Disparues


Numéro 1 - Dix ans de vidéotex

Les comités de rédaction des revues Réseaux et TIS

Editorial -1989


Résumé
ImprimerImprimer

  Résumé

Dix ans de recherche en sciences humaines sur le vidéotex : d'aucuns pourraient s'étonner que l'on célèbre un tel anniversaire. La période écoulée est en effet très courte et sans doute ne dispose-t-on pas encore du recul nécessaire pour s'engager dans une analyse critique de l'évolution des travaux dans ce domaine. Pourtant, deux arguments peuvent être mis en avant pour justifier une telle entreprise. Tout d'abord, il s'agit d'un secteur dans lequel les problématiques évoluent très rapidement, suivant de près les transformations technico-économiques. L'effervescence des dernières années semble d'ailleurs avoir produit une sorte de « fuite en avant » au terme de laquelle les chercheurs, après s'être éparpillés sur des sujets divers au fil des commandes qui leur étaient adressées, paraissent connaître aujourd'hui, avec le tarissement relatif de la demande sociale, un certain essoufflement, voire un « passage à vide ». Il est donc temps de recentrer la réflexion et de tenter d'en dégager, à travers l'obsolescence actuelle des courants de recherche, les principales tendances structurantes1.

Ensuite, il faut bien reconnaître que, malgré la nouveauté de l'objet qu'elles étudient, la plupart des recherches menées dans ce domaine s'inspirent en fait de schémas de réflexion plus anciens, voire classiques, que l'on retrouve - avec quelques accommodements, sans doute - dans toute démarche d'évaluation technologique. Cela ne veut pas dire que des idées nouvelles ou des pistes de recherche inédites ne se dégagent pas du foisonnement actuel. Mais peut-on vraiment parler de la naissance d'un nouveau champ de recherche ?

Précisons d'emblée que ce numéro n'a pas la prétention de proposer un inventaire exhaustif de la recherche en sciences sociales sur le vidéotex. Il marque simplement une étape dans la réflexion à partir d'un choix de textes, issus pour la plupart d'un colloque organisé à Paris, au mois de décembre 19882. Ce colloque constituait une sorte de bilan de dix années de recherches menées en France sur le vidéotex. Nous avons souhaité en élargir le propos en envisageant, outre le cas français - qui fait incontestablement figure de modèle dans le domaine télématique - d'autres situations européennes ou nord-américaines.

Le lecteur remarquera que ce numéro spécial est le résultat d'une coédition entre les revues Réseaux et TIS, dont les origines institutionnelles et les publics sont pourtant relativement distincts. Il s'agit en soi d'une initiative inhabituelle, mais il nous a paru intéressant de la mener car l'enjeu était de taille : le cap des dix ans de recherches sur le vidéotex offre en effet une occasion unique de collaborer et de faire le point, entre chercheurs, sur le développement rapide d'un secteur qui a suscité tant de passions et de débats.

Plutôt que de suivre les derniers développements en cours dans différents pays, nous avons tenté de rassembler un certain nombre de travaux qui esquissent, au-delà de leur aspect strictement informatif, des problématiques et des schémas d'explication de la réalité télématique.

Le lecteur sera sans doute frappé par la prédominance, au sein de ce numéro, des analyses sociopolitiques menées à partir des stratégies d'acteurs que ce soit pour analyser les options technico-économiques fondamentales qui ont conditionné le cours d'un projet télématique (Guédon, Schneider, Vedel), pour identifier les conditions de réussite d'un processus d'innovation (Flichy) ou pour dégager l'entrecroisement des logiques opérant dans un tel processus (Charon, Pajon). L'accent y est mis particulièrement sur les choix initiaux qui engendrent les contraintes ultérieures de l'action ; sur l'influence des intérêts spécifiques de groupes, d'institutions ou de corps ; sur les buts internes qui peuvent occulter les missions que l'organisation est censée remplir dans son environnement ; sur le poids des structures bureaucratiques ; sur la pluralité des rationalités et des enjeux, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des organismes concernés, etc.

Sans doute ce type d'analyse ne représente-t-il pas, dans la courte histoire de la recherche en sciences sociales sur le vidéotex, un des courants dominants. Les études concernant les usages ont en effet été beaucoup plus nombreuses et ont par ailleurs reçu une large diffusion3. C'est précisément la raison pour laquelle il nous a semblé préférable de « biaiser » quelque peu l'ambition récapitulative de ce numéro en accordant plus de place à des thèses qui n'ont pas toujours bénéficié de la même diffusion. Certains ne manqueront pas d'y voir, cependant, un reflet de la dernière inflexion donnée par les commanditaires aux travaux sur le vidéotex.

Les analyses rassemblées dans ce numéro nous rappellent - si besoin est - que les rapports de pouvoir, les structures de relations sociales et les enjeux contradictoires marquent davantage l'évolution d'une technique que ses potentialités intrinsèques. L'approche par le biais de l'écologie des jeux, développée par Thierry Vedel, illustre clairement une telle position théorique. Elle met en évidence le caractère éminemment relatif des processus d'innovation technologique. Ceux-ci doivent nécessairement être rapportés aux contextes particuliers dans lesquels ils apparaissent : il est exclu de les évaluer en fonction d'objectifs initiaux fixés une fois pour toutes. A cet égard, l'analyse comparée que nous présente Patrice Flichy d'une réussite (le minitel) et d'un échec (le vidéodisque) est riche d'enseignements.

Il convient toutefois de rappeler que le relativisme n'empêche pas de dégager des tendances à long terme, au-delà des constellations de phénomènes spécifiques. Ainsi en est-il de la transformation progressive des gestionnaires de réseaux - qu'ils se nomment France Telecom, British Telecom, Deutsche Bundespost ou Bell Canada - en entreprises de communication à part entière ; comme le souligne Jean-Marie Charon, il s'agit là, sans aucun doute, d'un processus irréversible.

Autre tendance significative, analysée par Patrick Pajon : l'intégration de plus en plus marquée des activités de communication, de transaction et d'information dans le domaine du vidéotex. Ou encore la perpétuation des clivages socioculturels traditionnels, signalée par Nicole Arnal et Josiane Jouët, dans les pratiques d'appropriation de la télématique : ce sont en effet les mieux nantis en potentiel de communication et d'information qui se montrent les plus demandeurs à l'égard des nouveaux médias !

Les différentes contributions réunies dans le présent numéro tentent chacune de dépasser la dichotomie, aujourd'hui devenue classique en sciences sociales, entre approches déterministes et interactionnistes (Boudon, 1977). Aucun de ces deux extrêmes ne permet en effet de rendre compte de façon satisfaisante d'un processus d'innovation, particulièrement en matière technologique. Sans doute les structures en vigueur, les traditions de corps4 ou les valeurs d'entreprise forment-elles un ensemble de contraintes qui ne manquent pas de conditionner étroitement le cours du changement : un tel propos ressort clairement des textes de Jean-Marie Charon ou de Volker Schneider, par exemple. Mais les acteurs sont là, avec leurs stratégies, leurs capacités d'agencement et d'anticipation, leurs projets et leurs objectifs : toutes les analyses de ce numéro montrent combien ils influencent à leur tour le processus d'innovation, en lui donnant chaque fois une forme spécifique.

On voit ainsi que la recherche en matière de vidéotex a réussi à se construire sur des bases concrètes, après avoir été dominée - lors des débuts de la télématique - par de grandes interrogations de type sociopolitique ou idéologique, dans la foulée du Rapport Nora-Minc sur l'informatisation de la société : qu'on se souvienne des débats opposant l'option privatique et l'option télématique5, l'ouverture au monde et le repli sur soi, l'opacité et la transparence, l'accès à la connaissance et le nivellement culturel, etc.

Toutefois, l'effervescence des dernières années pourrait nous faire oublier que la période dont nous parlons est très brève et que la recherche sur le vidéotex n'a vraisemblablement pas encore atteint son stade de maturité.

Restons par conséquent attentifs aux développements ultérieurs et sachons nous doter des moyens conceptuels et méthodologiques pour les évaluer.

En terminant, nous tenons à signaler que le présent numéro offre une bibliographie sélective - principalement centrée sur la recherche en langue française - ainsi qu'un répertoire des principaux termes techniques utilisés en matière de vidéotex : nous souhaitons en effet que cette lecture rétrospective soit accessible à tout chercheur intéressé, même s'il ne dispose pas toujours du « bagage initiatique » requis...

Les comités de rédaction des revues Réseaux et TIS

Notes

Proposer ce document