Disparues


Numéro 1 - Informatique et gestion

Suzanne Rivard

Editorial -1990


Résumé
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  Résumé

Ce numéro thématique de T.I.S. porte sur l'informatique de gestion et la gestion de l'informatique. Le choix du thème fut sans doute motivé par l'importance des technologies de l'information pour la survie des organisations modernes. A une époque où la concurrence devient mondiale, les organisations se doivent d'être sans cesse plus efficaces, plus productives et plus innovatrices. Les technologies de l'information constituent un outil privilégié pour ce faire. Utilisées à bon escient elles sont non seulement un outil de productivité, mais aussi un instrument permettant une analyse plus approfondie de certains problèmes, un support au travail intellectuel et même, une arme stratégique. L'appel aux auteurs fait par le comité de rédaction sur le thème informatique de gestion et gestion de l'informatique a reçu un accueil enthousiaste ; les six articles retenus pour le numéro, traitant d'une grande variété de sujets, illustrent bien la richesse du domaine de recherche. La lecture des articles nous fait aussi prendre conscience de l'importance des changements survenus dans ce domaine, de même que dans les préoccupations des chercheurs, depuis l'avènement de l'ordinateur comme support à la gestion.

Voilà près de trente ans que l'ordinateur est apparu comme outil de traitement des données dans les organisations. Les changements technologiques survenus depuis cette époque sont nombreux : systèmes interactifs, logiciels de gestion de bases de données, micro-informatique, langages de quatrième génération, logiciels d'aide à l'analyse et à la conception de systèmes, pour n'en nommer que quelques-uns. Ces changements, qui ont reçu un large écho, ne représentent que la pointe de l'iceberg de toutes les transformations survenues dans le domaine. Les six articles de ce numéro témoignent d'autres changements qui auront sans doute des impacts marquants sur le mode de fonctionnement des organisations. Les paragraphes qui suivent présentent la problématique de chaque article, de même que la perspective adoptée par son ou ses auteurs pour en traiter.

Alors que l'informaticien ne pouvait s'appuyer, pour mener à bien ses activités de conception d'applications informatiques, que sur la connaissance qu'il avait ou pouvait acquérir du domaine à informatiser, il dispose maintenant d'outils informatiques constituant une base de connaissances au sujet d'un ou de plusieurs domaines d'activité. Michel Vézina et Jean Talbot nous présentent l'un de ces outils, un système expert servant à la modélisation de bases de données pour les entreprises commerciales. Le système expert prend appui sur l'équation fondamentale comptable et sur une approche de modélisation de bases de données mettant en relation trois types d'entités : les ressources, les événements et les agents. Sur la base des réponses à une série de questions au sujet des activités de l'entreprise à modéliser, le système propose un diagramme entité-association, identifiant ainsi les données que devra contenir la base de données. Selon les auteurs, ce type d'outil « offre aux analystes une expertise qui facilite l'étape d'identification des besoins ». De tels outils ont aussi le potentiel « d'améliorer la productivité [des concepteurs] [de] faciliter la communication entre les analystes et les utilisateurs [et] d'assurer une certaine uniformité dans la qualité et la structure des modèles produits ».

Des changements importants sont aussi survenus dans le type de tâche pouvant être supportée par l'ordinateur. Alors que les premières applications de l'informatique automatisaient des tâches qui, bien que complexes, avaient un degré de structure très élevé, les systèmes experts (SE) et les systèmes interactifs d'aide à la décision (SIAD) permettent d'appréhender des tâches peu structurées. Jean-Charles Pomerol définit et compare ces deux types de systèmes. Il discute de plus du rôle du concepteur dans ce contexte, c'est-à-dire de la façon de traiter les tâches non structurées afin de les modéliser. Mais surtout, l'auteur s'interroge sur l'impact potentiel de ces systèmes sur les organisations. Selon lui, s'interroger sur la façon dont cette « informatique intelligente » va changer les entreprises « suppose que l'on sache en quoi cette informatique va être plus "intelligente" ». L'auteur poursuit en indiquant qu'il ne voit que deux axes d'expression de cette intelligence : « Premièrement, on peut offrir de la flexibilité et des degrés de liberté aux acteurs par le jeu des différents modèles et de leur exploration heuristique contrôlée par l'utilisateur, c'est l'aspect SIAD. Deuxièmement, l'informatique d'entreprise peut devenir plus intelligente en s'intégrant de façon plus astucieuse dans le jeu des acteurs sociaux ».

Dans le bref historique qu'ils tracent de l'ergonomie en informatique, Vincent Grosjean et Denis Javaux mettent clairement en évidence les changements survenus dans les préoccupations des ergonomes ainsi que dans leur objet d'étude. Les années 1960 furent celles de « l'ergonomie matérielle ». Puisque les ordinateurs étaient rares et leurs utilisateurs des informaticiens professionnels, rares eux aussi, les études ergonomiques de cette époque sont peu nombreuses, et sont « focalisées surtout sur des aspects principalement matériels (physiques) et organisationnels ». Les années 1970 ont vu l'avènement de l'ergonomie du travail sur écran, qui s'intéressait principalement aux « utilisateurs spécialisés qui se sont attelés à des tâches dont les composantes intellectuelles étaient plus réduites ». Au début des années 1980 est apparue l'ergonomie de l'interface s'intéressant non plus à des problèmes strictement physiques, mais plus préoccupée par le confort psychologique de l'utilisateur. L'évaluation des logiciels est une préoccupation importante de l'ergonomie de l'interface. Les auteurs nous proposent une approche « décompositionnelle » pour ce faire. Cette approche consiste à découper un logiciel jusqu'à en arriver à ses fonctions les plus élémentaires, puis à appliquer les mêmes critères d'évaluation à chacune des fonctions. Selon les auteurs, cette approche « constitue un point de départ intéressant pour initier une démarche évaluative globale permettant d'atteindre ces objectifs de rigueur et d'homogénéité ».

Selon certains, l'informatique de l'utilisateur final aura autant marqué les années 1980 que l'avènement de l'informatique avait marqué les années 1960. Alors qu'il y a trente ans la réalisation d'applications informatiques était le territoire des seuls informaticiens professionnels, l'avènement de la microinformatique et des logiciels conviviaux a conduit à une démocratisation de l'informatique. Ce phénomène, par lequel les utilisateurs répondent eux-mêmes à certains de leurs besoins en information avec une intervention minimale des informaticiens professionnels, est traité dans l'article de Sylvie Desq et Bernard Fallery. Plus particulièrement, les auteurs proposent un cadre d'analyse mettant en relation les modes d'utilisation de l'informatique par l'utilisateur final, les caractéristiques des utilisateurs et les changements de performances perçus. Les auteurs ont examiné le bien-fondé de leur cadre d'analyse par le biais d'une étude menée auprès de 371 utilisateurs d'une unité de production de IBM-France. A la suite de leur étude, les auteurs proposent deux « pratiques » de l'informatique utilisateur : l'informatique personnelle et l'informatique intégrée. L'analyse des données recueillies conduit les auteurs à suggérer que ces deux pratiques sont liées à des performances différentes. De l'informatique personnelle semble résulter un enrichissement personnel et une autonomie accrue, alors que l'informatique intégrée semble plutôt liée à un enthousiasme plus grand face au travail.

Les conflits entre utilisateurs et informaticiens ne sont pas chose nouvelle. Le célèbre article de Ackoff (1967)1 traite de l'incompréhension qui existe entre les deux parties. Depuis, de nombreux chercheurs ont tenté de trouver des stratégies, approches ou méthodes permettant une meilleure communication informaticien-utilisateur. Tout en traitant d'un problème « ancien », le cadre d'analyse de gestion des conflits proposé par Henri Barki et David Saunders est une approche nouvelle dans le domaine des systèmes d'information. Selon les auteurs, « malgré l'importance et la pertinence de la gestion des conflits dans l'élaboration des systèmes d'information, peu d'études ont porté sur la nature des litiges qui émergent lors de leur mise en place et sur leur gestion efficace ». Prenant appui sur les écrits relatifs aux sciences du comportement, le cadre d'analyse met en relation les caractéristiques d'un conflit, les sources d'influence de chacune des deux parties et l'approche de gestion des conflits adoptée et l'efficacité de la gestion du conflit. La vraisemblance du cadre d'analyse est examinée par le biais d'exemples tirés de la documentation sur les systèmes d'information. Cela n'est cependant qu'un premier pas ; la validité du cadre d'analyse ne pourra être établie qu'après une suite d'études ayant pour objet de l'explorer plus à fond. Les auteurs en sont conscients et proposent diverses avenues de recherche pour ce faire.

Au cours des années 1960 et même au cours de la décennie suivante, l'informatique était non seulement l'apanage des informaticiens professionnels, mais elle était aussi celui de la grande organisation. Ce n'est que depuis la chute des coûts du matériel informatique que les petites et moyennes entreprises peuvent envisager d'utiliser elles aussi l'ordinateur comme outil de gestion. Pour ces organisations, cependant, l'arrivée de l'ordinateur est souvent problématique. Comme le mentionnent Louis Raymond, François Bergeron, Lin Gingras et Suzanne Rivard, les modèles de gestion de l'informatisation qu'utilisent les grandes organisations ne répondent pas aux besoins spécifiques de la PME. Les auteurs proposent une grille d'analyse mettant en relation les spécificités des PME et les facteurs de succès de l'informatisation de ces entreprises, comme ils sont identifiés dans des études antérieures. Cette grille a par la suite servi à analyser douze cas décrivant le processus d'informatisation de PME québécoises. Les auteurs notent qu'un problème du processus de développement pour les PME est le manque de ressources spécialisées. Le manque de planification du projet et la dépendance face à certains employés clés étaient aussi des problèmes courants. De plus, « lors de l'effort initial d'informatisation, l'analyse d'opportunité et la détermination des besoins informationnels sont souvent déterminantes ».

En plus de mettre en évidence des changements survenus dans la pratique de l'informatique et des systèmes d'information, les articles de ce numéro témoignent aussi du changement survenu dans l'objet d'étude des chercheurs de ce domaine. Alors qu'il y a peu de temps encore les préoccupations des chercheurs étaient entièrement reliées à la technologie, il n'en est pas de même aujourd'hui. Vézina et Talbot, par exemple, se préoccupent de l'adéquation de la technologie à la tâche à supporter. Pomerol s'interroge sur les liens entre l'informatique « intelligente », les individus et les organisations. Grosjean et Javaux examinent de quelle façon peut se réaliser l'harmonie entre l'individu, la tâche et la technologie. Desq et Fallery étudient le lien entre la technologie, l'individu et la transformation de la tâche. L'individu et ses relations avec d'autres individus constituent la préoccupation essentielle de Barki et Saunders. Enfin, Raymond, Bergeron, Gingras et Rivard sont plutôt préoccupés par la congruence entre la structure et la technologie. Cette grande diversité d'objets d'étude reflète la complexité du thème informatique de gestion et gestion de l'informatique. Elle indique aussi que tout n'a pas été dit sur l'utilisation des technologies de l'information dans les organisations, et que dans ce domaine, il y aurait matière à plusieurs autres numéros thématiques !

Avant de laisser la parole aux auteurs, une précision s'impose. Ce numéro de T.I.S. est le résultat des efforts de toute une équipe. Les rédacteurs en chef François Pichault et Gaëtan Tremblay ont, tout au long de la préparation du numéro, participé de leurs conseils et de leurs avis éclairés. C'est en collaboration étroite avec mes collègues Claire Lobet-Maris et Luc Wilkin que la coordination du numéro s'est effectuée. En leur nom, je souhaite à tous bonne lecture !

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