Disparues


Numéro 4 - Les dimensions oubliées de la complexité

Gaëtan Tremblay et François Pichault

Editorial -1995


Résumé
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  Résumé

Ce numéro rassemble des contributions qui se situent indiscutablement à des niveaux d'analyse différents : tantôt macro-social (Robert, Sebbar), tantôt organisationnel (Roy, Gingras et Bédard). Les disciplines mobilisées sont également caractérisées par leur diversité : économie et histoire des techniques (Sebbar), philosophie et éthique (Robert), théorie des organisations (Roy et alii). Quant aux méthodes employées, elles vont de l'analyse spéculative (Robert, Sebbar) à la validation empirique (Roy et alii).

Pourtant, le message des auteurs est clair : on ne peut penser les processus d'innovation technologique sans aborder frontalement un certain nombre de questions qu'une certaine doxa (technocratique et/ou gestionnaire) tend à dissimuler ou à négliger, sous prétexte d'une excessive complexité.

D'emblée, le texte de Robert pose la question du « risque informationnel majeur » lié à la généralisation des technologies de l'information et de la communication. A partir d'une conceptualisation logique articulée autour de deux axes (protection des libertés versus accès universel de type « agora » ; sécurité technique versus libre circulation des informations), l'auteur en vient à proposer une définition du « risque informationnel majeur » basée sur la domination massive d'un axe sur l'autre et sur un mouvement de fuite en avant dans lequel la maîtrise des risques induits entraîne le recours à des solutions elles-mêmes porteuses de nouveaux risques. Soit c'est l'axe « liberté-agora » qui domine au point d'imposer ses deux seules définitions de la bonne solution (blocage de la démocratie du nombre ou transparence généralisée) ; soit c'est l'axe « sécurité-free flow » (paralysie par excès de blindage et de cryptage ou constitution d'un univers clos, de plus en plus distant du réel). Toutefois, avertit Robert, le règne de ce que d'aucuns appellent aujourd'hui « l'idéologie de la communication » tend à effacer ce type de questionnement, en le considérant désormais comme non pertinent.

Sebbar en appelle de son côté à une nouvelle lecture des processus d'évolution technologique des produits, qui évite les excès de deux types de positions trop souvent défendues : le déterminisme technologique, d'une part, qui conduirait à lire l'histoire des innovations techniques sous la forme d'une endogénèse, faite d'incessants perfectionnements des techniques existantes selon une logique de développement strictement interne ; le déterminisme économique, d'autre part, qui tendrait à présenter cette même histoire sous la forme d'une succession de réponses et d'adaptations aux requêtes d'utilisateurs-consommateurs. C'est au contraire dans l'interaction fonctionnelle entre ces deux « sphères » - dont la séparation n'est opérée qu'à des fins purement analytiques - qu'une lecture non réductrice de l'évolution technologique des produits peut être envisagée, en vue de spécificier les « espèces » qui en jalonnent le parcours.

Enfin, Roy, Gingras et Bédard jettent à leur tour la lumière sur certaines dimensions méconnues de la réingénierie des processus d'affaires, l'un des derniers-nés des modes managériales. Plutôt que de donner dans le discours apologétique ambiant, les auteurs mettent en évidence la nécessité d'une réflexion sur les conditions de réussite de pareilles initiatives, fondée sur les manques et les limites qu'ils ont pu déceler à travers l'analyse approfondie de plusieurs dizaines de projets : ainsi, si la majorité des problèmes perçus par les responsables de projets sont d'ordre humain et organisationnel, peu de moyens sont mis en œuvre pour les prendre en compte ; les projets répondent surtout à une logique d'ajustement interne face aux pressions de la concurrence et non à de réels efforts d'intégration avec l'environnement économique ; la mobilisation des ressources humaines est souvent déficiente (faible implication des travailleurs concernés dans l'équipe de projet, pas de garantie offerte sur la sécurité d'emploi, peu de support offert à la reconversion, etc.) ; il est rarement fait appel à « l'effet de levier » technologique, consistant à explorer les possibilités ouvertes par les développements actuels des technologies de l'information et de la communication, etc. Ces dimensions « oubliées » font pourtant bel et bien partie des facteurs critiques de succès des projet de réingénierie.

Gageons que cette nouvelle livraison de TIS éveillera, chez un certain nombre de lecteurs, l'appétit de percer la langue de bois et les discours lénifiants de nos élites technocratiques, afin d'aller voir « au-delà »...

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