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Les enjeux ethnolinguistiques dans l'acte de transmettre. L'exemple du bèlè : une pratique traditionnelle en vogue à la Martinique

Karen Tareau
août 2016

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/cultureskairos.1238

Résumés   

Résumé

La langue et la culture transcendent le concept de transmission. De ce fait, transmettre est un acte intergénérationnel et transgénérationnel qui permet le renouvellement et la structuration des sociétés actuelles. Cet acte culturel et linguistique se distingue par ses modalités et diffère selon les âges et les types de sociétés. C’est le cas de la Martinique, département français d’Outre-Mer, qui laisse présager des survivances ethniques, des traces de l’ancienne présence coloniale, qui prend forme sous un apparat de pratiques modernes sans cesse renouvelées au contact de la diversité des cultures et de la singularité des acteurs de la transmission. À cet effet, l’analyse de ces pratiques, en l’occurrence le bèlè, met en exergue des situations conflictuelles d’ordre identitaires, culturelles et linguistiques ; un phénomène caractéristique des sociétés créoles. L’historicité de ces sociétés, se situant à la croisée de la tradition et de la modernité, présente des situations paradoxales, aussi bien dans le contenu de la transmission que dans ses modalités. De ce fait, interroger le concept de transmission, c’est questionner ses acteurs : anciens, djoubaké et « pédagogues » qui vivent la tradition différemment dans un contexte où modernité et modernisation sont constamment en conflit. Cette expérimentation, prenant la forme d’enquêtes semi-directives, révèle, sous le prisme de l’institution, une formalisation de la pratique via les objectifs et les méthodes d’apprentissage définis par les agents formels ; ce qui mettrait à profit une universalisation de notre savoir-faire au détriment de notre spécificité créole.

Abstract

The language and culture transcend the concept of transmission. Therefore, transmitted is an intergenerational and transgenerational act that allows the renewal and structuring of societies today. This cultural and linguistic act is distinguished by its terms and differs depending on the ages and types of companies. This is the case of Martinique, French Overseas Department, which suggests ethnic survivals, traces of the old colonial presence, which takes form in a pageantry of modern practices constantly renewed contact with diversity cultures and uniqueness of the actors of the transmission. For this purpose, the analysis of these practices, in this case the bèlè, highlights the conflicts of identity order, culture and language; a phenomenon characteristic of Creole societies. The historicity of these companies, located at the crossroads of tradition and modernity, this paradoxical situations, both in the content of the transmission in its terms. Therefore, interrogating the concept of transmission is questioning its actors: elders, teachers and djoubakè who are living tradition differently in a context where modernity and modernization are in constant conflict. This experiment, in the form of semi-directives investigation reveals, under the institution's prism, a formalization of the practice by the objectives and learning methods defined by formal agents; which would build a universal know-how to the detriment of our uniqueness.

Index   

Index de mots-clés : modernité, Transmission, culture, langue.
Index by keyword : modernity, Transmission, Language, Culture.

Texte intégral   

Introduction

1Il est commun de dire : « Que transmettre est une qualité proprement humaine porteuse d’identité…» (Jacques-Jouvenot, Vieille-Marchiset, 2012, p. 16). La langue et la culture, inhérentes à tout acte de la transmission, constituent un invariant de toutes les communautés humaines. Cet acte répond ainsi à une logique de don au sein de laquelle s’établissent des interactions sociales entre un donneur et un receveur. De ces interactions se créent des liens intergénérationnels qui définissent l’acte de transmission comme étant un processus mémoriel permettant d’accéder au contenu de la transmission par héritage. Ce processus se situe donc dans une temporalité où « le temps est un cadre social privilégié dans lequel s’organise la transmission » (Ibid., p. 8). Transmettre est donc un acte transgénérationnel et intergénérationnel qui assure la reproduction du contenu de la transmission qui lui, est spécifique et constitutif des sociétés traditionnelles et modernes. Les particularités inhérentes à ces sociétés mettent en lumière deux modalités de transmission :

2- La transmission informelle, caractéristique des sociétés traditionnelles. Les codes sont ceux de la culture implicite (les savoirs, les attitudes, les valeurs partagées par les membres de la communauté (Perrineau, 1975, p. 949). Ce mode de transmission, spécifique aux sociétés orales, se transmet par mimétisme et l’apprentissage se base sur l’imprégnation ;

3- La transmission formelle, caractéristique des sociétés modernes, s’accompagne d’un processus d’acquisition de savoir et de savoir-faire selon des codes graphiques déclinés en objectifs et méthodes pédagogiques. La culture, à la fois implicite et explicite (phénomènes matériels), se base sur la formalisation écrite des codes oraux et la réappropriation de ceux-ci.

4Ces deux modes de la transmission s’opèrent à la Martinique et présentent des caractéristiques singulières. Celles-ci, de nature socio-historiques, relèvent d’un phénomène idiosyncrasique ; ce qui génère des particularismes, entre autres, culturels qui placent la Martinique dans un rapport ambigu avec la mère patrie (la France) et le père fondateur (l’Afrique) (Claire Emmanuelle Laguerre, 2016, p. 48). La chercheuse précise : « Que les influences africaines ont longtemps été occultées laissant place à une prédominance des influences hexagonales voire occidentales » (Id.).

5Aussi d’un soubassement afro-centré à un cosmopolitisme culturel entre l’Afrique, l’Europe et l’Asie ; la Martinique ne cesse de se constituer, depuis le début de la colonisation, en un syncrétisme culturel et linguistique (créolisation) qui s’accentue aujourd’hui avec les phénomènes d’immigration des populations francophone, hispanophone et anglophone de la Caraïbe – Haïti, Saint-Domingue, Sainte-Lucie, La Dominique.

6Toutefois, c’est surtout le statut d’ancienne colonie française et de département français d’Outre-Mer qui confère à la société martiniquaise des incertitudes identitaires se traduisant par de l’insécurité linguistique et culturelle que des essayistes tels que Frantz Fanon (1952) ou Édouard Glissant (1997) attestent dans leurs essais. À ce propos, Fanon déclare :

Que le Noir entrant en France va réagir contre le mythe du Martiniquais qui mange les R. Il va s’en saisir, et véritablement entrera en conflit ouvert avec lui. Il s’appliquera non seulement à rouler les R, mais à les ourler. Épiant les moindres réactions des autres, s’écoutant parler, se méfiant de la langue, organe malheureusement paresseux, il s’enfermera dans sa chambre et lira pendant des heures – s’acharnant à se faire diction… Avec une parfaite assurance, il lance : " Garrrçon ! un vè de biè. " Nous assistons là à une véritable intoxication (Fanon, 1952, p. 16).

7On en déduit aisément que nous sommes face à un changement linguistique dont la fonction sociale est de ressembler au Français de l’Hexagone, dans sa langue, son comportement, sa tenue vestimentaire, et en règle générale dans tous ses traits culturels et linguistiques.

8Par conséquent, le contenu du processus de transmission pourrait donc être remis en question sur un territoire dont la population, selon Édouard Glissant, a été « transbordée par la traite » (E. Glissant,  1997, p. 47). Ce transbord(ement) dont parle l’écrivain-philosophe fait référence à la déportation des peuples africains qui, dans le territoire de l’autre, se change en autre chose (Id.).L’abandon de leurs cultures et le passage forcé à une autre culture ont créé des formes de résistance qui rend(rai)ent la transmission « difficile et périlleuse » (Houssaye, 1992, p. 88).

9Ces conflits culturels sont visibles au travers des représentations des acteurs de la transmission qui se définissent à partir de trois types d’identités : d’africanistes-militantistes, d’assimilés ou petit français de France (L.-G. Damas, 1937)et d’hommes créoles.  

10De ce fait, la Martinique est partagée entre deux modalités de la transmission : la modalité traditionnelle et la modalité moderne ; modalités qui ont à supporter les effets de la globalisation culturelle. Dès lors, « la population transplantée d’origine africaine n’a pas su  maintenir […] l’ancien ordre de ses valeurs » (Glissant, 1997, p. 44).

11En somme, la communauté nouvellement composée, que Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphael Confiant nomment société créole (2000), s’est bâtie sur un processus d’acculturation de la langue et de la culture d’abord africaine puis créole, au profit d’une assimilation de la langue et la culture française.

12Ce phénomène a provoqué une culture de résistance qui s’apparente à celle des mornes1, du temps de la société de plantation. Les pratiques culturelles traditionnelles en témoignent : c’est le cas du bèlè qui désigne à la fois une danse et une musique pratiquée pendant la période coloniale. Cette pratique, devenue emblématique à la Martinique, fait suite, après la départementalisation en 1946, aux idéologies postcoloniales basées sur des discours sur l’identité. À cet effet, nous pouvons nommer à la Martinique, Aimé Césaire. Poète et maire de la ville capitale2, il est l’essayiste et l’homme politique du mouvement littéraire de la Négritude : concept fédérateur des actions intellectuelles et culturelles qui inculque à la Martinique anticoloniale, une vision afrocentriste, semblable au mouvement rastafarai à la Jamaïque. Le bèlè y sera donc très tôt rattaché et se fera l’écho de multiples revendications, à l’image de la pratique du gwoka de l’île sœur, la Guadeloupe.

13Les années suivantes (1970-1980) témoigneront des pratiques dites créatives et collectives que les militants, appelés aussi djoubakè, nomment le renouveau bèlè : cette période de réappropriation de la pratique qui a permis d’accéder à un bèlè martiniquais. Autrement dit, ces djoubakè ont su vivifier la culture de l’époque en s’imprégnant du savoir-faire des anciens et en formalisant une pratique qui était jadis en voie d’extinction. Ces djoubakè sont pour la plupart des intellectuels, originaire de la commune du Nord (Sainte-Marie) – le quartier souche du bèlè – qui, pour la plupart d’entre eux, proches des anciens, ont vécu et vivent encore au quotidien la culture bèlè. Aujourd’hui, nous assistons, grâce à de nouveaux agents, – que l’on nomme dans cet article les pédagogues –  à une néo-appropriation de la pratique, compte tenu du nombre d’intervenants diplômés de plus en plus croissant dans le domaine des arts corporels. Ce qui nous laisse penser que le passage du monde de l’oralité à celui de la scripturalité induit de nouveaux schèmes de pensée que l’on associe souvent au concept de créolité : concept qui intègre le bèlè dans une re-création née du contact de cultures et de langues à la Martinique.

14À cet effet, le point focal de cet article tourne autour de la question d’un retour à une tradition culturelle. Celle-ci est-elle révélatrice d’une quête identitaire ? Est-ce un besoin d’inscrire un destin collectif dans un fondement culturel idiosyncratique ? Ces questions nous permettent de nous interroger sur les modalités de la transmission. En d’autres termes, serait-ce valoriser la tradition orale aux dépens de la modernité scripturale ? Ne s’agirait-il donc pas d’opposer deux types d’éducation : l’éducation traditionnelle et l’éducation moderne ? Si tel est le cas, comment pourrait-on penser la culture et la langue régionales dans l’institution scolaire afin que la transmission des valeurs ne soit pas une transgression tant du monde traditionnel que du monde moderne ? Ce qui revient à poser le problème de la transmission du patrimoine culturel et linguistique et amène à décliner les hypothèses suivantes :

15Le patrimoine culturel se pérennise grâce à une volonté commune des agents formels et informels. Ainsi, le retour à la tradition culturelle est un besoin identitaire de la population martiniquaise qui, depuis longtemps, a intériorisé ses propres valeurs au profit de la culture du colonisateur. Ce besoin identitaire s’inscrit également dans une volonté de transmission culturelle et linguistique. Dès lors, d’un besoin identitaire au projet de développement, la transmission culturelle et linguistique aboutit à une meilleure prise en compte des problématiques éducatives. Ainsi, éducation moderne et éducation traditionnelle assurent un continuum culturel au sein de la sphère écolinguistique.

16Ce travail s’objective selon la méthodologie de la théorie formelle ; méthodologie se déclinant par une présentation des outils méthodologiques qui nous permettra, par la suite d’accéder à l’interprétation des résultats pour une meilleure compréhension des logiques de transmission à la Martinique.

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17Crédit photo : Suzanne Quenette©

Une méthodologie axée sur l’interprétation des données

Cadre disciplinaire et conceptuel de la recherche

18La recherche menée a la particularité d’introduire une vision anthropologique et linguistique des modes de la transmission en contexte de créolophonie, de plurilinguisme et d’interculturalité. Autrement dit, il s’agit de soumettre à l’analyse, le concept de transmission au travers des disciplines connexes telles que l’anthropologie, la sociolinguistique et la linguistique. Cette démarche ouvre le débat vers de nouvelles conceptualisations prenant en compte d’une part l’analyse des principes de fonctionnement des sociétés traditionnelles et modernes et d’autre part, la parole des acteurs de la transmission. Cette recherche se situe dans la lignée d’une précédente où il s’agissait d’interroger le concept de transmission au travers des pratiques traditionnelles médicinales à la Martinique (Concy, 2015). Analyse faite, celle-ci nous laisse penser que ces deux recherches aboutissent à des similarités d’ordre anthropologiques ; la part linguistique ayant été peu traité dans le travail sur les pratiques médicinales.

19Pour ce faire, la compréhension de ce phénomène nécessite une démarche dite qualitative-interprétative qui se base sur de multiples croisements entre des catégories d’analyse et un mécanisme de comparaison constante (Savoie-Zajc, 2015, p. 99-111). Il s’agit donc de prendre en compte le point de vue des acteurs concernés par le transfert intergénérationnel et transgénérationnel de la pratique du bèlè. Le choix de celle-ci se justifie, notamment, par sa popularité et par l’observation d’une communauté d’adeptes de plus en plus croissante qui semblent être rattachés à leurs histoires et à des valeurs identitaires.

Les acteurs de la recherche

20La transmission implique d’entrée de jeu l’intervention d’au moins deux personnes ressources : un  transmetteur  et un  récepteur qui établissent une relation se basant sur un savoir (dans une triangulation : savoir, savoir-faire, savoir-être) explicite et implicite défini dans un cadre spatio-temporel variable selon le mode de la transmission.  

21Dans le monde du bèlè, cette relation se base sur un triptyque pédagogique, entre les détenteurs du savoir : anciens, les djoubakè, les « pédagogues », les apprenants et le savoir-faire. Cette tryptique est semblable à celle de l’institution scolaire. Nous pouvons d’ailleurs citer Jean Houssaye (1992, p. 41), qui établit une relation institutionnelle entre professeur, élèves et savoir. Un triptyque que le sociologue qualifie de tryptique pédagogique qui, adaptée au monde oral, permettrait d’identifier, d’entrée de jeu, une nouvelle sphère d’acteurs informels qui, comme les institutions, délivre et réceptionne des savoirs.

22Il en résulte deux modes de transmission qui participent, d’une commune mesure, au processus de socialisation. À cet effet, Margareth Mead (1971, p.171) en dévoile le procès :

23L’éducation recouvre le processus culturel, la manière dont chaque nouveau-né humain, venu au monde avec un potentiel d’apprentissage plus grand que celui de n’importe quel autre mammifère, se transforme en un membre à part entière d’une société humaine particulière, partageant avec les autres membres une culture humaine spécifique. 

24Ce processus de socialisation tel qu’il est analysé sera repris par de nombreux chercheurs en sciences sociales. Nous pouvons mentionner Émile Durkheim lorsqu’il pose la question sur  « La socialisation méthodique de la jeune génération. » (Durkheim, 1922) ou le philosophe Jean-Pierre Faye auquel l’éducation aurait pour principal objet : « La socialisation de l’homme et l’humanisation de la société. » (J.-P. Faye, 2003, p.1). 

25Dès lors que le processus de socialisation est évoqué à la Martinique, les agents de la transmission qui transmettent leur savoir appartiennent aussi bien à l’univers formel qu’au monde informel. Lorsque ceux-ci transmettent dans le milieu informel, ils sont nommés dans le cadre de la pratique du bèlè, les anciens et les djoubakè. Dans le milieu formel, nous les retrouvons en tant qu’enseignants au sein de l’institution scolaire et comme moniteurs ou animateurs dans les écoles de bèlè.

26 Le tableau ci-dessous présente les agents et leur place dans la hiérarchie sociale en fonction de leur âge et du type de domination dans laquelle ils sont insérés.

AGENTS

TRANCHE D’ÄGE

PLACE DANS LA HIÉRARCHIE SOCIALE

TYPES DE DOMINATION

Anciens

70 ans et plus

1ère

Domination charismatique

Djoubakè

De 40 ans à 69 ans

2ième

Domination traditionnelle

27Tableau 1 : LES AGENTS INFORMELS DE LA TRANSMISSION DU BÈLÈ

28Les anciens sont placés au plus haut niveau de la hiérarchie sociale, car ils ont accumulé un savoir-faire et une expertise de la pratique dès leur plus jeune âge. Ils sont âgés de plus de 70 ans et constituent donc le premier maillon de la chaîne traditionnelle. La communauté leur attribue aussi le nom de maître du bèlè.

29À cet effet, leur savoir tire son origine sur une pratique musicale et dansée des esclaves. Elle est actuellement aussi une activité dite « sportive », car comptant parmi les danses dites modernes de l’enseignement de l’éducation nationale. Cependant, compte tenu de son ancrage dans le passé colonial, le bèlèest considéré comme faisant parti de la tradition. Elle se transmet de génération en génération depuis les débuts de la colonisation en 1635. C’est l’une des raisons pour lesquelles les anciens parlent de culture bèlè ; faisant référence à un mode de vie rythmant la vie quotidienne des populations africaines reconstituées. Bien que le bèlè relevait d’une pratique informelle, celle-ci fut interdite pendant la période coloniale ; ce qui n’a jamais empêché le mimétisme des enfants dont le déhanchement, les pas et les chants sont la preuve d’une continuité dans le processus de transmission.

30Ce processus justifie les conditions sociales très modestes de ces anciens puisque la plupart d’entre eux sont des ouvriers agricoles à la retraite ; autrement dit, des descendants d’esclaves noirs qui, après l’abolition de l’esclavage, ont contractualisé leur pratique en activité salariale ; ce qui n’a pas entravé leur culture dite culture bèlè au sein de leur communauté.

31Aujourd’hui, la pratique du bèlè s’articule, selon l’ethnomusicologue Étienne Jean-Baptiste3, des principes structurants et organisationnels ci-après – la photo ci-dessus en montre l’ordonnancement –, à savoir :

32– Le chantè : la personne qui chante, qui raconte et qui crie. Il est le maître de la cérémonie et choisit le répertoire ;

33–Le répondè : c’est celui qui répond, c’est à dire le chœur. Il est formé d’hommes et de femmes de l’assistance qui souhaitent participer à la soirée ;

34–Le bwatè : il désigne celui qui joue du tibwa. Il est en mesure d’imposer un ostinato sur une tige de bambou ;

35–Le tanbou : il est important dans l’univers bèlè. Le tambour bèlè est un tambour venant du Bénin ;

36–Le dansè ou un groupe de danseurs, quel que soit l’âge ou le sexe ;

37–Le lawonn bèlè : c’est l’acte de rassemblements de construction et de création de la communauté. Il s’élabore en cercle d’initiés, en cercle d’initiation et en cercle de participation ;

38–Le kadans : elle émane de traits culturels. Elle correspond à l’esprit qui domine la force, la puissance du bèlè.

39Ainsi, au vu de leur savoir-faire et de leur savoir-être, la communauté attribue à l’ancien une croyance en la légitimité (Weber, 1995, p. 286), au sens de Max Weber. Cette reconnaissance est donc validée par l’expression canonique d’anciens, qui atteste d’un lourd passé culturel enrichissant. Il acquiert donc une forme de légitimité aux yeux de leur communauté qui se révèle sous la forme d’une domination charismatique ; un type de domination qui s’apparente étonnement aux caractéristiques de l’époque énoncées par le sociologue M. Weber :

40Nous appellerons charisme la qualité extraordinaire (à l’origine déterminée de façon magique tant chez les prophètes et les sages, thérapeutes et juristes, que chez les chefs des peuples chasseurs et les héros guerriers) d’un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains ou tout au moins en dehors de vie quotidienne, inaccessibles au commun des mortels ; ou encore qui est considéré comme envoyé par Dieu ou comme un exemple, et en conséquence comme un « chef » [Führer]. Bien entendu, conceptuellement, il est tout à fait indifférent de savoir comment la qualité en question devrait être jugée correctement sur le plan « objectif », d’un point de vue éthique, esthétique ou autre ; ce qui importe seulement, c’est de savoir comment la considèrent effectivement ceux qui sont dominés charismatiquement, les adeptes [Anhanger] (Id.).

41L’expression canonique djoubakè est employée uniquement pour le bèlè et désigne les pratiquants de la deuxième génération, celle qui suit les anciens. Les djoubakè se situent à mi-chemin entre tradition et modernité car formés par les maîtres du bèlè ; ils ont su réinvestir leur savoir- faire pour la transmettre aux générations futures. Âgés de 40 à moins de 70 ans, les djoubakè sont pour la plupart des intellectuels qui se sont plus ou moins imprégnés de la pratique afin de proposer de nouvelles actualisations du bèlè. Ainsi, selon l’expression de M. Weber, leur légitimité s’appuie sur une domination traditionnelle :

42Nous qualifions une domination de traditionnelle lorsque sa légitimité s’appuie, et qu’elle est ainsi admise, sur le caractère sacré de dispositions [Ordnungen] transmises par le temps (« existant depuis toujours ») et des pouvoirs du chef. Le détenteur du pouvoir (ou divers détenteurs du pouvoir) est déterminé en vertu d’une règle transmise. On lui obéit en vertu de la dignité personnelle qui lui est conférée par la tradition. Le groupement de domination est, dans le cas le plus simple, principalement fondé sur le respect [Pietastsverband] et déterminé par la communauté d’éducation. (Ibid, p. 201-302).

43Au côté de la communauté formelle, la communauté informelle est composée de deux types d’agents ; chacun d’eux ayant leur place dans la hiérarchie sociale. Nous relevons le fait que les djoubakè, se situant au milieu de la transmission intergénérationnelle, ont acquis leur savoir-faire auprès des anciens pour ensuite formaliser celui-ci au moyen de diplômes professionnels ; ce qui leur a valu le droit de transmettre leur pratique au sein de l’institution scolaire. Le tableau ci-dessous établit une classification en fonction du type d’institution auquel les agents adhèrent. Ces djoubakè nommés ainsi dans le milieu informel et formel (au sein des associations) changent d’appellations lorsque certains exercent la pratique du bèlè au sein de l’institution scolaire ; l’Éducation nationale les nomme moniteurs ou animateurs. Nous retrouvons enfin une autre catégorie d’agents de la transmission ; celle-ci fait parti intégrante de l’Éducation Nationale : les enseignants d’Éducation physique et sportive appelés communément les professeurs de sport.

INSTITUTIONS

AGENTS

Associations (écoles de bèlè)

djoubakè

Institution scolaire

Moniteurs (et/ou animateurs) et professeur de sport

44Tableau 2 : LES AGENTS FORMELS DE LA TRANSMISSION DU BÈLÈ

Le protocole d’enquête

45Le dispositif d’étude consiste à identifier et à analyser l’une des pratiques traditionnelles en vogue à la Martinique, le bèlè. La compréhension de ses principes de fonctionnement permet de mieux saisir le concept de transmission en contexte de modernité et de créolophonie. Traversée par des facteurs intergénérationnels et transgénérationnels, la situation éducative actuelle se définit par la cohabitation de deux systèmes d’éducation :

46un système traditionnel dont le mode de transmission est oral ;

47un système moderne dont le mode de transmission relève de l’écrit.

48Ces deux systèmes d’éducation permettent d’aborder la problématique de la transmission dans un département français d’Outre-Mer où l’assimilation a enfoui la langue et la culture créoles. Cette réflexion nous amène à établir un contact avec les acteurs suivants :

49les agents informels : anciens, djoubakè ;

50les agents formels : l’institution scolaire et les associations où officient les moniteurs et professeurs de sport.

51À cet effet, l’entretien semi-directif est notre première méthode de recherche. Les agents sont déclinés de la façon suivante :

52les agents informels :

53anciens ;

54djoubakè ;

55les agents formels :

56djoubakè ;

57animateurs ;

58enseignants de l’institution scolaire.

59Ce travail a fait l’objet d’une enquête auprès de 32 agents de la transmission. Ces données se constituent en matériau complémentaire d’autres données d’une autre pratique traditionnelle, la yole ronde, pratique que nous n’exposerons pas dans cet article mais qui se révèle être représentative de l’ensemble des pratiques traditionnelles à la Martinique.  Nous exposerons ici les résultats de trois agents de la transmission ; ceux qui nous semblent être les plus représentatifs, à savoir : un ancien, un djoubakè officiant dans les deux milieux (formels et informels) et un professeur de sport.

60Nous souhaitons ajouter que l’aspect quantitatif n’a que très peu d’intérêt dans notre étude pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’échantillonnage a été scientifiquement validé par le critère de saturation (Glaser, Strauss, 1967). En effet, sa valeur quantitative a atteint son point de saturation4 à 32 agents. Ensuite, la réduction du nombre d’agents (3) est révélatrice du caractère holistique du processus d’échantillonnage. Nous nous référons pour cela à Pirès (1997) qui identifie le processus d’échantillonnage comme étant « l’opération par laquelle le chercheur décide tout d’abord de la pertinence de travailler sur un cas unique (acteur, lieu, événement) ou à partir de cas multiples » (Savoie-Jazc, 2015, p. 101). Par conséquent, en sélectionnant dans notre étude, un unique agent officiant dans chacun des trois milieux (milieu informel, association, institution scolaire), nous nous sommes assurés que la validité de l’échantillonnage résulte du critère de pertinence et d’exemplarité des cas pouvant objectiver que la singularité des données reflète l’ensemble des enquêtes des deux pratiques traditionnelles initialement effectuées.

61Ce matériau sera complété par un échantillon d’analyse de traces, un chant bèlè ; ce qui permettra d’établir une analyse plus approfondie de l’aspect langagier de la pratique.

62Nous emploierons la méthodologie de la théorie formelle dont son fondement aboutit à un degré d’objectivation des données empiriques nous octroyant un degré de conceptualisation supérieur au précédent. Selon Philippe Blanchet, la théorie formelle est « fondée sur un postulat d’objectivité et de structures stables quasiment mathématisables, qui sont analysées au sein du champ et d’un objet » (Savoie-Jazc, 2015, p. 39). Une telle méthode d’analyse se concrétise par l’observation de phénomènes socio-anthropologiques et linguistiques qui se justifie dans ce travail par une analyse du concept de transmission.

63Par ailleurs, les enquêtes de terrain privilégiant l’étude sur le langage et donnant la parole à l’acteur suscitent des surprises quant à la nature des réponses données. Philippe Blanchet souligne cet aspect comme une des caractéristiques fondamentales de l’approche empirico-inductive :

Dans une démarche interprétative, la dominante reste donc évidemment empirico-inductive, puisque le chercheur ne peut prévoir où le discours des enquêtés l’emmènera ni le détail micro-sociolinguistique des phénomènes qui vont lui faire prendre conscience de l’intérêt d’une dimension nouvelle du problème ou de la pertinence d’un indice rapporté à un contexte particulier, une situation particulière (Giroux, Tremblay, 2009, p. 68).

64Les résultats ci-dessous se prêteront donc à cette méthodologie pour enfin aboutir à une réactualisation des logiques de transmission et ainsi à une conceptualisation des données empiriques.

Résultats et synthèse interprétative

Un parcours de vie spécifique à chaque communauté

65Les acteurs interrogés se situent à un niveau stratégique dans la société martiniquaise :

66L’ancien se réfère davantage au monde de l’oralité des sociétés dites traditionnelles ;

67Le djoubakè se situe dans un entre-deux culturel entre le monde de l’oralité et le monde de la scripturalité ;

68Le professeur de sports  se réfère aux caractéristiques d’une société moderne.

69Les anciens sont les acteurs de la première génération. Respectés par le monde du bèlè, ils détiennent le savoir. Leur expertise suscite, d’ailleurs, la curiosité des plus jeunes. L’acteur interrogé est un homme d’environ soixante-dix ans ayant vécu dans la commune de Sainte-Marie : lieu où la pratique est la plus représentative. Cet agent requiert toute notre attention, car son environnement familial ainsi que son activité professionnelle est de l’ordre de l’exceptionnel à une époque (1940) où la plupart d’entre eux sont issus de milieux modestes : des descendants d’esclaves qui se sont installées dans les mornes, afin de fuir la société esclavagiste. La plupart d’entre eux sont des ouvriers agricoles à la retraite. Notre agent, saxophoniste, dit avoir reçu son savoir-faire de ses grands-parents.

70Le deuxième agent se nomme le djoubakè. Il intègre la seconde génération des acteurs de la transmission. La plupart d’entre eux sont des militants qui ont revendiqué vers les années 70, une identité martiniquaise. On parle d’ailleurs de renouveau bèlè, cette période où cette pratique est sortie des mornes pour rejoindre le centre de la Martinique.5  Les djoubakè sont des personnes cultivées, la plupart d’entre eux sont enseignants ; d’autres se sont consacrés entièrement à leur passion. Pour ce faire, ils ont dû formaliser leur pratique par des diplômes d’État. L’agentinterrogéest âgé d’une cinquantaine d’années et a côtoyé dès son plus jeune âge la pratique. Animateur de bèlè, il a reçu son savoir de son entourage familial et d’anciens de son quartier.

71Le troisième agent est un homme d’une trentaine d’années exerçant en tant que professeur de sports dans un lycée. Il intègre donc la troisième génération des agents de la transmission. Sensibilisé par le bèlè dans un des quartiers de la capitale, son engouement pour la pratique débute réellement à la suite de la grève de 2009, un mouvement d’ordre identitaire qui dénonçait une mauvaise répartition des richesses. Ce mouvement fut, pour lui, un élément déclencheur qui l’amène à reconsidérer les pratiques traditionnelles en général et le bèlè en particulier sous un autre angle. Sa persévérance le conduisit à acquérir des connaissances dans le damier (une danse de lutte) et la lutte chinoise ; ce qui lui permet d’aborder le bèlè comme un ensemble d’éléments structurants et évolutifs. Compte tenu des éléments énoncés, cet agent intègre les caractéristiques de la société moderne.

Un mode de transmission spécifique à chaque communauté

72Les modes de transmission de la pratique sont fonction des méthodes d’apprentissage et d’assimilation des savoirs. Le parcours de vie de ces acteurs influence énormément ces modes de transmission. Ces trois agents ont acquis une expertise de la pratique qui les place en position de domination, selon Max Weber. Toutefois, la nature de celle-ci diffère selon les critères tels que l’âge, l’expérience et la reconnaissance par les pairs de ce savoir.

73L’ancien interrogé est âgé de 73 ans. Il est reconnu non seulement par ses pairs, mais par une grande partie de la population martiniquaise. Sa notoriété lui permet d’accéder aux scènes de la zone américano caraïbe. Par conséquent, nul ne mettra son expertise et sa parole en doute. De ce fait, cet agent sera l’acteur privilégié – aux yeux des apprenants –  de la transmission de savoir-faire ; indépendamment des méthodes dispensées par l’institution. Il en découle un mode de transmission caractéristique des sociétés traditionnelles ; autrement dit un monde porté vers l’oralité où l’apprentissage s’effectue par mimétisme. À cet effet, l’apprentissage s’effectue par imprégnation, et c’est par essais-erreurs que l’on accède à un niveau de maîtrise de la pratique.

74Ce mode de transmission n’est pas en totale rupture avec celui des sociétés modernes : le djoubakè, se situant à l’interface des deux communautés, présente des caractéristiques s’appliquant aussi bien au monde oral qu’à celui de l’écrit. À cet effet, l’agent interrogé dit avoir appris « sur le tas ». La compétence acquise a pu être reconnu par ses pairs. De ce fait, la transmission à la Martinique : département français, soulève une variété de situations identitaires ; ce qui a amené cette région à composer avec un univers moderne et modernisé.

75Le djoubakè interrogé a reçu l’enseignement des anciens ; par conséquent son mode d’apprentissage se base sur l’assimilation d’un savoir-faire acquis par mimétisme. Toutefois, ce mode de transmission est influencé par un certain nombre de paramètres tels que son apprentissage scolaire et le niveau d’intégration de la pratique ; ce qui permet d’affirmer que ses modalités de la transmission peuvent être explicites ou implicites. Lorsqu’elles sont clairement énoncées et identifiables, nous parlons d’apprentissage. Les modalités sont donc explicites. Tandis que lorsque ces codes sont inhérents aux valeurs communautaires et touchent même la personnalité de l’individu, nous pouvons parler d’acquisition du savoir, axé davantage sur le savoir-être et influençant en même temps le savoir-faire. Ce dernier s’apparente au savoir implicite, car il modifie le comportement et invite à intégrer inconsciemment de nouvelles données. Les djoubakè ont non seulement intégré le coté implicite de leur savoir, mais en contribuant très fortement à ce qu’ils appellent le renouveau bèlè, ils se sont appropriés une pratique et l’ont liée aux problématiques actuelles. Ces agents ont intégré les deux modalités de la transmission.

76Le troisième agent appartient aux caractéristiques du monde moderne. Bien qu’il ait eu l’occasion de côtoyer des anciens et des djoubakè, son mode de transmission s’apparente très fortement aux méthodes enseignées dans une institution. Ce phénomène s’explique par le fait que cet agent s’est imprégné très tardivement de la culture bèlè (2009). Ses pratiques enseignantes sont donc similaires à celles qu’il a reçues : elles relèvent davantage du milieu scolaire que des agents informels. En effet, l’agent que nous nommons dans cette étude le pédagogue affirme qu’il a reçu les enseignements des agents informels. Toutefois, ses apprentissages se sont déroulés dans la période adulte : période où l’individu s’est déjà imprégné de sa culture implicite, une culture qui ne s’apprend pas et qui s’acquiert au contact des pairs. Son apprentissage revêt donc davantage de la culture explicite : une culture où l’on est conscient de ses savoirs et sa progression. L’animateur s’est donc saisi des codes modernes ; codes qui ont évolué au contact des savoirs théoriques et qui permettent la formalisation des pratiques. Autrement dit, la transition chronologique tradition, modernité n’a pas eu lieu chez ce pédagogue.

Bèlè moderne ?

77Tous les agents interrogés s’accordent à dire que le bèlè doit évoluer. Toutefois, chacun de ces trois agents ont une conception différente de la pratique et de la signification du mot évolution. En effet, l’intercompréhension entre anciens, djoubakè et pédagogues est souvent conflictuelle. Elle tire son origine de leur singularité et de la culture implicite, celle qui nous berce dès le plus jeune âge et qui permet d’accéder à l’individuation de nos gestes et pratiques. Ces spécificités individuelles deviennent collectives et sont en grande partie, inhérentes aux caractéristiques des communautés traditionnelles et modernes. Ainsi, les pratiquants qui n’établiraient pas cette transition culturelle et intergénérationnelle sont considérés comme des opportunistes qui viendraient enfreindre les principes du bèlè. Car le bèlè, pratique traditionnelle doit respecter les principes de la tradition. Qui plus est, l’ancien interrogé s’inquiète de la « tournure que prend l’apprentissage et la transmission du bèlè ». Celui-ci parle notamment de la transmission d’un « mauvais bèlè » intégrant « ces genres de musique qui ne défendent plus la tradition ». Toutefois, il reconnaît que « ses connaissances et son savoir-faire se limitent uniquement à son époque ». Il prend l’exemple du tambour, instrument à forte connotation langagière et porteur d’histoire. À cet effet, il signale ceci : « La personne n’a pas le droit de faire n’importe quoi et que cet instrument, composé de trente-deux sons détient le pouvoir de te donner des lettres ».

78Le tambour, représentatif de l’histoire coloniale et postcoloniale participe à la mémoire des esclaves qui communiquaient leur espoir et désespoir, leur colère et leur joie. L’interviewé signale aussi que le tambour n’a pas sa place à l’église6. Peut-être que son système langagier, dont certains disent à connotation magico-religieuse, ne conviendrait-il pas à la mission de l’Église ? Ou ne serait-ce que l’interdiction de la pratique dans la période coloniale n’a pas été encore levée dans certains esprits ?

79Le djoubakè interrogé est conscient, dit-il, « que les dépositaires de la connaissance du bèlè demeurent les anciens ». Grâce à trois d’entre eux, il a pu avoir accès à ce qu’il appelle la culture du masque, modélisé à partir des principes de base du bèlè. Il a donc pu développer « l’imaginaire et la créativité de la danse bèlè ». Ayant vécu près de la mer, il dit avoir réinvesti sur terre ce qu’il a appris au bord de mer. Aussi, rajoute-t-il : « Tout ce que j’ai appris à faire près de la mer ; eh bien je l’ai fait au hand-ball, au volley-ball, au damier, au bèlè et à la kalenda. Selon lui le bèlè est un bélè créatif. Les anciens disent d’ailleurs : « tou sa ou ka fè bon dépi sé bèlè»7. Cet acteur évalue d’une part les principes de base du bèlè et d’autre part le taux de créativité de l’apprenant ; l’essentiel étant de rester dans le cadre. Dans le cas de la danse, l’enquêté parle d’un nombre de pas obligatoires « un, deux, trois » qui constitue les bases du bèlè. En se fondant sur sa science, il nous explique que le chiffre trois est le premier chiffre impair pluriel. Et ce n’est qu’à partir de trois appuis que l’on peut créer un infini. Cet infini se nomme la créativité. Selon lui, les pratiquants ne sont pas assez créatifs. Lorsqu’une personne lui dit qu’il sait danser, cette parole n’a pas de sens pour lui car le bèlè est un art en constante évolution qui a pour vocation de partager des valeurs.

80À ce titre le bèlè reste un espace de partage. Bien que celui-ci se pratiquait dans la terre battue, les pitts8 et autres lieux informels, le bèlè demeure un espace de convivialité. Selon les personnes interrogées, la pratique adoucirait les mœurs. Les swaré bèlè marquent la rencontre de plusieurs groupes de la Martinique, voire de la Caraïbe (Guyane, Trinidad…) sur les marchés des grandes places des communes de l’île. L’ancien dit qu’à Bezaudin – un quartier de la commune de Sainte-Marie – les swaré bèlè brassent une multitude de personnes. Toutefois, peu d’autochtones s’intéressent réellement à la pratique. Il cite la Maison du bèlè9, lieu d’échange où de plus en plus de touristes s’adonnent au bèlè.

81Le cadre spatial change en fonction de l’agent de la transmission. Il n’est plus celui de la terre battue ou des marchés. Le pédagogue interviewé pratique le bèlè dans les salles de sport. À cet effet, il parle « d’organisation spécifique de la séance », similaire à un cours d’éducation physique et sportive. Diplômé en STAPS10, il a su développer une variante du bèlè : le bèlè fitness.  Il dit ceci :

Voilà, il y a trois parties bien distinctes dans le fitness bèlè : la partie échauffement, la partie renforcement musculaire, où là ce ne sont pas forcément des chorés mais une répétition de mouvements, avec des gestuelles, mais une répétition de mouvements bien placés pour renforcer le corps. D'accord ? Et la troisième partie : la chorégraphie.

82Il ajoute que l’objectif du fitness bèlè, est de préparer l’apprenant au renforcement musculaire. Il prend l’exemple d’une personne atteinte d'un cancer du sein qui a pu, grâce à la pratique, retrouver la mobilité de ses bras. Selon lui, le bèlè fitness est un « outil fondamental qui permet une réhabilitation fonctionnelle ». La place de l’oralité est d’ailleurs plus obscure compte tenu de l’étroite proximité du cadre formalisé de la pratique. Il devient même rare de convoquer des musiciens afin de remplacer le CD, par le tambour, ti-bwa et chant en live.

La transmission du bèlè à l’école et la formation des enseignants

83L’enseignement du bèlè dans un milieu formel tel que l’institution scolaire suscite des débats autour de la question de la la légitimité du professeur face à une pratique ancestrale. En effet, l’intégration du bèlè à l’école impose que la pratique soit formalisée au moyen d’un diplôme national. Ce diplôme atteste d’un niveau minimum permettant au candidat d’animer des séances de bèlè en présence d’un enseignant d’éducation physique et sportive. Cette situation remet en cause la légitimité des agents de la transmission (ancien, djoubakè) qui depuis leur tendre enfance baignent dans la culture bèlè. Les enseignants voient cette pratique d’un autre œil, puisqu’ils la considèrent comme étant une des matières de l’Éducation nationale puisque cette pratique est incluse dans l’éducation physique et sportive ouEPS. Les enseignants d’EPS n’ont d’ailleurs aucune obligation de recevoir un enseignement spécifique car fonctionnaire de l’Éducation nationale.

84Selon l’ancien interrogé, l’apprentissage par mimétisme reste le meilleur moyen pour apprendre le bèlè. En effet, bien qu’il soit conscient de l’importance du bèlè dans les écoles, les principes de la pratique ne peuvent, selon lui, être pleinement enseignés à l’école puisque le cadre spatiotemporel et l’encadrement technique ne permettent pas une réelle imprégnation de la pratique. Toutefois, le maître affirme que l’introduction du bèlè à l’école est un bon moyen d’acquérir de vraies valeurs telles que la solidarité et le partage.

85Quant au djoubakè, il y a lieu, selon lui, de connaître les objectifs de chacun des apprenants. Selon lui, le bélè à l’école est différent de celui appris en milieu informel. Autrement dit, les objectifs pédagogiques du bélè à l’école sont différents des objectifs philosophiques enseignés par les anciens : « Il y a incompatibilité » dit-il, car l’école laisserait très peu de place à l’imagination et à la créativité des enfants : « L’élève est borné, car il ne fait que répéter des pas ».

86Le djoubakè interrogé travaille dans le domaine de l’éducation. Il n’a pas suivi de formation, comme c’est le cas d’autres djoubakè, dans une de ces écoles spécialisées en danse. Mais il reconnaît toutefois que la transmission du bèlè dans les écoles est le meilleur moyen de promouvoir la pratique. Ce qu’il ne tolère pas, dit-il c’est « quelquefois l’ignorance de certains ou la malhonnêteté d’autres de ne pas transmettre les principes de base du bèlè ». Ces principes s’apprennent aussi bien au sein de l’institution scolaire que dans les écoles de bèlè. Ces dernières prenant la forme juridique d’associations (loi 1901) sont gérées, la plupart du temps, par les djoubakè et les pratiquants de la génération suivante. Ces écoles situées sur la côte caraïbe de l’île comptent à elle seule plus de 50% des structures de la Martinique (53%). L’autre moitié est inégalement répartie avec 32 % sur la côte atlantique et environ 15 % dans les régions centre et sud (fig. suivantes).

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87La répartition par région des écoles de bèlè à la Martinique

88(©K. Tareau, 2014)

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89La répartition des écoles de bèlè par commune à la Martinique

90(©K. Tareau, 2014)

91Les animateurs ont entre 25 et 45 ans et sont diplômés, dans le domaine de la danse ou du sport en général. L’agent interrogé, diplômé en STAPS, anime des séances de bèlè fitness mais ne participe pas aux swaré bèlè. Néanmoins, il procède à la mise en place des projets pédagogiques et son activité lui permet d’organiser des sorties et d’autres activités de plein air. Le cadre spatiotemporel a profondément modifié la pratique. En démocratisant le bèlè, les agents de la transmission se sont vu créer de nouvelles formes d’apprentissage (nouvelles dénominations de pas de danse, découpage de séquences de travail…). Les prérogatives de ce nouveau mode de transmission ont participé à un changement linguistique et langagier de la pratique.

Langues et langage dans l’acte de transmettre

92La situation linguistique de la Martinique a évolué. Bien que la langue de la transmission de la pratique traditionnelle demeure pour la majeure partie des pratiquants, la langue régionale (le créole), la répartition des deux langues dans l’aire écolinguistique s’est généralement fluidifiée à tous les milieux (formels et informels). En effet, il y a quelques années, la catégorisation de chacun des deux idiomes dans des aires spécifiques étaient bien visibles ; cette situation avait un nom : la diglossie qui se définit selon Ferguson (1959, p. 325-240) par :

In many speech communities two or more varieties of the same language are used by some speakers under different conditions. Perhaps the most familiar example is the standard language and regional dialect at home or among family or friends of the same dialect area but use the standard language in communicating with speakers of other dialects or on public occasions11.

93Le linguiste Jean Bernabé adapte le concept de diglossie aux aires créolophones comme étant deux langues aux statuts opposés dont l’une, le français est employé dans les situations formelles et l’autre, le créole intervient dans « certains espaces d’énonciation à fort coefficient ethnoculturel » (Bernabé, 2003, p.10). Nous pouvons prendre l’exemple du bèlè au sein duquel la langue créole est représentative d’un univers traditionnel. Celui-ci se caractérise par une forte prégnance de la langue maternelle au détriment du français. Toutefois, la situation écolinguistique de ces communautés évolue. Elle s’explique, en partie, par le fait que la langue créole soit devenue langue d’enseignement. De ce fait, les espaces de communication dans cette même langue s’étendent à un plus large public et côtoient aussi bien le monde des ruraux que celui des urbains. Les agents de la transmission, aussi bien ceux interrogés dans l’article que ceux issus d’un travail plus important12, qu’ils soient issus aussi bien du milieu informel que du milieu formel observent aussi que de plus en plus d’Hexagonaux et négropolitains13 s’intéressent au bèlè. Ces deux situations entraînent des variations linguistiques au niveau de la langue créole faisant intervenir un phénomène inédit. Celui-ci se situe au niveau des variations diatopiques entre le Nord et le Sud de l’île qui faisait intervenir des caractéristiques dialectales bien marquées au niveau du créole. L’exode rural et l’exportation du bèlè dans la capitale et les autres communes de la Martinique entraînent une perte de la métaphoricité du créole des lieux reculés que sont les mornes. Cette situation génère une réappropriation du créole martiniquais marquée, d’une part, par une nouvelle métaphorisation d’un dialecte urbain et d’autre part, par la progression du phénomène de relexification française due, notamment, aux nouveaux pratiquants (urbains, touristes et autres étrangers). À cet effet, Jean Bernabé parle de décréolisation qualitative qui, selon lui, est aussi « vieux que la créolisation (fin de la première moitié du XVIIe siècle) même si la prise de conscience de ses effets est relativement récente.

94La langue de la transmission qui structure le bèlè reste le créole. Toutefois, compte tenu du public, l’emploi de la langue française tend à devenir un usage commun. Tandis que les anciens et djoubakè use de l’alternance codique, le pédagogue s’exprimera en langue française. Le djoubakè interrogé14 déclare qu’au niveau de la pédagogie, les Français de l’Hexagone et les créolophones non pratiquants n’ont pas un rapport aisé à la langue créole, et plus particulièrement aux mots et expressions propres à la pratique. Il déclare aussi que certains agents de la transmission ne saisissent pas les métaphores employées aussi bien dans les discours quotidiens des anciens que dans les chants bèlè. Il est à noter que la performance linguistique la plus développée et la plus aisée demeure celle réalisée en créole. À ce titre, il donne deux exemples, la première est une citation employée régulièrement par des anciens, y compris celui interrogé : « Tambou-a ka palé kréol »15. Ce qui signifie littéralement : le tambour parle créole. Il s’agit d’une métaphore dite ontologique qui se définit par « la manière de considérer les évènements, les actions, les évènements, les actions, les émotions, et les idées comme des entités ou de substances qui possèdent des qualités physiques » (Bernabé, 2015, p. 59). La signification de cette citation renvoie à celle donnée au langage du tambour qui est porteur de sens et d’histoire tragique. Le deuxième exemple renvoie un extrait d’un chant bèlè :

Belia poul la ponn

An poul nwè ponn an zé blan…

I mété an la riviè a

Man we’y an kouran dlo a16

95Les paroles de ce chant très imagé renvoient à la période esclavagiste. C’est l’histoire d’une femme noire qui a enfanté un enfant métisse17, puis, sans doute par peur ou par représailles, celle-ci l’a jeté dans la rivière.

96Selon le djoubakè, il existerait des expressions comme celle citée ci-dessus qu’on ne saurait traduire. Il ajoute aussi « qu’enseigner le bélè en français, c’est lui enlever son environnement imaginaire ». C’est ainsi le désacraliser car la langue tout comme le langage du tambour ou celle du corps est un moyen de préserver l’immatériel.

Conclusion

97Un grand nombre d’anthropologues se sont intéressés au concept de transmission ; notamment au sujet du contenu de la transmission dans l’acte de transmettre et ainsi qu’à ses acteurs.

98La transmission contribue à faire passer des émotions, des représentations et des pratiques. Elle constitue une passerelle entre génération et se caractérise par la continuité et la discontinuité dans une temporalité longue. Elle prend donc en compte le problème d’oubli et de transformation du contenu de la transmission. S’il est question de représentations et de pratiques transmises, le principal objet de la transmission est donc la culture. La culture de l’autre s’identifie en une série de symboles et se mesure grâce à une distance généalogique. La transmission se base donc sur la culture explicite et la culture implicite. La transmission de la culture répond à une logique de don et de dette dans laquelle s’établissent des interactions sociales entre donneurs et receveurs, selon un processus intergénérationnelle et transgénérationnelle. Les modes de transmission peuvent être oraux ou écrits, qu’on soit dans le cadre d’une société primitive ou occidentalisée. La Martinique, compte tenu de ses origines, semble présenter les caractéristiques de ces deux types de sociétés : la société traditionnelle et la société moderne. Ainsi, la culture martiniquaise se trouve confrontée aux deux modes de transmission : l’oralité et la scripturalité. Ses spécificités éveillent la curiosité de bon nombre de chercheurs. Compte tenu de son passé colonial, la Martinique présente des symptômes de souffrance sociale et culturelle. Elle se situerait dans l’entre-deux, puisque de nombreux analystes l’accusent de mimétisme occidental. Toutefois, elle présente encore de nombreuses similarités culturelles avec des ethnies africaines. Les pratiques traditionnelles en sont la preuve dans la mesure où le rapport à l’eau, à la terre est très présent dans les pratiques traditionnelles à la Martinique : la danse bèlè, la pratique de la yole, les pratiques culturales sont les marques d’une richesse, porteuse d’identité culturelle où la parole imagée, rythmée et répétée est la base de leur communication et permet de maintenir la cohésion au sein du groupe. La transmission des savoirs traditionnels s’effectue donc selon un mode oral. Cependant, le territoire martiniquais est avant tout un territoire français répondant à une organisation universellement répartie sur tout le territoire national. La scripturalité est son principal mode de transmission et d’institutionnalisation.

99Autrement dit, la Martinique, en sa qualité de département français a vu son mode de transmission peu à peu évoluer et s’est tournée principalement vers l’écriture. Le système éducatif à la Martinique est très récent et se base sur des référents culturels, politiques, économiques et sociaux appartenant au système éducatif français.

100La question de la langue créole, inhérente aux référents culturels n’est plus l’affaire de quelques-uns : son déploiement dans la société connaît un écho médiatique qui ne laisse pas indifférent la population. Les politiques locales sont désormais intégrées dans le processus de créolisation sous forme d’intervention in vivo, afin que la langue régionale et la langue de la République cohabitent et fassent partie de la culture martiniquaise. La langue créole est une langue véhiculaire parlée sur l’ensemble du territoire. Elle est reconnue d’ailleurs comme langue régionale dans les écoles et à l’université. La langue et la culture sont les preuves d’un continuum linguistique et culturel favorable à la transmission de la pratique. Bien que perdant de sa métaphoricité, selon les anciens et djoubakè, les pratiques traditionnelles sont un moyen de se réconcilier avec sa culture et de comprendre sa singularité dans un monde occidental, d’où le binôme langue et culture régionales reconnu au sein de l’Éducation nationale. L’institution religieuse s’est aussi rendue compte que la culture était indissociable de la vie quotidienne du Martiniquais. Le bèlè est donc un support d’inculturation, afin de faire passer le message de la Bonne Nouvelle aux pratiquants. Ainsi, le concept bèlè Légliz permet de renouer avec des modes d’expression orale jadis perdus.

101Le renouveau bèlè et le concept du bèlè Légliz, malgré certaines réticences des agents informels au regard de la valeur patrimoniale de la pratique, ont connu une véritable révolution culturelle à la Martinique. Qu’ils se reconnaissent en tant que militants africanistes, d’assimilés ou petit français de France voire d’hommes créoles, ces hommes ont reconnu que la pratique traditionnelle assurait la transmission de valeurs telles que la solidarité, le partage et l’entraide ; valeurs fondatrices de l’école républicaine. Les autochtones n’ont plus d’intérêt à vouloir opposer dans leurs discours des formes identitaristes concomittantes jadis aux sociétés dites primitives et occidentales. Autrement dit, ces discours doivent se détacher de propos militantistes pour s’orienter réellement vers des projets de développement prenant véritablement acte de la singularité du département comme modèle d’une universalisation des savoirs dans un contexte où la mondialisation modifie énormément nos modes d’agir.  De fait, il s’agit d’agir en tant que sujet ; cette aptitude à se construire qui l’amène à se doter de capacités réflexives et à tracer son parcours loin de toute linéarité. Ce nouveau modèle de construction de soi enfreint les us et les coutumes de la société traditionnelle. L’action de transmettre se trouve donc déplacée et remaniée dans un contexte prôné par la modernisation et par la logique marchande. Ainsi, le sujet apprenant, se situe dans une continuité, imbriqué à la fois dans un processus d’apprentissage traditionnelle et à la fois contraint d’adhérer à des modèles d’apprentissage, qui trouvent tout son sens, dans le milieu d’émergence du sujet à savoir : la société occidentale.

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Notes   

1  Du français régional des Antilles, le morne désigne le relief pentu d’une île, en l’occurrence celle de la Martinique. Nous pouvons nous risquer à traduire morne par colline. Ces lieux longtemps inaccessible étaient le refuge des noirs fugitifs ou marrons. Dans ces topos se développa une culture de la résistance à l’esclavage.

2   Aimé Césaire est élu député de la Martinique et maire de Fort de France de 1945 à 2001.

3  É. Jean-Baptiste, Matrice Bèlè : Les musiques bèlè de Martinique, une référence à un mode social alternative. Op. cit. p. 123-142.

4   Le point de saturation fait référence au critère de saturation défini par Glaser et Strauss (1967) qui correspond au fait que l’ajout de nouvelles données n’a plus aucun sens car n’enrichissant plus le travail empirique.

5  Le centre de la Martinique est constitué de la capitale, Fort-de-France et de ses communes limitrophes notamment le Lamentin.

6  Le bèlè est apparu dans les églises catholiques sous le nom de « bèlè Légliz ». Il résulte de l’alliance entre la culture et la religion.

7  Traduction littérale française : « Tout ce que tu fais est bon à partir du moment que c’est du bèlè».

8  Le pitt est un gallodrome, un lieu de rassemblement destiné aux combats de coqs. L’activité gallodromique constitue une pratique traditionnelle très ancrée dans la société martiniquaise.

9  « Implantée au quartier Reculée, elle se fixe pour objectif d'assurer la transmission et le maintien des valeurs culturelles liées au bèlè, héritage africain qui s'exprime à travers le tambour, le chant et la danse.
Véritable temple dédié au bèlè, elle propose une exposition permanente, « Bélya Bèlè a ! », qui retrace l'histoire de ce patrimoine artistique rural et celle des personnages l'ayant marqué. Maison de tous les bèlès (bèlè linô, bèlè lisid et bèlè baspwent), c'est aussi un espace d'échanges culturels et de spectacles », lit-on sur le site de l’office de tourisme de cette ville de Sainte-Marie : URL://www.saintemarie-martinique.fr/FR/visite-la-maison-du-bele_9410.html. Consulté en juillet 2016.

10  STAPS : Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives.

11  Notre traduction : Dans de nombreuses communautés de la parole, deux ou plusieurs variétés d'une même langue sont utilisés par certains locuteurs dans des conditions différentes. L'exemple le plus connu est celui de la langue standard et de la langue régionale. La dernière s’emploie à la maison, en famille ou entre amis appartenant à la même aire écolinguistique. Quant à la langue standard, elle s’emploie dans l’objectif de communiquer avec des locuteurs d'autres aires, du domaine public.

12  Nous rappelons que les trois agents de la transmission interrogés sont représentatifs d’un phénomène générique. L’échantillonnage expérimenté dans l’article a été scientifiquement validé par une enquête du type qualitatif-interprétatif appartenant à un plus vaste échantillon. Par conséquent, que ces agents soient au nombre de trois ou d’un plus grand nombre, la valeur des interprétations restent inchangée.

13  Il s’agit d’Antillais(es) né(e)s dans la diaspora hexagonale ou d’expatrié(e)s vivant depuis de nombreuses années en France continentale.

14  Il est créoliste et spécialiste en grammaire cognitive créole.

15  Notre traduction française : le tambour parle créole.

16  Traduction littérale : Bélia la poule a pondu / Une poule noire a pondu un œuf blanc / Elle l’a mis dans la rivière/ Je l’ai vu dans l’eau.

17  Les maîtres abusaient de leur autorité pour exiger des relations sexuelles aux femmes esclaves. D’où tout un métissage qui en résultera et qui donnera naissance à une autre catégorie phénotypique : les mulâtres entre les noirs et les blancs. Fanon évoquera chez l’Antillais ce qu’il a appelé : le complexe de lactification : cette volonté de se blanchir la peau par le métissage entre autre (op. cit., p. 38). À la Martinique, il a longtemps été question de la pochapé pour signifier une peau qui s’éloigne de la malédiction que constitue l’esclavage.

Citation   

Karen Tareau, «Les enjeux ethnolinguistiques dans l'acte de transmettre. L'exemple du bèlè : une pratique traditionnelle en vogue à la Martinique», Cultures-Kairós [En ligne], paru dans Les numéros, mis à  jour le : 10/09/2016, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/cultureskairos/index.php?id=1238.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Karen Tareau

Karen TAREAU est doctorante en Culture et Langue Régionales du Département ICEFI de l'Université des Antilles.