu'un trop grand éloignement thématique aurait risqué d'empêcher. C'est la raison pour laquelle nous envisageons de consacrer l'un de nos prochains numéros à une réflexion critique sur les dix années écoulées depuis la naissance officielle de la télématique et, en particulier, du videotex.

C'est en effet en 1978 que Simon Nora et Alain Minc ont publié leur célèbre rapport L'informatisation de la société, ouvrage qui fut un remarquable catalyseur de la recherche scientifique dans ce domaine. Dix années se sont écoulées depuis la parution de ce rapport prospectif, marquées par la naissance du videotex à destination du grand public, son développement fulgurant en France, sa progression plus lente dans d'autres pays européens et ses balbutiements sur le continent nord-américain. Il nous a paru intéressant de faire le point sur cette « tranche d'histoire » des rapports entre technologies de l'information et société, en mettant tout spécialement l'accent sur les contributions théoriques et méthodologiques à l'analyse d'un tel thème. Soyons donc ici très clairs : nous ne voulons nullement nous substituer aux nombreuses publications professionnelles, rapports d'activités ou dépêches d'agences spécialisées qui repèrent le dernier fléchissement dans la courbe de la durée moyenne des appels en France ou annoncent la toute récente réorientation de tel projet d'implantation de videotex aux États-Unis. Nous visons surtout à réfléchir sur la manière dont plusieurs centaines de chercheurs, dans de nombreux pays, ont réussi à développer, à partir de cet objet, des cadres conceptuels, des appareils théoriques ou des outils méthodologiques originaux et pertinents.

Nous lançons donc, dès à présent, un appel à des contributions sur ce thème, dans la perspective qui vient d'être tracée. La clôture de la rentrée des textes est fixée au 31 mars 1989. Nous sommes persuadés que vous serez nombreux à répondre à notre appel.

Ce deuxième numéro nous donne également l'occasion d'ouvrir une rubrique intitulée Lectures critiques, qui entend présenter et commenter brièvement certains ouvrages récents qui touchent le domaine d'activités de la revue. Nous ne prétendons pas, bien sûr, couvrir l'ensemble de la production scientifique dans ce domaine, mais plutôt suggérer, au fil de nos lectures - et aussi de vos propositions - la découverte d'ouvrages sélectionnés en fonction de leur intérêt ou de leur originalité. Nos commentaires sont délibérément succincts et doivent être perçus comme une invitation à la lecture...

Par ailleurs, nous avons le sentiment qu'un certain nombre de chercheurs sont tentés de nous proposer des contributions sur les recherches qu'ils sont en train de mener tout en éprouvant à cet égard certaines craintes ou réticences, vu le faible état d'avancement de leurs travaux ou l'immaturité de leur cadre analytique. Nous tenons pourtant à leur offrir une possibilité de diffusion et ce, au moins, pour deux raisons. Tout d'abord, certaines « notes de recherches » peuvent éveiller l'intérêt ou la curiosité des lecteurs par l'originalité de leurs résultats ou de la problématique qu'elles mettent en œuvre. Ensuite, nous voulons rappeler qu'un des objectifs prioritaires de la revue est d'accueillir les débats scientifiques, de favoriser les confrontations théoriques ou méthodologiques : quoi de plus stimulant, dès lors, pour un chercheur, de livrer une première ébauche de son travail et de pouvoir obtenir en retour des appréciations critiques, des suggestions ou des encouragements de la part d'autres chercheurs ?

C'est pourquoi nous comptons inaugurer, dès notre prochain numéro, une rubrique Notes de recherches, consacrée à des textes relativement brefs, qui font le point sur des recherches en cours en apportant une contribution originale à l'analyse de leur objet, sans encore constituer, toutefois, un travail scientifique véritablement « achevé ». Nous attendons les propositions des chercheurs concernés.

Il ne nous reste plus, à présent, qu'à vous souhaiter de découvrir avec passion et intérêt les différents articles de ce deuxième numéro.

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